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Par sa Décision n° 2014-453/454 et 2015-462 QPC du 18 mars 2015, le Conseil constitutionnel (CC) a déclaré
l’inconstitutionnalité des dispositions du Code monétaire et financier autorisant la possibilité d’un cumul de poursuites et
de sanctions d’opérations d’initiés, au titre d’un délit devant les juridictions pénales et d’un manquement administratif,
devant l’AMF.
Le contexte dans lequel la décision a été rendue est bien connu (v. les Lettres Creda-Sociétés n° 2014-04, n° 2014-18). En
conséquence de la condamnation de l’Italie par la CEDH dans un arrêt Grande Stevens du 4 mars 2014 en raison d’un
dispositif national autorisant l’ouverture d’une instance pénale à la suite du prononcé d’une sanction administrative
devenue définitive, la Cour de cassation a estimé qu’un « changement de circonstances » justifiait la transmission de QPC
qui lui ont été posées le 17 décembre 2014 (n° 14-90.042 et 14-90.043 et le 28 janvier 2015 (n° 14-90.049).
En substance, les QPC transmises au CC contestaient la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit
(art.61-1 Const.) de multiples dispositions du COMOFI déterminant la compétence de la Commission des sanctions de
l’AMF en matière d’opérations d’initiés constitutives d’abus de marché, ainsi que de l’article 6 du Code de procédure
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pénale, dont l’alinéa 1 prévoit, entre autres, l’extinction de l’action publique par la « chose jugée ».
LETTRE CREDA-SOCIETES n° 2015-09
La fin de la double répression pénale et administrative des opérations d’initiés :
une « révolution sans principe » !
En somme, le CC était appelé par les plaideurs à se prononcer sur la valeur constitutionnelle du principe non bis in idem,
sur laquelle il n’avait pas jugé nécessaire de se prononcer dans la décision fondatrice qui constituait jusqu’alors sa
position de principe, relative à l’attribution à la COB d’un pouvoir de sanction administrative (Décision 89-260 DC du 28
janv. 1989).
La teneur de la décision
 La constitutionnalité de l’article 6 CPP
Le Conseil constitutionnel a rejeté le grief tiré de la contrariété à la Constitution de l’article 6 CPP, tel qu’interprété par la
jurisprudence, en ce qu’il porterait atteinte au principe d’égalité devant la loi (art.6 DDHC) et aux principes de nécessité
et de proportionnalité des peines (déduit de l’art.8 DDHC) en ne reconnaissant pas à une décision devenue définitive
rendue par la Commission des sanctions de l’AMF l’autorité de chose jugée.
Cet argument a été balayé par le Conseil constitutionnel aux motifs que, si elle a bien le caractère d’une punition, la
sanction administrative peut relever de règles de procédures différentes selon les faits et les situations et personnes
auxquelles elles s’appliquent, dès lors que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que sont
assurées aux justiciables des garanties égales (cons. 32-33).
 L’inconstitutionnalité des art. L.465-1, L.466-1, dernière phrase, c) et d) de l’art.L.621-15, II, L.621-15-1 et
L.621-16-1 en ce qu’ils comportent les mots « L.465-1 et », et L.621-16
En apparence, le CC s’en tient à sa jurisprudence traditionnelle, fondée sur le principe de proportionnalité et de nécessité
des peines, en vertu duquel « les mêmes faits (…) peuvent faire l’objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de
nature administrative ou pénale en application de corps de règles distincts devant leur propre ordre de juridiction » (en
dernier lieu, Déc. n° 2014-423 QPC, cons.35), sous la réserve que le cumul des sanctions ne conduise pas à dépasser le
montant de la sanction la plus élevée (cons.19 de la décision commentée).
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le 23 mars 2015
De façon implicite, le Conseil constitutionnel maintient, au sein des dispositifs de sanction présentant le caractère d’une
punition, l’autonomie procédurale de la sanction administrative par rapport à la sanction pénale, avant, cependant, de lui
reconnaître la même nature (cf. infra).
Pour prononcer la censure, le Conseil constitutionnel a suivi un raisonnement en quatre temps que l’on ne fera que
résumer et par lequel il tâche de maintenir la cohérence de la solution avec sa jurisprudence antérieure :
1. Délit et manquement d’initiés sont définis de la même manière, sur le terrain de leurs éléments constitutifs, des
personnes punissables et des caractères de l’information privilégiée (cons.24).
2. Délit et manquement d’initiés poursuivent « une seule et même finalité de protection du bon fonctionnement des
marchés et de l’intégrité des marchés financiers » (cons.25). Il s’agit là de la prise en compte de la valeur sociale protégée
qui révèle l’identité profonde des impératifs répressifs, critère traditionnellement utilisé par le juge pénal pour éviter les
situations dites de « concours idéal d’infractions » pour assurer le respect… du principe non bis in idem !
3. La sanction du manquement est d’une sévérité qui conduit à lui reconnaître une identité de nature avec la sanction
pénale (cons.26). Si le CC ne saurait l’admettre de manière explicite, il s’écarte ici manifestement de sa jurisprudence
plus « institutionnelle » fondée sur la différence des autorités répressives, pour une approche plus « matérielle » de la
notion de « matière pénale » interprétée par la CEDH, dont l’un des indicateurs tient précisément à la gravité de la
sanction (Engel c. Pays-Bas, 8 juin 1976, n° 82)
4. Enfin, et pour donner cohérence à sa démonstration avec sa jurisprudence, le CC se fonde sur la compétence de la
même juridiction de recours contre les condamnations pénales et les sanctions administratives prononcées contre les
justiciables qui ne sont pas des professionnels soumis au contrôle de l’AMF : le juge judiciaire. Deus ex machina, cette
considération permet au Conseil de retomber sur ses pieds pour affirmer que les sanctions encourues relèvent bien
« d’un même ordre de juridiction » (cons. 27). Cet artifice est regrettable en ce que, en toute cohérence, il conduit le
Conseil constitutionnel à exclure de sa censure les sanctions éventuellement prononcées par l’AMF contre les
professionnels soumis à son contrôle (L.621-9, II), au titre desquelles les recours sont exercés devant le Conseil d’Etat.
Les conséquences de la décision
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d’une part, le CC a choisi de différer l’effet abrogatif de sa décision au 1 septembre 2016 (cons. 35). Il s’agit là
de l’exercice d’une faculté reconnue à l’art.62, al.2, Const., dont l’une des mises en œuvre remarquables avait
été réalisée à l’occasion de la décision relative à la garde à vue (Déc. n° 2010-14/22 du 30 juill. 2010) et qui
s’explique par la volonté du CC de maintenir la répression jusqu’à l’adoption d’un nouveau dispositif par le
législateur ;
d’autre part, le CC agit lui-même en législateur « transitoire » pour « faire cesser l’inconstitutionnalité
constatée » en imposant que des poursuites ne puissent être « engagées ou continuées » sur le terrain
administratif lorsqu’est déjà pendante une instance pénale, et réciproquement (Cons.36). La technique
classique des « réserves d’interprétation » est ici écartée au profit d’une nouvelle figure, nettement plus brutale,
qui prend la forme de directives d’application, qui va d’ailleurs au-delà de la jurisprudence Grande Stevens en ce
qu’elle proscrit la simple coexistence des poursuites, indépendamment du fait que l’une ait déjà abouti à une
décision de condamnation ou « d’acquittement » devenue irrévocable.
On ne peut évidemment conclure que par la très grande incertitude qui entoure ce que sera, demain, notre modèle
répressif financier : redéfinition des éléments constitutifs du manquement et du délit, suggérée par le CC ? Préséance
du juge pénal sur l’autorité administrative ? « Prix de la course » au profit de la première autorité informée des faits – ce
qui reviendrait alors à réduire à néant l’utilité des sanctions pénales ? Institution d’une autorité unique investie d’un
pouvoir discrétionnaire d’aiguillage entre le pénal et l’administratif (v. lettre creda-societes n° 2014-29) ou, pourquoi
pas, suppression pure et simple de la sanction administrative en matière d’abus de marché, assortie des nombreuses
mesures de renforcement de la justice pénale qui s’imposeront alors ?
A cette question particulière s’en ajoute une autre : existe-t-il aujourd’hui une manière d’échapper à la souveraineté du
Conseil de l’Europe en droit processuel et, par contrecoup, sur le terrain de la politique criminelle ?
Jérôme Chacornac
Docteur en droit
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