3 pages Notes de lecture : ‘‘Les Politiques publiques de la culture en France’’, de Pierre Moulinier LA LETTRE D LETTRE ÉLECTRONIQUE DE LA FNCC Notes de lecture Les Politiques publiques de la culture en France, de Pierre Moulinier C’est un “Que sais-je ?” : l’exposé concentré et didactique d’un savoir certain appuyé sur des faits et données établis. Cependant Pierre Moulinier précise, dans son introduction : « Bien entendu, les opinions émises dans cet ouvrage n’engagent que leur auteur. » Ce petit livre présente donc aussi des « opinions », ou encore, loin de ne fournir que des réponses, il ouvre un grand nombre de questions d’une extrême finesse et d’une importance centrale pour l’avenir des “politiques publiques de la culture en France”, notamment dans sa dernière partie intitulée : “Les résultats des politiques culturelles”. Chacune de ces opinions, toujours proposée à la manière d’un indice (car le développement n’aurait pas sa place dans un ouvrage aux proportions délibérément restreintes), appelle le lecteur à déployer par lui-même une réflexion plus approfondie. Une réflexion qui peut s’appuyer sur une “mise de départ” considérable : l’indice est fiable et signifiant, et la piste à laquelle il mène s’avère toujours fertile. Quelques-unes de ces pistes. Les Politiques publiques de la culture en France, par Pierre Moulinier, 127 pages – 9 euros LES ASSOCIATIONS CULTURELLES. « Il est très opératoire de distinguer au moins trois types d’associations. » Tout d’abord les « associations gestionnaires », souvent des institutions publiques ou parapubliques utilisant le statut associatif (loi 1901) non pour son sens démocratique propre mais à cause de la souplesse de ce statut juridique. Puis il y a les « associations affini- taires qui regroupent pour des activités communes des personnes mues par les mêmes intérêts », à la manière d’un groupe de pratique en amateur, par exemple. Enfin, les « associations contestataires », au premier rang desquelles l’auteur cite celles de défense du patrimoine. Il ajoute « qu’il n’est pas exclu qu’une association gestionnaire soit aussi contestataire », par exemple si cette dernière œuvre pour la préservation d’un patrimoine menacé. Sachant que « la vie culturelle, en France, repose sur le monde des associations », plusieurs perspectives naissent de ce simple essai de typologie, dont celle-ci : comme dans un procès où l’innocence (ou la culpabilité) d’un prévenu sera le fruit d’une confrontation entre les avocats à charge et ceux de la défense, la “vérité” d’une politique culturelle consiste pour une part essentielle à permettre l’articulation entre des passions ou rébellions individuelles et communautaires. La fonction que doit exercer le responsable de politique culturelle s’apparente alors à celle du juge et le “beau politique” ne FNCC La Lettre d’Echanges n°44 - mi mars 2010 page 1 Notes de lecture : ‘‘Les Politiques publiques de la culture en France’’, de Pierre Moulinier peut naître que d’un débat. Il ne doit pas tenter de décider de ce qui est ou n’est pas culturellement valide : la seule objectivité accessible est celle de la vitalité de la confrontation. A contrario, le consensus sera le signe d’une pétrification des valeurs esthétiques. Privé et public. Très attentif à l’importance des acteurs privés, et notamment des industries culturelles et du mécénat d’entreprise, Pierre Moulinier opère un étrange rapprochement. Au sein du secteur privé, « il est une sorte d’acteurs extrêmement importants dans le champ de la culture, [ceux] qui gèrent une très petite entreprise, celle de leur talent – les artistes plasticiens, les écrivains, les compositeurs de musique –, ou celle de leur patrimoine, les propriétaires de monuments ». Soulignant que ces “entreprises” remplissent un service d’intérêt général (ce qui justifie le soutien politique), il précise qu’elles « cultivent un large esprit d’indépendance à l’égard de la manne publique ». Ainsi, le principe de la propriété privée – du talent ou du monument – exige de la part des pouvoirs publics un respect scrupuleux de leur autonomie, sans pour autant les dédouaner d’un soutien significatif. Si les intérêts privés sont négligés – par exemple en instrumentalisant à des fins relevant du seul intérêt général le travail des créateurs : pour l’éducation des enfants, le lien social, l’attractivité des territoires, etc. –, leur qualité et leur vitalité seront dénaturées. Inversement, si sous prétexte qu’il s’agit d’entreprises privées elles ne sont pas soutenues par les pouvoirs publics, la coïncidence entre intérêt privé et intérêt général sera rompue – alors, le joyau patrimonial privé courra le risque d’être lui aussi dénaturé. C’est donc encore à la mise en œuvre des conditions de possibilité d’une tension juste – ici entre intérêt privé et intérêt général – que se reconnaît une politique culturelle légitime. La fin des hiérarchies culturelles. « Qu’a-t-on fait de l’argent investi dans la culture et qu’ont retiré les Français d’une telle sollicitude publique ? » Beau- page 2 coup moins qu’on ne pouvait l’espérer. « Confirmations : les classes populaires et les milieux ruraux, et plus largement les catégories de population faiblement diplômées, continuent à accorder une place très limitée à la culture dans leur temps de loisirs. A l’inverse, les personnes nanties d’un diplôme d’enseignement supérieur, plus d’ailleurs que celles qui appartiennent aux catégories socioprofessionnelles les plus élevées, sont celles qui participent en plus grand nombre aux activités culturelles reconnues comme telles. » Le “comme telles” est évidemment ici le signe d’une voie permettant de dépasser l’aporie de l’élitisme pour tous. C’est explicitement l’affirmation qu’il faut rompre avec un système où « les choix sont aux mains de groupes restreints associant fonctionnaires, élus et dirigeants d’institutions » pour passer de la démocratisation à la démocratie et des grandes œuvres à la diversité des expressions artistiques et culturelles. Mais cette citation, somme toute assez sombre (c’est la description de l’échec de la démocratisation), contient un indice beaucoup plus optimiste. Il y est dit que ceux qui ont le plus fort goût pour la culture sont plus les possesseurs de diplômes que les classes supérieures au sens réel et économique du terme. Cette simple remarque a une portée considérable. Pour la première fois, dans notre société, les classes qui détiennent la réalité du pouvoir économique délaissent les biens culturels alors qu’auparavant ceux-ci étaient précisément le signe de l’élévation au sein de l’échelle sociale – un “marqueur de classe”, disait Bourdieu. Ce décrochage entre culture et richesse témoigne d’une révolution sociologique majeure : la culture n’est plus un signe de classe mais la manifestation d’une appartenance à des cercles identitaires complexes et croisés transcendant les hiérarchies sociales. Ce qui donne au “relativisme” culturel inhérent à la notion de diversité sa teneur nouvelle d’universalité : ce que nous partageons tous, c’est d’être différents – La Lettre d’Echanges n°44 - mi mars 2010 FNCC FAUSSES SOLUTIONS... différents d’un groupe à l’autre mais également d’un individu à l’autre au sein d’un même groupe… On assiste ainsi à l’émergence d’un nouveau monde qui donne tout son sens à l’appel de Pierre Moulinier à une refondation des politiques culturelles. Ne serait-ce pas finalement le premier succès de la démocratisation culturelle : avoir enfin rompu le lien entre position sociale et “légitimité culturelle” ? Dans ce cas, on serait en effet à l’aube d’une toute autre fonction sociale des arts et de la culture… Il n’est d’ailleurs pas certain que ce soit là le résultat des politiques culturelles, mais celui de l’évolution même du fonctionnement de notre vie économique. Dans les années 20 déjà, le père de la sociologie moderne Max Weber avait noté, dans Economie et société, que « la base d’une civilisation artistique » était une société où l’offre de produits de consommation était faible et donc où « les gros budgets » avaient recours « à l’utilisation extraordinaire (et surtout artistique) de leurs excédents ». En clair, seuls les arts permettaient de manifester la richesse alors qu’aujourd’hui mille autres produits de consommation peuvent remplir cette fonction – d’où le désintérêt des “gros budgets” contemporains pour les arts et la culture. Max Weber en déduisait que nous n’avions plus la base économique pour créer « une civilisation artistique ». En envisageant les choses autrement, on peut dire que c’est la fin d’une certaine forme de “civilisation artistique”, celle où les arts et la culture étaient les signatures de la richesse. Mais n’y en a-t-il pas d’autres ? L’actuel « désenchantement » des politiques culturelles – et le terme de désenchantement qu’utilise Pierre Moulinier est bien évidemment emprunté à Max Weber (dans ce même ouvrage cité ici) – lié à la perte de repères, à l’instauration « d’une culture soumise au marché », au « constat pessimiste en matière de démocratisation culturelle », etc. doit conduire à remplacer ce que certains appellent la « monarchie FNCC « Face aux difficultés de la démocratisation culturelle, nombreux sont les responsables qui estiment que les seuls moyens de l’accomplir sont l’école et les médias, deux domaines de responsabilité qu’André Malraux a refusé d’inscrire en 1959 dans les compétences de son ministère. [...] Dans une école de masse, il semble difficile de donner à tous les établissements une sensibilisation de qualité aux arts et de généraliser des expériences qui exigent du temps et des intervenants d’exception. Quant aux médias, [...] on connaît leur sujétion aux impératifs du divertissement et de l’audimat. Force donc est de placer des espoirs limités dans ces deux moyens de développement culturel. » culturelle » par une démocratie culturelle. « L’idéal de la démocratisation […] doit se conjuguer à une démocratie dans les pratiques politiques. » De fait, n’exerçant plus le pouvoir économique et politique, cette monarchie devient anachronique dans son principe même. Pierre Moulinier n’en dit pas plus, mais en en appelant « au développement de la créativité de chacun » ainsi qu’à « la valorisation des territoires les plus déshérités », il conclut par ces paroles pleines d’avenir : « Ce début de siècle devrait être propice à la définition d’un projet culturel à long terme. » Et pour cette définition, il faut bien sûr être en mesure d’analyser avec précision tout ce qui a été entrepris en France en matière de politiques publiques, donc lire l’intégralité de ce petit livre et notamment méditer la redoutable phrase suivante : « Le paradoxe majeur de l’action du ministère de la Culture est qu’il vise l’accès de tous à la consommation des biens culturels tout en développant par ailleurs des pratiques visant la qualité, c’est-à-dire la production de biens réservés à une élite de connaisseurs. » Ce faisant le pouvoir « crée des hiérarchies », celles-là mêmes qu’après il cherche à combattre par le même moyen que celui qui a servi à les créer… La Lettre d’Echanges n°44 - mi mars 2010 Vincent Rouillon page 3