Doc. 1 ‐ PROTECTIONNISME OU LIBRE ECHANGE ?

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Doc.
1
‐
PROTECTIONNISME
OU
LIBRE
ECHANGE
?
Face
à
la
difficulté
d'isoler
l'économie
nationale
des
turbulences
de
l'économie
mondiale
et
de
coordonner
les
réponses
à
la
crise,
le
protectionnisme
est
une
tentation
politique
répandue.
La
plupart
des
écono‐
mistes
comme
les
institutions
internationales
mettent
en
garde
contre
les
risques
d'aggravation
des
diffi‐
cultés
économiques
que
porte
cette
tentation.
Pourtant,
l'histoire
et
la
théorie
donnent
de
sérieux
argu‐
ments
en
faveur
du
protectionnisme.
Mais
celui‐ci
se
révèle
très
difficile
à
mettre
en
oeuvre
efficacement
et
apparaît
souvent
néfaste
à
l'intérêt
général.
1.
L'ouverture
a
des
effets
positifs,
le
protectionnisme
aussi
La
question
du
choix
politique
entre
libre‐échange
et
protectionnisme
est
une
question
classique
de
l'éco‐
nomie
politique,
depuis
ses
débuts.
Elle
a
aussi
une
forte
dimension
idéologique,
puisqu'elle
n'est
qu'un
aspect
de
la
question
plus
vaste
de
la
régulation
du
marché,
à
laquelle
chacun
répond
différemment
selon
la
confiance
plus
ou
moins
grande
qu'il
accorde
aux
mécanismes
de
ce
marché.
Ramener
le
problème
à
un
choix
radical
entre
tout
protectionnisme
et
tout
libre‐échange
est
simpliste.
Ce
sont
des
situations
extrêmes,
irréalistes
dans
la
plupart
des
pays.
Il
s'agit
plutôt
de
déterminer
le
degré
approprié
d'ouverture
et
de
régulation
des
échanges
internationaux
ainsi
que
les
critères
qui
doivent
gui‐
der
la
politique
commerciale.
Protectionnisme
et
ouverture
ne
sont
pas
contradictoires
si
on
prend
soin
de
distinguer
l'ouverture
du
libre‐échange,
et
le
protectionnisme
de
l'autarcie.
Cette
dernière
n'est
envisagée
par
personne.
L'ouver‐
ture
internationale
est
essentielle
au
développement,
bien
au‐delà
des
gains
résultant
de
la
spécialisation
que
la
théorie
du
commerce
international
met
en
avant.
Elle
favorise
en
effet
l'accès
à
des
marchés
bien
plus
vastes
que
le
marché
intérieur
et
peut
stimuler
la
concurrence
sur
ce
marché
intérieur.
Surtout,
l'ou‐
verture
donne
accès
à
des
facteurs
de
production
rares,
en
particulier
les
techniques
développées
ailleurs
et
les
capitaux.
Cependant,
il
n'est
évidemment
pas
suffisant
d'ouvrir
grand
la
porte
pour
que
débarquent
les
entreprises
étrangères,
ni
pour
que
celles‐ci
aient
une
influence
positive
sur
l'économie
locale.
Les
premiers
plaidoyers
des
économistes
en
faveur
du
libre‐échange
datent
de
la
fin
du
XVIIIe
siècle.
De‐
puis,
les
phases
de
libéralisation
des
échanges
et
de
fermeture
relative
se
sont
succédé
et
aucun
pays
n'a,
aujourd'hui
comme
hier,
totalement
ouvert
ses
frontières.
Plus:
historiquement,
aucun
pays
ne
s'est
déve‐
loppé
sans
recourir
au
protectionnisme.
Aux
Etats‐Unis,
la
question
fut
en
partie
à
l'origine
de
la
guerre
de
Sécession,
qui
opposa
le
sud
libre‐échangiste
(ses
exportations
agricoles
l'y
incitaient)
et
le
nord
protec‐
tionniste
(il
s'agissait
de
se
prémunir
de
la
concurrence
britannique).
De
fait,
à
chaque
époque,
le
libre‐
échange
est
surtout
soutenu
par
les
puissances
dominantes
qui
n'ont
rien
à
en
craindre
du
fait
de
leur
supériorité
technique.
C'est
ainsi
que
l'Angleterre
n'a
milité
pour
le
libre‐échange
que
durant
la
seconde
moitié
du
XIXe
siècle
et
les
Etats‐Unis
un
siècle
plus
tard,
une
fois
leur
suprématie
établie.
Certes,
à
l'exception
de
l'expérience
soviétique,
interrompue
par
l'histoire,
la
plupart
des
processus
de
développement
réussis
s'appuient
sur
la
mise
en
place
d'une
économie
de
marché
ouverte.
Mais
l'ouver‐
ture
sur
l'extérieur
n'est
qu'un
aspect
de
ces
réussites,
de
sorte
qu'il
est
assez
difficile
d'en
isoler
l'effet
propre.
De
plus,
l'intégration
d'un
pays
dans
l'économie
mondiale
est
d'autant
plus
grande
que
le
marché
intérieur
est
à
l'origine
petit,
car
la
production
efficace
de
nombreux
biens
ou
services
nécessite
un
mar‐
ché
suffisamment
vaste.
L'économie
de
Taiwan
est
forcément
plus
ouverte
que
celle
des
Etats‐Unis
avec
son
vaste
marché
intérieur,
une
caractéristique
initiale
dont
on
devrait
tenir
compte
dans
la
comparaison
des
taux
d'ouverture
des
pays.
La
question
du
lien
empirique
entre
ouverture
et
croissance
fait
l'objet
de
polémiques
incessantes
dans
la
littérature
économique.
Selon
un
article
souvent
cité
(1),
au
cours
du
dernier
quart
de
siècle,
les
pays
dont
l'ouverture
a
le
plus
augmenté
ont
connu
la
croissance
la
plus
rapide.
Tout
le
problème
est
de
savoir
dans
quel
sens
se
fait
la
relation:
est‐ce
l'ouverture
qui
favorise
la
croissance
ou
la
progression
des
perfor‐
mances
qui
favorise
à
la
fois
la
croissance
et
l'ouverture?
Il
est
bien
difficile
de
répondre
à
cette
question,
d'autant
que
ces
pays
sont
aussi
ceux
qui
ont
la
protection
douanière
la
plus
importante.
La
comparaison
entre
les
droits
de
douane
dans
un
pays
et
le
taux
de
croissance
de
ce
dernier
ne
donne
d'ailleurs
aucun
résultat
probant.
Le
cas
des
pays
d'Asie
orientale
comme
la
Corée
du
Sud
ou,
plus
récemment,
la
Chine
a
été
beaucoup
dis‐
cuté
récemment.
La
région
a
en
effet
connu
un
développement
d'autant
plus
remarqué
qu'il
s'est
accom‐
pagné
d'une
intégration
spectaculaire
dans
les
échanges
internationaux.
Mais,
là
encore,
cet
exemple
peut
aussi
bien
être
utilisé
pour
montrer
que
l'ouverture
des
frontières
est
bonne
pour
la
croissance
que
pour
montrer,
au
contraire,
que
le
protectionnisme
est
nécessaire.
En
effet,
ces
pays
ont
utilisé
l'ouverture
sur
l'extérieur
dans
leur
stratégie
de
croissance,
mais
il
ne
s'agit
en
aucun
cas
de
libre‐échange.
Le
cas
de
la
Chine,
dont
les
exportations
dépassent
désormais
celles
des
Etats‐Unis,
mais
qui
utilise
une
monnaie
vo‐
lontairement
sous‐évaluée
et
demande
aux
Chinois
d'acheter
chinois,
illustre
bien
cette
ambiguïté.
2.
Les
arguments
protectionnistes
sont
solides
La
plupart
des
raisonnements
montrant
l'intérêt
du
libre‐échange
partent
de
l'hypothèse,
rarement
con‐
forme
à
l'observation,
de
marchés
parfaitement
concurrentiels.
En
présence
d'économies
d'échelle,
les
entreprises
qui
vendent
le
plus
sont
les
plus
compétitives.
Il
peut
donc
être
justifié
de
protéger
le
marché
intérieur,
lorsque
celui‐ci
est
vaste,
pour
permettre
aux
entreprises
locales
d'atteindre
une
taille
suffisante
pour
être
compétitives.
Un
cas
de
figure
assez
proche
est
celui
où
le
coût
d'entrée
sur
un
marché
dépend
de
l'expérience
acquise.
Les
nouveaux
entrants,
qui
ont
du
mal
à
être
compétitifs,
peuvent
le
devenir
si
un
protectionnisme
temporaire
leur
donne
la
possibilité
d'accumuler
l'expérience
nécessaire.
Cet
argument
a
été
développé
dès
le
XIXe
siècle
par
Friedrich
List
(1789‐1846)
sous
le
nom
de
protectionnisme
éducateur
ou
de
protection
des
industries
naissantes.
C'est
un
argument
important
en
faveur
du
protectionnisme.
Lorsque
l'échelle
nécessaire
pour
être
compétitif
est
telle
qu'il
n'y
a
place
que
pour
un
producteur
sur
le
marché
mondial,
des
subventions
à
une
entreprise
nationale
peuvent
donner
à
cette
dernière
un
avantage
qui
la
conduit
au
monopole
mondial.
Dans
les
années
1980,
Barbara
Brander
et
James
Spencer
ont
présen‐
té
des
modèles
s'inspirant
de
cette
idée,
en
l'appliquant
notamment
au
cas
de
la
concurrence
entre
Airbus
et
Boeing.
Ils
ont
montré
qu'une
"politique
commerciale
stratégique"
peut
donner
un
avantage
décisif
à
une
entreprise
sur
l'autre.
Un
cas
très
différent
est
la
situation
dans
laquelle
une
activité
économique
dégage
des
externalités
posi‐
tives.
Si,
par
exemple,
les
industries
culturelles
comme
le
cinéma
dégagent
des
externalités
positives,
sous
la
forme
de
cohésion
nationale
ou
de
capital
humain,
ces
externalités
peuvent
justifier
des
mesures
de
protection.
La
difficulté
est
que
ces
externalités
sont
souvent
impossibles
à
mesurer;
le
jugement
à
leur
sujet
est
purement
politique.
D'autres
arguments
politiques
sont
invoqués
en
faveur
des
fournisseurs
de
la
défense
nationale,
considérés
comme
ayant
une
fonction
stratégique,
ou
de
l'agriculture,
au
nom
de
l'autosuffisance
alimentaire.
Ces
références
à
l'intérêt
national
sont
vagues
mais
fréquentes,
la
plupart
des
pays
possédant
des
lois
soumettant
les
investissements
étrangers
à
autorisation
lorsque
l'intérêt
national
est
en
jeu.
Les
instruments
du
protectionnisme
Le
droit
de
douane,
taxe
imposée
aux
produits
importés
afin
d'accroître
leur
prix,
est
la
mesure
la
plus
classique.
Ces
droits
ont
été
progressivement
réduits
depuis
les
années
1950
par
une
série
de
négocia‐
tions
internationales.
Dans
les
pays
développés,
ils
sont
aujourd'hui
assez
faibles.
Définir
un
quota,
c'est‐à‐dire
un
volume
d'importations
qui
ne
peut
être
dépassé,
est
une
solution
plus
radicale.
Une
formule
plus
consensuelle
est
l'accord
d'autolimitation
des
exportations,
accord
par
lequel
un
pays
limite
volontairement
ses
exportations,
généralement
afin
d'éviter
une
mesure
contraignante.
Les
quotas
sont
acceptés
lorsqu'une
production
est
touchée
par
une
situation
exceptionnelle.
Le
pays
peut
alors
activer
une
clause
de
sauvegarde.
La
règle
de
contenu
local,
utilisée
par
les
pays
en
développement
pour
obtenir
des
transferts
de
technolo‐
gie,
est
une
forme
proche
du
quota:
les
biens
importés
sont
frappés
de
droits
très
élevés,
sauf
s'ils
s'inscri‐
vent
dans
le
développement
de
processus
locaux
de
création
de
valeur
ajoutée.
Des
normes
sanitaires
ou
techniques
que
tous
les
produits,
locaux
comme
importés,
doivent
respecter
peuvent
également
être
édictées.
De
telles
mesures
ne
sont
évidemment
pas
toujours
protectionnistes;
elles
peuvent
viser
la
protection
des
consommateurs
(jouets
chinois
jugés
dangereux,
par
exemple).
Mais
il
s'agit
souvent
d'un
prétexte
utilisé
pour
écarter
les
produits
importés.
Les
subventions
aux
producteurs,
sous
couvert
d'aide
à
la
recherche
ou
de
défense
de
l'emploi,
sont
par
ailleurs
utilisées
de
manière
croissante
par
les
Etats.
Les
subventions
agricoles
représentent
ainsi
une
centaine
de
milliards
d'euros
par
an
dans
les
pays
développés.
Les
subventions
sont
parfois
destinées
aux
acheteurs
de
produits
nationaux
(5
milliards
d'euros
sont
ainsi
octroyés
aux
acheteurs
d'Airbus).
Enfin,
en
réduisant
le
taux
de
change
de
sa
monnaie
au‐dessous
de
sa
valeur
d'équilibre
par
des
interven‐
tions
sur
les
marchés
des
changes,
en
pratiquant
le
dumping
fiscal
(baisse
des
impôts
destinée
à
attirer
les
entreprises
étrangères)
ou
le
dumping
social
(abaissement
des
normes
sociales
ou
des
cotisations
sociales
visant
à
améliorer
la
compétitivité),
un
pays
peut
artificiellement
rendre
ses
produits
moins
chers.
Pour
que
les
avantages
de
l'ouverture
puissent
se
concrétiser,
la
concurrence
internationale
doit
être
loyale.
Ainsi,
les
entreprises
issues
d'un
pays
réglementant
sévèrement
les
émissions
polluantes
sont
dé‐
savantagées
par
rapport
à
celles
qui
sont
installées
dans
un
pays
offrant
des
conditions
plus
laxistes.
En
l'absence
d'accords
mondiaux,
il
peut
alors
être
justifié
de
taxer
les
importations
des
pays
polluants
(taxe
carbone)
afin
de
rétablir
l'équilibre.
Le
même
raisonnement
est
parfois
employé
à
propos
du
dumping
social,
c'est‐à‐dire
de
législations
sociales
laxistes
qui
procurent
un
avantage
compétitif
(si
le
temps
de
travail
des
routiers
est
limité
à
60
heures
par
semaine
dans
certains
pays
européens
et
à
48
heures
dans
d'autres,
par
exemple).
Mais
l'argument
est
plus
faible
dans
ce
cas,
car
il
est
difficile
de
parler
de
déloyauté
à
propos
de
choix
de
société
différents.
En
outre,
il
ne
serait
pas
forcément
juste
d'imposer
aux
pays
pauvres
les
normes
sociales
des
pays
riches.
Enfin,
certains
estiment
que
le
protectionnisme
est
la
seule
façon
d'empêcher
la
baisse
de
la
part
des
sa‐
laires
dans
la
valeur
ajoutée
des
pays
développés,
liée
à
la
concurrence
entre
salariés
de
divers
pays.
John
Maynard
Keynes
doutait
qu'il
soit
possible
de
concilier
libre‐échange
et
plein‐emploi,
car
les
actions
de
relance
de
la
demande
impulsées
par
l'Etat
sont
rendues
inefficaces
par
l'ouverture
internationale.
Mais
seul
un
ensemble
de
grande
taille,
comme
les
Etats‐Unis
ou
l'Union
européenne,
peut
envisager
ce
type
de
protectionnisme.
3.
Le
protectionnisme
est
souvent
contre‐productif
Le
principal
problème
soulevé
par
le
protectionnisme
est
que
les
mesures
arrêtées
ne
le
sont
pas
toujours
en
fonction
de
l'intérêt
général,
mais
en
fonction
des
intérêts
de
groupes
de
pression
particuliers.
David
Ricardo
a
développé
sa
théorie
en
faveur
du
libre‐échange
dans
le
cadre
d'un
débat
politique
qui
faisait
rage
en
Angleterre
sur
l'éventuelle
abrogation
des
Corn
Laws
(les
lois
sur
le
grain),
qui
protégeaient
de‐
puis
les
guerres
napoléoniennes
le
marché
anglais
des
céréales.
Les
industriels,
dont
Ricardo
était
proche,
étaient
favorables
à
cette
abrogation,
car,
rendant
moins
coûteuse
l'alimentation
des
ouvriers
grâce
à
l'importation
de
céréales
moins
chères,
elle
permettait
de
réduire
leur
salaire.
Les
propriétaires
terriens,
de
leur
côté,
étaient
bien
sûr
d'un
avis
opposé,
le
revenu
de
leurs
terres
ne
pouvant
se
maintenir
si
la
pro‐
duction
et
les
prix
agricoles
diminuaient.
Le
salaire
des
ouvriers
demeurant
fixé
au
niveau
de
subsistance,
l'abrogation
des
Corn
Laws
était
pour
l'essentiel
un
transfert
de
pouvoir
d'achat
des
propriétaires
terriens
vers
les
industriels.
Ricardo
présenta
donc
un
modèle
ignorant
la
terre.
Mais,
s'il
avait
construit
un
modèle
incluant
un
facteur
spécifique
comme
la
terre,
utilisable
seulement
pour
une
production
donnée,
il
aurait
mis
en
évidence
que
le
commerce
international
fait
des
perdants.
Faut‐il
alors
refuser
d'échanger?
Si
le
commerce
extérieur
est
globalement
favorable,
mieux
vaut
indemni‐
ser
les
détenteurs
du
facteur
perdant
en
utilisant
une
partie
du
surplus
obtenu
grâce
à
l'échange.
Cepen‐
dant,
les
perdants
préfèrent
demander
des
mesures
protectionnistes,
plus
faciles
à
obtenir,
car
pénalisant
en
apparence
les
entreprises
étrangères.
C'est
évidemment
une
illusion:
le
protectionnisme
entraîne
la
hausse
des
prix,
car
des
concurrents
efficaces
sont
éliminés
du
marché
ou
pénalisés,
et
provoque
un
trans‐
fert
de
revenu
des
consommateurs
vers
les
entreprises
protégées.
Dans
leur
manuel
Economie
internationale,
Paul
Krugman
et
Maurice
Obstfeld
donnent
l'exemple
des
conséquences
de
mesures
de
protection
du
marché
du
sucre
prises
aux
Etats‐Unis:
les
producteurs
améri‐
cains
sont
gagnants,
de
même
que
les
producteurs
étrangers
(car
les
prix
élevés
sur
le
marché
américain
leur
assurent
une
rente),
au
détriment
des
consommateurs.
Mais,
pour
ceux‐ci,
la
hausse
du
prix
de
la
livre
de
sucre
n'est
que
de
quelques
cents.
La
situation
est
donc
asymétrique:
d'un
côté,
le
protectionnisme
est
vital
pour
certains
groupes
de
producteurs;
de
l'autre,
il
coûte
cher
à
l'ensemble
des
consommateurs,
mais
ne
représente
qu'une
petite
somme
pour
chacun
d'entre
eux.
Les
premiers
sont
prêts
à
se
battre
pour
obtenir
une
protection,
les
seconds
sont
d'autant
plus
indifférents
qu'ils
sont
mal
informés.
Les
groupes
de
pression
seront
d'autant
plus
facilement
entendus
que
leur
capacité
de
nuisance
ou
leur
poids
politique
est
élevé.
Ainsi,
le
protectionnisme
agricole
est
d'autant
plus
fort
que
la
surreprésentation
électorale
des
paysans
l'est
également
(2).
Il
est
alors
facile
de
comprendre
qu'un
Etat
risque
de
prendre
des
mesures
protectionnistes
contraires
à
l'intérêt
général.
Même
dans
le
cas
où
les
décisions
politiques
sont
motivées
par
l'intérêt
général,
il
n'est
pas
toujours
facile
de
choisir
quelles
industries
méritent
d'être
protégées.
Parmi
les
industries
naissantes,
lesquelles
seraient
compétitives
si
le
temps
leur
était
laissé
de
grandir?
Il
est
impossible
de
répondre
avec
certitude.
Les
me‐
sures
peuvent
être
limitées
dans
le
temps,
mais
que
faire
si
les
objectifs
de
compétitivité
ne
sont
pas
at‐
teints?
Enfin,
les
méthodes
protectionnistes
concrètement
employées,
qui
sont
choisies
pour
leur
discrétion,
sont
aussi
celles
qui
ont
le
plus
d'inconvénients.
Ainsi,
un
droit
de
douane
influe
sur
la
concurrence,
mais
ne
la
supprime
pas;
il
rapporte
de
l'argent
à
l'Etat,
prélevé
sur
l'importateur,
c'est
donc
une
bonne
mesure.
Mais
malheureusement
très
voyante
et
souvent
interdite
par
les
accords
internationaux.
Au
contraire,
imposer
des
normes
sanitaires
ou
techniques
élimine
les
concurrents
étrangers
sans
inciter
les
producteurs
locaux
à
faire
mieux.
Quant
aux
quotas
d'importation,
ils
permettent
aux
importateurs
de
pratiquer
des
prix
éle‐
vés
au
détriment
des
consommateurs
(puisque
leurs
ventes
sont
de
toute
façon
limitées)
et
d'accumuler
des
rentes.
Il
est
également
plus
efficace
de
distribuer
des
subventions
à
la
production,
qui
encouragent
les
exportations
et
la
consommation,
que
d'abaisser
le
taux
de
change,
ce
qui
encourage
les
exportations
mais
décourage
la
consommation.
Malheureusement,
les
subventions
à
la
production
sont
plus
aisément
repérées
et
condamnées
que
les
manipulations
du
taux
de
change.
Les
politiques
protectionnistes
privilé‐
gient
donc
souvent
des
mesures
à
l'efficacité
économique
douteuse.
(1)
"Trade,
Growth,
and
Poverty",
par
David
Dollar
et
Aart
Kraay,
2001.
Cet
article,
disponible
sur
www.adb.org/poverty/Forum/pdf/Dollar.pdf,
a
fait
l'objet
de
nombreuses
réponses
critiques.
(2)
Ainsi,
en
France,
il
y
a
un
conseiller
municipal
pour
13
000
Parisiens,
mais
86%
des
agriculteurs
vivent
dans
des
com‐
munes
où
il
y
a
moins
de
56
habitants
pour
un
élu!
Dans
une
circonscription
législative
sur
cinq,
les
agriculteurs
représen‐
tent
au
moins
10%
de
la
population
active
(selon
Bertrand
Hervieu
et
Jean
Viard
dans
L'archipel
paysan,
éd.
de
L'Aube,
2001)
Arnaud
Parienty
–
Alternatives
Économiques
–
septembre
2009
Doc.
2
‐
LE
PROTECTIONNISME
EST‐IL
LA
SOLUTION
?
La
crise
actuelle
traduit
la
faillite
des
dogmes
économiques
qui
ont
prévalu
depuis
trente
ans.
Sa
profon‐
deur
remet
en
particulier
en
cause
la
volonté
d'aller
vers
toujours
plus
de
liberté
dans
les
échanges
com‐
merciaux
et
les
investissements
internationaux.
En
France
comme
dans
la
plupart
des
pays
développés,
les
appels
se
multiplient
pour
un
retour
à
une
forme
ou
une
autre
de
protectionnisme.
Le
libre‐échange
généralisé
n'était
évidemment
pas
la
panacée
qu'on
avait
essayé
de
nous
vendre,
mais
un
retour
de
bâton
protectionniste
comporterait
lui
aussi
nombre
de
pièges
et
d'illusions.
Examinons
les
principales
ques‐
tions
qui
reviennent
dans
ce
débat.
Le
protectionnisme
aiderait‐il
à
sortir
de
la
crise?
Sur
longue
période,
le
libre‐échange
généralisé
est
plutôt
un
handicap
pour
le
développement.
En
re‐
vanche,
dans
les
circonstances
actuelles,
l'adoption
de
mesures
protectionnistes
par
les
différents
Etats
risquerait
au
contraire
d'aggraver
la
crise.
En
effet,
alors
que
le
commerce
international
est
déjà
en
chute
libre
‐
l'Organisation
mondiale
du
com‐
merce
(OMC)
prévoit
une
baisse
de
10%
cette
année
‐,
un
tel
recours
déclencherait
probablement
une
réaction
en
chaîne.
Imaginons
que
la
France
décide
de
limiter
les
importations
de
textiles
ou
de
produits
électroniques.
Face
aux
mesures
prises
dans
l'Hexagone,
les
pays
qui
se
sentiraient
lésés
réagiraient
pro‐
bablement
en
limitant
leurs
achats
d'Airbus.
Aggravant
au
final
partout
le
marasme
économique.
Plus
au
fond,
une
bonne
partie
de
nos
importations
sont
difficilement
substituables
à
court
terme,
qu'il
s'agisse
de
produits
de
base
dont
nous
sommes
dépourvus
ou
de
produits
que
nous
ne
fabriquons
pas
ou
plus.
En
outre,
du
fait
de
l'internationalisation
des
processus
productifs,
une
grande
partie
des
importations
est
intégrée
au
sein
des
produits
made
in
France
et
contribue
à
leur
compétitivité.
Enfin,
une
montée
du
pro‐
tectionnisme
risquerait
de
faire
grimper
la
température
des
relations
politiques
entre
Etats,
à
un
moment
où
l'action
internationale
coordonnée
est
plus
que
jamais
nécessaire
tant
pour
combattre
la
récession
que
pour
mettre
‐
enfin
‐
en
place
les
régulations
indispensables
pour
éviter
le
retour
de
crises
de
ce
type.
Le
problème
ne
se
pose
pas
seulement
au
niveau
mondial,
mais
aussi
au
sein
même
de
l'Union
européenne.
L'incapacité
des
gouvernements
européens
à
développer
une
réelle
réponse
commune
face
à
la
crise
a
favorisé
des
actions
nationales
désordonnées
sous
la
forme
d'aides
massives
à
tel
ou
tel
secteur
écono‐
mique.
Une
dynamique
qui
pourrait
menacer
l'avenir
de
la
construction
européenne.
L'argument
le
plus
convaincant
en
faveur
de
mesures
protectionnistes
en
temps
de
crise
a
été
apporté
par
Paul
Krugman
en
février
dernier,
dans
le
New
York
Times
(1)
à
propos
du
plan
de
relance
présenté
par
Barack
Obama
et
du
"buy
american"
qui
conditionnait
certaines
des
mesures.
Tout
en
reconnaissant
les
risques
associés
aux
enchaînements
protectionnistes,
l'économiste
plaidait
en
faveur
de
ce
plan
considé‐
rant
qu'il
fallait
donner
le
sentiment
au
peuple
américain
(et
à
ses
élus)
que
l'argent
dépensé
profiterait
d'abord
à
l'économie
du
pays.
C'était
la
condition
pour
faire
accepter
la
forte
hausse
de
la
dette
publique
et,
donc,
des
impôts
futurs.
A
contrario,
c'est
bien
le
problème
que
nous
connaissons
en
Europe:
la
timidité
des
plans
de
relance
s'explique
précisément
par
la
crainte
qu'ils
ne
profitent
d'abord
aux
voisins…
Pour
Paul
Krugman,
le
protectionnisme
reste
cependant
clairement
un
"second
best"
vis‐à‐vis
d'une
re‐
lance
coordonnée
à
l'échelle
internationale.
Mais,
pour
l'instant,
ce
sont
surtout
les
gouvernements
euro‐
péens
qui
s'y
refusent.
Le
protectionnisme
aiderait‐il
le
Sud
à
se
développer?
Les
pays
du
Sud
sont
aujourd'hui
sensiblement
plus
ouverts
au
commerce
mondial
que
les
pays
riches.
Pourtant,
ce
commerce,
favorisé
notamment
par
les
avancées
vers
le
libre‐échange
promues
dans
le
cadre
de
l'OMC,
n'a
guère
hâté
le
développement
de
la
plupart
d'entre
eux.
Comme
l'a
montré
le
grand
historien
de
l'économie
Paul
Bairoch
(2),
les
Etats
qui
proclament
les
vertus
du
libre‐échange
sont
toujours
les
plus
puissants
et
les
plus
avancés
économiquement.
C'était
le
cas
du
Royaume‐Uni
au
XIXe
siècle.
Et
les
Etats‐Unis
ne
leur
emboîtèrent
le
pas
qu'après
que
les
deux
guerres
mondiales
eurent
fait
d'eux
la
puissance
dominante
incontestée.
Ce
qui
ne
les
a
jamais
empêchés
de
main‐
tenir
de
sérieuses
protections
pour
eux‐mêmes
dans
les
domaines
où
ils
le
jugeaient
utile…
La
pression
des
plus
développés
en
faveur
du
libre‐échange
est
logique:
sur
un
marché
ouvert,
les
concur‐
rents
les
plus
innovants
et
les
plus
productifs
ont
toutes
les
chances
de
gagner
des
parts
de
marché.
Les
firmes
les
plus
compétitives
sont
aussi
celles
qui
peuvent
faire
appel,
dans
leur
pays
d'origine,
à
des
in‐
frastructures
collectives
de
qualité,
en
matière
de
recherche,
d'éducation,
etc.
Que
le
développement
des
échanges
se
traduise
aujourd'hui
par
un
déficit
commercial
massif
comme
c'est
le
cas
outre‐Atlantique
est
sans
doute
une
manifestation
du
déclin
relatif
des
Etats‐Unis
(et
contribue
à
expliquer
les
revirements
de
certains
économistes
américains
sur
les
vertus
du
libre‐échange…).
Mais
il
traduit
aussi
les
stratégies
productives
de
leurs
firmes
multinationales,
qui
ont
massivement
délocalisé
leur
production
pour
bénéfi‐
cier
du
faible
coût
de
la
main‐d'oeuvre
asiatique
ou
latino‐américaine,
rapatriant
ensuite
les
profits
aux
Etats
Unis.
Ce
déficit
était
d'autant
plus
supportable
pour
les
habitants
des
Etats‐Unis
que
la
position
do‐
minante
de
leur
pays
leur
a
permis,
jusqu'à
présent,
de
continuer
à
vivre
au‐dessus
de
leurs
moyens
en
attirant
l'épargne
mondiale.
La
marche
vers
le
libre‐échange
a
eu
en
revanche
des
effets
dévastateurs
sur
les
pays
en
développement
qui
n'ont
pas
voulu
ou
pas
pu
s'en
protéger.
Le
problème
est
particulièrement
dramatique
sur
le
plan
agri‐
cole.
On
connaît
la
situation
absurde
des
éleveurs
de
poulets
africains
ruinés
par
l'afflux
de
poulets
euro‐
péens
congelés,
des
producteurs
de
lait
poussés
à
la
faillite
par
les
arrivages
de
lait
en
poudre
(qui
ren‐
daient
les
enfants
malades
du
fait
de
la
mauvaise
qualité
de
l'eau),
de
producteurs
de
mil
ou
de
sorgho
réduits
à
la
misère
par
les
tombereaux
de
blé
déversés
par
l'aide
alimentaire
occidentale…
Le
problème
sur
ce
plan
n'est
pas
tant
que
l'Europe,
les
Etats‐Unis
ou
encore
le
Japon
disposent
de
politiques
pour
sta‐
biliser
l'activité
de
leurs
propres
agriculteurs,
mais
surtout
que
les
pays
du
Sud
avec
lesquels
ils
commer‐
cent
n'en
aient
pas.
A
contrario,
le
protectionnisme
serait‐il
la
clé
du
développement
des
pays
du
Sud?
Evidemment
non
s'il
s'agit
tout
d'abord
d'un
protectionnisme
accru
de
la
part
des
pays
riches.
Au
cours
des
dernières
décen‐
nies,
la
Corée
et
la
Chine
ont
pu
sortir
du
sous‐développement
parce
qu'elles
ont
su
protéger
leurs
propres
marchés,
mettre
en
oeuvre
des
politiques
publiques
volontaristes,
mais
aussi
parce
qu'elles
ont
pu
accé‐
der
de
manière
relativement
aisée
aux
marchés
des
pays
riches.
Ce
qui
leur
a
permis
de
se
confronter
aux
exigences
du
marché
mondial
et
de
développer
des
unités
de
production
disposant
de
la
taille
critique
pour
être
compétitives.
La
capacité
éventuellement
rendue
aux
pays
du
Sud
de
protéger
davantage
leurs
propres
marchés
n'aurait
elle‐même
aucun
effet
miraculeux.
Si
le
dogme
du
libre‐échange
s'est
imposé
à
partir
des
années
1970,
c'est
aussi
sur
la
base
des
échecs
antérieurs.
L'Algérie,
l'Argentine,
l'Egypte
et
beaucoup
d'autres
n'avaient
pas
réussi
à
développer,
à
l'abri
de
droits
de
douane
élevés,
une
industrie
réellement
compétitive
et
diver‐
sifiée.
Quel
que
soit
le
cadre
dans
lequel
on
agit
en
termes
d'échanges
extérieurs,
le
développement
est
toujours
le
fruit
d'une
alchimie
très
délicate.
Il
implique
en
effet
de
trouver
un
consensus
au
sein
de
sociétés
pauvres
pour
que
les
surplus
engrangés
grâce
à
la
croissance
économique
ne
soient
pas
affectés
à
la
con‐
sommation
mais
à
l'investissement.
Investissement
sous
forme
de
capital
productif
bien
sûr,
mais
aussi
et
surtout
d'infrastructures
collectives:
routes,
logements,
adductions
d'eau,
système
éducatif
et
de
santé…
Ce
qui
implique
en
particulier
un
Etat
efficace
et
non
corrompu,
doté
d'un
système
fiscal
qui
ne
laisse
pas
passer
les
gros
poissons
à
travers
les
mailles
du
filet…
L'insistance
mise
depuis
trente
ans
par
les
institutions
internationales
à
promouvoir
le
libre‐échange
et
la
privatisation
des
services
publics
n'a
manifestement
pas
accéléré
le
développement
économique
dans
la
plupart
des
pays
du
Sud.
Mais
il
ne
suffirait
pas
simplement
de
faire
l'inverse
pour
y
parvenir.
L'Europe
doit‐elle
devenir
protectionniste?
En
Europe,
plus
personne
ou
presque
ne
prône
un
protectionnisme
dans
le
cadre
national.
La
question
est
désormais
posée
au
niveau
de
l'Union,
comme
le
propose
par
exemple
Emmanuel
Todd
(3).
L'Europe
est
en
effet
une
des
zones
économiques
les
plus
ouvertes
sur
l'extérieur.
Devrait‐elle
mieux
protéger
son
marché
intérieur?
Probablement,
mais
les
raisons
qui
l'en
empêchent
pèsent
très
lourd.
Il
convient
tout
d'abord
de
relativiser
les
déséquilibres
qu'impose
le
reste
du
monde
à
l'économie
euro‐
péenne.
Sur
ce
plan,
elle
est
en
effet
dans
une
situation
très
différente
de
celle
des
Etats‐Unis:
même
en
2008,
quand
il
avait
fallu
acheter
beaucoup
de
pétrole
et
de
gaz
à
des
prix
très
élevés
en
dehors
de
l'Union
à
27,
ses
échanges
extérieurs
avaient
été
quasiment
équilibrés;
le
déficit
commercial
s'est
limité
à
1%
du
produit
intérieur
brut
(PIB).
La
Chine
est
le
seul
pays
vis
à
vis
duquel
le
déficit
soit
massif.
Les
phénomènes
de
dumping
social
qui
affectent
négativement
la
situation
des
salariés
de
pays
comme
la
France
sont
pour
une
bonne
part
internes
à
l'Union;
ils
ne
seraient
donc
pas
réglés
par
un
éventuel
protec‐
tionnisme
européen.
L'élargissement
de
l'Union
aux
pays
de
l'Europe
centrale
et
orientale
(Peco),
indis‐
pensable
politiquement,
a
en
effet
considérablement
creusé
les
écarts
au
sein
même
de
l'Union:
le
PIB
par
habitant
d'un
Luxembourgeois
est
vingt
fois
plus
élevé
que
celui
d'un
Bulgare
et
le
coût
du
travail
d'un
Polonais
était
en
2007
en
moyenne
4,9
fois
plus
faible
que
celui
d'un
Français,
soit
l'équivalent
de
celui
d'un
ouvrier
de
Hongkong
ou
de
Taiwan.
Sans
oublier
non
plus
la
politique
non
coopérative
de
l'Alle‐
magne
qui
freine
sa
demande
intérieure
depuis
de
nombreuses
années.
Au‐delà
de
ce
problème,
l'Union
européenne
se
distingue
des
Etats‐Unis
(ou
de
la
Chine)
par
l'incomplé‐
tude
du
marché
unique.
Non
seulement
l'insuffisante
coordination
macroéconomique
encourage
la
con‐
currence
entre
Etats
membres,
mais
l'Europe
n'a
pas
de
politique
industrielle.
Elle
fait
comme
si
la
poli‐
tique
de
la
concurrence
pouvait
en
tenir
lieu.
Les
Etats
ont
dévolu
à
la
Commission
le
pouvoir
de
leur
in‐
terdire
d'aider
telle
ou
telle
activité
aux
dépens
de
celles
des
voisins.
En
revanche,
les
politiques
de
re‐
cherche
et
développement
demeurent
nationales,
ce
qui
engendre
des
surcoûts
et
des
concurrences
inu‐
tiles.
Chacun
s'accorde
à
considérer
qu'il
faudrait
investir
en
commun
dans
la
recherche
en
développant
le
budget
européen,
afin
de
lutter
à
armes
égales
avec
les
Etats‐Unis
ou
le
Japon.
Mais
le
mouvement
ne
suit
pas,
faute
de
volonté
politique.
Pourtant,
dans
les
rares
domaines
où
l'Europe
a
su
unir
ses
forces,
non
sans
difficultés
persistantes,
le
succès
a
été
au
rendez‐vous:
on
l'a
vu
avec
Airbus,
on
le
voit
aussi
dans
la
téléphonie
mobile
grâce
à
l'adoption
de
normes
communes.
Facteur
aggravant:
le
primat
de
la
concurrence
a
aussi
conduit
à
freiner
la
constitution
de
géants
propre‐
ment
européens
par
la
fusion
d'entreprises
de
différents
pays
de
l'Union.
Compte
tenu
des
frontières
lin‐
guistiques
et
des
susceptibilités
politiques
héritées
de
l'histoire,
ce
processus
est
de
toute
façon
très
com‐
pliqué.
Mais
la
Commission
européenne
a
sa
part
de
responsabilité
car
elle
a
longtemps
défendu
une
in‐
terprétation
intégriste
de
la
lutte
contre
les
positions
dominantes
au
sein
de
l'Union.
Du
coup,
les
diffé‐
rents
champions
nationaux
n'ont
plus
l'Europe
pour
seul,
voire
même
pour
principal
horizon.
Leur
straté‐
gie
de
croissance
se
déploie
désormais
autant
aux
Etats‐Unis,
en
Asie
ou
encore
en
Amérique
latine.
Ce
qui
les
rend
très
hostiles
à
un
protectionnisme
européen,
qui
ne
pourrait
que
les
gêner
ailleurs.
Est‐ce
à
dire
qu'il
n'y
aurait
rien
à
faire
pour
limiter
le
dumping
social
mondial?
Non.
En
dehors
des
pro‐
blèmes
intraeuropéens,
seul
un
pays
menace
de
manière
significative
l'emploi
et
les
revenus
des
salariés
de
l'Union:
la
Chine.
L'UE
peut
et
doit
agir
davantage,
conjointement
avec
les
Etats‐Unis,
pour
que
la
Chine
réévalue
sa
monnaie
et
développe
le
niveau
de
vie
de
sa
propre
population
au
lieu
d'accumuler
des
excé‐
dents
extérieurs
considérables.
De
plus,
l'arrivée
de
Barack
Obama
à
la
présidence
américaine
change
la
donne
sur
un
autre
terrain
essen‐
tiel.
Les
Etats‐Unis
et
la
Chine
sont
en
effet
les
deux
principaux
pays
qui
refusaient
jusque‐là
les
principes
de
base
définis
par
l'Organisation
internationale
du
travail:
ils
ne
reconnaissent
pas
en
particulier
la
liber‐
té
syndicale
et
le
droit
à
la
négociation
collective.
Or
une
nouvelle
loi,
l'Employee
Free
Choice
Act
(EFCA),
est
actuellement
soumise
au
Congrès
américain
(4).
Si
elle
est
adoptée,
la
Chine
se
trouverait
désormais
isolée
dans
son
refus.
Et
il
faudra
accentuer
les
pressions
pour
l'obliger
à
reconnaître
à
son
tour
la
liberté
syndicale.
Un
moyen
plus
sûr
que
les
droits
de
douane
pour
combattre
le
dumping
social
qu'elle
exerce.
Le
protectionnisme
serait‐il
bon
pour
l'environnement?
Le
discours
en
faveur
du
protectionnisme
s'est
enrichi
ces
derniers
temps
d'un
nouvel
argument:
la
crise
écologique
impliquerait
elle
aussi
d'aller
dans
cette
direction
afin
de
relocaliser
l'économie.
Sur
le
plan
des
échanges,
il
faut
bien
sûr
limiter
fortement
et
rapidement
les
transports
effectués
par
des
moyens
très
émetteurs
de
gaz
à
effet
de
serre.
Or
les
carburants
utilisés
par
les
bateaux
et
les
avions
ne
sont
pas
soumis
aux
taxes
que
subissent
pratiquement
partout
les
combustibles
fossiles.
Cette
aberration
explique
notamment
le
développement
du
fret
aérien
observé
au
cours
des
dernières
décennies.
Cela
dit,
l'essentiel
du
fret
lié
à
la
mondialisation
des
échanges
emprunte
actuellement
la
voie
maritime
et
une
taxation
croissante
du
fuel
lourd
utilisé
par
les
navires
ne
serait
probablement
pas
de
nature
à
infléchir
notablement
le
volume
des
marchandises
échangées
de
cette
façon.
Exporter
une
voiture
de
l'Europe
vers
les
Etats‐Unis
émet
moins
de
gaz
à
effet
de
serre
que
de
la
déplacer
d'Est
en
Ouest
de
ce
pays
sur
un
semi‐
remorque:
les
enjeux
écologiques
liés
au
transport
sont
autant
nationaux
qu'internationaux.
De
plus,
une
part
croissante
des
échanges
internationaux
est
dématérialisée.
C'est
le
cas
d'une
grande
partie
des
échanges
de
services,
mais
aussi
de
multiples
activités
dont
la
production
matérielle
est
réalisée
à
proximité
du
lieu
de
consommation.
Ainsi,
l'activité
de
multinationales
parmi
les
plus
emblématiques;
de
McDonald's
à
Coca‐Cola
en
passant
par
Walt
Disney
ou
Microsoft
et
Google,
implique
peu
d'échanges
phy‐
siques
internationaux.
La
nécessaire
régulation
de
leur
activité
n'est
donc
pas
liée
aux
enjeux
écologiques
du
transport.
Mais
c'est
surtout
à
propos
d'une
éventuelle
taxe
carbone
aux
frontières
de
l'Europe
qu'on
débat
du
pro‐
tectionnisme
écologique.
Une
telle
taxe
compenserait
les
surcoûts
subis
par
les
industriels
européens
du
fait
des
efforts
qui
leur
sont
imposés
dans
la
lutte
contre
le
changement
climatique.
La
menace
d'une
telle
taxe
peut
être
utile
dans
les
négociations
internationales
en
vue
d'un
accord
général
qui
prendrait
la
suite
du
protocole
de
Kyoto
après
2012.
Mais
il
faut
d'abord
espérer
que
ces
négociations
aboutissent,
ce
qui
rendrait
du
même
coup
cette
taxe
inopportune.
Davantage
encore
qu'en
matière
économique,
le
protec‐
tionnisme
écologique
n'est
qu'un
"second
best"
de
mauvaise
qualité
par
rapport
à
la
coopération
interna‐
tionale.
En
effet
l'essentiel
des
problèmes
qui
menacent
la
planète
ne
peuvent
être
résolus
qu'à
l'échelle
mondiale…
(1)
Voir
http://krugman.blogs.nytimes.com/2009/02/01/protectionism‐and‐stimulus‐wonkish
(2)
Dans
Victoires
et
déboires,
coll.
Folio
Histoire,
éd.
Gallimard,
1997.
(3)
Dans
Après
la
démocratie,
éd.
Gallimard,
2008.
(4)
Voir
www.aflcio.org/joinaunion/voiceatwork/efca/whatis.cfm
Guillaume
Duval
‐
Alternatives
Économiques
n°
281
‐
juin
2009
N° 365 – Mai 2016
La Lettre du
La régionalisation, moteur de la mondialisation
Historiens et économistes identifient généralement deux périodes modernes de mondialisation commerciale : la première
s’étendrait de la fin du XIXème jusqu’à la Première Guerre mondiale ; la seconde aurait débuté au milieu des années 1970.
Ces périodes se caractérisent par une forte baisse des coûts de transaction, dynamisant les échanges commerciaux entre les
pays. À partir d’une base de données inédite, la plus complète à ce jour sur le commerce bilatéral, cette Lettre suggère une
amorce plus précoce de la Première Mondialisation, dès le début du XIXème siècle. Celle-ci serait donc antérieure aux grandes
innovations technologiques telles que le bateau à vapeur et le télégraphe, comme aux politiques de soutien au commerce telles
que les traités de libre-échange ou l’étalon-or. Ces deux vagues ont surtout été alimentées par une intensification du commerce
intra-régional. De quoi confirmer le paradoxe selon lequel plus le commerce se développe, plus la distance compte.
Retour sur la chronologie
de la mondialisation
Au cours des siècles passés, le monde a connu des périodes
favorables aux échanges, comme la dynastie Song en Chine ou
l’Empire arabe du VIIIème au XIIIème siècle, mais ces périodes n’ont
pas duré et les échanges se sont ensuite durablement repliés.
Jusqu’au XVème siècle, les échanges mondiaux n’auraient pas
dépassé 1 % des richesses produites. Les conflits quasi permanents
opposant la France et l’Angleterre aux XVIIème et XVIIIème siècles ont
également limité leur ouverture au commerce à moins de 5 %. Il
faut attendre le XIXème siècle pour voir les échanges commerciaux
s’intensifier véritablement. Cette période, connue sous l’expression
« Première Mondialisation », s’achève avec la Première Guerre
mondiale. L’entre-deux-guerres est ensuite marqué par un repli
massif du commerce mondial, avant que celui-ci ne reprenne son
expansion à partir des années 1960, puis s'accélère après 1973.
Une Première Mondialisation plus précoce
La plupart des études font remonter la Première Mondialisation
aux années 18701. Ces travaux reposent toutefois sur des
données de commerce qui elles-mêmes débutent en 1870. Pour
mieux comprendre la chronologie et les grandes tendances de la
Première Mondialisation, nous avons assemblé la base de données
de commerce bilatéral la plus complète à ce jour (encadré 1) :
1,8 million d’observations de 1827 à 2014. Notre recherche nous
conduit à penser que la Première Mondialisation s’est amorcée
en Europe dès le début du XIXème siècle, avant de se diffuser
aux autres continents à la fin du siècle (Fouquin & Hugot, 2016)2.
Les innovations technologiques de la fin du siècle (bateau à
vapeur, télégraphe) et les politiques de soutien au commerce de
la seconde partie du XIXème siècle (traités de libre-échange signés
à partir des années 1860, généralisation de l’étalon-or à partir de
1870) n’auraient donc peut-être pas joué un rôle aussi majeur que
celui qu’on leur attribue traditionnellement, puisque, d’après nos
données, le mouvement d’internationalisation du commerce était
déjà largement amorcé.
Les enseignements limités du taux d’ouverture
Le taux d’ouverture aux exportations, qui rapporte les exportations
de marchandises au PIB, est un indicateur standard pour évaluer le
degré d’insertion d’un pays dans le commerce mondial. Appliqué à
nos deux siècles de données, le taux d’ouverture aux exportations
rend compte des deux vagues de mondialisation. Le graphique 1
1. D. Jacks, C. Meissner & D. Novy (2003), « Trade Costs: 1870-2000 », American Economic Review: Papers and Proceedings, 2008, 98 (2) ; A. Estevadeordal, B. Frantz & A. Taylor, « The
Rise and Fall of World Trade: 1870-1939 », Quarterly Journal of Economics, 118 (2).
2. M. Fouquin & J. Hugot (2016), « Back to the Future: International Trade Costs and the Two Globalizations », CEPII Document de travail, n° 2016-13, mai.
1
Encadré 1 – Une base de données inédite sur le commerce mondial
Ce travail a nécessité la construction d’une large base de données de
plus de 1,9 million d’observations sur les importations de marchandises,
en livres sterling courantes, entre 1827 et 2014. Cette base présente une
double originalité : elle couvre la période 1827-1870, absente des bases
préexistantes sur lesquelles s’appuyaient jusque-là les études de la
Première Mondialisation, et couvre une période particulièrement longue
qui permet de comparer les deux mondialisations modernes. La base de
données agrège six sources préexistantes*, que nous avons complétées
à l’aide d’informations directement puisées dans les archives des douanes
de nombreux pays, en particulier pour la période antérieure à 1870. Aux
données de commerce bilatéral s’ajoutent des séries de commerce agrégé
(importations et exportations totales par pays et par année), PIB, taux de
change et distance bilatérale.
* M. Fouquin & J. Hugot (2016), « Two Centuries of Bilateral Trade and Gravity data:
1827-2014 », CEPII Document de travail, n° 2016-14, mai.
présente son évolution pour trois échantillons de pays entre 1827
et 2014. Entre 1830 et 1870, le taux d’ouverture double. Dans
l’entre-deux-guerres, l’ouverture moyenne chute au-dessous de
son niveau du début du XIXème siècle. Le taux d’ouverture croît
de nouveau à partir des années 1960 et ce n’est qu’à la fin des
années 1970 que l’on retrouve des niveaux comparables à ceux de
la Première Mondialisation.
Le taux d’ouverture constitue cependant une mesure assez fruste
de la mondialisation. Par exemple, le taux d’ouverture moyen
en 2014 atteint 22 % pour notre échantillon de 110 pays, mais
ce chiffre est-il faible ou élevé par rapport à ce qu’il serait en
l’absence d’obstacles au commerce ? En outre, il ne tient pas
compte de la répartition géographique de l’activité économique
mondiale. Supposons un monde où presque toute l’activité serait
Graphique 1 – Taux d’ouverture aux exportations pour trois
échantillons de pays








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



















Note : Le taux d’ouverture rapporte les exportations totales au PIB. Les trois échantillons
couvrent un nombre croissant de pays. Pour chaque échantillon, la date initiale est
indiquée dans la légende, ainsi que le nombre de pays qui constituent l’échantillon
(entre parenthèses). L’échantillon qui débute en 1827 inclut 7 pays : Australie, Chili,
Espagne, France, Royaume-Uni, Suède, États-Unis. L’échantillon suivant s’étend à
10 pays supplémentaires. Le troisième, le plus large, débute à partir de 1960 et compte
110 pays. Les interruptions dans les séries correspondent aux deux guerres mondiales,
pour lesquelles certaines données sont manquantes. Les taux d’ouverture couvrent les
périodes 1827-1912 ; 1920-1937 et 1950-2014.
Source : Calculs des auteurs.
concentrée dans un seul pays : le taux d’ouverture agrégé y serait
relativement faible, puisque la plupart des biens seraient à la fois
produits et consommés dans le même pays. À l’inverse, dans un
monde où l’activité économique serait plus dispersée, les pays
seraient naturellement plus interdépendants et le taux d’ouverture
agrégé plus élevé. La différence entre les deux situations n’a
pourtant rien à voir avec le poids des obstacles au commerce : elle
ne fait que traduire une concentration plus ou moins importante de
l’économie mondiale.
Dans ce qui suit, nous appellerons « mondialisation » le
processus de convergence entre le commerce mondial observé
et une situation théorique dans laquelle les barrières au
commerce international ne seraient pas plus contraignantes
que les barrières domestiques au commerce. Pour évaluer le
degré de mondialisation, il faut alors une prédiction théorique
du commerce, en l’absence d’obstacle spécifique au commerce
international. Le modèle de gravité, sur lequel s’appuie la théorie
économique contemporaine du commerce international, permet
d’obtenir cette prédiction.
Le coût des obstacles au commerce comme indicateur de
mondialisation
Depuis le début des années 2000, les modèles de gravité ont
acquis des fondements théoriques3. Cette évolution en a fait l’outil
privilégié des analyses du commerce international. Comparer
le commerce observé à la prédiction qui émerge du modèle de
gravité permet d’évaluer l’importance des obstacles spécifiques
au commerce international. Cet écart entre la situation réelle et
la situation hypothétique d’un monde sans barrière commerciale
reflète l’ensemble des coûts spécifiquement associés au
commerce international : coût de transport entre pays, barrières
douanières, mais aussi des coûts plus difficiles à observer tels que
les difficultés à communiquer, l’incertitude liée aux taux de change,
etc. Ce « coût agrégé du commerce » est converti en équivalent
tarifaire. En neutralisant l’effet de la répartition géographique de
l’économie mondiale sur le commerce international, cette mesure
permet d’évaluer précisément le degré de mondialisation au
regard de notre définition.
Le graphique 2 montre l’évolution mondiale de ces coûts agrégés
entre 1827 et 2014, mesurée par la variation de l’équivalent
tarifaire moyen. Depuis 1830, la réduction moyenne des barrières
au commerce international équivaut à une baisse de 30 points de
pourcentage des droits de douanes. Entre 1830 et la Première
Guerre mondiale, les barrières au commerce international chutent
d’environ 15 points de pourcentage. Les coûts de commerce
augmentent de manière fulgurante durant l’entre-deux guerres
avant de retomber après la guerre, puis chutent à nouveau de plus
de 10 points de pourcentage depuis le début des années 1990.
3. On trouvera une synthèse de ces différents apports dans : K. Head & T. Mayer (2014), « Gravity Equations: Workhorse, Toolkit, and Cookbook », in G. Gopinath, E. Helpman & K. Rogoff,
eds., vol. 4, Handbook of International Economics, Amsterdam, The Netherlands: Elsevier.
2
Des mondialisations plus régionales
que globales
Graphique 2 – Évolution moyenne des coûts de commerce



À chaque route commerciale sa mondialisation























Note : La variation moyenne des coûts de commerce (équivalents tarifaires) est estimée
à partir d’échantillons cylindrés sur des fenêtres de deux ans. Les coefficients obtenus
sont ensuite chaînés pour obtenir un indice qui couvre l’ensemble de la période.
Source : Calculs des auteurs.
À l’appui de ces observations, on peut affirmer que la Première
Mondialisation s’est amorcée dès le début du XIXème siècle, bien
avant que les bateaux à vapeur ne traversent les océans, bien
avant également que la généralisation de l’étalon-or ne réduise
les incertitudes de taux de change et que les pays d’Europe
occidentale ne signent des traités commerciaux multilatéraux. Ce
qui a déclenché la Première Mondialisation serait ainsi à chercher
plutôt du côté du climat de paix et de stabilité qui s’installe en
Europe après le Congrès de Vienne. La pacification des relations
internationales après 1815 est notamment associée à des baisses
unilatérales du niveau de protection commerciale (sans attendre
des partenaires commerciaux qu’ils en fassent de même). Ces
politiques de libéralisation unilatérale du commerce sont bien
documentées pour le Royaume-Uni, avec l’abolition en 1846 des
Corn Laws ; mais d’autres pays européens, notamment la France,
sont aussi concernés. Dans les années 1870, la baisse des prix
agricoles liée à l’augmentation des importations en provenance
de Russie et d’Amérique provoque un retour du protectionnisme
en Europe, concentré toutefois sur les produits agricoles. Mais ce
retour du protectionnisme semble avoir été compensé par la baisse
d’autres barrières aux commerce.
Après 1918, les tentatives de reconstruction du monde libéral
d’avant-guerre se heurtent au désordre économique et à l’émergence
de régimes totalitaires en URSS puis ailleurs en Europe. Les
mesures protectionnistes prises à la suite de la Grande Dépression
condamnent toute possibilité de retour au libéralisme commercial
de la seconde moitié du XIXème siècle. Les relations économiques
de l’après Seconde Guerre mondiale se reconstruisent dans un
environnement initialement très protectionniste, hérité de la Grande
Dépression et amplifié par la décolonisation et la création d’un bloc
communiste. À partir de 1947, les cycles de négociation du GATT
engagent un processus multilatéral de libéralisation commerciale.
Dix ans plus tard, la signature du traité de Rome prévoit l’élimination
totale des barrières douanières à l’intérieur de l’Europe. Enfin, la
conteneurisation, qui débute à la fin des années 1960, réduit
considérablement les coûts de transport4.
Le graphique 
2 représentait une évolution moyenne pour
l’ensemble de notre échantillon et masquait ainsi toute tendance
qui serait propre à un type particulier de route commerciale. Il
paraît donc intéressant d’isoler l’évolution des coûts de commerce
séparément pour chaque route commerciale. Cette étape montre
notamment que la baisse durable des barrières commerciales
intra-européennes (années 1840) précède celle des barrières
transatlantiques (à partir des années 1890). La baisse des coûts
de commerce auxquels font face les pays d’Europe du Sud vient
également bien après celle des coûts de commerce entre les
pays de l’Europe de l’Ouest et du Nord. De manière générale,
les coûts de commerce baissent d’abord entre les pays les plus
proches, ce qui bien sûr interroge quant au rôle de la distance
dans la mondialisation.
Plus le commerce se développe, plus la distance compte
L’effet de la distance entre les pays est ensuite isolé pour mesurer
son impact sur l’intensité du commerce qui les lie. Le graphique 3
représente l’élasticité du commerce à la distance, c’est-à-dire la
force du lien entre le commerce bilatéral et la distance qui sépare
les pays. En 1830, une augmentation de 10 % de la distance entre
deux pays réduisait en moyenne le commerce bilatéral de 3 %. À
la veille de la Première Guerre mondiale, la même différence de
distance réduisait le commerce de 13 %. En 2010, la réduction
atteignait 19 %. Ce résultat rejoint le constat établi par Combes
et al. (2008) et Disdier & Head (2008)5 pour la seconde moitié du
XXème siècle : plus le commerce mondial se développe et plus la
distance entrave le commerce. Notre base de données révèle que
ce phénomène apparaît en fait dès le début du XIXème siècle.
Le rôle majeur joué par la régionalisation6 dans les deux
mondialisations a de quoi surprendre, alors que l’accent est
souvent mis sur le rôle du commerce à longue distance, colonial
pour la Première Mondialisation, et euro/américano-asiatique pour
la Seconde Mondialisation. Plusieurs hypothèses peuvent être
explorées pour l'expliquer. Les politiques favorables au commerce
ont été tournées en priorité vers les partenaires les plus proches.
L’intégration européenne de l’après-guerre en est certainement
l’exemple le plus flagrant. Une autre raison à cette régionalisation
pourrait résider dans l’importance croissante de l’information
pour établir des liens commerciaux. Or, les barrières culturelles
et linguistiques sont moins importantes entre pays proches,
facilitant des échanges de produits de plus en plus complexes. Il
4. D. Bernhofen, Z. El-Sahli & R. Kneller (2016), « Estimating the effect of the container revolution on world trade », Journal of International Economics, 98.
5. P.-P. Combes, T. Mayer & J.-F. Thisse (2008), Economic Geography: The Integration of Regions and Nations, Princeton, N.J., USA: Princeton University Press ; A.-C. Disdier & K Head (2008),
« The Puzzling Persistence of the Distance Effect on Bilateral Trade », Review of Economics and Statistics, 90 (1).
6. La part du commerce intra-continental passe, par exemple, de 45 % au sortir de la Seconde Guerre mondiale à plus de 60 % dans les années 2000.
3
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Graphique 3 – Elasticité du commerce bilatéral à la distance
Note : Une élasticité égale à -1,5 signifie que le commerce est réduit en moyenne de
1,5 % lorsque la distance entre deux pays augmente de 1 %. Ainsi, plus l’élasticité
du commerce à la distance est élevée (en valeur absolue), plus l’impact négatif de la
distance sur le commerce est important.
Source : Calculs des auteurs.
se peut aussi que les coûts fixes liés au commerce (acquisition
de l’information sur le marché de destination, chargement et
déchargement, etc.) aient diminué, donnant relativement plus de
poids aux coûts de transport qui, eux, varient avec la distance.
Quelle mondialisation pour demain ?
Du début du XIXème siècle jusqu’à l’aube du XXIème siècle, les
pays européens ont mené d’ambitieuses politiques commerciales
d’ouverture, que la Grande Dépression et les deux guerres
mondiales ont gravement remises en cause. Contrairement à
l’idée que l’on peut en avoir, ces politiques ont davantage profité
au commerce de proximité. Cette tendance de long terme à la
régionalisation s’estompe depuis la fin du XXème siècle : d’une part,
l’OMC est devenue une organisation puissante de régulation du
commerce au niveau mondial ; mais aussi et surtout, les années
2000 ont marqué un changement lié à l’adhésion massive des
pays émergents au libre-échange. Les firmes multinationales ont
ainsi pu lancer de vastes programmes de décomposition de leurs
chaînes de production en tirant profit des différences de salaires
entre les pays. La Chine a été le premier bénéficiaire de cette
recomposition de la production mondiale. Ainsi, au début des
années 2000, plus de 70 % des exportations chinoises étaient
constituées de produits assemblés sur son territoire à partir de
composants eux-mêmes importés7.
Le dynamisme des échanges entre l’Asie et le reste du monde
devrait se maintenir, notamment avec le relais pris par l’Inde et des
pays comme le Vietnam et le Bangladesh. À l’inverse, l’atonie de la
croissance européenne, si elle devait se prolonger, pourrait limiter
la croissance du commerce de courte distance intra-européen.
C’est donc sans doute dans le commerce à longue distance que
la marge de progression reste la plus importante, ce qui confère
de l’importance aux deux traités « méga-régionaux » en cours
de négociation – l’accord Transatlantique entre les États-Unis
et l’Union Européenne, et l’accord Transpacifique entre 5 pays
d’Amérique et 7 pays d’Asie-Océanie.
Mais il se pourrait tout autant que la période de mondialisation qui a
débuté après la Seconde Guerre mondiale touche tout simplement
à sa fin8, c’est-à-dire que l’intensification des échanges cesse,
sans nécessairement que ceux-ci régressent. Plusieurs arguments
vont dans ce sens. La réorientation de la croissance chinoise vers
le marché intérieur devrait réduire sa dépendance au commerce
international. Cela pourrait aussi ralentir la tendance à la
décomposition des chaînes de valeur9. Les inégalités croissantes
observées dans la plupart des pays engendrent des tensions
sociales, qui aboutissent souvent à des remises en cause de la
mondialisation. Les politiques de réduction de la consommation
d’énergie devraient durablement réduire la croissance du commerce
d’hydrocarbures. Enfin, le développement des investissements
directs à l’étranger tend de plus en plus à substituer une production
locale à du commerce international10.
Michel Fouquin & Jules Hugot*
[email protected]
7. F. Lemoine & D. Ünal-Kesenci (2002), « Segmentation of production processes », CEPII Document de travail, n° 2002-02.
8. S. Jean (2015), « Le ralentissement du commerce mondial annonce un changement de tendance », La Lettre du CEPII, n° 356, septembre.
9. S. Jean & F. Lemoine (2015), « Ralentissement du commerce mondial : vers une nouvelle ère de la mondialisation ? », Économie mondiale 2016, Éd. La Découverte, coll. Repères, septembre.
10. A. Subramanian & M. Kessler (2013), « The hyperglobalization of trade and its future », Global Citizen Foundation Working Paper, #3.
* Michel Fouquin est conseiller au CEPII. Jules Hugot est professeur assistant à la Pontificia Universidad Javeriana.
La Lettre du
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Sébastien Jean
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Cette lettre est publiée sous la
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