Ph. Campet / Lycée Louise Michel / Bobigny /
- La présence d’une « narratrice » n’est pas tout à fait incongrue dans la tradition du théâtre puisqu’il y avait
souvent, notamment dans l’antiquité, « un chœur » dont la fonction était bien de prendre en charge certains
éléments de l’histoire en les racontant ou en les commentant.
- Mais ce qui est intéressant, c’est le caractère très oral, très incarné, très naturel et donc très théâtral du langage
de la jeune fille, marqué par des tournures et un lexique parfois fautifs ou familiers : « tu veux pas te lever
aujourd’hui ? », « moi j’en ai marre en tous cas », « C’est ça que tu as dit ? ». Ce langage d’aujourd’hui crée un
effet de contraste très intéressant avec les attentes qu’un lecteur peut avoir quand il lit un conte. Il suscite
vraiment l’intérêt et le plaisir du lecteur ou du spectateur.
2 Une scène de quiproquo
- Le quiproquo est un procédé de théâtre très efficace pour provoquer le rire du spectateur dans le cas de la
comédie, ou la terreur et la pitié dans le cas de la tragédie. Or toute la scène 2 est une scène de quiproquo puisque
les paroles de la mère mourante sont presque inaudibles : « ma chérie il faut que je te dise que je vais bientôt
mourir – Je le sais ça que t’as tout le temps envie de dormir ».
- Le malentendu sur les paroles de la mère a d’abord un certain effet comique (on pense presque à un gag de la
bande dessinée Tintin). Et il y a un comique de répétition puisque le malentendu se répète. « - Chérie je vais m’en
aller… -Et que t’es fatiguée ? » « -Tu sais, je vais m’en aller pour toujours. - Et que tu dors le jour ?… »
- Mais comme il est question de mort, ce quiproquo prend très vite, dans l’esprit du lecteur ou du spectateur, une
dimension tragique. Pommerait utilise ici le ressort de l’ironie dramatique puisque la jeune fille se méprend sur les
paroles de la mère, alors que le spectateur lui, perçoit.
- Les dernières paroles de la mère ne sont pas entendues par le spectateur qui n’a donc que la version entendue
par la très jeune fille (“Ma petite fille, quand je ne serai plus là il ne faudra jamais que tu cesses de penser à moi.
Tant que tu penseras à moi tout le temps sans jamais m’oublier… je resterai en vie quelque part. ») mais il sait par
la narratrice que la très jeune fille les a mal comprises (« Dans l’histoire que je vais raconter, les mots ont failli
avoir des conséquences catastrophiques sur la vie d’une très jeune fille. Les mots sont très utiles, mais ils peuvent
être aussi très dangereux »). L’ironie tragique fonctionne donc et le spectateur comprend que ce malentendu
constitue le nœud dramatique
- Il comprend que la jeune fille est prise au piège de la promesse qu’elle fait à sa mère, que cette promesse va
devenir une sorte de fatalité tragique : « Maman, je te promets que je penserai à toi à chaque instant. J’ai très bien
compris que c’est grâce à ça que tu mourras pas en vrai et que tu resteras en vie dans un endroit secret invisible
tenu par des oiseaux. »
Conclusion
Ce qui est passionnant avec ce début de pièce de Pommerat, c’est que rien n’est perdu de la magie, de la « petite
musique » des contes de fée. Et en même temps, c’est un vrai texte de théâtre, avec une parole d’une grande
authenticité dont on sent bien d’ailleurs qu’elle a été forgée sur scène, dans un travail de plateau, dans des
improvisations, tellement elle sonne vrai. Cette pièce de théâtre renouvelle ainsi et le conte et la tradition
théâtrale. Elle met en scène une jeune fille prise au piège tragique d’une fatalité qui n’est pas extérieure mais qui
se construit sur un malentendu. Ce piège est celui du deuil, de la culpabilité.