![](//s1.studylibfr.com/store/data-gzf/d1683f22cf73cfe3d3c382fb40764b1f/1/006337737.htmlex.zip/bg2.jpg)
narrateur conteur). Le pronom impersonnel « il » met à distance, semble banaliser le propos et
révèle l’état pitoyable dans lequel se trouve le personnage. « Il manquait à ce pauvre
homme » : le verbe « manquait » à l’imparfait (aspect duratif et itératif) prévient du choc qui
va advenir et insiste à nouveau sur l’absence de possession par ce personnage. L’expression
« à ce pauvre homme » met en relief le dénuement du personnage. Le substantif « homme »
affirme la pensée voltairienne : le personnage « nègre » est de la même ‘espèce’ que celle de
Candide et de son compagnon. Il est leur égal dans l’humanité. Mais, l’adjectif souligne la
différence : les uns sont riches (ils sortent de l’Eldorado, Candide a un valet), l’autre est dénué
de tout. De plus, l’antéposition de l’adjectif modifie son sens premier, et connote la pitié, la
compassion ressentie par le duo. La syntaxe même de la phrase est révélatrice : la tournure
impersonnelle, l’antéposition du complément d’objet indirect permettent, au philosophe
voltairien, d’accroître l’effet de surprise, de rejeter la « réalité » visible et perçue par Candide
et Cacambo, et de dénoncer le manque, la réalité effrayante : « la jambe gauche et la main
droite ». Au dénuement s’ajoute la mutilation. La dénonciation implicite s’allie à l’ironie
(fondée sur l’emploi des adjectifs antithétiques « gauche »/« droite », et les noms
« main »/« jambe ») pour énoncer à la fois la barbarie, la stupidité et l’inanité du crime
commis. Pour autant, la cause tout comme le bourreau ne sont pas indiqués.
En revanche, l’effet ne tarde pas à se faire entendre. Candide prend la parole, au discours
direct et crie presque. L’effroi et le choc sont rendus par les interjections exclamatives : « Eh !
mon Dieu ! ». Interjections à la fois banales, sans doute, et ironiques, assurément, qui
dénoncent, attaquent la philosophie de Leibniz (et sa théorie, puisque Dieu est le Créateur du
Monde : « Tout est bien », relue par Pangloss : « Tout est pour le mieux dans le meilleur des
mondes possibles »). En effet, impossible d’envisager que l’absence (la perte) de membres
puisse être voulue par Dieu. Candide, savant puisqu’il parle « en hollandais », instruit par
Pangloss (mot inventé à partir du grec : pan = tout, gloss = langue, autrement dit un
personnage « tout en langues »), donc bon élève du maître aussi, insiste par son jeu de
réflexion superficielle, sur le thème et la pratique de l’esclavage dénoncés dans tout le
chapitre XIX, et particulièrement dans l’extrait. En effet, l’adjectif « hollandais », alors même
que les personnages sortent de l’Eldorado, contrée imaginaire, fort convoitée de l’Amérique
du Sud, implique nécessairement la désignation d’un pays, d’un lieu, sous mainmise
hollandaise. De plus, le personnage, interlocuteur de Candide, est bien appelé « nègre », ainsi
donc se met en place la pratique esclavagiste : le déplacement d’une population et
l’assimilation de cette population aux mœurs du pays dominant. Le nègre parle donc
forcément en hollandais, lui aussi, pour que le dialogue puisse se faire. La question de
Candide semble à l’image du personnage : elle note la simplicité de la formulation,
l’étonnement du jeune homme « Que fais-tu là […] dans l’état horrible où je te vois ? », et
sans doute sa bonté « mon ami », apostrophe à valeur hypocoristique, relayée par le
tutoiement. Dans cette question, résonne en fait la voix du philosophe conteur : l’adverbe de
lieu « là » note la pratique colonialiste, dénoncée à mots couverts. Si Candide est choqué par
l’état du nègre, Voltaire en est scandalisé, d’où l’emploi de l’adjectif redondant « horrible »
(la description précédant, le lecteur sait bien à quoi s’en tenir). La question, sur le mode du
dialogue, reformule les propos énoncés dans la narration, dans le récit. Se fait entendre, dès
lors, la réponse du « nègre », tout en mesure et sobriété. Sa réponse réfléchie témoigne de sa
patience et de sa résignation : « J’attends mon maître » et de l’impossibilité évidente à faire
autrement, autre chose (il est un esclave mutilé, handicapé). La réponse insiste par son lexique
et par ses sonorités (allitérations en dentales /d/ - /t/ et liquide /r/, assonance en nasale,
homophonie) sur la puissance, la force de ce dernier : « J’attends mon maître,
M.Vanderdendur, le fameux négociant. » ; la mention de l’identité du « maître » note sa
supériorité évidente : il a droit à un titre « Monsieur » et à un patronyme « Vanderdendur »,