36 ÉQUILIBRE NOVEMBRE 2009
G
aston Lagaffe est simplement
maladroit : la preuve, il peut
travailler (avec, il est vrai,
une conception très lympha-
tique du travail !). Celui qui
se prend systématiquement les pieds dans
les tapis, casse tout ce qu’il touche ou
marche systématiquement sur les pieds des
autres est logé à la même enseigne. La mala-
dresse est souvent due à un état de fatigue
ou de surmenage, voire à une mauvaise
acquisition des « bons gestes », mais pour
la plupart des maladroits, tout cela n’a
pas ou peu d’impact sur la vie de tous
les jours. De plus, généralement, il faut
savoir qu’il est possible de récupérer ces
acquis. « Souvenez-vous lorsque vous
avez dû manger pour la première fois avec
des baguettes : votre maladresse aurait
fait s’esclaffer des Asiatiques ! Avec un
peu d’entraînement et de bons conseils,
vous pouvez arriver petit à petit à vous
débrouiller », explique Caroline Lejeune,
chercheuse au département des sciences
cognitives à l’université de Liège.
Eternel recommencement
A côté de cet aspect plus amusant, il y a la
dyspraxie, qui est pour sa part un trouble
spécifique du geste présent dès l’enfance.
«Tout ce que touche l’enfant tombe, se
casse, se froisse, se salit, se déchire ; il
échoue dans les activités de découpage, de
collage, de coloriage et d’écriture. A la mai-
son, les difficultés apparaissent au cours de
l’habillage, des repas, de la toilette et peu-
vent ainsi créer une dépendance à l’adulte
et constituer une gêne sociale non négli-
geable. » L’enfant dyspraxique semble
en effet éprouver des difficultés à gérer la
force musculaire et le temps nécessaires
pour effectuer un geste. Par ailleurs, des
difficultés d’ordre visuo-spatial peuvent
également s’ajouter : l’enfant éprouve
alors des difficultés à situer les objets dans
l’espace ou à les positionner les uns par
rapport aux autres, etc. On comprend
dès lors que sa maladresse n’est plus
« banale ».
Les personnes maladroites
prêtent souvent à sourire.
Elles-mêmes rient de leurs
« écarts », d’ailleurs. Mais pour
certaines, cette maladresse est
un véritable calvaire... Celles-là
sont atteintes d’un trouble peu
connu appelé dyspraxie.
CARINE MAILLARD
PSYCHO
Gauche ou maladroit ?
MALADRESSE « BANALE » ET DYSPRAXIE
JPT
NOVEMBRE 2009 ÉQUILIBRE 37
De plus, l’apprentissage par l’entraînement
est laborieux : « L’enfant a beau répéter
encore et encore les mouvements, s’en-
trner, rien n’y fait : c’est comme si c’était
toujours la première fois. Et le même mou-
vement, le même geste demande toujours
autant de concentration et d’attention, il
ne s’automatise pas... » On comprend
donc que, contrairement à notre Gaston,
l’impact sur la vie quotidienne peut être
important, notamment sur la réussite
scolaire ou les gestes les plus quotidiens...
Mais qu’en est-il des causes ? « Dans cer-
tains cas, elles peuvent être lésionnelles,
comme la prématurité ou des causes neuro-
logiques identifiées ; on parle alors de
troubles praxiques lésionnels. Mais la dys-
praxie se retrouve aussi chez des enfants
sans antécédents ni problèmes neurolo-
giques identifiés. Dans ce cas, on parle de
dyspraxie développementale dont la cause
exacte reste à l’heure actuelle inconnue... »,
précise Caroline Lejeune.
Intelligents !
On estime que la dyspraxie touche 3 à 6%
d’enfants en âge scolaire, avec un ratio de
3 à 6 garçons pour une fille. Mais il ne
s’agit que d’estimations, car on ne s’inté-
resse que depuis très peu de temps à ce
trouble, qui est donc encore peu connu.
D’autant qu’il ne se remarque pas particu-
lièrement chez les tout-petits. Par contre, il
devient évident avec le passage à la mater-
nelle, là où le dessin et le bricolage pren-
nent une grande place. Avant, l’enfant peut
être simplement considéré comme malha-
bile. « Ces enfants dyspraxiques, indemnes
de paralysie ou de tout autre trouble
neuro-moteur, ont une intelligence tout à
fait normale ; ils parlent comme – voire
mieux – que les autres. C’est donc dans les
gestes et les activités manuelles que les pro-
blèmes se posent : boutonner leur chemise,
attacher leurs lacets, monter la tirette de
leur manteau, découper une image, mani-
puler des objets, écrire correctement,
reproduire des dessins, etc. Les signes
d’appel sont donc, le plus souvent la mala-
dresse, le retard graphique et la dysgraphie
(difficultés à écrire). C’est pour cela qu’il
faut rester attentif à des lacunes dans le
maniement des crayons ou des jouets à
empiler, par exemple. » Mais attention :
face à un enfant qui éprouve des difficultés
en classes maternelles, il n’est pas toujours
nécessaire de consulter un neuropsycho-
logue, un ergothérapeute spécialisé ou un
psychomotricien, car les habiletés peuvent
encore s’automatiser. Ce n’est donc pas
parce qu’un jeune enfant ne dessine pas
bien qu’il faut soupçonner d’emblée une
dyspraxie ! Par contre, si le trouble persiste
et semble freiner l’enfant dans ses appren-
tissages et son autonomie, la consultation
est conseillée.
Diagnostic difficile
Hélas, la méconnaissance de ce trouble se
répercute sur une détection insuffisante,
notamment par la médecine scolaire. Le
plus souvent, les parents sont alertés par les
enseignants qui constatent les lacunes de
l’enfant. Généralement, ce sont les tests de fin
de 3è maternelle qui les mettent en avant,
par rapport à des aptitudes censées être
acquises, comme écrire facilement son pré-
nom ou reproduire un dessin... Alors seule-
ment, les parents peuvent faire le rappro-
chement avec des maladresses de l’enfant à
la maison et consulter des spécialistes.
«Le diagnostic est difficile ; il n’existe pas
de tests spécifiques, mais une batterie de
tests neuropsychologiques et ergothéra-
peutiques. Ainsi, après une mesure de QI
pour éliminer les cas de retard mental, on
voit si l’enfant n’a des faiblesses que sur le
plan moteur et visuel, ou s’il en a aussi sur
le plan verbal. Ensuite, on lui donne des
tests de dessin, d’écriture, de reproduction
de modèles en 3 dimensions avec des
cubes, des figures géométrique à repro-
duire, des exercices pour voir s’il peut se
repérer dans l’espace comme repérer
l’orientation d’une flèche disposée sur une
feuille ou suivre une ligne de lecture...
Enfin, nous procédons à des épreuves d’at-
tention et de mémoire afin de déterminer
s’il y a des difficultés autres que gestuelles
et visuo-spatiales. »
Mais cette consultation arrive souvent
bien tard : par méconnaissance, les parents
peuvent longtemps errer d’une consulta-
tion à l’autre, d’autant plus si l’enfant
présente d’autres troubles comme ceux de
l’attention, du langage ou de la lecture. Et il
n’existe aucun centre de référence spécia-
lisé... « J’ai malheureusement l’impression
que globalement, les enfants dyspraxiques
ne sont pas bien diagnostiqués ; il est alors
difficile de savoir quel devient leur par-
cours de vie. »
A tâtons
Et même si le diagnostic est posé, le pro-
blème de la prise en charge reste entier...
«Naguère, on pensait que les choses ren-
traient dans l’ordre à l’adolescence. Mais
il semble que ce ne soit pas le cas, malgré
le peu d’études longitudinales menées.
Il semble qu’une moitié seulement verrait
ses troubles s’atténuer. » Malgré tout, il
n’existe aucune ligne directrice claire pour
la prise en charge spécifique de ces enfants.
«La psychomotricité peut aider sur le plan
gestuel, de même que l’ergothérapie spécia-
lisée. On y va à tâtonnements, en essayant
diverses petites techniques qui semblent
aider les dyspraxiques. Par exemple, des
rééducations du graphisme sont parfois
proposées, surtout si l’enfant est jeune. Les
techniques les plus courantes utilisent la
verbalisation (« pour former un ’l’, je
monte, puis j’effectue une courbe vers la
gauche pour redescendre »). Lorsque le
trouble du graphisme est trop important,
on peut mettre en place l’écriture via l’ordi-
nateur mais tout cela se fait bien sûr au cas
par cas. Pour pallier les difficultés en lec-
ture et arithmétiques (chez des enfants qui
ont des troubles visuo-spatiaux), on peut
donner des stratégies pour éviter les diffi-
cultés, comme placer une latte sous la
ligne à lire pour éviter les sauts de ligne ou
poser les opérations mathématiques dans
des colonnes. Les driller à l’écriture ? Je ne
suis pas certaine que cela les aide : reco-
pier cinq fois avec beaucoup de difficulté
peut les démotiver ; par contre, une seule
fois correctement, c’est plus valorisant.
A ma connaissance, aucune étude scienti-
fique n’a jamais montré que le ’drill’ amé-
liore leur écriture... Cela me semble plus
judicieux de contourner les difficultés en
utilisant le support verbal par exemple. »
Et selon les cas, la réussite de ces tech-
niques variera...
On comprend que pour ces enfants, rester
dans l’enseignement non-spécialisé peut
être difficile si les enseignants ne sont
pas compréhensifs. Mais ces enfants à
l’intelligence normale y ont néanmoins
leur place.
PSYCHO
Contrairement à
la maladresse, la
dyspraxie est un
trouble spécifique
du geste.
1 / 2 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !