Intégrer au maximum l`ensemble des modes de distribution

dossier
36 Revue Banque n° 722 mars 2010
relation client dans la banque de détail
Depuis une vingtaine d’années, nous entendons
parler de stratégies « multicanal » des banques.
L’effet de la nouveauté est passé depuis long-
temps et d’aucuns ne retiennent, dans cette révolution
de la distribution bancaire, qu’une invention marketing
exploitant opportunément l’arrivée d’Internet pour
rajeunir l’image des banques.
Ce qui a changé à la fin des années 1990 relève pour-
tant bien d’une innovation de rupture : l’émergence des
nouvelles technologies de l’information et de la com-
munication (NTIC, pour reprendre le sigle consacré à
l’époque) dans le monde ronronnant de la distribution
bancaire. Moins de quinze ans après la libéralisation du
secteur, l’enjeu était double pour les banques : amélio-
rer l’efficacité commerciale et augmenter la productivité
sur les opérations à faible valeur ajoutée, alors que la
Plateformes téléphoniques,
guichets automatiques, Internet…
La multiplication des points de
contact entre le client et sa banque
a imposé une refonte des
stratégies de distribution. Où en
est-on du processus ? Quel chemin
reste à parcourir pour obtenir une
banque 100 % « multicanal » ?
STRATÉGIE MULTICANAL
Intégrer au maximum
l’ensemble des modes
de distribution
concurrence sur les tarifs et la baisse des marges d’in-
termédiation commençaient à tirer durablement la ren-
tabilité de la banque de détail vers le bas.
MA BANQUE OÙ JE VEUX, QUAND JE VEUX ?
Le multicanal devait révolutionner la relation client en
offrant une accessibilité élargie et plus distanciée à l’in-
formation, aux services et aux opérations de banque,
conditionnée jusqu’alors par les horaires contraignants
des agences. Toutefois le concept du « toute ma banque,
où je veux, quand je veux » n’est pas devenu une réalité
du jour au lendemain. Entre les fonctionnalités rudi-
mentaires des premiers serveurs vocaux interactifs et la
possibilité de finaliser la souscription d’un produit en
ligne, une quinzaine d’années s’est écoulée.
En effet, les canaux ont fonctionné aux premiers temps
de l’ère du multicanal non de concert, mais en silos,
générant une valeur ajoutée moindre pour les clients et
des problèmes d’asynchronisme et de qualité de don-
nées pour les établissements bancaires. Dans un second
temps depuis le début des années 2000 une fois fran-
chies les barrières techniques liées à la modernisation
et à l’interfaçage des systèmes d’information, le multi-
canal s’est progressivement imposé, aidé par la généra-
lisation d’Internet et de la téléphonie mobile.
Pourtant, l’essor des canaux alternatifs s’est trouvé
confronté à de nouveaux obstacles :
des freins financiers, car la mise en œuvre de certai-
nes fonctionnalités n’est pas rentable au regard des
volumes traités ;
des contraintes réglementaires, liées, entre autres, aux
besoins d’identification du signataire ou de confor-
mité des pièces justificatives ;
des raisons comportementales, les habitudes de
consommation des clients n’ayant pas évolué aussi
Anatole
de La Brosse
Directeur associé
Sia Conseil
mars 2010 n° 722 Revue Banque 37
vite que les technologies. On constate notamment une
persistance certaine de la défiance des clients vis-à-
vis de la confidentialité des données et de la sécurité
des transactions.
UNE STRATÉGIE PEU LISIBLE
Ces obstacles, s’ils sont bien réels, ne sont pas infran-
chissables, bien au contraire. En revanche, le frein le plus
sérieux est de nature opérationnelle. En effet, les modèles
de distribution des banques n’ont pas évolué pour laisser
de la place aux canaux alternatifs. Ceux-ci se sont donc
imposés comme une juxtaposition de couches autour de
l’agence qui restait au centre de la relation bancaire.
Or, paradoxalement, cette stratégie a contribué à éloi-
gner, voire à couper les clients de leurs conseillers en
agence. Et pour cause, le message des banques était
contradictoire. Elles mettaient en avant le chargé de
clientèle en agence comme pivot de la relation mais,
dans les faits, la plupart des échanges et des transac-
tions étaient réalisées avec d’autres interlocuteurs. Par
ailleurs, le turn-over élevé des commerciaux ne laissait
parfois même pas le temps de rencontrer son chargé de
clientèle avant qu’il n’ait changé.
La résolution de cet obstacle opérationnel nécessite
de revoir en profondeur les fondements des stratégies
« multicanal ». Celles-ci ont été initiées sous l’angle de
la segmentation des produits ou des clients par canal.
Des produits spécifiques étaient proposés sur le canal
Internet, différents de ceux qu’on pouvait souscrire en
agence ou par téléphone. En outre, les canaux à distance
ont été utilisés pour réduire le coût et accroître l’efficacité
des opérations simples, la proximité physique restant
le maître mot pour les produits complexes.
PENSER LE « PARCOURS CLIENT »
Cette tendance doit évoluer. Les canaux doivent être
appréhendés non plus selon une segmentation produits
ou clients, mais dans une logique de processus. Ainsi,
plusieurs canaux peuvent être utilisés pour réaliser une
même transaction. Par exemple, pour un prêt immobi-
lier, le « parcours » du client peut s’imaginer en plusieurs
étapes : la simulation de prêt pourra se faire par le client
sur Internet. Une fois cette simulation réalisée, le client
sera relancé par un centre d’appel qui aura eu les infor-
mations de la simulation et pourra établir une relation
directe avec le prospect. Enfin, le dossier de prêt sera
finalisé en agence, le conseiller ayant eu au préalable
le temps de préparer le dossier et pouvant consacrer le
rendez-vous à établir une relation personnelle avec le
client et à vérifier les pièces justificatives.
Dans un avenir proche, ce processus pourra même se
dérouler à distance d’un bout à l’autre. La pratique est
déjà courante pour les crédits à la consommation, par
exemple. Ainsi, les sites des grands distributeurs de ces
crédits proposent non seulement des simulations en
ligne, mais également une procédure de souscription
simple et claire. En quatre étapes, vous renseignez une
vingtaine de données avant d’obtenir une réponse immé-
diate. Vous n’avez alors plus qu’à imprimer et signer
le contrat de souscription et à le renvoyer avec quatre
pièces justificatives classiques. Le processus global ne
prend pas plus d’une ou deux minutes.
Cette logique doit se concrétiser en intégrant d’avantage
le dispositif de distribution en amont de la conception
des produits et des processus. Le concept sous-jacent est
celui de « parcours client » qui renverse le processus de
commercialisation en le recentrant sur la manière dont
le client peut interagir avec la banque en vue d’une tran-
saction, d’une opération ou d’un service. C’est même la
force des banques traditionnelles par rapport aux ban-
ques en ligne car elles peuvent conjuguer la puissance
de la proximité avec l’efficacité d’Internet, du téléphone
et du mobile.
LE CENTRE DE RELATION CLIENT, LE PARENT
PAUVRE DE LA CHAÎNE DE DISTRIBUTION
Dans cette logique, un maillon de la chaîne prend une
place de premier choix. Les centres de relation client
et autres plateformes téléphoniques sont devenus des
compléments et même, à certains égards, des subs-
tituts au canal traditionnel des agences. Les centres
d’appel sont indéniablement montés en charge sur
l’information de la clientèle et les opérations simples.
Le concept
de « parcours
client » renverse
le processus de
commercialisation
en le recentrant
sur la manière
dont le client peut
interagir avec la
banque en vue
d’une transaction,
d’une opération ou
d’un service.
FRÉQUENTATION DES SITES INTERNET DES BANQUES
Nombre de visiteurs uniques en millions par an
0
1
2
3
4
5
6
7
Crédit Agricole
Société Générale
Caisse d'Epargne
BNP Paribas
La Banque Postale
Crédit Mutuel
Banque Populaire
CIC
ING
Source : Benchmark Group, Banques sur internet (édtion 2008).
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relation client dans la banque de détail
Ils font même le trait d’union entre les conseillers et la
production en tant que middle-office commercial (suivi
des dossiers, information technique, récupération des
pièces justificatives) et progressent chaque jour un peu
plus sur la vente.
Recevant les appels entrants, ce sont eux qui ont la
relation avec le client, asséchant progressivement les
agences des opportunités de rentrer en contact avec le
client. À tel point que les banques font parfois marche
arrière aujourd’hui, en restaurant l’appel entrant dans
les agences. Ce faisant, ce n’est pas le canal agence qui
s’impose, ce n’est pas un retour de l’agence au centre
du dispositif : qu’on ne se méprenne pas, c’est bien le
canal téléphonique qui est utilisé mais avec, à l’autre
bout du fil, un conseiller qui est situé en agence et non
pas dans une plateforme.
LES ENJEUX DE LA RÉORGANISATION
Ces initiatives pointent du doigt les difficultés actuelles
des centres de relation client. La compétence et les appels
ont été déroutés vers les plateformes téléphoniques,
mais pas la connaissance client qui est restée en agence
comme le domaine réservé du chargé de clientèle.
En revanche, la solution « rustine » mise en œuvre par
les banques pour contourner ce problème et consistant
au retour des appels entrants en agence n’est pas appe-
lée à durer car non rentable. Ce n’est qu’une étape de
la trajectoire, un détour rendu indispensable pour évi-
ter l’érosion de la satisfaction client en attendant que
les plateformes centralisées aient atteint leur efficacité
maximum dans une stratégie « multicanal » structu-
rée et cohérente. Plusieurs leviers doivent être activés
à cet effet :
redéfinir la place de l’agence dans le dispositif mul-
ticanal ;
revoir la notion de portefeuille clients,
restructurer le processus multicanal autour de la notion
de parcours clients ;
redéfinir la politique de commissionnement pour
décloisonner les canaux ;
diffuser la connaissance des clients vers les opérateurs
des plateformes centralisées ;
améliorer la qualité des données pour la gestion de
la relation client ;
améliorer la qualité de services et l’accueil, au télé-
phone ou en agence.
Au-delà de la mise en cohérence indispensable entre le
lieu de réception des appels et le lieu de maîtrise de la
connaissance client, l’évolution à moyen terme réside
moins dans les fonctionnalités que dans la maîtrise d’exé-
cution et l’exploitation des outils existants intégrés aux
modes de production traditionnels : il s’agit d’un défi
plus organisationnel et commercial que technique.
DES FERMETURES D’AGENCES INÉVITABLES
Il convient en effet tout d’abord de redéfinir la place de
l’agence dans le dispositif multicanal dans la mesure où
elle ne doit être qu’un canal parmi les autres et non plus
la pierre angulaire du dispositif. Or, aujourd’hui la force
commerciale est concentrée dans les agences à plus de
90 %. Coordonner les canaux autour du réseau physique
n’est plus suffisant. L’enjeu est désormais de donner les
moyens aux canaux à distance d’occuper l’espace naturel
que leur procure la banalisation de l’usage des nouvelles
technologies dans la société française. Cette probléma-
tique est d’autant plus prégnante en zone rurale les
grands réseaux peinent à maintenir leur rentabilité d’ex-
ploitation. Le maillage extrêmement fin du territoire fran-
çais, y compris dans les campagnes les moins peuplées,
n’est plus en phase avec la densité de la population qui a
migré vers les zones urbaines et suburbaines.
La fermeture d’agences est maintenant inévitable dans
les zones rurales. Le multicanal va être une des compo-
santes de la réponse des banques pour assurer la tran-
sition et conserver le niveau de service nécessaire pour
entretenir une relation bancaire satisfaisante avec les
clients qui seront un peu plus éloignés de l’agence. Cet
éloignement n’est pas nécessairement un frein pour les
clients dans la mesure la fréquence des visites en
agence diminue. Pour concrétiser cette affirmation, il
conviendra toutefois de mettre en œuvre une stratégie
« multicanal » cohérente.
Pour ce faire, la réflexion qui conduit à la création d’un
produit ne doit plus être conditionnée par des considéra-
tions purement marketing, mais prendre en compte avec
la même attention les problématiques de production,
de gestion et de distribution : ne plus penser unique-
ment « combien » et « à qui » vendre mais aussi « com-
ment ». Le « comment » est devenu une composante clé
de la promesse client. Par exemple, quand on vend un
crédit immobilier, on ne vend pas qu’un tarif (le taux)
mais aussi un niveau et une qualité de service (certai-
nes banques l’ont compris et garantissent notamment
les délais de réponse).
Certes, le multicanal a rencontré des réussites incontes-
tables depuis la naissance du concept il y a une vingtaine
d’années, améliorant la qualité de service aux clients
par un accès élargi à l’information et aux opérations.
Le nouveau défi qui se pose maintenant aux stratégies
« multicanal » consiste à exploiter au mieux l’évolution
majeure que représente le multicanal dans le mode de
distribution de services bancaires afin de soutenir les
restructurations inévitables des réseaux. Le multica-
nal n’est donc plus un service, il est devenu une com-
posante indispensable de l’offre. L’enjeu de sa mise en
œuvre n’est plus technique, mais touche clairement à
la réorganisation de la force commerciale. n
La compétence
et les appels ont
été déroutés vers
les plateformes
téléphoniques,
mais pas la
connaissance
client qui est
restée en agence
comme le domaine
réservé du chargé
de clientèle.
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