Notes de lecture :
‘‘Les Politiques publiques de la culture en France’’, de Pierre Moulinier
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La Lettre d’Echanges n°44 - mi mars 2010
peut naître que d’un débat. Il ne doit pas tenter de déci-
der de ce qui est ou n’est pas culturellement valide : la
seule objectivité accessible est celle de la vitalité de la
confrontation. A contrario, le consensus sera le signe
d’une pétrifi cation des valeurs esthétiques.
Privé et public.
Très attentif à l’importance des
acteurs privés, et notamment des industries culturelles
et du mécénat d’entreprise, Pierre Moulinier opère un
étrange rapprochement. Au sein du secteur privé, « il
est une sorte d’acteurs extrêmement importants dans
le champ de la culture, [ceux] qui gèrent une très petite
entreprise, celle de leur talent – les artistes plasticiens,
les écrivains, les compositeurs de musique –, ou celle
de leur patrimoine, les propriétaires de monuments ».
Soulignant que ces “entreprises” remplissent un ser-
vice d’intérêt général (ce qui justifi e le soutien poli-
tique), il précise qu’elles « cultivent un large esprit
d’indépendance à l’égard de la manne publique ».
Ainsi, le principe de la propriété privée – du talent ou
du monument – exige de la part des pouvoirs publics
un respect scrupuleux de leur autonomie, sans pour
autant les dédouaner d’un soutien signifi catif. Si les
intérêts privés sont négligés – par exemple en instru-
mentalisant à des fi ns relevant du seul intérêt général
le travail des créateurs : pour l’éducation des enfants,
le lien social, l’attractivité des territoires, etc. –, leur
qualité et leur vitalité seront dénaturées. Inversement,
si sous prétexte qu’il s’agit d’entreprises privées elles
ne sont pas soutenues par les pouvoirs publics, la
coïncidence entre intérêt privé et intérêt général sera
rompue – alors, le joyau patrimonial privé courra le
risque d’être lui aussi dénaturé. C’est donc encore à
la mise en œuvre des conditions de possibilité d’une
tension juste – ici entre intérêt privé et intérêt général
– que se reconnaît une politique culturelle légitime.
La fin des hiérarchies culturelles.
« Qu’a-t-on
fait de l’argent investi dans la culture et qu’ont retiré
les Français d’une telle sollicitude publique ? » Beau-
coup moins qu’on ne pouvait l’espérer. « Confirma-
tions : les classes populaires et les milieux ruraux, et
plus largement les catégories de population faiblement
diplômées, continuent à accorder une place très limi-
tée à la culture dans leur temps de loisirs. A l’inverse,
les personnes nanties d’un diplôme d’enseignement
supérieur, plus d’ailleurs que celles qui appartiennent
aux catégories socioprofessionnelles les plus élevées,
sont celles qui participent en plus grand nombre aux
activités culturelles reconnues comme telles. »
Le “comme telles” est évidemment ici le signe d’une
voie permettant de dépasser l’aporie de l’élitisme
pour tous. C’est explicitement l’affi rmation qu’il faut
rompre avec un système où « les choix sont aux mains
de groupes restreints associant fonctionnaires, élus et
dirigeants d’institutions » pour passer de la démocra-
tisation à la démocratie et des grandes œuvres à la
diversité des expressions artistiques et culturelles.
Mais cette citation, somme toute assez sombre (c’est la
description de l’échec de la démocratisation), contient
un indice beaucoup plus optimiste. Il y est dit que ceux
qui ont le plus fort goût pour la culture sont plus les
possesseurs de diplômes que les classes supérieures au
sens réel et économique du terme. Cette simple remar-
que a une portée considérable. Pour la première fois,
dans notre société, les classes qui détiennent la réalité
du pouvoir économique délaissent les biens culturels
alors qu’auparavant ceux-ci étaient précisément le
signe de l’élévation au sein de l’échelle sociale – un
“marqueur de classe”, disait Bourdieu.
Ce décrochage entre culture et richesse témoigne
d’une révolution sociologique majeure : la culture
n’est plus un signe de classe mais la manifestation
d’une appartenance à des cercles identitaires comple-
xes et croisés transcendant les hiérarchies sociales.
Ce qui donne au “relativisme” culturel inhérent à la
notion de diversité sa teneur nouvelle d’universalité :
ce que nous partageons tous, c’est d’être différents –