REVUE TRACÉS n° 4 – automne 2003
de puissance, comme c’est ma thèse – à supposer que nous puissions ramener
toutes les fonctions organiques à cette Volonté de puissance […] nous aurions
alors le droit de qualifier toute énergie agissante de Volonté de puissance.1
De la sorte, nous voyons que cette Volonté de puissance ne peut être
comprise comme une volonté au sens traditionnel, c’est-à-dire dans lequel
elle peut être ou non active, selon qu’elle se porte ou non sur un objet. La
Volonté de puissance est quant à elle toujours active, puisqu’elle est cette acti-
vité. L’alternative que Nietzsche met en évidence est alors celle-ci: soit assi-
miler la Volonté de puissance, la canaliser, ou tout du moins l’assumer et
alors être créateur, « force active» ; soit renoncer face à cette puissance, parce
qu’elle représente un trop plein d’énergie, en somme être incapable de l’as-
sumer et alors être esclave, «force réactive»
Ce sont ces deux concepts qui permettent à Nietzsche de radicaliser
l’interprétation. La force réactive est celle qui crée des valeurs en s’opposant
à un donné préexistant, de telle sorte qu’elle détermine une interprétation à
partir de ce donné, c’est-à-dire une interprétation seconde. Au contraire, la
force active est créatrice par elle-même de valeurs: c’est en elle qu’elle puise ce
qui a à devenir norme. Ainsi l’interprétation devient première, évaluation
active d’un fond donné qui, par là, se trouve orienté. Force active et force
réactive sont donc deux manières de se rapporter à la Volonté de puissance.
Ce choix, l’assumer ou y renoncer, voilà ce que Nietzsche appelle le «destin
de l’homme»
Tout corps au sein duquel les individus se traitent en égaux […] est ainsi
obligé, s’il est vivant et non pas moribond, de faire contre les autres corps tout
ce que les individus qui le composent s’abstiennent dans leurs relations réci-
proques: il devra être une Volonté de puissance incarnée: il voudra croître,
s’étendre, accaparer, dominer, non pas par moralité ou immoralité mais parce
qu’il vit et que la vie est Volonté de puissance.2
La vie est donc en son essence même Volonté de puissance. Mais il s’agit
de l’incarner, de la canaliser, de se faire fort d’elle, afin de créer de nouvelles
valeurs, non pas en supprimant, mais en surmontant les anciennes. Et le
moyen d’assumer ou de renoncer à la Volonté de puissance est l’interpréta-
1.Nietzsche, Par delà le Bien et le Mal, Paris, Gallimard, 1982, § 36.
2.Nietzsche, Par delà le Bien et le Mal, Paris, Gallimard, 1982, § 259.
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