Pour un philosophie du plaisir ?
laquelle l'individu ne pourrait que s'incliner, apeuré, sûr de n'être pas le maître de sa destinée, prêt à se soumettre
sans révolte à tout pouvoir qui s'autorise de la religion.
Pour Epicure, il s'agit au contraire de démystifier les croyances et les superstitions pour nous permettre de nous
réapproprier notre liberté. Par exemple, si l'on voit dans le tonnerre un mouvement de particules, on ne pourra plus
s'angoisser à l'idée que c'est un dieu vengeur décidant avec caprice de notre destin. Purifier l'univers en séparant le
divin du physique, voilà bien la seule manière d'offrir à l'humanité le tableau d'un univers limpide où les dieux ne
parlent plus, - ce que d'ailleurs réalisera de nouveau la science galiléenne bien des siècles après. Tout ce qui se
passe dans le monde découle d'une nécessité mécanique. Par conséquent, selon Epicure, aussi terrible que pourrait
être une catastrophe naturelle, il ne faudrait surtout pas y chercher la moindre agressivité à notre encontre. Les dieux
ne se préoccupent pas de nous, ils sont totalement étrangers à ce monde, ils n'y interviennent jamais.
Deuxième objectif, découlant directement du premier : aider les hommes à trouver le bonheur, c'est avant tout leur
assurer la paix de l'âme plus connue sous le concept épicurien d'Ataraxie, dont le point central est le refus de
s'asservir à quoi que ce soit. Donc pour conquérir le bonheur, il va nous falloir nous faire une idée juste de la nature
au sein de laquelle nous vivons, et de ses lois qui la régissent.
Mais échapper à l'asservissement, ça veut également dire pour Epicure, ne pas devenir dépendant d'un plaisir, car
ce serait devenir vulnérable au-dehors, exposer son bonheur et sa paix intérieure à une privation. D'où cette volonté
de mettre un obstacle à des craintes essentielles qui nous empêchent d'être heureux.
La mort de nos jours est bannie de nos sociétés contemporaines. On enterre nos morts loin des villes. La mort
effraie. Dans une société consumériste, individualiste comme la notre, la mort fait fuir les esprits, car beaucoup trop
focalisés sur leur propre existence, ils sont incapables de calmer leur angoisse de la mort en pensant la pérennité du
groupe au-delà de leur propre disparition, puisque le groupe n'a aucun sens pour des ego hypertrophiés. Du temps
d'Epicure, la mort faisait déjà peur. Elle n'est pourtant pas à craindre nous apprend-il. Redouter la mort équivaut à
demeurer dans une inquiétude vaine : « la mort n'est rien pour nous, puisque tout bien et tout mal résident dans la
sensation, et que la mort est l'éradication de nos sensations. Dès lors, la juste prise de conscience que la mort ne
nous est rien autorise à jouir du caractère mortel de la vie : non pas en lui conférant une durée infinie, mais en
l'amputant du désir d'immortalité », écrit-il. Tant que nous sommes vivants, la mort ne nous concerne pas ; au
moment de notre mort, nous ne serons plus là pour y penser, en conséquence elle ne nous concernera pas non plus
: la mort n'est rien, elle n'est pas à craindre. CQFD.
De ce fait, pour Epicure, le sage est le plus heureux des hommes, car il ne craint rien : ni la fin du monde, ni la mort,
ni les dieux. Cette ataraxie du sage qui s'accompagne de joie et de plaisir, est là encore un très bon enseignement
pour nous modernes : car nous apprend Epicure, le plaisir doit être stable, et non en mouvement perpétuel.
Aujourd'hui, le plaisir est un mouvement sans fin, fatiguant, éreintant, angoissant, et tout cela est dû à une
hypertrophie des désirs, suscitée par les publicités, les sollicitations incessantes à une surconsommation de produits
inutiles, sollicitations extérieures et permanentes à chercher des plaisirs qui ne sont ni naturels ni nécessaires.
Qu'est-ce que la norme marchande nous dicte de façon explicite : « jouissez sans entraves ! » Qu'est-ce qu'Epicure
pourrait répondre à une telle injonction ? Que le goût des richesses, le goût de la gloire, l'excitation des besoins
relèvent de désirs non nécessaires, au sens de non naturels, et qu'il serait vain de les poursuivre, car nous céderions
alors la conduite de notre destinée à des forces extérieures aux nôtres. Qui nous accorde la gloire ? Les autres ! Qui
nous la ôte ? Les autres encore ? La richesse ne se réduit-elle pas finalement à un simple accident ? Puis-je être
assuré d'être riche durant toute ma vie ? Bien sûr que non ! Voilà pourquoi le sage d'Epicure se doit de ne jamais
poursuivre ce type de désirs s'il souhaite conserver sa paix et son bonheur. Le désir n'est pas stable. Il est
métabolique. Ouvrant un champ indéfini à l'imagination et au rêve, lorsque le désir vise à satisfaire un illusoire besoin
de possession, il obéit à une logique d'appropriation et de consommation qui n'est plus celle du désir authentique,
c'est-à-dire le désir naturel selon Epicure. Le désir consumériste aujourd'hui, ressemble plus à un désir
d'appropriation des objets, voire de leur destruction, et dans un autre cas, tend à n'être que désir du désir de l'autre,
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