« radicale » et par les conservateurs, bonapartistes et royalistes de l’ « union des
droites », elle ne se trouve une majorité parlementaire, aux élections de 1885, que
dans la constitution d’un bloc de députés républicains « opportunistes ». Le mot veut
tout dire…
Pour renforcer l’adhésion populaire aux valeurs de la république, Jules Ferry,
démissionnaire justement en 1885 du fait des difficultés économiques au Tonkin,
avait, dès 1880 organisé l’école laïque, gratuite et obligatoire, s’attirant du même
coup l’hostilité des catholiques traditionalistes, puisqu’il avait retiré aux congrégations
religieuses leurs privilèges en matière d’enseignement.
D’autre part, dans un pays profondément meurtri par la défaite dans la guerre
de 1870-71 contre la Prusse, la république s’efforce de se doter d’une armée
moderne et crédible. Aux cadres aristocratiques traditionnels, je dirais aux cadres
d’ancien régime qui s’étaient perpétués à travers la restauration à la monarchie de
juillet, elle va s’efforcer de mêler des officiers républicains. Mais dans cette armée,
vouée à la conquête et à l’administration de colonies lointaines, la tentation vague du
pouvoir est associée à une méfiance chronique à l’égard des « politiciens » civils.
C’est dans ce contexte que s’explique l’ascension fulgurante d’un officier, au
demeurant assez médiocre, le général Boulanger, ministre de la guerre en 1886, très
populaire et rassemblant sur son nom les mécontents de tout poil. En 1889, il a les
moyens de tenter un coup d’état contre la république mais il tergiverse, perd la main
et doit s’enfuir sous la menace d’une arrestation avant de se suicider, de chagrin, sur
la tombe de sa maîtresse.
Le mécontentement latent qui avait tenté de s’organiser autour du « brave
général Boulanger » trouve un nouvel aliment dans le scandale de Panama qui
éclate en 1892. Afin de financer le percement du canal de Panama, Ferdinand de
Lesseps, qui avait déjà crée le canal de Suez, avait fondé la compagnie de Panama.
Cette compagnie avait entraîné un certain nombre de parlementaires dans des
spéculations hasardeuses dénoncées par la Libre parole, périodique antisémite
dirigé par Edouard Drumont. La droite nationaliste flétrit ces parlementaires en les
appelant les « chéquards », les « cent cinquante petits veaux » de la chambre qui
ont touché des pots de vins pour soutenir la compagnie en difficulté. La crise
financière se transforme ainsi en crise politique, et en scandale politique puisqu’il
apparaît qu’un certain nombre de parlementaires ont utilisé à des fins de profit
personnel leur mandat parlementaire.
Dans le même temps, l’activité terroriste des anarchistes est à son comble.
1892 : François Koenigstein, dit Ravachol, est arrêté mais, la veille de sa
comparution aux assises, ses amis font sauter le restaurant Véry où il avait été
appréhendé : deux morts. Le 24 juin 1894, à Lyon, le président de la république Sadi
Carnot est assassiné par l’anarchiste Caserio qui sera guillotiné le 6 août. Entre
temps, un autre anarchiste, Auguste Vaillant, avait lancé une bombe dans la
chambre des députés (2 décembre 1892). Cette agitation provoquera le vote de lois
de sûreté contre les anarchistes et sur la presse, qualifiées de lois scélérates par
l’opposition socialiste puisqu’elles visent à restreindre les libertés de la presse.
C’est aussi le moment où le premier congrès de la II° Internationale socialiste
décide, à Paris, en 1889, de célébrer chaque 1er mai une journée de lutte
internationale des travailleurs. Mais le 1er mai 1891, à Fourmies, dans le nord, la
manifestation ouvrière organisée par des grévistes se heurte à la troupe qui tire : 9
manifestants tués, une soixantaine de blessés, nombreuses arrestations.
De part et d’autre d’une représentation parlementaire peu convaincante, parce
que peu convaincue de sa propre légitimité et de l’intérêt qu’elle représente, des
forces antagonistes se manifestent ainsi de façon de plus en plus spectaculaire.