Dossier
Dermatologie néonatale
pratique
Pascale Le Huidoux
1
, Daniel Wallach
2
1
Service de médecine néonatale, Hôpital Port-Royal, 75014 Paris, France
2
Service de dermatologie, Hôpital Tarnier, 89, rue d’Assas, 75006 Paris, France
Le but de cet article est de passer en revue les différentes anomalies cutanées
susceptibles d’être observées chez un nouveau-né. En introduction, on rappelle
la fragilité de la peau et les impératifs de non-agressivité et de non-toxicité des
soins cutanés, qui ont pour but essentiel de prévenir les infections. Les derma-
toses néonatales bénignes transitoires n’ont pas de signification pathologique ;
leur diagnostic permet de rassurer les parents. La séméiologie cutanée est un
guide efficace pour le diagnostic des éruptions aiguës. Parmi les nombreuses
variétés d’éruptions susceptibles de survenir en période néonatale, certaines
sont dues à une infection nécessitant un traitement urgent. Sous le terme de
« taches de naissance », on décrit de nombreuses anomalies, localisées ou
étendues, pouvant parfois témoigner d’une maladie générale.
Mots clés : peau, dermatoses, nouveau-né
La dermatologie néonatale s’est dé-
veloppée depuis le début des an-
nées 1970, aux confins de la méde-
cine néonatale, elle-même spécialité
de la pédiatrie et de la dermatologie.
Un textbook récent [1] permet de
prendre la mesure de l’ensemble de
connaissances constituant ce do-
maine.
Dans le cadre de ce texte consacré
aux problèmes pratiques posés par les
nouveau-nés à terme, nous aurons en
vue les difficultés que rencontre le per-
sonnel de maternité face à une ano-
malie cutanée. Schématiquement, on
peut classer les problèmes rencontrés
en :
particularités fréquentes béni-
gnes, sans signification pathologique ;
maladies aiguës nécessitant une
prise en charge rapide ;
expression néonatale d’anoma-
lies durables pour lesquelles les pre-
miers mots prononcés et les orienta-
tions proposées doivent faire l’objet
d’une prudence particulière.
Brève introduction
anatomique
et physiologique
La fonction essentielle de la peau
est celle d’une interface entre l’orga-
nisme et le monde extérieur, pour la-
quelle on utilise le terme de « bar-
rière ». La fonction de barrière est
assurée par le stratum corneum, cou-
che relativement déshydratée et rigide
résultant de la kératinisation épider-
mique. Le stratum corneum se déve-
loppe au cours du troisième trimestre
de la gestation et est considéré comme
mature à terme. Cette maturité signifie
que les pertes insensibles en eau, tra-
duction fonctionnelle de la fonction
de barrière, sont semblables à ce
qu’elles seront ultérieurement dans la
vie. Par contre, chez le prématuré,
m
t
p
Tirés à part : D. Wallach
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l’insuffisance de la fonction de barrière est responsable de
pertes excessives en eau, électrolytes et calories, nécessi-
tant un environnement adapté en température et hygromé-
trie (incubateurs). Une revue des problèmes posés par
l’immaturité de la peau du nouveau-né a été publiée
récemment [2]. Si le nouveau-né à terme n’a pas besoin
d’incubateur, il convient néanmoins de considérer sa peau
comme fragile vis-à-vis de toutes les agressions. Cette
fragilité concerne notamment les risques de pénétration
de micro-organismes, et aussi de toute substance appli-
quée sur la peau.
On retiendra en effet que tout produit appliqué sur la
peau est susceptible de pénétration, que ce soit du fait de
l’immaturité de la barrière, de lésions cutanées (dermato-
ses, plaies, adhésifs) ou de conditions particulières (occlu-
sion des couches). Les effets systémiques liés à la pénétra-
tion transdermique sont augmentés du fait du rapport
surface/poids, beaucoup plus élevé chez le nouveau-né
qu’ultérieurement, et de l’immaturité des mécanismes
d’élimination.
L’aspect de la peau à la naissance
L’aspect de la peau à la naissance dépend de condi-
tions générales (anémie, polyglobulie, ictère), ainsi que de
la maturité du nouveau-né [3].
Chez le nouveau-né à terme, la peau est rosée, opa-
que ; au toucher, elle est sèche, douce, veloutée ; elle
desquame parfois finement. Tous ces signes indiquent que
la kératinisation s’effectue complètement. Le lanugo, du-
vet qui recouvre le corps plus tôt au cours de la vie
intra-utérine, est très peu abondant.
Le vernix caseosa est une structure lipidique blanc
grisâtre qui recouvre la peau du fœtus in utero. Sécrété par
l’épiderme et les glandes sébacées, le vernix caseosa
protège la peau dans le liquide amniotique ; il devient
inutile en milieu aérien.
Les soins de peau à la naissance
Les soins de peau, chez le nouveau-né comme ulté-
rieurement, ont pour objet de maintenir le tégument pro-
pre, de le préserver des infections. Ils doivent être dénués
de toxicité. Il serait souhaitable que des recommandations
« officielles » soient disponibles, au niveau national et
international, pour guider les professionnels et les parents,
les aider à abandonner sans regret les pratiques tradition-
nelles et à apprécier correctement les sollicitations publi-
citaires. Ce n’est pas encore le cas, mais il est possible de
formuler des conseils exprimant un consensus profession-
nel.
La toilette des nouveau-nés
Il est avisé de baigner les nouveau-nés une fois par
jour, dans une eau propre à 37 °C. Avec des mains égale-
ment propres, on les nettoie doucement en utilisant un
tensio-actif doux (pain de toilette à base de détergent
synthétique doux et non de savon, liquide nettoyant éva-
lué pour sa douceur), et on les rince, également à la main.
On les essuie en tamponnant doucement, sans frotter,
avec un linge doux.
L’application d’un corps gras sur la peau des prématu-
rés a probablement un effet bénéfique sur l’état de la peau,
la maturation de la barrière et le risque infectieux [4], bien
que ce ne soit pas réellement prouvé [5]. Ces considéra-
tions s’appliquent probablement aux nouveau-nés à
terme. Cependant, ici la pratique de l’hydratation cutanée
systématique n’est pas médicalement justifiée. Elle doit en
tout cas éviter tout produit potentiellement toxique, irri-
tant ou allergisant, et s’accompagner d’une surveillance
dépistant d’éventuelles infections.
La peau d’un nourrisson à terme est souvent sèche et
on peut observer au niveau des plis de fines fissures, plus
rarement de véritables crevasses. Ici l’application d’un
hydratant neutre est utile et habituellement suffisante.
Les soins du cordon
Les soins du cordon ont pour but d’éviter les infections
qui, en milieu non médicalisé, sont fréquentes et graves. Il
convient donc de conseiller, plutôt que les pratiques tra-
ditionnelles non scientifiquement justifiées, l’application
d’un antiseptique atoxique. La chlorhexidine en solution
aqueuse à 0,5 % peut être recommandée. Il n’existe ce-
pendant pas de preuve formelle du bien-fondé de cette
pratique, dans la mesure où les infections sont rares dans
le contexte des maternités occidentales [6]. L’antisepsie
du moignon de cordon, diminuant l’infection et l’inflam-
mation, retarde sa chute, ce qui est en pratique sans
conséquence.
Les soins de siège
Dès la naissance, on peut prendre des habitudes cor-
rectes de soins du siège, de façon à éviter les érythèmes
fessiers, conséquence de l’irritation cutanée due au
contact avec les urines et les selles.
Les enfants doivent être changés aussi souvent que
nécessaire pour que les urines et selles ne restent pas en
contact avec la peau. Les changes en cellulose à usage
unique sont efficaces, bien tolérés et ont fait diminuer
considérablement la fréquence des érythèmes fessiers.
Chaque change comporte une toilette douce selon les
principes énoncés plus haut. L’application d’une crème à
visée protectrice semble facultative.
Les dermatoses néonatales bénignes
transitoires
Il convient de parler de « non-maladies » pour ces
affections d’évolution rapidement régressive. Le diagnos-
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tic permettra d’éliminer les authentiques maladies qui
peuvent en être cliniquement proches, afin de rassurer les
parents.
Desquamation physiologique
Une fine desquamation est habituelle à partir du se-
cond jour de vie chez les nouveau-nés à terme (figure 1).
Elle est plus fréquente, plus précoce et plus intense chez
les post-matures. L’épiderme sous la fine desquamation en
lamelles est parfaitement normal. Ceci aide à différencier
les rares formes intenses d’une ichtyose à début néonatal.
Grains de milium
Il s’agit de petits kystes épidermiques blanchâtres dus à
une rétention de kératine au niveau de l’orifice des folli-
cules pilosébacés (figure 2). Ils se situent souvent au
niveau du visage, plus rarement de la région génitale. Les
perles épithéliales de Bohn et Epstein sont un équivalent
sur le palais et les gencives. Les gains de milium, même
nombreux, disparaissent spontanément en quelques se-
maines sans séquelle. Il faut cependant savoir que certains
syndromes malformatifs rares comportent des grains de
milium profus.
Miliaires
Les miliaires sont des éruptions microvésiculeuses cor-
respondant à la rétention de sueur dans les canaux sudo-
raux immatures (figure 3). La sudation chez un
nouveau-né survient du fait d’une fièvre, ou d’un excès de
chaleur dans l’environnement, qu’il convient de corriger.
On distingue deux types de miliaire :
La miliaire cristalline, superficielle, se présente sous
la forme d’un semis de vésicules translucides de1à2mm
de diamètre sur une peau saine. Elle siège sur le tronc, les
grands plis, le cou et le visage. Après correction de l’excès
de chaleur, elle régresse en 24-48 heures avec une des-
quamation superficielle.
La miliaire rouge, plus profonde, survient dans des
ambiances chaudes et humides. Il s’agit de petites papu-
lovésicules à base érythémateuse. Ces lésions siègent au
niveau du visage, du cou et du tronc. Une surinfection
staphylococcique est possible (miliaire pustuleuse, due à
un défaut d’hygiène, et qui ne s’observe guère chez les
nouveau-nés).
Bulles de succion
Il s’agit de bulles traumatiques, équivalents
d’« ampoules » liées à l’intensité de la succion sur une
peau à la jonction dermoépidermique fragile (figure 4).On
observe une bulle arrondie ou ovale, unique ou encore
une érosion arrondie post-bulleuse, sur l’avant-bras, les
poignets, les doigts ou la lèvre supérieure. Les bulles de
Figure 1. Desquamation physiologique, chez un nouveau-né au
terme de 40 semaines.
Figure 2. Grains de milium.
Figure 3. Miliaire rouge.
Dermatologie néonatale pratique
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succion régressent en quelques jours sans séquelles. Le
petit nombre de lésions, leur petite taille et la guérison
rapide sont bien différents des caractères d’une épidermo-
lyse bulleuse à début néonatal.
Conséquences cutanées
de la transition hormonale
L’arrêt brutal de l’apport des hormones maternelles et
placentaires entraîne une hyperproduction transitoire
d’hormones androgènes et œstrogènes, qui a parfois des
conséquences cliniquement visibles.
Hyperplasie sébacée
Ce sont de minuscules papules blanc jaunâtre, témoi-
gnant d’un excès de sébum au niveau des glandes séba-
cées les plus volumineuses, donc surtout sur le nez. Elles
disparaissent spontanément.
Acné néonatale
L’acné néonatale est liée à un excès de stimulation
androgénique ou à une réponse cutanée excessive. Elle
siège essentiellement sur les joues (figure 5). La lésion
élémentaire caractéristique est un comédon (point noir) ;
on peut également observer des papules et des pustules.
L’évolution se fait, sauf rares exceptions, vers une guérison
spontanée en2à3mois. Si un traitement paraît indiqué,
on conseille des antibiotiques topiques (érythromycine).
On ne sait pas si une acné néonatale prédit une acné
pubertaire importante ; il n’y a donc pas lieu d’en parler.
Pseudo-puberté néonatale
En dehors de toute maladie endocrinienne, on peut
observer chez un nouveau-né par ailleurs normal (avec
notamment des organes génitaux normaux) des anomalies
liées à une stimulation hormonale transitoire :
hyperpigmentation de la ligne blanche abdominale
et des organes génitaux externes, surtout chez les
nouveau-nés d’ethnie pigmentée ;
écoulement vulvaire, habituellement blanchâtre, ra-
rement hémorragique (pseudo-menstruations) ;
hypertrophie des glandes mammaires, parfois écou-
lement de lait. On se méfiera d’une surinfection.
Conséquences de l’immaturité vasculaire
Pendant les quelques jours qui suivent la naissance,
l’instabilité de la tonicité vasculaire cutanée peut entraîner
des anomalies visibles
Couleur de la peau normale
La couleur de la peau peut renseigner sur des affections
internes : anémie, polyglobulie, ictère, détresse respira-
toire ou maladie cardiaque. Indépendamment de toute
pathologie, la peau est rosée, plus rouge sur le tronc,
parfois discrètement cyanique aux extrémités. La pigmen-
tation ethnique s’installe de façon retardée.
Cutis marmorata
Des marbrures cutanées constituent la réaction nor-
male de la peau d’un nouveau-né exposé au froid (simple
déshabillage à température ambiante). Le réchauffement
fait disparaître cette cutis marmorata simple (figure 6). Les
cuits marmorata témoignant d’anomalies vasculaires per-
sistent au chaud.
Figure 4. Bulles de succion labiales.
Figure 5. Acné néonatale. Figure 6. Cutis marmorata simple, physiologique.
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Coloration arlequin
Il s’agit de l’apparition d’un érythème de la moitié
inférieure du corps quand un nourrisson est placé sur le
côté, avec une pâleur de la moitié supérieure. Il existe une
ligne de démarcation à bords nets entre les deux zones. Le
début est brutal. L’épisode, en fait très rarement observé,
peut durer de quelques secondes à plusieurs minutes. La
peau revient à la normale quand le nouveau-né est mis en
position allongée.
Érythème toxique
La plus fréquente des éruptions néonatales, qui s’ob-
serve environ chez la moitié des nouveau-nés à terme, est
d’étiologie parfaitement inconnue (ni toxique ni allergi-
que). L’érythème toxique consiste en des macules érythé-
mateuses d’assez grande taille (jusqu’à 2 cm de diamètre)
dont le centre est plus surélevé que la périphérie (figure 7).
Il peut même y avoir une vésicule ou une pustule centrale.
L’érythème toxique débute après le deuxième jour de vie,
siège préférentiellement sur le tronc et la racine des mem-
bres et épargne les paumes et les plantes. Le nombre de
lésions est variable. Tout disparaît en8à10jours mais des
rechutes sont possibles. Le diagnostic est clinique ; si une
lésion liquidienne est présente, on peut pratiquer un cyto-
diagnostic qui montrera la présence d’éosinophiles. Ceci
est précieux pour éliminer une infection dans les cas
atypiques. Il existe aussi une hyperéosinophilie sanguine
transitoire, de signification inconnue.
Mélanose pustuleuse néonatale transitoire
Dès la naissance, on observe de petites pustules, par-
fois rompues, qui disparaissent pour laisser place à des
macules pigmentées qui peuvent persister plusieurs mois
avant de disparaître spontanément. Certains nouveau-nés
peuvent présenter d’emblée des macules pigmentées sans
lésions pustuleuses. Ces lésions peuvent apparaître sur les
paumes et les plantes. Cette mélanose bénigne est surtout
commune chez les nouveau-nés d’origine africaine. On la
rapproche parfois de l’érythème toxique. La cause en est
inconnue.
Pustulose céphalique à Malassezia furfur
Bien que de description récente [7], cette pustulose
céphalique est apparemment très fréquente (figure 8).Il
s’agit d’une éruption de petites papulopustules du visage,
et également du cou et du cuir chevelu, qui s’observe
entre le 7
e
et le 30
e
jour de vie. Il est probable que
l’évolution se fait vers une régression spontanée, mais un
traitement antifongique topique est très rapidement effi-
cace. On ne confondra pas cette pustulose, qui ne com-
porte pas de comédons, avec une acné néonatale.
Acropustulose infantile
et pustulose éosinophilique du cuir chevelu
Bien qu’elles débutent le plus souvent vers l’âge de
quelques mois, ces deux variétés de pustulose bénigne
amicrobienne méritent d’être citées, parce qu’il existe des
formes à début néonatal. Il s’agit cliniquement de petites
pustules de1à3mmdediamètre, souvent prurigineuses,
qui évoluent vers des lésions croûteuses.
L’acropustulose infantile prédomine sur les dos et fa-
ces latérales des mains et des pieds. Le diagnostic diffé-
rentiel essentiel est la gale, diagnostic parfois délicat car il
existe des acropustuloses post-scabieuses. La connais-
Figure 7. Érythème toxiallergique, dans une forme pustuleuse. Figure 8. Pustulose céphalique à Malassezia.
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