+
n=1
1
n3EST IRRATIONNEL
SANDRO FRANCESCHI, FANGZHOU JIN
ET JOËL MERKER
RÉSUMÉ. La fonction zêta de Riemann, définie par ζ(s) = +
n=1
1
ns
(pour Re s > 1), intéresse les mathématiciens depuis longtemps, et elle
est encore à l’heure actuelle très étudiée, car cette fonction est forte-
ment liée aux propriétés des nombres premiers. Dans ce texte issu d’un
Mémoire de M1, nous étudions quelques propriétés arithmétiques et al-
gébriques des valeurs de ζ(s)aux points entiers sN,s>2, telles
que l’irrationalité ou la transcendance. Notamment, nous fournissons
une démonstration complète et élémentaire, due à Beukers, du théorème
d’Apéry (1978) selon lequel ζ(3) est irrationnel ; cette démonstration est
tout à fait accessible à un étudiant de Licence ou de classe préparatoire.
Copyright : CultureMATH - ENS Paris - DGESCO - Article publié le
15 mars 2011. Validation scientifique : Joël Merker. Editeur : Eric Vandendriessche. Toute reproduction pour
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réserve de la mention explicite des références éditoriales de l’article.
1
2 Sandro Franceschi, Fangzhou Jin et Joël Merker
1. INTRODUCTION
La fonction ζ(s)de Riemann est définie, pour les valeurs complexes
sCtelles que Re(s)>1, par la série :
ζ(s) =
n>1
1
ns,
qui converge absolument, d’après le principe de comparaison d’une somme
avec une intégrale. Classiquement, on démontre (voir la Section 2) que cette
fonction s7→ ζ(s)se prolonge en une fonction méromorphe sur Cavec un
unique pôle au point s= 1 qui est simple.
Cette fonction ζ(s)est en fait très étroitement liée aux propriétés des
nombres premiers. Tout d’abord, Euler en a établi une représentation fon-
damentale sous la forme d’un produit infini :
ζ(s) =
ppremier
1
1ps,
qui converge absolument lorsque Re(s)>1. Ensuite, après des décennies
d’explorations numériques et de résultats intermédiaires dûs à Legendre,
Gauss, Tchebychev et d’autres, Hadamard et de la Vallée Poussin sont par-
venus à démontrer le célèbre :
Théorème des nombres premiers. Soit π(x)le cardinal de l’ensemble des
nombres premiers inférieurs ou égaux à un nombre réel x>1. Alors quand
xtend vers l’infini, la fonction x7→ π(x)se comporte asymptotiquement
comme :
π(x)x
2
dt
log tx
log x.
La démonstration repose essentiellement sur le fait que ζ(s)ne s’an-
nule pas sur la droite Re(s)=1. Dans [12], Zagier élabore une preuve
complète et très concise (en trois pages !) de ce théorème en utilisant une
simplification essentielle due auparavant à Newmann.
Un des grands problèmes mathématiques encore ouverts actuellement
sur la fonction zêta est l’
Hypothèse de Riemann
: les zéros de la fonction
zêta dans la
bande critique
0<Re(s)<1seraient tous situés sur la
droite
critique
Re(s) = 1
2. Tests numériques et arguments théoriques confirment
cette attente. On peut montrer que l’hypothèse de Riemann est équivalente
à une estimation fine des oscillations entre π(x)et son asymptotique :
π(x)x
2
dt
log t= Oxlog x.
Un autre aspect de la recherche sur la fonction zêta porte sur l’étude
de l’irrationalité de ses valeurs aux entiers naturels. Or aux entiers pairs 2n
1. Introduction 3
(avec n>1), les valeurs ζ(2n)sont connues depuis les travaux d’Euler
dans les années 1730, ce sont des multiples rationnels de puissances paires
de π:
ζ(2n)π2nQ(n>1),
comme on le redémontrera p. 5 ci-dessous. Lindemann a montré en 1882
que πest transcendant, c’est-à-dire qu’il n’existe aucune équation algé-
brique xk+ak1xk1+···+a1x+a0= 0 à coefficients rationnels ajQ
dont πsoit racine. Il en découle que les ζ(2n)sont linéairement indépen-
dants sur Q, donc a fortiori irrationnels.
L’inaccessibilité des zêtas impairs ζ(2n+ 1), durant plus de deux cents
ans, avec les techniques eulériennes de développements en séries ou pro-
duits infinis, fait partie des phénomènes les plus intrigants de l’arithmétique.
Pour les valeurs de zêta aux entiers impairs, le premier résultat n’a en effet
été obtenu qu’en 1978 1.
Théorème [APÉRY].Le nombre ζ(3) est irrationnel.
Toutefois, jusqu’à aujourd’hui, on ne sait démontrer d’aucun autre
ζ(2n+ 1) (pour n>2) qu’il soit irrationnel ! Heureusement, des résul-
tats moins forts, mais d’apparence similaire, ont été établis :
En 1979, Gutnik a montré dans [7] que pour tout qQ, au moins un
des deux nombres suivants est irrationnel :
3ζ(3) + q ζ(2), ζ(2) + 2qlog(2).
En 1981, Beukers a montré dans [4] que les deux ensembles suivants
contiennent chacun au moins un nombre irrationnel :
π4
ζ(3),7π4log(2)
ζ(3) 15π2,7π6
3240ζ(3) ζ(3),
ζ(3)
π2,ζ(3)2
π2π4
360, ζ(3)π230ζ(5),ζ(3)ζ(5)
π2π6
2268.
Plus récemment, en 2001, Zudilin a montré dans [13] qu’au moins
un nombre parmi {ζ(5), ζ(7), ζ(9), ζ(11)} est irrationnel.
Au lieu de considérer chaque ζ(2n+1) séparément, il est possible d’en
considérer simultanément une collection finie. Voici un théorème datant de
2001 :
Théorème [RIVOAL].Il existe une infinité de nombres irrationnels parmi
{ζ(3), ζ(5), ζ(7), ζ(9), ζ(11), . . .}
1. Voir [1] pour la publication par l’auteur, qui est postérieure aux articles de Beukers,
de Van der Poorten et de Cohen.
4 Sandro Franceschi, Fangzhou Jin et Joël Merker
Eu égard à ces résultats qui sont considérés comme partiels par les
experts, on a la conjecture suivante, bien qu’elle soit complètement hors de
portée avec les techniques actuelles :
Conjecture. Les nombres π, ζ(3), ζ(5), ζ(7), . . . sont algébriquement in-
dépendants sur Q. Autrement dit, pour tout entier n>0, il n’existe pas
de polynôme P=P(X0, X1, X2, . . . , Xn)non identiquement nul à coeffi-
cients rationnels tel que Pπ, ζ(3), ζ(5), . . . , ζ(2n+ 1)= 0.
2. GÉNÉRALITÉS SUR LA FONCTION ζDE RIEMANN
Prolongement analytique de la fonction ζAvant de commencer, signa-
lons au lecteur qu’il trouvera dans [5, 6] des informations plus complètes
sur les propriétés élémentaires rappelées ici brièvement des fonctions
ζ(s)et Γ(s). Rappelons que pour Re(s)>1, la série ζ(s) = n>1
1
nsest
bien définie car elle converge absolument, et sa somme définit une fonction
holomorphe dans {Re s > 1}. Notre premier objectif est de montrer que
cette fonction se prolonge holomorphiquement à C\{1}.
On définit la
fonction
Γ
d’Euler
par :
Γ(s) := +
0
etts1dt,
où l’intégrale converge normalement sur tout compact contenu dans le
demi-plan Re(s)>0. Par intégration par parties, on vérifie qu’elle satisfait
l’équation fonctionnelle Γ(s+ 1) = sΓ(s), laquelle permet de prolonger la
fonction Γen une fonction méromorphe sur C, qui a pour seuls pôles des
entiers négatifs ou nuls.
Lemme 2.1. Lorsque Re(s)>1, le produit ζ(s)Γ(s)est donné par la for-
mule :
ζ(s)Γ(s) = +
0
ts1
et1dt.
Démonstration. Pour t > 0, on a le développement en série géométrique :
1
et1=et
1et=
+
n=1
ent.
En multipliant le tout par ts1, en intégrant terme à terme, en utilisant :
+
0
ent ts1dt=nsΓ(s),
(changement de variable t7→ nt), on voit que l’identité du lemme découle
du théorème de convergence dominée.
2. Généralités sur la fonction ζde Riemann 5
Lemme 2.2. Si f est une fonction Csur R+à décroissance rapide à l’in-
fini, alors la fonction :
s7→ L(f, s) := 1
Γ(s)+
0
f(t)ts1dt,
définie pour Re(s)>0admet un prolongement analytique holomorphe à
C. De plus, L(f, n) = (1)nf(n)(0).
Démonstration. Soit ϕune fonction Csur R+, qui vaut 1 sur [0,1] et 0 sur
[2,+[. On a f=ϕf + (1 ϕ)fet donc :
L(f, s) = L(ϕf, s) + L(1 ϕ)f, s.
Comme (1 ϕ)fest nulle dans un voisinage de 0 et à décroissance rapide
à l’infini, le théorème de Morera et le théorème de Fubini permettent de se
convaincre que la fonction :
s7→ L(1 ϕ)f, s=+
0
(1 ϕ(t)) f(t)ts1dt
définit une fonction holomorphe sur C. De plus, puisque 1
Γ(s)s’annule aux
entiers négatifs, on a L(1 ϕ)f, n= 0 pour tout entier n>0. Il suffit
donc de montrer le résultat pour la fonction g:= ϕf, laquelle est à support
compact.
Par intégration par parties, on obtient, pour Re(s)>1:
L(g, s) = L(g, s + 1).
Cette formule permet alors de prolonger L(g, s)en une fonction holo-
morphe sur Ctout entier. De plus, en partant de L(g, n)et en effectuant
n+ 1 telles intégrations par parties, on obtient :
L(g, n) = (1)n+1Lg(n+1),1= (1)n+1 +
0
g(n+1)(t) dt= (1)ng(n)(0),
d’où le résultat, puisque f(n)(0) = g(n)(0), évidemment.
Soit maintenant f0(z) := z
ez1. Pour Re(s)>1, comme Γ(s) =
(s1)Γ(s1), le Lemme 2.1 donne : ζ(s) = L(f0,s1)
s1. En appliquant
le Lemme 2.2 à f0, on obtient alors :
Théorème 2.1. La fonction ζse prolonge en une fonction méromorphe sur
C, avec un unique pôle au point 1, pôle qui est simple.
Nombres de Bernoulli et valeurs de la fonction ζaux entiers pairs.
Puisque l’on a ez1 = z(1 + O(z)) au voisinage de 0, on peut définir
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