Thème du mois
24 La Viconomique Revue de politique économique 3-2014
La définitiondes fluctuations conjonctu-
relles voluédans le temps et il n’existepas
àcesujetdeconcept généralement admis. Si
la représentationtraditionnellecomparedes
cycles plus ou moins longs, les économistes
modernes parlent de «fluctuations» plutôt
quedecycles. Leur longueur est un para-
mètre important, qu’il fautsereprésenter
comme une donnée nonpas fixe, mais va-
riable. Dans les années trente,l’économiste
Ragnar Frischavaitcomparé ce phénomène
au mouvement d’un pendule soumis àdes
chocserratiques1.Sil’ons’entient àladéfini-
tion donnée par le NBER2,lalongueur
moyenne d’un cycleconjoncturel américain
–qui correspondtoujoursàl’écartentre les
points d’inflexionsupérieurs–aéde 69–
70 ans dans la période 1945–2009. Le cyclele
plus courtaéde 18 mois (janvier 1980 –
juillet1981) et le plus long de 128 mois (juil-
let1990 –mars2001).
Quelle estlalongueur d’un
cycle conjoncturel en Suisse?
Si l’oncomparelavariationdes parts de
variancedes cycles de Juglar (7–10 ans) et
de Kitchin (3–5 ans) dans la composante
cyclique du PIBréelde27paysdel’OCDE
incluant la Suisse (pour la période 1970–
2012), on est frappé par le fait quedans le
corpsdedonnées, les parts de variance
connaissent une forte dispersionsur ces
pays3.Ilest donc impossible de parlerpour
cettepériode d’un cyclecollectif caractéris-
tique. L’écartinterquartile varie de 25%; on
ne distingue aucune tendancecommune
claire(voir graphique 1)4.
Pour la Suisse, la structurecyclique se dis-
tingue nettementdecelle desautrespaysde
l’OCDE, sauf surunpetitnombred’années.
Avant 1995, la partdevarianceducycle de
Juglar se situe plutôt dans la partieinférieure
de la distribution(àl’exception de 1978,
1979 et 1980), alors quede1996 à2008, elle
dépasse nettementlapartiesupérieuredu
quartile. L’évolutiondelapartdevariance
présenteune symétrieinversedans le cycle
de Kitchin. En d’autres termes, la longueur
du cyclesuisse se modifie avecletemps:
avant 1995, le cyclede7à10ans amoins
d’incidence surlastructurecyclique du PIB
helvétique qu’après cettedate. La partdeva-
riancecommenceàaugmenter dès 1985, ce
quisembletroptardif pour pouvoirlierle
phénomène àlgrandedépression» (suisse)
identifiée par KehoeetPrescott(2002) pour la
période 1974–2000. Depuis 2008, il semble
quelecycle long perdeànouveau de sonim-
portanceetque le cyclecourtdomine. Cette
remarquevaugalement si l’oncomparela
Suisse aux autres pays de l’OCDE, ce qui
s’explique par le fait qu’ellesoitsortierelati-
vement vite de la crise actuelle.
Dans quelle mesureles cycles
sont-ils synchrones?
La natured’autres régularités empiriques
importantes dans les fluctuations conjonctu-
relles s’est également modifiée. Pour une pe-
tite économie ouverte, comme celledela
Suisse, sondegde sensibilité au climat
conjoncturel international, quireflèteson
degréd’interpénétration internationale et le
potentieldesynchronisationdes fluctuations
conjoncturelles quilui est associé, est un élé-
ment important: si la connexité donne une
idée du degréd’interdépendanceinternatio-
nale, la synchronisationindique dans quelle
mesureles points d’inflexionsupérieurset
inférieursducycle sont atteints simultané-
ment.
Si l’oncompareavecles troisprincipaux
pays voisins de la Suisse et les États-Unis sur
les périodes1922–1939, 1960–1980 et 1980–
2000, on voit quelacorrélationn’est pas par-
ticulièrementprononcée et qu’elleamême
plutôt diminué, exceptionfaitedel’Alle-
magne. Tout au long du XXesiècle, le syn-
chronisme s’est accentué par rapportau
cycleconjoncturel français, mais est resté à
peuprès constant par rapportaucycle alle-
mand. La concordanceavecles cycles italien
Les spécificités des fluctuations conjoncturelles ont-elles changé?
La longue période de développe-
ment économique relativement
stable quiadébutédans le milieu
des années quatre-vingt, la
«Grande Modération»,anourri les
attentes de nombreux écono-
mistesqui pensaient queles à-
coups de la conjonctureapparte-
naient au passé. La crise finan-
cièrede2008/2009 et l’instabili-
économique quelemonde subit
depuis lorsont montréque ce
point de vue était trop optimiste.
On se demande, dès lors, plutôtsi
les cycles économiques se modi-
fient dans le tempsetcomment.
Il faut pour cela tenir comptede
différents critères, comme la lon-
gueur des cycles ou la synchroni-
sation conjoncturelle avec les
autres pays.Cedernier point est
essentiel pour une petitcono-
mie ouverte,comme la Suisse.
PrUlrichWoitek
Institut d’économie poli-
tique de l’universitéde
Zurich
Thème du mois
25 La Viconomique Revue de politique économique 3-2014
Dans un expoprononcé le 20 février
2004 àl’EasternEconomics Association, le
futur présidentdelaRéservefédérale améri-
caine (Fed)Ben Bernankeavaitmention
troisfacteurssusceptibles d’expliquerladi-
minutiondelavolatilité:
–lechangementstructurel,par exemple
une modificationdes conditions-cadres
ou le progrès technique;
–une politique macroéconomique plus
adaptée, notamment la politique moné-
taire;
–lachance: chocconomiques moins fré-
quents et moins gravespendant cettepé-
riode.
Comme il faisait partieàl’époque du
Conseil desgouverneurs de la Fed, on peut
comprendreque BenBernankeait écarté la
thèse de la chancedans sonallocutionetat-
tribué la GrandeModérationàune politique
monétaireplusefficace.Ilexistecertesdans
la littératureunconsensus favorableaurôle
de la politique monétairedans la diminution
de la volatilité de l’inflation, mais celledela
volatilité de l’écartdeproductions’explique
plutôt, semble-t-il, par le facteuchance».
et étasunien, la moins prononcée, s’est affai-
blie jusqu’en 1980 pour s’accentuerànou-
veau quelquepeu entre1980 et 20005.
Le synchronisme passablement marqué
quel’onobservesur la période 1922–1939
s’explique certainement par le fait quela
GrandeDépressionavaittouché tous les
pays.Ilyeut cependant desdifférencesdans
l’ampleur de la contractionconjoncturelle
comme surleplan desmesures de politique
économique quifurentprises. Ainsi, la
FranceetlaSuisse –demême queles autres
pays du bloc or –secramponnèrentàl’éta-
lon-or, ce quirepoussaà1936 la sortie de la
dépressionqui avait débutéen1933 au ni-
veau international. L’affaiblissement récent
du degrédecorrélationest dû àdes diffé-
rences nées de la diversificationgéogra-
phique desexportations suisses et de la spé-
cialisationaccruedel’économie, favorisée
par les progrès de la divisioninternationale
du travail6.
Est-ce un pur hasardsilavolatilité
était plus faible avant la crise?
La volatilité, autrementdit l’ampleur des
mouvements cycliques, est une autrecaracté-
ristique importanted’un cyclconomique.
Surl’ensemble du XXesiècle, la volatilité des
taux de croissanceduPIB de la Suisse asen-
siblement diminué. La période séparant le
milieudes années quatre-vingt et le début de
la crise financièreest appelée GrandeModé-
ration («Great Moderation»). Durant ce laps
de temps, la volatilité de l’inflationetde
l’écartdeproductionadiminué.
1Zarnowitz (1992) offreunaperçu de la théorie et de
l’histoiredes fluctuations conjoncturelles.
2Internet: www.nber.org/cycles/cyclesmain.html.
3Australie, Autriche, Belgique, Canada, Danemark, Fin-
lande, France, Allemagne, Grèce, Irlande, Islande, Is-
raël, Italie, Japon, Corée, Luxembourg, Mexique, Pays-
Bas, Nouvelle-Zélande, Norvège, Portugal, Espagne,
Suède, Suisse, Turquie, Grande-Bretagne, États-Unis. Le
critèredesélection des pays retenus pour l’enquête est
la disponibilitédes données depuis 1970.
4Pour une explication de la méthode et pour des fé-
rences complémentaires, cf. annexe A.1.3sur Müller et
Woitek (2012).
5Müller et Woitek (2012), pp. 143–145, 158–160.
6Müller et Woitek (2012), p. 160.
7Müller et Woitek (2012), p. 133.
Encadré1
Bibliographie
–Kehoe T. J. et Prescott E. C., «Great Depres-
sions of the20thCentury», ReviewofEcono-
mic Dynamics, 5, 2002, pp. 1–18.
–Müller M. et Woitek U.Wohlstand, Wachs-
tum und Konjunktur», dans P. Halbeisen,
M. Müller et B. Veyrassat (éd.), Histoirco-
nomique de la Suisse au XXesiècle, ch.1.1,
pp. 91–222, Bâle, 2012d. Schwabe.
–Zarnowitz V., Business Cycles. Theory, Histo-
ry,Indicators, and Forecasting, Chicago,
Londres, 1992,University of Chicago Press.
Part de la variance (en %)
Suisse Médiane de 26 pays de l’OCDE
0.8
0.7
0.6
0.5
0.4
0.3
0.2
0.1
0.0
1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010
Suisse Médiane de 26 pays de l’OCDE
Part de la variance (en %)
0.5
0.45
0.4
0.35
0.3
0.25
0.2
0.15
0.1
0.05
0.0
1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010
Source: OCDE /LaVie économiqueRemarque: cycle Juglar:7–10ans; cycle Kitchin: 3–5 ans.
Les lignes verticales relient les quartiles inférieur et
supérieur.
Graphique 1
Part de la variance, cycles de Juglar et de Kitchin, 1975–2012
Cycle de Juglar Cycle de Kitchin
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