MALADRESSE « BANALE » ET DYSPRAXIE Les personnes maladroites prêtent souvent à sourire. Elles-mêmes rient de leurs « écarts », d’ailleurs. Mais pour certaines, cette maladresse est un véritable calvaire... Celles-là sont atteintes d’un trouble peu connu appelé dyspraxie. CARINE MAILLARD G aston Lagaffe est simplement maladroit : la preuve, il peut travailler (avec, il est vrai, une conception très lymphatique du travail !). Celui qui se prend systématiquement les pieds dans les tapis, casse tout ce qu’il touche ou marche systématiquement sur les pieds des autres est logé à la même enseigne. La maladresse est souvent due à un état de fatigue ou de surmenage, voire à une mauvaise acquisition des « bons gestes », mais pour la plupart des maladroits, tout cela n’a pas ou peu d’impact sur la vie de tous les jours. De plus, généralement, il faut savoir qu’il est possible de récupérer ces acquis. « Souvenez-vous lorsque vous avez dû manger pour la première fois avec des baguettes : votre maladresse aurait fait s’esclaffer des Asiatiques ! Avec un peu d’entraînement et de bons conseils, vous pouvez arriver petit à petit à vous débrouiller », explique Caroline Lejeune, chercheuse au département des sciences cognitives à l’université de Liège. JPT PSYCHO Gauche ou maladroit ? Eternel recommencement A côté de cet aspect plus amusant, il y a la dyspraxie, qui est pour sa part un trouble spécifique du geste présent dès l’enfance. « Tout ce que touche l’enfant tombe, se casse, se froisse, se salit, se déchire ; il échoue dans les activités de découpage, de collage, de coloriage et d’écriture. A la maison, les difficultés apparaissent au cours de l’habillage, des repas, de la toilette et peuvent ainsi créer une dépendance à l’adulte 36 ÉQUILIBRE NOVEMBRE 2009 et constituer une gêne sociale non négligeable. » L’enfant dyspraxique semble en effet éprouver des difficultés à gérer la force musculaire et le temps nécessaires pour effectuer un geste. Par ailleurs, des difficultés d’ordre visuo-spatial peuvent également s’ajouter : l’enfant éprouve alors des difficultés à situer les objets dans l’espace ou à les positionner les uns par rapport aux autres, etc. On comprend dès lors que sa maladresse n’est plus « banale ». Intelligents ! On estime que la dyspraxie touche 3 à 6% d’enfants en âge scolaire, avec un ratio de 3 à 6 garçons pour une fille. Mais il ne s’agit que d’estimations, car on ne s’intéresse que depuis très peu de temps à ce trouble, qui est donc encore peu connu. D’autant qu’il ne se remarque pas particulièrement chez les tout-petits. Par contre, il devient évident avec le passage à la maternelle, là où le dessin et le bricolage prennent une grande place. Avant, l’enfant peut être simplement considéré comme malhabile. « Ces enfants dyspraxiques, indemnes de paralysie ou de tout autre trouble neuro-moteur, ont une intelligence tout à fait normale ; ils parlent comme – voire mieux – que les autres. C’est donc dans les gestes et les activités manuelles que les problèmes se posent : boutonner leur chemise, attacher leurs lacets, monter la tirette de leur manteau, découper une image, manipuler des objets, écrire correctement, reproduire des dessins, etc. Les signes d’appel sont donc, le plus souvent la maladresse, le retard graphique et la dysgraphie (difficultés à écrire). C’est pour cela qu’il faut rester attentif à des lacunes dans le maniement des crayons ou des jouets à empiler, par exemple. » Mais attention : face à un enfant qui éprouve des difficultés en classes maternelles, il n’est pas toujours nécessaire de consulter un neuropsychologue, un ergothérapeute spécialisé ou un psychomotricien, car les habiletés peuvent encore s’automatiser. Ce n’est donc pas parce qu’un jeune enfant ne dessine pas bien qu’il faut soupçonner d’emblée une dyspraxie ! Par contre, si le trouble persiste et semble freiner l’enfant dans ses apprentissages et son autonomie, la consultation est conseillée. l’attention, du langage ou de la lecture. Et il n’existe aucun centre de référence spécialisé... « J’ai malheureusement l’impression que globalement, les enfants dyspraxiques ne sont pas bien diagnostiqués ; il est alors difficile de savoir quel devient leur parcours de vie. » A tâtons Diagnostic difficile Hélas, la méconnaissance de ce trouble se répercute sur une détection insuffisante, notamment par la médecine scolaire. Le plus souvent, les parents sont alertés par les enseignants qui constatent les lacunes de l’enfant. Généralement, ce sont les tests de fin de 3è maternelle qui les mettent en avant, par rapport à des aptitudes censées être acquises, comme écrire facilement son prénom ou reproduire un dessin... Alors seulement, les parents peuvent faire le rapprochement avec des maladresses de l’enfant à la maison et consulter des spécialistes. Contrairement à la maladresse, la dyspraxie est un trouble spécifique du geste. « Le diagnostic est difficile ; il n’existe pas de tests spécifiques, mais une batterie de tests neuropsychologiques et ergothérapeutiques. Ainsi, après une mesure de QI pour éliminer les cas de retard mental, on voit si l’enfant n’a des faiblesses que sur le plan moteur et visuel, ou s’il en a aussi sur le plan verbal. Ensuite, on lui donne des tests de dessin, d’écriture, de reproduction de modèles en 3 dimensions avec des cubes, des figures géométrique à reproduire, des exercices pour voir s’il peut se repérer dans l’espace comme repérer l’orientation d’une flèche disposée sur une feuille ou suivre une ligne de lecture... Enfin, nous procédons à des épreuves d’attention et de mémoire afin de déterminer s’il y a des difficultés autres que gestuelles et visuo-spatiales. » Mais cette consultation arrive souvent bien tard : par méconnaissance, les parents peuvent longtemps errer d’une consultation à l’autre, d’autant plus si l’enfant présente d’autres troubles comme ceux de Et même si le diagnostic est posé, le problème de la prise en charge reste entier... « Naguère, on pensait que les choses rentraient dans l’ordre à l’adolescence. Mais il semble que ce ne soit pas le cas, malgré le peu d’études longitudinales menées. Il semble qu’une moitié seulement verrait ses troubles s’atténuer. » Malgré tout, il n’existe aucune ligne directrice claire pour la prise en charge spécifique de ces enfants. « La psychomotricité peut aider sur le plan gestuel, de même que l’ergothérapie spécialisée. On y va à tâtonnements, en essayant diverses petites techniques qui semblent aider les dyspraxiques. Par exemple, des rééducations du graphisme sont parfois proposées, surtout si l’enfant est jeune. Les techniques les plus courantes utilisent la verbalisation (« pour former un ’l’, je monte, puis j’effectue une courbe vers la gauche pour redescendre »). Lorsque le trouble du graphisme est trop important, on peut mettre en place l’écriture via l’ordinateur mais tout cela se fait bien sûr au cas par cas. Pour pallier les difficultés en lecture et arithmétiques (chez des enfants qui ont des troubles visuo-spatiaux), on peut donner des stratégies pour éviter les difficultés, comme placer une latte sous la ligne à lire pour éviter les sauts de ligne ou poser les opérations mathématiques dans des colonnes. Les driller à l’écriture ? Je ne suis pas certaine que cela les aide : recopier cinq fois avec beaucoup de difficulté peut les démotiver ; par contre, une seule fois correctement, c’est plus valorisant. A ma connaissance, aucune étude scientifique n’a jamais montré que le ’drill’ améliore leur écriture... Cela me semble plus judicieux de contourner les difficultés en utilisant le support verbal par exemple. » Et selon les cas, la réussite de ces techniques variera... On comprend que pour ces enfants, rester dans l’enseignement non-spécialisé peut être difficile si les enseignants ne sont pas compréhensifs. Mais ces enfants à l’intelligence normale y ont néanmoins leur place. NOVEMBRE 2009 ÉQUILIBRE 37 PSYCHO De plus, l’apprentissage par l’entraînement est laborieux : « L’enfant a beau répéter encore et encore les mouvements, s’entraîner, rien n’y fait : c’est comme si c’était toujours la première fois. Et le même mouvement, le même geste demande toujours autant de concentration et d’attention, il ne s’automatise pas... » On comprend donc que, contrairement à notre Gaston, l’impact sur la vie quotidienne peut être important, notamment sur la réussite scolaire ou les gestes les plus quotidiens... Mais qu’en est-il des causes ? « Dans certains cas, elles peuvent être lésionnelles, comme la prématurité ou des causes neurologiques identifiées ; on parle alors de troubles praxiques lésionnels. Mais la dyspraxie se retrouve aussi chez des enfants sans antécédents ni problèmes neurologiques identifiés. Dans ce cas, on parle de dyspraxie développementale dont la cause exacte reste à l’heure actuelle inconnue... », précise Caroline Lejeune.