Agrégation de sciences économiques et sociales | Préparations ENS 2004-2005 5
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La géographie psychologique consiste à dessiner des cartes. Moreno dessine par exemple une carte illustrant le statut
psychologique de chaque pavillon en ce qui concerne les évasions : il représente les pavillons d’une couleur d’autant
plus claire qu’il y a eu peu d’évasion et trace des lignes pour représenter les directions prises par les évasions. Une
seconde carte met en évidence que les pavillons adjacents entretiennent des contacts plus hostiles (lignes noires) entre
eux que les pavillons plus éloignés. Moreno note, sur cette seconde carte, que les pavillons où résident les jeunes
femmes « de couleur » font exception : plus ils sont proches d’un pavillon où logent de jeunes femmes « blanches »
et meilleures sont les relations entre les habitantes de ces deux pavillons16.
Les réseaux
Plusieurs éléments démontrent l’existence de réseaux au sein de la collectivité de Hudson. Tout d’abord, en automne
1932, eut lieu une épidémie d’évasions : en 14 jours on dénombra 14 évasions. Les motivations, bien que
convaincantes pour chacune, ne peuvent expliquer l’origine de cette « chaîne », ni le fait que toutes ces évasions aient
eu lieu en un laps de temps aussi court. Et ce d’autant plus que d’autres femmes avaient aussi un statut sociométrique
qui les prédisposait à l’évasion mais qu’elles ne sont pas passées à l’acte. Moreno soutient que cette épidémie
d’évasions s’explique par le fait que ces 14 jeunes femmes appartenaient à une chaîne de réseau17. Cette appartenance
à un même réseau est mise en évidence par l’analyse du test sociométrique. De plus, le fait que les nouvelles et
commérages se propagent dans certaines sections de la collectivité et pas dans d’autre est une preuve supplémentaire
de l’existence de réseaux. Ainsi, la nouvelle d’une émeute ayant eu lieu dans un pavillon se propagea dans ses
moindres détails dans la grande majorité de trois réseaux mais n’atteignit pas du tout un quatrième réseau18. On
remarque aussi que les rumeurs suivent la loi des réseaux tracés d’après les résultats sociométriques.
Selon Moreno, tous les résultats sociométriques obtenus à partir de la collectivité de Hudson peuvent permettre
d’améliorer la vie au sein de cette collectivité. Voyons quelles sont les propositions de Moreno et selon quels
principes sa sociométrie prétend rendre les relations plus harmonieuses.
Les bienfaits de la sociométrie selon JL Moreno
La « reconstruction » de la collectivité de Hudson
Les « affectations thérapeutiques »
Moreno soutient que la sociométrie peut permettre la reconstruction de groupes. Dans la mesure où le test
sociométrique a permis de déterminer précisément la position de chacun des individus dans la collectivité, il met en
évidence les mauvais ajustements. En remédiant à ces derniers, on peut aider certains individus isolés à mieux
s’intégrer au sein de la collectivité. Dans le cas de la collectivité de Hudson, remédier aux mauvais ajustements
revient à changer de pavillon les individus ne parvenant pas à s’intégrer. Ainsi, on peut procéder à des « affectations
thérapeutiques », ie changer les nouveaux venus de pavillon avant que leur impuissance à s’intégrer soit trop forte19.
Anna, par exemple, qui n’était pas bien très intégrée dans son pavillon est changée de pavillon suite aux tests
sociométriques. Ce changement suscite alors un remarquable changement de son statut sociométrique. De plus, on
constate un moindre nombre d’évasions à Hudson depuis les affectations thérapeutiques. La répartition des individus
opérée selon une technique sociométrique peut donc servir à améliorer le moral d’une collectivité. Avant d’exclure
quelqu’un d’une communauté, Moreno suggère donc de tenter son « intégration sociométrique ».
La technique de Moreno vise donc à placer les individus à un niveau aussi voisin que possible de leur
« développement naturel ». Sa reconstruction des groupes sociaux, qu’il compare à une « thérapeutique », n’envisage
donc le changement de l’individu qu’à la faveur de la réorganisation des groupes dont il fait partie.
L’apprentissage de la spontanéité
La reconstruction de la collectivité passe aussi par un apprentissage de la spontanéité. Moreno organise alors à
Hudson des jeux de scène. Il note le cas d’Elsa qui révéla aux autres, au cours de jeux de scène, certains aspects de sa
personnalité.
16 D’après Moreno, ceci s’explique par le fait que les « relations inter-raciales » sont motivées par un facteur sexuel
justifiant que la proximité soit préférée à l’éloignement…
17 En fait, il a fallu un élément déclencheur pour que ces femmes entrent en contact : le fait qu’une d’entre elles se
soit fait prendre après une première tentative de fuite lui a permis de se mettre en relation avec d’autres femmes qui
pensaient aussi à s’enfuir et a favorisé le départ d’autres femmes du réseau de ces dernières.
18 Moreno suggère que ceci peut s’expliquer par le fait que l’incident s’est produit pendant les vacances et alors que
l’école était fermée et certains circuits « temporairement coupés ».
19 Moreno souligne bien que l’ »affectation thérapeutique » doit avoir lieu au bon moment : ni trop tôt car il faut que
nouveau venu ait fait tous les efforts nécessaires pour s’intégrer, ni trop tard car en attendant on risque que l’individu
devienne indifférent à tous. Moreno prétend que ce bon moment correspond au moment où l’individu demande
spontanément à changer de pavillon.