Mini-revue Sang Thrombose Vaisseaux 2006 ; 18, n° 3 : 136-48 La conduite du sevrage tabagique Philippe Guichenez*,1, Jean Perriot2, Patrick Dupont3, Jean-Luc Reny4, Isabelle Clauzel1, Charly Cungi5, Anne-Marie Clauzel6 1 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Centre de tabacologie, centre hospitalier, 2 rue Valentin Haüy, 34525 Béziers cedex <[email protected]> 2 Dispensaire Emile Roux, 11 rue Vaucanson, 63100 Clermont-Ferrand 3 Centre de Tabacologie, hôpital A. Chenevier, 94000 Créteil 4 Département de médecine interne, centre hospitalier, 2 rue Valentin Haüy, 34525 Béziers cedex 5 Psychiatre, 10 rue Gantin, 74150 Rumilly 6 Association « Vivre sans fumer », 109 rue Marc Rigal, 34070 Montpellier La prise en charge du tabagisme a récemment progressé du fait d’une meilleure connaissance des mécanismes neuropsychopharmacologiques de la dépendance tabagique, de l’optimisation de la prescription des traitements médicamenteux et d’une meilleure codification des modalités de la prise en charge globale. La place des substituts nicotiniques est optimisée avec l’association possible de plusieurs substituts en cas de forte dépendance et la réduction de la consommation dans une démarche d’arrêt ultérieur. Le bupropion et les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine ont trouvé leur place dans la stratégie thérapeutique. L’apport des thérapies comportementales et cognitives (TCC ) est essentiel dans le cadre de l’augmentation de la motivation, de l’analyse fonctionnelle permettant de proposer des stratégies comportementales et cognitives personnalisées. De même, les TCC sont un plus dans la prévention de la rechute qui est la règle en cas de tabagisme. De nouvelles molécules vont venir enrichir l’arsenal thérapeutique pour améliorer encore la prise en charge souvent difficile des candidats au sevrage tabagique. Mots clés : sevrage, motivation, trouble anxiodépressif, substitution nicotinique, bupropion, thérapie comportementale et cognitive T Correspondance et tirés à part : P. Guichenez 136 oute dépendance résulte de la rencontre entre une substance aux effets psycho-actifs, un individu ayant une vulnérabilité personnelle et un environnement socioculturel. Tout comportement est un savoir acquis (appris), organisé (renforcé) et entretenu (maintenu) en fonction de son utilité perçue par le fumeur [1, 2]. L’utilisation prolongée du tabac résulte d’un apprentissage renforcé par deux types de mécanismes positifs et négatifs. Renforcements positifs : les effets psycho-actifs de la nicotine sont à l’origine des sensations bien décrites par les fumeurs : plaisir, détente, stimulation intellectuelle, effets thymorégulateurs. Le fumeur cherchera ces effets en reproduisant son comportement. STV, vol. 18, n° 3, mars 2006 Évaluation d’un candidat au sevrage Prochaska et Di-Clemente ont étudié les facteurs en jeu à l’arrêt du tabac et ont proposé un modèle de changement transthéorique qui décrit les étapes et les processus naturels par lesquels passe tout fumeur avant l’arrêt complet [3]. Ils ont décrit un cycle comprenant plusieurs phases (figure 1). – La phase de préintention (précontemplation) : le fumeur est dit « heureux », il ne se pose pas de question à propos de son tabagisme. Il n’y a pas de démarche de changement vis-à-vis de cet état et il existe de nombreuses résistances. – La phase d’intention (contemplation) : le fumeur est indécis, il se pose des questions sur son comportement tabagique, tout en reconnaissant son problème. Ce n’est pas le moment pour arrêter de fumer. À cette étape, le fumeur est ambivalent : il voudrait continuer à fumer, tout en évitant les risques associés. – La phase de préparation : le fumeur envisage l’arrêt et étudie les moyens d’y parvenir avec ou sans aide extérieure. Il va dépasser son ambivalence et prendre une décision. – La phase d’action : arrêt avec mise en place d’un nouveau comportement ; l’individu a pris confiance en ses capacités à réussir un sevrage. Son ambivalence vis-à-vis Où se situe le désir de changement ? Prochaska et Di Clemente 1. Précontemplation : je n’ai aucun problème 6 Rechute 2. Contemplation : j’ai un problème, je ne suis pas prêt à m’en occuper, mais je récolte des informations 1 Précontemplation 3. Décision : je veux résoudre mon problème et je cherche une stratégie 2 Contemplation 5 Consolidation 4 Action 3 Décision Motivation Thérapeutique Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Renforcements négatifs : ils s’installent rapidement (entre quelques dizaines de minutes et quelques heures d’abstinence) et sont constitués de sensations désagréables dues au manque de nicotine : irritabilité, colère, troubles de concentration ou humeur dépressive. Ces effets désagréables disparaissent rapidement après quelques bouffées d’une cigarette. Trois types de dépendance peuvent être décrits : – la dépendance comportementale, liée à la pression et aux interactions sociales ; – la dépendance psychique liée aux effets psychotropes des produits contenus dans la fumée ; – la dépendance physique rapidement installée, qui implique une forte pulsion à fumer de type « craving » et un syndrome de manque [2]. 4. Action : j’applique ma décision et m’engage dans la réalité du changement 5. Consolidation : je maintiens ma décision et crois fortement en l’avenir 6. Rechute : soit je repars, soit j’abandonne pour l’instant Figure 1. Où se situe le désir de changement ? STV, vol. 18, n° 3, mars 2006 137 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. du tabagisme est moins marquée et les avantages à arrêter apparaissent supérieurs aux avantages à poursuivre. – La phase de maintien : permet d’accéder à la réussite de l’arrêt. – La phase de rechute : les rechutes sur le long terme sont fréquentes. Selon Marlatt et Gordon, la rechute est la règle et non l’exception [4]. Il y a, en moyenne, quatre rechutes avant l’arrêt définitif. Il existe souvent des petites décisions apparemment sans rapport avec la rechute (Apparently irrelevant decisions) mais favorisant l’exposition à une situation à haut risque, comme par exemple se retrouver systématiquement confronté à des fumeurs. Il existe parallèlement un effet de violation de l’abstinence avec deux risques : minimisation et maximalisation, le fumeur se dit alors « si j’en prends une ce soir, c’est pas grave » ou au contraire « j’en ai fumé une, c’est la catastrophe ». Au médecin de savoir pondérer par son discours honnête et marqué d’empathie les erreurs d’interprétation du patient. Le rôle du médecin : analyse à travers le modèle PADIM (tableau 1) Les étapes du changement qui font passer un sujet de l’état de fumeur à non-fumeur peuvent être comprises à travers ce modèle qui reprend les besoins nécessaires de l’individu pour évoluer dans un processus de changement [5]. aident le patient à prendre conscience du caractère problématique de ses comportements, à explorer son ambivalence et ses contradictions, à déterminer quels changements il souhaite entreprendre tout en respectant et en renforçant son sentiment de liberté de choix, à prendre la décision d’accomplir ce changement, et à faire le choix des moyens pour atteindre les objectifs auquel il aspire. Le but est de mobiliser les ressources du changement propres au patient et de favoriser les bénéfices à long terme par rapport aux bénéfices à court terme. Le praticien doit manifester de l’empathie, encourager le patient à développer ses propos, ne pas forcer sa résistance et renforcer son sentiment d’efficacité personnelle, à travers une écoute active. À cette dernière, s’ajoutent des questions ouvertes plutôt que fermées, une écoute en « écho » basée sur le principe de la reformulation et du résumé. Le patient sera interrogé sur ses croyances en ses propres capacités à s’arrêter. On lui donne la possibilité de reconnaître ses difficultés et ses pensées ambivalentes. L’objectif est d’augmenter et de soutenir la motivation du patient, en ayant permis au fumeur d’être concentré sur son problème. Quelques exemples de questions ouvertes : « J’aimerais que vous me parliez de votre tabagisme, comment s’est-il installé, comment vous voyezvous sans fumer » [6]. L’entretien motivationnel Quatre axes de réflexion : pour faire pencher la balance Cette technique proposée par Miller et Rollnick repose sur la psychologie de la motivation [6]. C’est un style relationnel qui s’oppose au style confrontationnel. Les 5 principes de l’entretien motivationnel sont : exprimer de l’empathie, développer la conscience des contradictions, éviter de débattre, composer avec la résistance, renforcer le sentiment d’efficacité personnelle. Les entretiens motivationnels – Quels sont les effets positifs de la cigarette : comment les obtenir autrement ? – Quelles sont les difficultés prévisibles déjà vécues à l’arrêt : comment les réduire ? – Quels sont les effets négatifs de l’usage de la cigarette et de sa poursuite : quand vont-ils disparaître ? – Comment renforcer les effets bénéfiques de l’arrêt ? Tableau 1. Étapes du changement selon le modèle PADIM 138 Les étapes du changement Posséder l’information Adhérer à l’information Décider le changement Initier le changement Maintenir le changement Les positions du fumeur « J’ai entendu dire que le tabac est mauvais pour la santé » « Je suis d’accord avec le fait que le tabac est mauvais pour la santé » « J’ai pris la décision d’arrêter de fumer » « Je viens d’arrêter de fumer » « Je ne suis plus fumeur depuis longtemps » Objectifs Stratégies thérapeutiques Posséder l’information Adhérer à l’information Décider le changement Initier le changement Maintenir le changement Information et éducation du fumeur Entretiens motivationnels Entretiens motivationnels Thérapeutiques de sevrage médicamenteuses et/ou cognitivo-comportementales Prévention des rechutes STV, vol. 18, n° 3, mars 2006 L’évaluation tabacologique L’intervention s’adapte aux besoins du patient et se structure en trois phases successives : la consultation initiale, de sevrage et de suivi qui doit être prolongée actuellement pendant environ un an [7]. Lors de la consultation initiale, les tabacologues utilisent souvent un dossier spécifique de l’Institut national pour l’éducation et la santé (INPES), bien adapté à la prise en charge du sevrage. L’évaluation tabacologique doit comprendre plusieurs aspects. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Évaluation de la situation tabagique Une reconstitution de l’histoire du tabagisme (ancienneté, consommation, antécédents d’arrêt et circonstances de reprise, pathologie somatique impliquant le tabagisme, antécédents psychiatriques, co-dépendances (alcool, cannabis), tabagisme environnemental, contexte socioprofessionnel) est réalisée [7]. Cette évaluation permet aussi de savoir dans quels stades décrits par Prochaska et Di-Clemente se trouve le patient (figure 1). Évaluation de la motivation Il est possible d’utiliser l’échelle Q-MAT en quatre questions ou de Richmond [7], ce qui permet de faire une rapide et fiable évaluation de la motivation du patient pour une prise en charge immédiate de l’arrêt ou pour un entretien motivationnel. Cela permettra une prise de décision ultérieure. L’échelle de De maria et Grimaldi permet de prévoir les difficultés de l’arrêt [7]. Évaluation du niveau de dépendance physique L’instrument de mesure de référence de la dépendance tabagique est le questionnaire de Fagerström [2] : – score de 0 à 2 : le sujet n’est pas dépendant à la nicotine. Il peut souvent arrêter de fumer sans avoir recours à des substituts nicotiniques ; – score de 3 à 4 : le sujet est faiblement dépendant à la nicotine ; – score de 5 à 6 : le sujet est moyennement dépendant à la nicotine ; – score de 7 à 10 : le sujet est fortement ou très fortement dépendant à la nicotine. Évaluation de la dépendance psychocomportementale Cette évaluation repose sur l’analyse clinique, les échelles visuelles analogiques ou différents tests notamment le test de Horn, le test de Gilliard 1998. Les patients les plus dépendants ont, le plus souvent, des niveaux élevés de dépendance pharmacologique et psychocomportementale, associant fréquemment des troubles anxiodépressifs et des codépendances [7]. Ils ont accumulé les échecs dans leurs tentatives d’arrêt antérieures, leurs conditions socioéconomiques sont souvent précaires [7]. Évaluation du niveau d’anxiété et de dépression Il est évalué par la recherche d’antécédents de troubles anxieux et/ou de dépression, notamment d’état dépressif majeur. Il est dépisté sur les signes de ces pathologies selon les critères du DSM IV et on en évalue l’intensité avec le test HAD (hospital anxiety depression scale) [7]. Si ce test est perturbé avec notamment un score d’anxiété et/ou de dépression supérieur ou égal à 8, le bilan peut être complété par d’autres tests notamment le questionnaire de Beck en 13 items (BDI : Beck depression inventory – forme abrégée) et la « mini-interview » structurée (DSM IV) permettant de mieux préciser les troubles anxieux fréquemment associés au tabagisme [8]. Des tests d’identification des tempéraments affectifs d’Akiskal et Hantouche et le test de Angst [7, 9] permettent de discerner des troubles bipolaires dans leur forme atténuée ou majeure. Ces troubles sont très fréquents chez les consultants des centres spécialisés en tabacologie [7-9]. Dimension de personnalité et tabagisme Tous les individus ne sont pas égaux devant la dépendance et de nombreuses études montrent l’implication dans les 2 sexes, chez les adultes et les adolescents de l’extraversion et du névrosisme (modèle de personnalité d’Eysenck), de la recherche de sensations, de la recherche de nouveauté [10]. Utilisation des marqueurs biologiques du tabagisme En pratique tabacologique, le CO dans l’air expiré, témoin de la profondeur de l’inhalation permet ultérieurement de valider un arrêt et de renforcer la motivation du patient qui a arrêté. Il faut noter le temps écoulé entre la dernière cigarette et la mesure du CO expiré. Le dosage de la cotinine urinaire aide à fixer et à adapter la posologie de la substitution nicotinique. Ce dosage a un intérêt particulier chez les patients les plus dépendants, chez les patients ayant une cardiopathie ischémique et les femmes enceintes pour lesquelles l’adaptation posologique doit être la plus précise possible [11]. Stratégie de prise en charge La date d’arrêt est toujours choisie par le patient lui-même. Un arbre de décision a été récemment proposé (figure 2) STV, vol. 18, n° 3, mars 2006 139 Fumeur motivé Evaluation de la dépendance (test de Fagerström) Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Dépendance moyenne et forte Dépendance faible Evaluer le terrain, les comorbidités, le risque d'effets indésirables et de pharmacodépendance Outils d'aide à la motivation ou d'accompagnement psychologique ou thérapie cognitivo-comportementale ± automédication (TNS) Outils d'aide à la motivation ou thérapie cognitivo-comportementale ou accompagnement psychologique + traitement pharmacologique de la dépendance Traitement nicotinique de substitution (TNS) Bupropion LP Prévention des rechutes Prévention des rechutes Figure 2. Prise en charge du sevrage tabagique : prise de décision. [2]. Une prise en charge conjointe au préalable des codépendances (alcool, cannabis), des troubles de l’humeur et d’éventuelles pathologies psychiatriques associées est indispensable. Certaines situations de vie (psychologiques ou environnementales) temporairement précaires peuvent conduire à différer l’arrêt du tabac [7]. En cas de motivation insuffisante ou de comorbidité rendant le sevrage trop diffi- 140 cile, il peut être proposé une réduction temporaire de la consommation de tabac aidée par des substituts notamment oraux (concept de harm reduction). Une telle stratégie permet d’augmenter la motivation, la confiance en soi (self efficacity) et de faire baisser le CO dans l’air expiré, voire d’induire des arrêts spontanés marqués d’abstinence définitive. STV, vol. 18, n° 3, mars 2006 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. La prise en charge médicamenteuse Le traitement de substitution nicotinique Le traitement de substitution nicotinique est l’élément essentiel dès que la dépendance physique est présente (test de Fagerström ≥ 4), parfois pour une valeur inférieure de ce test [2, 11]. L’existence d’une dépendance physique est la principale difficulté dans l’arrêt du tabac lors des premières semaines. Elle provoque une sensation de manque, de nervosité, de pulsion irrésistible à fumer, de pensées obsédantes de la cigarette, dès que le sujet est privé même quelques heures de l’apport de nicotine. Les dernières méta-analyses réalisées portent sur 96 essais thérapeutiques contrôlés sur plus de 35 000 fumeurs [2, 11]. L’efficacité du traitement de substitution nicotinique contre placebo est clairement démontrée. Dans la plupart des études, les substituts nicotiniques permettent de doubler le taux d’abstinence tabagique à six mois par rapport au placebo. À un an, 18 % des fumeurs ayant été traité par des substituts nicotiniques sont abstinents contre 10 % dans le groupe placebo [2, 11]. Les différentes formes galéniques Système transdermique (timbre ou patch) La durée d’application est de 16 ou 24 h. Le timbre doit être collé sur peau sèche, glabre, en changeant de place et de côté tous les jours. Certaines situations peuvent être source de difficultés : l’hyperpilosité, un excès de transpiration, une peau grasse ou l’application d’un lait hydratant empêchant une bonne adhésion et la fréquentation des piscines ou bains de mer. On peut également observer une allergie au timbre plus fréquente en période chaude, dont l’intensité est diminuée par des crèmes corticoïdes et parfois la prescription d’antihistaminiques. Le recours aux substituts nicotiniques oraux est parfois nécessaire [11]. Gommes à la nicotine Il existe des gommes à 2 et 4 mg de nicotine. La dose de nicotine libérée est en moyenne de 1 mg pour des gommes de 2 mg, soit 50 %. La nicotine est absorbée par la muqueuse buccale. Des effets indésirables (goût poivré désagréable, douleurs épigastriques, hoquet) sont liés le plus souvent au mauvais usage de la gomme (mâchée trop vite). Autres formes galéniques Les pastilles sublinguales ou les pastilles à sucer à 1, 1,5 et 2 mg, les comprimés à 2 et 4 mg et l’inhaleur sont disponibles en France actuellement. Le spray nasal n’est pas commercialisé en France [11]. Le choix des modalités de substitution nicotinique dépend, en partie, des choix du patient car toutes les formes galéniques ont une efficacité similaire à posologie égale. Il est souhaitable de tester les différents substituts oraux et de choisir la forme galénique la plus adaptée au patient et le goût qu’il préfère : nature, menthe, fruit, orange, réglisse... Dans les différentes études, la subs- titution nicotinique est possible chez les patients porteurs d’une pathologie cardiovasculaire (peut être prescrite au décours de la phase aiguë d’un infarctus du myocarde) et également chez les femmes enceintes. Les thérapeutes doivent informer leurs patients [11] : – des signes de surdosage possibles mais rares (nausées, diarrhées, palpitations, tachycardie, insomnie rebelle, hyperactivité diurne, absence totale de besoin de fumer) ; – des signes de sous-dosage témoignant d’une quantité insuffisante d’apport nicotinique (nervosité, irritabilité, colère, anxiété, difficultés de concentration intellectuelle, besoin impérieux de cigarette...).* Remplacement du schéma traditionnel par une stratégie personnalisée : l’association de plusieurs substituts nicotiniques doit être adaptée aux besoins du patient ce qui pourra être fait par l’adjonction de gomme à des timbres ou en associant deux timbres dans certains cas [11]. De nombreuses rechutes précoces sont liées à un traitement de substitution nicotinique insuffisant ou trop rapidement interrompu ou dont la durée est insuffisante. La durée de traitement doit donc être adaptée à chaque patient avec une diminution progressive des doses de substitut nicotinique [11]. Si chez les patients fortement dépendants (Fagerström supérieur ou égal à 7) une substitution nicotinique plus prolongée est parfois nécessaire, il n’y a pas d’études qui concluent à un intérêt d’une substitution nicotinique supérieure à 4 ou 6 semaines chez les fumeurs moyennement dépendants [11]. Lorsque la dépendance est forte, lors de la diminution des doses ou à l’occasion d’un stimulus externe, les symptômes de sevrage peuvent réapparaître et nécessitent la reprise de la dose antérieure pendant deux à trois semaines avant de tenter une nouvelle phase de diminution [11]. Une méta-analyse récente de 21 études contrôlées sur la substitution nicotinique a montré l’efficacité d’un traitement prolongé au-delà des 3 à 6 mois traditionnels pour diminuer le risque de rechute [12]. Existe t-il un risque de dépendance avec le traitement nicotinique ? Une utilisation au-delà des 6 mois traditionnels peut se produire dans 15 à 20 % des cas, particulièrement en cas de forte dépendance avec des troubles anxieux ou dépressifs. Cela est considérablement moins dangereux que la fumée de tabac [11]. Stratégie de réduction de la consommation : l’arrêt immédiat et complet de toute consommation de tabac est toujours préférable, mais 74 % des fumeurs n’envisagent pas d’arrêter dans les 6 prochains mois. De plus, certains patients ont un trouble anxiodépressif sous-jacent ne permettant pas un arrêt immédiat et nécessitent parfois la prescription d’un IRS préalable [7]. On propose la réduction de la consommation du tabac aux patients se sentant STV, vol. 18, n° 3, mars 2006 141 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. incapables d’y arriver dans l’immédiat, à ceux qui ont déjà échoué dans leurs tentatives d’arrêt et ont, de ce fait, perdu confiance dans leurs capacités d’arrêter, aux patients insuffisamment motivés mais porteurs d’une pathologie (BPCO, pathologies cardiovasculaires) et aux femmes enceintes, même si l’arrêt du tabac est toujours le but à atteindre. L’arrêt du tabagisme sans substitution nicotinique est une fausse solution car la réduction du nombre de cigarettes fumées sans apport conjoint de nicotine entraîne des phénomènes de compensation. Plusieurs études montrent que cette stratégie permet de réduire durablement leur consommation de tabac et qu’elle permet l’accroissement du stade de maturation de la décision d’arrêt et d’induire des arrêts spontanés et également favorise la réussite du sevrage lors d’une tentative ultérieure [13-15]. La stratégie de réduction de la consommation de tabac avec utilisation conjointe de substituts nicotiniques augmente la motivation vers un arrêt complet et le pourcentage de tentatives d’arrêt s’améliore avec le niveau de réduction atteint. De plus, la réduction de la consommation de tabac avec substitution nicotinique est confortable pour le patient en réduisant les symptômes de manque. On conseille les substituts nicotiniques dans une stratégie de réduction de la consommation de tabac, en alternance avec les cigarettes avec des doses adaptées et en quantité suffisante dans la journée dès que l’envie de fumer apparaît dans les moments choisis de ne pas fumer. Le patient qui a obtenu une réduction de sa consommation doit être encouragé à tenter un arrêt complet du tabac le plus tôt possible. À noter que l’association substituts nicotiniques + tabac n’est pas dangereuse et n’a donné aucun effet secondaire sérieux [13] Bupropion LP (Zyban®) Utilisé initialement notamment aux États-Unis comme antidépresseur, il inhibe la recapture de la dopamine et de la noradrénaline au niveau du système nerveux central. Son efficacité dans le sevrage tabagique a été démontrée par plusieurs essais thérapeutiques contrôlés ayant inclus au total 2292 patients non déprimés. Il n’y a pas de preuve que l’association bupropion LP + substitut nicotinique soit plus efficace que chacun des produits utilisés seuls [2, 16], mais il semble que le bupropion soit supérieur pour limiter le « craving » et la prise de poids par rapport à la substitution nicotinique [16]. Le bupropion a été jugé efficace chez des patients porteurs de bronchopathie chronique obstructive avec une abstinence de 16 % à 6 mois contre 9 % pour le placebo [17]. Le bupropion est également efficace en cas de pathologies cardiovasculaires avec une abstinence de 22 % versus 9 % (p < 0,001) à un an [18]. Il convient de respecter les contre-indications, notamment les antécédents de trouble convulsif, de psychose maniaco-dépressive, de traite- 142 ment par IMAO, d’anorexie ou boulimie, insuffisance hépatique ou rénale sévère, tumeur du système nerveux central. Le bupropion est contre-indiqué chez les femmes enceintes ou allaitant, les personnes de moins de 18 ans et au cours des sevrages en alcool ou en benzodiazépines. La posologie classique est de 1 comprimé à 150 mg le matin pendant six jours puis 1 comprimé deux fois par jour pendant sept à neuf semaines avec 8 heures d’intervalle entre les deux prises, la deuxième prise devant être effectuée le plus tôt possible dans la journée (en raison des risques d’insomnie). La durée préconisée en France du traitement par bupropion LP est de 8 semaines (7 à 9 semaines). Les effets secondaires rapportés les plus fréquents sont : convulsion, effet secondaire le plus grave avec un risque estimé à 1 pour 1 000, urticaire, rash, insomnie, céphalées, vertiges, nausées et dépression. Place des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (IRS) en cas de troubles anxieux et/ou dépressifs associés En consultation de tabacologie, la fréquence et la difficulté de prise en charge des troubles anxiodépressifs sont bien soulignés, notamment par G. Lagrue et al. [8]. Dans une série de 517 consultants dont une majorité avait une dépendance physique forte, 34 % des patients ont bénéficié d’un traitement antidépresseur de type inhibiteur de la recapture de la sérotonine (IRS). Outre le test HAD qui explore l’anxiété et la dépression et le test de Beck en 13 items, une « mini-interview structurée » (DSM IV) a été réalisée permettant de mieux préciser les troubles anxieux fréquemment associés dans le tabagisme [8] notamment une anxiété généralisée, une phobie sociale, des attaques de panique avec agoraphobie et plus rarement des troubles obsessionnels compulsifs. Les troubles anxieux sont d’ailleurs plus fréquemment observés chez les femmes, notamment le trouble anxieux généralisé et la phobie sociale. La recherche de troubles bipolaires notamment de bipolarité de type II est de mise avec les questionnaires d’Angst et d’Akiskal [9]. Ils sont parfois masqués et atténués et doivent être suspectés chez des patients ayant un parcours de vie chaotique, de multiples échecs lors des tentatives d’arrêt avec un important niveau de violence dépassant l’instabilité émotionnelle associée au manque nicotinique ; une alcoolisation est fréquente [7]. Ce type de sujets nécessite une prise en charge spécialisée avec thymorégulateurs. Pour G. Lagrue et al, trois situations cliniques peuvent se rencontrer de façon schématique [8]. – Des fumeurs avec troubles de l’humeur connus et traités : l’avis du psychiatre traitant doit être pris pour renforcer le traitement antidépresseur. STV, vol. 18, n° 3, mars 2006 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. – Des fumeurs avec troubles de l’humeur latents et non traités : ces fumeurs ont déjà fait des tentatives d’arrêt, mais accompagnées d’un syndrome de sevrage intense avec humeur dépressive. Un traitement antidépresseur par IRS est souvent nécessaire d’emblée ou secondairement. Une des raisons d’une prise en charge plus difficile chez les femmes est la plus grande fréquence de syndrome dépressif, d’anxiété généralisée et de phobie sociale. De même, les troubles prémenstruels représentent un facteur de difficulté à l’arrêt. – De façon plus inhabituelle, un état dépressif grave peut apparaître brusquement 3 à 6 semaines après le sevrage en l’absence d’antécédent de troubles thymiques ou d’anomalies des tests HAD notamment. je ressens) ; 4 : comportement (ce que je fais) ; 5 : conséquences concrètes et relationnelles) [21]. Perspectives de traitements médicamenteux La pharmacopée promet de s’enrichir de nouvelles molécules d’aide à l’arrêt dont les effets sont prometteurs. Les principales voies d’avenir sont représentées par les agonistes des récepteurs nicotiniques et les inhibiteurs des récepteurs cannabinoïdes [19]. La varénicline est une nouvelle classe thérapeutique : c’est un agoniste partiel des récepteurs nicotiniques cholinergiques, se liant avec une haute affinité aux récepteurs a4b2 en cours d’évaluation [20]. Le “vaccin antinicotine” relève actuellement du domaine prospectif. Méthodes comportementales Elles sont orientées vers le contrôle émotionnel et la recherche de comportements alternatifs afin de gérer au mieux les situations à risque de rechute et par conséquent le sevrage [21]. En fonction des résultats de l’analyse fonctionnelle réalisée dans le cadre d’un rapport collaboratif, différentes techniques pourront être utilisées notamment : – le contrôle du stimulus (mise en évidence des situations à haut risque et exploration des alternatives possibles avant leur mise en œuvre) ; – la relaxation et la désensibilisation en imagination (elle consiste à s’imaginer, après relaxation, avoir une conduite alternative au comportement tabagique dans une situation à haut risque, puis à penser à une action agréable ou incompatible, tout en maintenant bien la relaxation) ou en réalité ; – la recherche de comportements alternatifs comme, par exemple, respirer profondément lors d’une situation stressante ; – la technique de la résolution de problèmes ; – les techniques d’affirmation de soi ou de gestion du stress sont souvent utiles car l’addiction peut cacher une anxiété de type social et parfois une mauvaise gestion de son temps, de son stress et de ses émotions [8, 21]. Les thérapies comportementales et cognitives Les thérapies comportementales et cognitives (TCC) représentent l’application de la psychologie scientifique à la psychothérapie et font référence aux modèles issus des théories de l’apprentissage (conditionnement classique, conditionnement opérant et apprentissage social) et aux modèles cognitifs sur l’étude du traitement de l’information. L’utilisation des TCC permet de multiplier par deux le taux d’abstinence à six mois. Les TCC sont des techniques validées et recommandées dans l’aide à l’arrêt du tabac [2]. Les situations à haut risque peuvent être en rapport avec l’environnement (repas, alcool, autres fumeurs, fêtes) et/ou à des émotions (colère, tristesse, ennui, joie). Différents conditionnements sont classiques chez les fumeurs (café, téléphone, voiture, pause....). La préparation à l’arrêt du tabac peut démarrer par une phase d’auto-observation repérant un certain nombre de situations déclenchantes, systématiquement associées à la prise d’une cigarette [2]. L’analyse fonctionnelle doit être réalisée et pourra guider la prise en charge thérapeutique. L’utilisation des cercles vicieux de Cungi paraît particulièrement utile pour l’analyse fonctionnelle du tabagisme (1 : situation déclenchante ; 2 : cognitions (ce qui me passe par l’esprit) ; 3 : émotions (ce que Apport des TCC pour augmenter la motivation Au stade de contemplation, l’ambivalence est augmentée en utilisant la technique avantages/inconvénients à continuer le tabagisme, puis les avantages et inconvénients à arrêter, et enfin les avantages à court terme comparés aux inconvénients à long terme de continuer à fumer. Le point important est de bien peser la valeur respective des avantages et celle des inconvénients à arrêter de fumer et de les mettre en balance. Lorsque les avantages à continuer sont plus importants, l’arrêt sera difficile mais possible, par contre, lorsque les inconvénients à continuer se renforcent, l’arrêt définitif se rapproche [21]. Méthodes cognitives Les méthodes de restructuration cognitive permettent de prendre conscience des cognitions (pensées : « ce que je me dis » et émotions : « ce que je ressens ») avant, pendant et après le comportement à problème. Ces cognitions proviennent de notre inconscient et reflètent nos schémas de base. Ainsi, toute situation est interprétée suivant notre vision du monde, de soi et de l’avenir. Voici pourquoi il s’avère particulièrement important de repérer les situations, les cognitions et les distorsions cognitives effectuées par le patient afin de revoir sa façon de concevoir la réalité. Les techniques principales utilisées sur cet axe sont la mise en STV, vol. 18, n° 3, mars 2006 143 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. « lumière » des pensées automatiques négatives liées au tabagisme ou à la confiance en son efficacité personnelle et leur modification en pensées plus réalistes. Ainsi, la discussion de l’évidence et par conséquent l’étude des preuves associées à ces pensées automatiques de même que la recherche de pensées plus adaptées à la situation apparaissent particulièrement intéressantes et enrichissantes. Ces techniques, soit par la méthode du cercle vicieux de Cungi, soit par la méthode des colonnes de Beck permettent de travailler avec le patient sur les pensées modifiées et de voir les choses autrement [21]. On réalise ensuite la mise en évidence et la modification des erreurs logiques concernant le comportement tabagique (inférence arbitraire (ex. : « Mon arrêt de tabac ne va pas marcher »), maximalisation (ex. : Ça y est, j’en ai repris une, c’est foutu), minimalisation (ex. : Une seule cigarette, cela n’est pas grave), raisonnement émotionnel (« Je sens que cela va mal tourner ») [22]. La dernière étape est la mise en évidence et la modification des postulats de base ou croyances de base concernant le tabac (exemple de croyance : le tabac est indispensable pour communiquer et être bien avec les autres [21]. Apport des TCC dans la prévention de la rechute Le modèle de la prévention de la rechute (PR) permet d’expliquer pourquoi les individus rechutent dans les addictions. Le modèle de la PR insiste sur le repérage : des situations à haut risque (SHR), de la façon de faire face à ces situations, de l’importance des facteurs cognitifs, particulièrement dans le manque de motivation des patients. Deux notions sont importantes : l’effet de violation de l’abstinence (AVE) qui est le processus cognitif émotionnel et comportemental qui se met en place entre la première reprise de la cigarette et la rechute totale. On recherche alors les pensées minimisantes et/ou maximalisantes. Le fumeur y est particulièrement exposé soit lorsqu’il minimise le risque (« Aujourd’hui c’est la fête, j’en fume une, demain j’arrête, une cigarette de temps en temps, ce n’est pas grave ») ou au contraire lorsqu’il maximalise l’importance de la « chute » (« J’en ai repris une, c’est foutu ») [21] ; les AID « Apparently irrevelant decisions » (des petites décisions apparemment sans rapport avec cette reprise) mais favorisant l’exposition à une SHR. Des techniques pour la PR sont décrites avec la modélisation de la rechute selon qu’il y ait une réponse adaptée entraînant un renforcement de l’efficacité personnelle et une diminution du risque de rechute ou aucune réponse adaptée entraînant une diminution du sentiment d’efficacité personnelle, une attente de résultat et une rechute avec violation de l’abstinence. Le sevrage tabagique est obtenu dans la majorité des cas mais la rechute est la règle. Un fumeur effectue en moyenne 4 144 rechutes avant un arrêt définitif [21]. Le contexte des rechutes est variable : reprise brutale (flash), reprise beaucoup plus progressive avec une prise puis, une deuxième ; puis, une troisième, conduisant insidieusement à une rechute complète, ou rechute totalement imprévisible et surprenante [21]. Apport des TCC dans la gestion optimale des troubles de l’humeur Troubles anxieux Les troubles anxieux associés à la dépendance tabagique sont fréquemment retrouvés dans les consultations de tabacologie, notamment la phobie sociale et le trouble anxieux généralisé [8]. La gestion optimale de ces troubles anxieux, parfois préalable au sevrage améliore la prise en charge et permet un sevrage plus facile. Récemment, des cas de troubles anxieux (phobie sociale, trouble anxieux généralisé, attaque de panique avec agoraphobie) pris en charge par TCC favorisant le sevrage ont été décrits [23]. Troubles dépressifs et coaddictions Il existe une littérature abondante sur les liens entre tabagisme et dépression. L’efficacité des TCC a été montrée chez les fumeurs avec antécédents d’alcoolisme ou de dépression [24]. Une autre étude analysant la nortriptyline et les TCC confirme l’efficacité des TCC en cas d’antécédents de dépression [25], ce que confirment d’autres auteurs [26, 27]. La gestion des émotions améliore l’efficacité du sevrage tabagique de façon significative [28]. L’apparition d’un état dépressif majeur dans l’évolution d’un sevrage est bien décrite et conforte l’expérience des tabacologues [7-9]. La prise en charge par TCC de la dépression si elle apparaît lors du sevrage donne des résultats favorables et pourrait être proposée. Prise en compte du problème du poids Mécanismes de la prise de poids Les mécanismes de la prise de poids possible lors d’un sevrage tabagique sont : l’augmentation des dépenses énergétiques sous l’action catécholaminergique de la nicotine (chaque cigarette amenant une dépense supplémentaire de 8 à 10 calories, la modification du goût et du type d’alimentation (appétence pour les goûts sucrés à l’arrêt du tabac et action centrale de la nicotine sur la satiété, avec parfois survenue de fringales lors de l’arrêt. La prise de poids est constatée chez la plupart des sujets à l’arrêt du tabac mais environ 1/3 des sujets ne prennent pas de poids lorsqu’ils s’arrêtent de fumer. En moyenne entre 2 et 4 kg, supérieure chez la femme, et dans 10 % des cas, supérieure à 10 kg [29]. STV, vol. 18, n° 3, mars 2006 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Comment limiter la prise de poids ? Les effets du sevrage tabagique sur les variations de poids doivent être le souci constant du tabacologue clinicien. La prise en charge de ce problème spécifique doit être personnalisée (évaluation-explication initiale) avec une approche thérapeutique diversifiée [29]. Quatre stratégies peuvent être utilisée le plus souvent en association : la diététique, en privilégiant légumes et fruits riches en fibres et en gardant un volume suffisant du bol alimentaire ; les apports nicotiniques (avec un résultat similaire observé avec le bupropion) ; les TCC ; l’exercice physique [29]. Dans une équipe de tabacologie, une diététicienne tabacologue est d’un apport indiscutable [7]. Déroulement et chronologie du sevrage (consultations de suivi) Les figures 3 et 4 permettent d’appréhender la prise en charge du sevrage au cours de la consultation initiale, également le diagnostic et la prise en charge de la dépression au moment du sevrage tabagique. Conduites des entretiens L’empathie, la disponibilité du médecin, son attitude qui relève du registre motivationnel, permettent l’expression du vécu, soulignent les acquis et font que les faux pas deviennent des expériences prometteuses pour l’avenir permettant de renforcer l’arrêt. Au médecin d’avoir la plasticité d’attitude qui s’adapte aux traits de personnalité du patient et lui permette de devenir l’acteur de son changement. Il doit s’appuyer sur tous les soutiens de l’entourage du patient. Les conseils de réduction des excitants (alcool, café), d’exercice physique régulier, d’un apport de sucres et de vitamine C dès le réveil sont de mise [7]. Prise en charge des effets secondaires Souvent à l’origine de l’échec du sevrage, ils doivent être prévenus ou corrigés. La prise de poids est redoutée et peut conduire à l’intervention du nutritionniste (ou du psychiatre si elle survient dans un contexte de troubles du comportement alimentaire). Les troubles du sommeil et du transit sont fréquents. Les troubles anxiodépressifs [7] touchent plus de 50 % des fumeurs fortement dépendants consul- Patient prêt à l’arrêt : prise en charge Évaluation des trois niveaux de la dépendance Dépendances psychologiques et comportementales Dépendance pharmacologique (Indice de Fagerstrom = F > 4) Intervention de « type TCC » Empathie – alliance * Auto-observation * Modification comportementale * (Contrôle du stimulus et de la réponse) * Expression du vécu * Renforcement de l’arrêt * Soutiens environnementaux * Faible Moyen F=4-5 F=6-7 Forte ou très forte F>7 Nicotine et/ou bupropion Appréciation de la situation et des besoins * Respect des contre-indications * Expérience et préférences personnelles * Préférences du patient * Solutions de repli Toujours associer : * Suivi prolongé ( 12 mois) * Compensation des effets secondaires * (prise de poids, états anxiodépressifs, etc.) * Prévention de la reprise * * Nicotine Patch 16 ou 24 h/24 Autres : gommes 2 – 4 mg Tablettes 2 – 4 mg Inhaleur * * Nicotine Patch 24 h/24 Associations de substituts ou bupropion * * Nicotine Forte dose Mesure de la cotininurie et/ou bupropion Figure 3. Prise en charge du sevrage tabagique (d’après [7]). STV, vol. 18, n° 3, mars 2006 145 Consultation initiale Évaluation de l'état dépressif : clinique + mini-interview Structure + tests de dépistage : Had/Beck Pas de dépression ou d'antécédent de dépression Prise en charge habituelle Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Dépression avérée ou risque majeur de dépression à l’occasion du sevrage (arrêt-maintenance) Motivation à l'arrêt insuffisante • Entretien de motivation (individuel ou réunion de groupe) • Prise en charge de la dépression (+/- avis spécialisé) Motivation à l'arrêt suffisante • Dépression avérée : IRS 4 à 8 semaines puis arrêt du tabagisme (fortes doses initiales de SN, durée du traitement par IRS > 6 mois). • Pas de dépression avérée mais antécédent de dépression dans l'année qui précède : reprise de l'IRS à ½ dose (puis adaptation posologique) et arrêt du tabagisme (selon les modalités précédentes). • Antécédent de dépression lors d'un sevrage antérieur (arrêt-maintenance) ayant induit la reprise du tabagisme : - Bupropion +/- SN. - IRS ou autres antidépresseurs (Tricycliques, IMAO) + SN • Tableau de bipolarité (avéré ou atténué) thymorégulateurs (valpromide ou carbamazépine). Apparition d'une dépression au cours du sevrage (Phase d'arrêt ou de maintenance) Évaluation régulière : recherche d'une dépression Clinique + Had / Beck (J0 + J 30, J 90, J 180 ) Prise en charge immédiate IRS +/- SN Sortie du tabagisme Suivi prolongé ( > 6 mois, si possible > 12 mois) Figure 4. Diagnostic et prise en charge de la dépression lors du sevrage tabagique d’après [7]. SN = substitut nicotinique. 146 STV, vol. 18, n° 3, mars 2006 tants en centres spécialisés. La figure 4 rend compte de l’expérience de Perriot en matière de dépression et sevrage tabagique [7]. Contenu et chronologie des consultations Actuellement, les modalités du sevrage tabagique sont bien définies. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. L’intervention médicale doit reposer sur des données scientifiquement validées et justifiées car elle permet de doubler ou tripler le taux des arrêts à court et long termes. La prise en charge doit être globale et étalée dans le temps. Il ne saurait être question de pendre en charge la dépendance pharmacologique sans s’intéresser à la dimension psychocomportementale, de dissocier la phase d’arrêt proprement dite (action) de celle qui la précède (phase de préparation) ou la suit (phase de maintenance), ni de négliger les effets secondaires de l’arrêt qui pèsent sur la qualité de vie du patient et peuvent induire la reprise du tabagisme. Le suivi doit être prolongé si possible un an avec possibilité d’appel téléphonique au thérapeute. Un deuxième rendezvous à J7 de l’arrêt permet l’adaptation de la substitution nicotinique chez les plus dépendants. Le suivi aura pour objectif l’adaptation de la substitution nicotinique, la prise en charge des troubles anxieux et/ou dépressifs, des troubles du sommeil, des problèmes de prise de poids et la prévention de la rechute par les thérapies comportementales et cognitives et le renforcement de la motivation. Chaque consultation est validée par la mesure du CO dans l’air expiré, élément de motivation supplémentaire. Abstract Counselling tobacco withdrawal The management of tobacco addiction has recently improved through a better understanding of the neuropsycho-pharmacological mechanisms involved in the addiction process, an optimized use of medical therapy and a more structured global management. The use of one or several nicotinic substitutes in association is now optimized. Bupropion and serotonin recapture inhibitors have a well defined place in the therapeutic strategy. Cognitive behavioral therapy is essential in order to improve the motivation to quit smoking. Functional analysis allows adaptation of cognitive behavioral strategies to each patient. In addition, cognitive behavioral therapy is a must in the prevention of smoking relapses. New molecules are being developed to further improve the management of candidates for cessation of smoking. Key words: tobacco withdrawal, motivation, nicotinic substitutes, bupropion, cognitive behavioral therapy Bibliographie 1. Perriot J, Schmitt A, Llorca PM. Optimiser la prise en charge du sevrage tabagique. Alcoologie et addictologie 2005 ; 27 : 201-9. 2. AFSSAPS. Les stratégies thérapeutiques médicamenteuses et non médicamenteuses de l’aide à l’arrêt du tabac. Alcoologie et addictologie 2003 ; 25 : 1S-43S. 3. Prochaska JO, Diclemente CC. Stages and processes of self-changes of smoking : toward an integrative model of change. J Consult Clin Psychol 1981 ; 51 : 390-5. 4. Marlatt GA, Gordon J-R. Relapse prevention : maintenance strategies in the treatment of addictive behaviors. New York : Guilford press, 1985 ; (558 pages). 5. Legeron P, Azoulai G, Lagrue G, et al. La motivation du fumeur à l’arrêt du tabac. : Bases conceptuelles et principes permettant l’élaboration d’un questionnaire d’évaluation. J Therap Comport Cogn 2001 ; 11 : 53-62. Conclusion Des progrès ont été réalisés ces dernières années dans la prise en charge de l’arrêt du tabagisme grâce à une approche plus globale des patients, à une optimisation de la substitution nicotinique, à l’introduction du bupropion, au traitement optimisé des troubles anxiodépressifs associés, aux thérapies comportementales et cognitives, à l’aide motivationnelle et à la diététique. Chaque patient doit bénéficier d’une stratégie thérapeutique adaptée à ses besoins. Toutes les études confirment qu’un suivi prolongé permet à lui seul d’augmenter le taux d’abstinence à long terme. L’arrêt du tabac paraît plus difficile chez les femmes pour certains auteurs [30]. Une « alchimie » de facteurs conditionne l’arrêt, permettant un maintien durable de l’abstinence réalisant « l’extinction définitive du tabagisme » [1]. ■ 6. Miller WR, Rollnick S. Motivational interviewing. Preparing people to change addictive behaviors. New York : The Guilford Press, 1991. 7. 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