page 1FNCC La Lettre d’Echanges n°44 - mi mars 2010
Notes de lecture :
‘‘Les Politiques publiques de la culture en France’’, de Pierre Moulinier
LA LETTRE D
LETTRE
ÉLECTRONIQUE
DE LA FNCC
3 pages
Notes de lecture
Les Politiques publiques de la culture en France,
de Pierre Moulinier
LES ASSOCIATIONS CULTURELLES. « Il est très opératoire
de distinguer au moins trois types d’associations. »
Tout d’abord les « associations gestionnaires », sou-
vent des institutions publiques ou parapubliques utili-
sant le statut associatif (loi 1901) non pour son sens
démocratique propre mais à cause de la souplesse de
ce statut juridique. Puis il y a les « associations affini-
taires qui regroupent pour des activités communes des
personnes mues par les mêmes intérêts », à la manière
d’un groupe de pratique en amateur, par exemple.
En n, les « associations contestataires », au premier
rang desquelles l’auteur cite celles de défense du patri-
moine. Il ajoute « qu’il n’est pas exclu qu’une associa-
tion gestionnaire soit aussi contestataire », par exemple si cette dernière œuvre pour la
préservation d’un patrimoine menacé. Sachant que « la vie culturelle, en France, repose
sur le monde des associations », plusieurs perspectives naissent de ce simple essai de
typologie, dont celle-ci :
comme dans un procès où l’innocence (ou la culpabilité) d’un prévenu sera le fruit d’une
confrontation entre les avocats à charge et ceux de la défense, la “vérité” d’une politique
culturelle consiste pour une part essentielle à permettre l’articulation entre des passions
ou rébellions individuelles et communautaires. La fonction que doit exercer le respon-
sable de politique culturelle s’apparente alors à celle du juge et le “beau politique” ne
C’est un “Que sais-je ?” : l’exposé
concentré et didactique d’un sa-
voir certain appuyé sur des faits
et données établis. Cependant
Pierre Moulinier précise, dans son
introduction : « Bien entendu, les
opinions émises dans cet ouvrage
n’engagent que leur auteur. » Ce
petit livre présente donc aussi des
« opinions », ou encore, loin de ne
fournir que des réponses, il ouvre
un grand nombre de questions
d’une extrême nesse et d’une importance centrale
pour l’avenir des “politiques publiques de la culture en
France”, notamment dans sa dernière partie intitulée :
“Les résultats des politiques culturelles”. Chacune de
ces opinions, toujours proposée à la manière d’un in-
dice (car le développement n’aurait pas sa place dans
un ouvrage aux proportions délibérément restreintes),
appelle le lecteur à déployer par lui-même une ré exion
plus approfondie. Une ré exion qui peut s’appuyer sur
une “mise de départ” considérable : l’indice est able et
signi ant, et la piste à laquelle il mène s’avère toujours
fertile. Quelques-unes de ces pistes.
Les Politiques publiques
de la culture en France,
par Pierre Moulinier,
127 pages – 9 euros
Notes de lecture :
‘‘Les Politiques publiques de la culture en France’’, de Pierre Moulinier
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La Lettre d’Echanges n°44 - mi mars 2010
peut naître que d’un débat. Il ne doit pas tenter de déci-
der de ce qui est ou n’est pas culturellement valide : la
seule objectivité accessible est celle de la vitalité de la
confrontation. A contrario, le consensus sera le signe
d’une pétri cation des valeurs esthétiques.
Privé et public.
Très attentif à l’importance des
acteurs privés, et notamment des industries culturelles
et du mécénat d’entreprise, Pierre Moulinier opère un
étrange rapprochement. Au sein du secteur privé, « il
est une sorte d’acteurs extrêmement importants dans
le champ de la culture, [ceux] qui gèrent une très petite
entreprise, celle de leur talent – les artistes plasticiens,
les écrivains, les compositeurs de musique –, ou celle
de leur patrimoine, les propriétaires de monuments ».
Soulignant que ces “entreprises” remplissent un ser-
vice d’intérêt général (ce qui justi e le soutien poli-
tique), il précise qu’elles « cultivent un large esprit
d’indépendance à l’égard de la manne publique ».
Ainsi, le principe de la propriété privée – du talent ou
du monument – exige de la part des pouvoirs publics
un respect scrupuleux de leur autonomie, sans pour
autant les dédouaner d’un soutien signi catif. Si les
intérêts privés sont négligés – par exemple en instru-
mentalisant à des ns relevant du seul intérêt général
le travail des créateurs : pour l’éducation des enfants,
le lien social, l’attractivité des territoires, etc. –, leur
qualité et leur vitalité seront dénaturées. Inversement,
si sous prétexte qu’il s’agit d’entreprises privées elles
ne sont pas soutenues par les pouvoirs publics, la
coïncidence entre intérêt privé et intérêt général sera
rompue – alors, le joyau patrimonial privé courra le
risque d’être lui aussi dénaturé. C’est donc encore à
la mise en œuvre des conditions de possibilité d’une
tension juste – ici entre intérêt privé et intérêt général
– que se reconnaît une politique culturelle légitime.
La fin des hiérarchies culturelles.
« Qu’a-t-on
fait de l’argent investi dans la culture et qu’ont retiré
les Français d’une telle sollicitude publique ? » Beau-
coup moins qu’on ne pouvait l’espérer. « Confirma-
tions : les classes populaires et les milieux ruraux, et
plus largement les catégories de population faiblement
diplômées, continuent à accorder une place très limi-
tée à la culture dans leur temps de loisirs. A l’inverse,
les personnes nanties d’un diplôme d’enseignement
supérieur, plus d’ailleurs que celles qui appartiennent
aux catégories socioprofessionnelles les plus élevées,
sont celles qui participent en plus grand nombre aux
activités culturelles reconnues comme telles. »
Le “comme telles” est évidemment ici le signe d’une
voie permettant de dépasser l’aporie de l’élitisme
pour tous. C’est explicitement l’af rmation qu’il faut
rompre avec un système où « les choix sont aux mains
de groupes restreints associant fonctionnaires, élus et
dirigeants d’institutions » pour passer de la démocra-
tisation à la démocratie et des grandes œuvres à la
diversité des expressions artistiques et culturelles.
Mais cette citation, somme toute assez sombre (c’est la
description de l’échec de la démocratisation), contient
un indice beaucoup plus optimiste. Il y est dit que ceux
qui ont le plus fort goût pour la culture sont plus les
possesseurs de diplômes que les classes supérieures au
sens réel et économique du terme. Cette simple remar-
que a une portée considérable. Pour la première fois,
dans notre société, les classes qui détiennent la réalité
du pouvoir économique délaissent les biens culturels
alors qu’auparavant ceux-ci étaient précisément le
signe de l’élévation au sein de l’échelle sociale – un
“marqueur de classe”, disait Bourdieu.
Ce décrochage entre culture et richesse témoigne
d’une révolution sociologique majeure : la culture
n’est plus un signe de classe mais la manifestation
d’une appartenance à des cercles identitaires comple-
xes et croisés transcendant les hiérarchies sociales.
Ce qui donne au “relativisme” culturel inhérent à la
notion de diversité sa teneur nouvelle d’universalité :
ce que nous partageons tous, c’est d’être différents –
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différents d’un groupe à l’autre mais également d’un
individu à l’autre au sein d’un même groupe…
On assiste ainsi à l’émergence d’un nouveau monde
qui donne tout son sens à l’appel de Pierre Mouli-
nier à une refondation des politiques culturelles.
Ne serait-ce pas nalement le premier succès de la
démocratisation culturelle : avoir en n rompu le lien
entre position sociale et “légitimité culturelle” ? Dans
ce cas, on serait en effet à l’aube d’une toute autre
fonction sociale des arts et de la culture… Il n’est
d’ailleurs pas certain que ce soit là le résultat des poli-
tiques culturelles, mais celui de l’évolution même du
fonctionnement de notre vie économique.
Dans les années 20 déjà, le père de la sociologie moderne
Max Weber avait noté, dans Economie et société, que
« la base d’une civilisation artistique » était une société
où l’offre de produits de consommation était faible et
donc où « les gros budgets » avaient recours « à l’uti-
lisation extraordinaire (et surtout artistique) de leurs
excédents ». En clair, seuls les arts permettaient de
manifester la richesse alors qu’aujourd’hui mille autres
produits de consommation peuvent remplir cette fonc-
tion – d’où le désintérêt des “gros budgets” contempo-
rains pour les arts et la culture. Max Weber en dédui-
sait que nous n’avions plus la base économique pour
créer « une civilisation artistique ». En envisageant les
choses autrement, on peut dire que c’est la n d’une
certaine forme de “civilisation artistique”, celle où les
arts et la culture étaient les signatures de la richesse.
Mais n’y en a-t-il pas d’autres ?
L’actuel « désenchantement » des politiques cultu-
relles – et le terme de désenchantement qu’utilise
Pierre Moulinier est bien évidemment emprunté à
Max Weber (dans ce même ouvrage cité ici) – lié à la
perte de repères, à l’instauration « d’une culture sou-
mise au marché », au « constat pessimiste en matière
de démocratisation culturelle », etc. doit conduire à
remplacer ce que certains appellent la « monarchie
culturelle » par une démocratie culturelle. « L’idéal
de la démocratisation […] doit se conjuguer à une
démocratie dans les pratiques politiques. » De fait,
n’exerçant plus le pouvoir économique et politique,
cette monarchie devient anachronique dans son prin-
cipe même. Pierre Moulinier n’en dit pas plus, mais
en en appelant « au développement de la créativité
de chacun » ainsi qu’à « la valorisation des territoires
les plus déshérités », il conclut par ces paroles pleines
d’avenir : « Ce début de siècle devrait être propice à
la définition d’un projet culturel à long terme. »
Et pour cette dé nition, il faut bien sûr être en mesure
d’analyser avec précision tout ce qui a été entrepris
en France en matière de politiques publiques, donc
lire l’intégralité de ce petit livre et notamment méditer
la redoutable phrase suivante : « Le paradoxe majeur
de l’action du ministère de la Culture est qu’il vise
l’accès de tous à la consommation des biens culturels
tout en développant par ailleurs des pratiques visant
la qualité, c’est-à-dire la production de biens réservés
à une élite de connaisseurs. » Ce faisant le pouvoir
« crée des hiérarchies », celles-là mêmes qu’après il
cherche à combattre par le même moyen que celui qui
a servi à les créer…
Vincent Rouillon
FAUSSES SOLUTIONS...
« Face aux dif cultés de la démocratisation cultu-
relle, nombreux sont les responsables qui estiment
que les seuls moyens de l’accomplir sont l’école
et les médias, deux domaines de responsabilité
qu’André Malraux a refusé d’inscrire en 1959 dans
les compétences de son ministère. [...]
Dans une école de masse, il semble dif cile de
donner à tous les établissements une sensibili-
sation de qualité aux arts et de généraliser des
expériences qui exigent du temps et des inter-
venants d’exception. Quant aux médias, [...] on
connaît leur sujétion aux impératifs du divertis-
sement et de l’audimat. Force donc est de placer
des espoirs limités dans ces deux moyens de
développement culturel. »
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