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Pour prononcer la censure, le Conseil constitutionnel a suivi un raisonnement en quatre temps que l’on ne fera que
résumer et par lequel il tâche de maintenir la cohérence de la solution avec sa jurisprudence antérieure :
1. Délit et manquement d’initiés sont définis de la même manière, sur le terrain de leurs éléments constitutifs, des
personnes punissables et des caractères de l’information privilégiée (cons.24).
2. Délit et manquement d’initiés poursuivent « une seule et même finalité de protection du bon fonctionnement des
marchés et de l’intégrité des marchés financiers » (cons.25). Il s’agit là de la prise en compte de la valeur sociale protégée
qui révèle l’identité profonde des impératifs répressifs, critère traditionnellement utilisé par le juge pénal pour éviter les
situations dites de « concours idéal d’infractions » pour assurer le respect… du principe non bis in idem !
3. La sanction du manquement est d’une sévérité qui conduit à lui reconnaître une identité de nature avec la sanction
pénale (cons.26). Si le CC ne saurait l’admettre de manière explicite, il s’écarte ici manifestement de sa jurisprudence
plus « institutionnelle » fondée sur la différence des autorités répressives, pour une approche plus « matérielle » de la
notion de « matière pénale » interprétée par la CEDH, dont l’un des indicateurs tient précisément à la gravité de la
sanction (Engel c. Pays-Bas, 8 juin 1976, n° 82)
4. Enfin, et pour donner cohérence à sa démonstration avec sa jurisprudence, le CC se fonde sur la compétence de la
même juridiction de recours contre les condamnations pénales et les sanctions administratives prononcées contre les
justiciables qui ne sont pas des professionnels soumis au contrôle de l’AMF : le juge judiciaire. Deus ex machina, cette
considération permet au Conseil de retomber sur ses pieds pour affirmer que les sanctions encourues relèvent bien
« d’un même ordre de juridiction » (cons. 27). Cet artifice est regrettable en ce que, en toute cohérence, il conduit le
Conseil constitutionnel à exclure de sa censure les sanctions éventuellement prononcées par l’AMF contre les
professionnels soumis à son contrôle (L.621-9, II), au titre desquelles les recours sont exercés devant le Conseil d’Etat.
Les conséquences de la décision
d’une part, le CC a choisi de différer l’effet abrogatif de sa décision au 1er septembre 2016 (cons. 35). Il s’agit là
de l’exercice d’une faculté reconnue à l’art.62, al.2, Const., dont l’une des mises en œuvre remarquables avait
été réalisée à l’occasion de la décision relative à la garde à vue (Déc. n° 2010-14/22 du 30 juill. 2010) et qui
s’explique par la volonté du CC de maintenir la répression jusqu’à l’adoption d’un nouveau dispositif par le
législateur ;
d’autre part, le CC agit lui-même en législateur « transitoire » pour « faire cesser l’inconstitutionnalité
constatée » en imposant que des poursuites ne puissent être « engagées ou continuées » sur le terrain
administratif lorsqu’est déjà pendante une instance pénale, et réciproquement (Cons.36). La technique
classique des « réserves d’interprétation » est ici écartée au profit d’une nouvelle figure, nettement plus brutale,
qui prend la forme de directives d’application, qui va d’ailleurs au-delà de la jurisprudence Grande Stevens en ce
qu’elle proscrit la simple coexistence des poursuites, indépendamment du fait que l’une ait déjà abouti à une
décision de condamnation ou « d’acquittement » devenue irrévocable.
On ne peut évidemment conclure que par la très grande incertitude qui entoure ce que sera, demain, notre modèle
répressif financier : redéfinition des éléments constitutifs du manquement et du délit, suggérée par le CC ? Préséance
du juge pénal sur l’autorité administrative ? « Prix de la course » au profit de la première autorité informée des faits – ce
qui reviendrait alors à réduire à néant l’utilité des sanctions pénales ? Institution d’une autorité unique investie d’un
pouvoir discrétionnaire d’aiguillage entre le pénal et l’administratif (v. lettre creda-societes n° 2014-29) ou, pourquoi
pas, suppression pure et simple de la sanction administrative en matière d’abus de marché, assortie des nombreuses
mesures de renforcement de la justice pénale qui s’imposeront alors ?
A cette question particulière s’en ajoute une autre : existe-t-il aujourd’hui une manière d’échapper à la souveraineté du
Conseil de l’Europe en droit processuel et, par contrecoup, sur le terrain de la politique criminelle ?
Jérôme Chacornac
Docteur en droit