LA Les lectures d Emma

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A. Le Meur©2012
1) Emma est guidée vers l’âge adulte par des personnes ignorant la réalité de la vie
[L’influence d’un environnement donnant une vision erronée du monde]
• Le monde clos du couvent et la vie du pensionnat
Evocation du cadre de vie : Le « couvent », « le réfectoire », « l’étude », les « vieux cabinets de
lecture » [C]
Narration à l’imparfait : tranche de vie, raconte des faits quotidiens, habituels
Un univers exclusivement féminin : aucun personnage masculin, que des femmes « une vieille
fille », « les bonnes sœurs », « les pensionnaires », « les grandes » ; seule figure masculine
suggérée, l’archevêque « protégée par l’archevêché » [P]
Allusion à l’éloignement des jeunes filles de la vie active par la relation entre elles et la demoiselle
qui fait le lien « vous apprenait les nouvelles », « faisait en ville vos commissions »
[I] Verbes qui présentent les activités à l’intérieur du couvent ; celles de la lingère mais aussi celles
des autres femmes et jeunes filles : couture « son ouvrage », « poussant son aiguille »,
conversation « un bout de causette », « contait des histoire », « apprenait des nouvelles », lectures
« prêtait quelque roman », « avalait de longs chapitres »
[E] Le lecteur se voit impliqué dans cet univers par l’emploi du pronom de 2e personne «vous
apprenait des nouvelles » ou le possessif « faisait vos commissions ». Il est associé aux autres
pensionnaires. (remarque : procédé déjà employé par Flaubert dans l’incipit du roman lors de la
présentation de Charles à son entrée au collège)
• L’influence de la lingère
Personnage secondaire mais qui occupe tout un paragraphe [A + P+ I] désignée par l’antithèse
« vieille fille » : plus une fille mais pas une femme, pas non plus une bonne sœur ; elle est entre
deux mondes : celui des adultes, celui des jeunes filles ; celui de la vie civile, celui de l’Eglise ; le
passé et le présent. Elle apparait comme un être tourné vers le passé « ancienne famille de
gentilshommes », « sous la Révolution » « chanson du siècle passé », et surtout un personnage en
échec : famille ruinée, (elle n’est pas une femme du peuple) , ne doit son salut qu’a la protection de
l’Eglise. Visiblement passionnée d’histoires d’amour, « savait par cœur »« avait toujours dans les
poches », « avalait elle-même », mais ne s’est pas mariée.
[C+ P+ I] Non seulement c’est elle qui initie les jeunes filles, donc Emma, aux choses
sentimentales, mais cette exposition est courante. Les indications de temps montrent la régularité
de sa présence « tous les mois », « souvent », « toujours » et inscrivent cette « éducation
sentimentale » dans la vie du couvent. Ironie du texte où l’initiation sentimentale aux choses de
l’amour se trouve faite par un personnage protégé par l’Eglise et parfaitement intégré au couvent
« mangeait à la table des sœurs », « faisait avec elle un petit bout de causette »
[E+ S+ I] le glissement du point de vue du narrateur, d’abord omniscient pour le 1er paragraphe à
interne à la fin de l’extrait, pousse le lecteur à assimiler la demoiselle et Emma, toutes deux
grandes amatrices de lecture ou plutôt toutes deux consommatrices boulimiques de romans
sentimentaux ; en effet le verbe « lire » n’est pas employé pour décrire leur rapport aux livres mais
des verbes imagés, en lien avec la nourriture « avalait » ou « se graissa ».
Les deux personnages ne sont pas mis directement en relation, on ne nous décrit pas Emma et la
demoiselle en train de discuter cependant, elles se ressemblent et le rapprochement des paragraphes
permet de créer ce lien entre elles. La lingère est une initiatrice pour Emma et ses camarades, elle
préfigure également l’échec qui attend les jeunes femmes qui confondent trop le rêve et la réalité [
transition]
2) Le tempérament rêveur de l’héroïne est stimulé par son goût pour la littérature
sentimentale [Des lectures qui poussent à la rêverie]
• Des lectures pleines de clichés et stéréotypes
[A+ I + P] La 1ère phrase du 2e paragraphe est entièrement consacrée à une longue énumération
présentant une succession de clichés. Tous les éléments d’un récit sont évoqués à travers les
champs lexicaux caractéristiques de la littérature romantique tels l’amour « amour, amants,
amante, troubles du cœur », les sentiments « serments, sanglots », la nature «rossignol, bosquets,
clair de lune » ou le danger et la violence « persécutées, tue, crève ».
Le narrateur expose au lecteur tous les constituants habituels d’un récit : on trouve le cadre spatial
« pavillons solitaires », « relais », « forêts sombres », temporel « clair de lune », les personnages
« amants, amantes », « dames persécutées », « messieurs », les péripéties « s’évanouissant »,
« postillons qu’on tue », « chevaux qu’on crève »…
[S + I + P] La dimension stéréotypée est accentuée par les choix syntaxiques comme la tournure
impersonnelle « on tue… », « on crève » mais surtout les très nombreuses répétitions : celles de
mots proches « amour, amants, amantes », celles de construction de phrase « postillons qu’on tue
à tous les relais, chevaux qu’on crève à toutes les pages » ou encore les comparaisons caractérisant
les personnages « comme des lions », « comme des agneaux ». On note le manque de recherche
de ces comparaisons dont la simplicité rappelle celle du style de certains romans sentimentaux.
[C + P+ I] C’est une littérature facile à lire, qu’Emma consomme sans restriction « pendant six
mois » comme la demoiselle qui « avalaient de longs chapitres dans les intervalles de sa besogne ».
La précision temporelle montre que ce genre de lecture demande peu de concentration. Le verbe
« se graissa » appliqué aux lectures d’Emma joue sous la polysémie du mot, la poussière graissant
effectivement les mains de la jeune fille mais on peut aussi penser au sens figuré où ces lectures
peu raffinées laissent des traces dans l’esprit d’Emma.
• La mise en place du tempérament rêveur de l’héroïne
[A + S + P + I] L’apparition explicite de l’héroïne se fait au milieu du 2e paragraphe par la
désignation de son prénom « Emma ». elle occupe toute la fin de l’extrait. On entre dans l’esprit
d’Emma par le point de vue interne qui nous montre une nouvelle évolution : « elle s’éprit de
choses historiques ». La référence à Scott ancre le récit dans le réel et illustre le goût d’Emma pour
les romans romantiques, ce que conforte champ lexical du monde médiéval « bahuts, salle des
gardes, ménestrels, châtelaines… ». Le tempérament d’Emma apparait par les verbes « s’éprit »,
« rêva », « aurait voulu vivre ». Aucun verbe d’action, Emma s’identifie à des personnages inactifs,
en attente « passaient leur jour […] à regarder venir ». Nouvelle dérision du narrateur qui à
nouveau amène un regard original sur les rêves de l’héroïne.
[I + S] Celui s’appuie à la fois sur le procédé de l’énumération déjà exploité à plusieurs reprises
mais aussi sur l’enchainement des détails. On peut l’observer dans le passage se rapportant à l’idéal
masculin définit par les comparaisons, on le retrouve dans le rêve final. Chaque terme semble
devoir être précisé comme le nom « châtelaines » qui est complété par une relative, elle-même
étoffée par plusieurs compléments circonstanciels et une autre relative. Dans l’esprit d’Emma, tous
les détails comptent, ils définissent le cadre, les accessoires de son rêve, de son idéal « un cavalier
à plume blanche qui galope sur un cheval noir ». Ses rêves fourmillent de détails matériels qui les
rendent difficilement conciliables avec la vie réelle.
Conclusion
Bilan de l’analyse > Le texte permet de comprendre comment le caractère rêveur de l’héroïne est
encouragé et stimulé par l’éducation officielle ou non qu’elle reçoit au pensionnat. Sa nature est
amplifiée par ses lectures, truffées de clichés, elles faussent totalement la perception que la jeune
fille se fait de la vie, et surtout de l’amour et des hommes.
Ouverture > on pressent déjà les échecs qui attendent le personnage, son obsession des détails
trahie son matérialisme et ses lectures révèlent son paradoxe : exaltée, cherchant les émotions
fortes mais inactive, rêveuse, incapable d’agir pour se donner les moyens de concrétiser ses rêves.
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