ANDRAGOGIE EN MEDECINE

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J Maroc Urol 2009 ; 15 : 6-9
ANDRAGOGIE EN MEDECINE
MISE
AU POINT
H. BOUFETTAL, S. HERMAS, K. EL MOUATACIM, M. NOUN, N. SAMOUH
Service de Gynécologie-Obstétrique “C”, CHU Ibn Rochd, Casablanca, Maroc
INTRODUCTION
remplacerons le terme “animation pédagogique” par
“animation andragogique”, lorsque l’animation s’adresse
à un groupe d’adultes en situation d’apprentissage.
D’ailleurs, les méthodes et les modèles d’animation
andragogique font appel à des principes andragogiques
[1, 4].
Si les dictionnaires nous décrivent la pédagogie comme
étant la science de l’éducation des enfants, devrionsnous parler de pédagogie médicale ?
En 1958, Malcom Knowles introduisait le terme
«Andragogie» pour la formation qui s’adresse aux
adultes. Le courant andragogique, né à la fin des années
70, implique une prise en charge de la responsabilité
et des moyens de l’apprentissage par l’apprenant luimême. Celui-ci décide d’apprendre, comment il va
apprendre, et jusqu’où il va apprendre, contrairement
à l’enfant.
PRINCIPES DE L’ANDRAGOGIE
Knowles et al. [2] ont présenté en 1984 sept principes
suivants de l’andragogie (tableau I).
Aujourd’hui, alors que les moyens d’éducation ont
connu une transformation profonde, des dizaines de
facultés universitaires dans le monde offrent des
programmes de “Doctorat en Andragogie”. Ainsi, au
lieu “d’enseigner trop et apprendre peu”, peut-on
“apprendre trop et enseigner peu” ?
Tableau I. Les principes de l’andragogie selon Knowles [2]
1. Maintenir une ambiance d’apprentissage efficace. Les
étudiants doivent être confortables, aux points de vue
physique et émotif. Ils doivent se sentir en sécurité et
être confiants de pouvoir s'exprimer sans pression, et
sans s’exposer au jugement ou au ridicule.
Il serait plutôt inédit de parler de méthodes pédiatriques
propres aux adultes, notamment en médecine. On
devrait donc parler “d’andragogie universitaire” plutôt
que de “pédagogie universitaire”. L’andragogie est à la
formation des adultes ce que la pédagogie est à
l’enseignement aux enfants.
2. S’impliquer dans une planification mutuelle des
méthodes et de l’orientation générale du programme
d’études. Ceci contribuera à s’assurer qu’il y a
effectivement collaboration en ce qui concerne le
contenu et le processus d’apprentissage.
L’andragogie étant “la science et l’art de la formation
des adultes”. Le terme a été introduit pour distinguer
cette discipline de l’enseignement des enfants
(pédagogie) ; l’andragogie, “c’est la science et l’art
d’aider les étudiants dans leur apprentissage ainsi que
l’étude de la théorie et de la pratique de l’éducation
des adultes” [1, 2].
3. Participer à la détermination des propres besoins
éducatifs.
4. Encourager les étudiants à fixer leurs propres objectifs
d’apprentissage. Les étudiants sont ainsi incités à prendre
en charge leur propre apprentissage.
5. Inciter à identifier les ressources nécessaires et à mettre
au point des stratégies visant à les utiliser dans
l’accomplissement de leurs objectifs. Ce principe établit
le lien entre les besoins en apprentissage des adultes et
les ressources pratiques nécessaires pour atteindre les
objectifs. Il fournit aussi la motivation pour utiliser de
telles ressources en vue d'un but spécifique et bien
défini.
Legendre [3] précise qu’il s’agit “d’une science et d’une
pratique de l’aide éducative à l’apprentissage pour des
adultes dont la formation générale a été de courte
durée”.
Dès l’instant où nous prenons pour acquis que le mot
andragogie est le terme consacré à l’éducation des
adultes, nous pouvons accéder à une nouvelle
conceptualisation de l’éducation aux adultes. Nous ne
parlerons plus de méthodes pédagogiques “pour
adultes”, mais de méthodes andragogiques ! Nous
6. Mettre en application des projets d’apprentissage. L’un
des éléments-clés de la motivation est l’attente d'une
réussite. L’étudiant se décourage et perd sa motivation
si une tâche d’apprentissage est excessivement difficile.
Aussi, une trop grande pression sans l’appui
correspondant peut entraîner une diminution dans
l’apprentissage.
7. Impliquer les étudiants dans l’évaluation de leur propre
apprentissage. Ceci est un élément indispensable du
processus d’apprentissage auto-dirigé.
Correspondance : Dr. H. BOUFETTAL. 53, rue Allal Ben
Abdellah, 20000, Centre ville, Casablanca, Maroc.
E-mail : [email protected]
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Andragogie en médecine
H. BOUFETTAL et coll.
LES METHODES DE L’ANDRAGOGIE
constructivisme, théorie selon laquelle les connaissances
sont “construites” par la personne qui perçoit la réalité.
La théorie de l’apprentissage transformationnel définit
l’apprentissage comme étant un processus social au
moyen duquel on construit et on intériorise une
interprétation nouvelle ou modifiée du sens que l’on
donne à son expérience, pour servir éventuellement
de guide à l’action.
La réflexion critique et le discours rationnel sont les
principaux processus utilisés dans l’apprentissage. Un
étudiant ainsi habilité est en mesure de participer
pleinement et librement au discours critique et l’action
qui en résulte. Ceci exige la liberté et l’égalité, ainsi
que la capacité d’évaluer les preuves et de s’engager
dans une réflexion critique.
La réflexion est une notion clé au sein de la théorie de
l’apprentissage transformationnel. Il s’agit de l’évaluation
critique du contenu, du processus ou des prémisses
qui soutiennent les efforts de la personne en vue
d’interpréter et de donner une signification à son
expérience.
Trois sortes de réflexion peuvent être distinguées : la
réflexion sur le contenu, soit l’examen du contenu ou
de la description d’un problème ; la réflexion sur le
processus, soit l’examen des stratégies mises en œuvre
pour résoudre le problème ; et la réflexion sur les
prémisses, soit le fait de se poser des questions sur la
nature même du problème, ce qui peut entraîner
éventuellement une transformation du point de vue de
la personne.
Un apprentissage transformationnel bien réussi doit
remettre en question les hypothèses ou suppositions,
fournir l’appui d’autres personnes dans un
environnement en sécurité, poser un certain défi,
considérer des perspectives différentes et finalement
recevoir le feed-back des intervenants. Les nouvelles
suppositions sont mises à l’épreuve dans le monde
“réel” ou au cours de discussions avec les autres.
Crandall [6] en 1993 a offert les lignes directrices aux
éducateurs transformationnels (tableau II) :
1. La pratique réflective
La pratique réflective est fondée par Schön [5] en 1983.
Schön a stipulé que la théorie formelle, telle que celle
qui est inculquée au cours de la formation
professionnelle, est souvent inutile pour résoudre les
problèmes moins bien définis et indéterminés de la
pratique réelle. Selon lui, les connaissances
professionnelles (l’enseignement théorique) sont
directement liées à la compétence pratique et aux
activités professionnelles réelles.
Les professionnels développent autour de leurs secteurs
de compétence des “ zones de maîtrise ”, à l'intérieur
desquelles ils exercent leur profession d’une manière
“ automatique ”. Schön nomme cela le “ savoir en
action ”.
Deux sortes de réflexions sont alors déclenchées, soit
la “ réflexion en action ” et la “ réflexion sur action ”.
La réflexion en action, qui intervient tout de suite, est
la capacité d’apprendre continuellement en appliquant
les connaissances ou les compétences acquises au
cours d’expériences précédentes sur l’expérience
courante ou moins connue.
La réflexion en action comprend les trois étapes
suivantes : aborder de nouveau le problème sous
diverses perspectives nouvelles ; déterminer où le
problème se situe par rapport aux connaissances et
compétences existantes ; et comprendre les éléments
et les implications contenus dans le problème et sa
solution. Ces trois étapes peuvent intervenir
simultanément, en quelques secondes seulement ou
sur une période plus longue.
Dans la réflexion sur action, on pense à ce qui s’est
produit dans la situation déjà vécue, afin de déterminer
ce qui aura pu contribuer à entraîner l’événement
imprévu et comment cela pourra influencer la pratique
dans le futur.
Par les processus de la réflexion en action et de la
réflexion sur action, les professionnels modifient
continuellement la manière dont ils abordent les
problèmes, les solutions et les actions. Ils se forment
parmi leurs compétences une certaine sagesse face aux
nouvelles compréhensions et perspectives qu'ils
acquièrent grâce à la réflexion sur leurs expériences
courantes et du passé.
Crandall [6] en 1993 explique la valeur d’utiliser le
modèle de Schön pour venir à l’aide des étudiants. En
se fondant sur l’analyse d’entrevues avec des enseignants
cliniques, il fournit des preuves à l’appui des cinq
étapes de Schön employées par les professionnels, soit
le savoir en action, la surprise, la réflexion en action,
l’expérimentation et la réflexion sur action.
Tableau II. Les lignes d’apprentissage
transformationnel selon Crandall [6]
1. Promouvoir le discours rationnel.
2. Promouvoir une participation égale dans ce discours.
3. Encourager la prise de décision par les étudiants.
4. Encourager l’auto-réflexion critique.
5. Prendre en considération les individualités parmi
les étudiants.
6. Mettre en œuvre diverses stratégies d’enseignement
et d'apprentissage.
2. L’apprentissage transformationnel
3. L’andragogie médicale
La théorie de l’apprentissage transformationnel de
Mezirow [7], fondée en 1990, est basée sur le
Les éducateurs médicaux pourraient améliorer la
pratique de leur métier en étant conscients que :
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J Maroc Urol 2009 ; 15 : 6-9
pour la première fois au cours du processus
d'apprentissage (Barrows and Tamblyn, 1980). Un
programme du type APP se caractérise par une très
grande réduction du nombre d’heures passées en cours
traditionnels, dont le contrepoids est l’accroissement
du temps disponible pour les études auto-dirigées. Les
étudiants se rencontrent en petits groupes de travail
(normalement de 4 à 10 personnes) un certain nombre
de fois par semaine. Ces petits groupes de travail sont
guidés par un membre de la faculté et, les étudiants se
penchent sur la discussion d’un cas d’étude qui
représente un problème clinique. Pendant ces séances
d’étude, les étudiants identifient des points qu’ils ont
besoin d’apprendre (appelés points d’étude). Entre les
séances d’étude, les étudiants travaillent de manière
autonome ou en équipes, en vue d’acquérir les
connaissances appropriées leur permettant de poursuivre
le cas d’étude, qu’ils présentent alors à tout le groupe
[5, 9].
- Les étudiants sont des collaborateurs actifs dans le
processus d’enseignement, par le biais de leurs
interactions dans l’environnement de pratique.
- L’apprentissage est lié et intégré à la résolution et à
la compréhension de problèmes pratiques qui se
présentent dans le monde réel.
- Les connaissances et l’expérience préalables des
étudiants sont d’une importance cruciale dans le
processus d’apprentissage, dans la pratique et dans
l’acquisition de nouvelles perspectives.
- Les valeurs, les attitudes et les croyances des étudiants
ont une influence sur leur apprentissage et sur leurs
actions, et on devrait les examiner et les modifier au
besoin.
- Les étudiants sont munis d’une capacité d’autorégulation lorsqu’il s’agit de fixer des objectifs, de
planifier des stratégies et d'évaluer leurs progrès.
- La réflexion des étudiants sur leur rendement dans
la pratique est un élément crucial de l’apprentissage
auto-dirigé permanent qui doit continuer pendant
toute leur vie [7, 8].
La mise en application des principes et des méthodes
andragogiques en milieu universitaire donne des résultats
aussi exceptionnels qu’en milieu d’adultes en situation
d’apprentissage.
Nous comprendrions dès lors mieux l’importance pour
les formateurs et les intervenants auprès des adultes en
situation d’apprentissage de se familiariser avec ces
méthodes andragogiques. Ces méthodes propres à
l’enseignement aux adultes exigent qu’”enseigner” soit
autre chose que “communiquer un savoir”.
CONCLUSION
Avec l’institutionnalisation de la pédagogie médicale
comme une discipline et une science à part entière,
on assure le transfert de ces connaissances, de ce
message éducatif et scientifique dans des conditions
plus au moins standard, homogènes et reproductibles.
On amène l’apprenant à raisonner et à manager les
différentes situations selon une logique de progression:
les objectifs, les moyens, la méthode, le contrôle de la
procédure, les résultats et la lecture critique.
Enseigner, pour un formateur et un professeur de niveau
universitaire, c’est faire apprendre en apprenant ; c’est
un partage de savoir, savoir-faire, savoir-être, savoir
faire-faire, et savoir devenir.
Cette évolution dans la façon de concevoir le rôle et
les fonctions du formateur d’adultes exige, pour les
formateurs, une formation leur permettant d’apprivoiser
ces méthodes et ces principes andragogiques pour
ensuite être en mesure de les appliquer comme
intervenant.
C’est cette capacité qui rend la transmission du message
éducatif et scientifique très simple et assimilable dans
sa totalité par tel enseignant et pas par un autre. Cette
façon de faire, parfois entourée d’une passion et d’un
pouvoir admiratif, rend la relation enseignant-apprenant
particulière, caractérisée par une focalisation et une
assimilation totale des différents messages pédagogiques.
Elle peut même influencer des projets de spécialisation
voire des plans de carrière : l’apprenant, sous l’effet de
l’aura dominatrice de l’enseignant opte pour sa
spécialité.
Dans un premier temps, le formateur doit connaître les
caractéristiques de l’adulte apprenant :
Quels sont ses freins et ses motivations ? Qui est-il ?
Comment est-il ? Comment apprend-il ? Ensuite, il doit
connaître les conséquences et les exigences
andragogiques : comment se comporte l’adulte en
situation d’apprentissage ?
Enfin, le formateur doit être congruent avec ce qu’il
sait et ce qu’il dit, en adoptant les comportements
propres à un formateur d’adultes : c’est le transfert que
nous devons appliquer dans le “comment je tiens
compte de l’adulte en situation d’apprentissage dans
mes interventions”.
REFERENCES
Un exemple type de “méthode andragogique”
développé dans le monde médical est : “l’Apprentissage
Par Problème” (APP). Cet apprentissage résulte du
processus selon lequel on travaille à comprendre ou
à résoudre un problème donné. Le problème est présenté
-8-
1.
Robert W, Talbo T. Pédagogie ou andragogie médicale?
Rev Fr Pédag Méd 2003 ; 2 : 1-2.
2.
Knowles MS. Andragogy in action : applying modern
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Jossey-Bass.
3.
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Paris - Montréal, 1988.
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4.
Colliver JA. Educational theory and medical education
practice : a cautionary note for medical school faculty.
Acad Med 2002 ; 77 : 1217-20.
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Schön DA. Educating the reflective practitioner : toward
a new design for teaching and learning in the professions.
San Francisco 1987 : Jossey-Bass.
6.
Crandall S. How expert clinical educators teach what
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H. BOUFETTAL et coll.
-9-
7.
Mezirow J. Understanding tranformation theory. Adult
Educ Quart 1994 ; 44 : 222-44.
8.
Kaufman DM. Problem-based learning : using cases to
teach about how to deal with ethical problems. Nat
Counc Ethic Hum Res (NCEHR) 1998 ; 8 : 7-10.
9.
Parboosingh J. Learning portfolios : potential to assist
health professionals with self-directed learning. J
Continuing Educ Health Prof 1996 ; 16 : 75-81.
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