CAHIER DES CHARGES VOLAILLES , Vitamines et acides aminés :a quand la synthèse? Dominique ANTOINE (ANIMATEUR DE LA COMMISSION "MONOGASTRIQUES" DE L'ITAB) Suite à quelques réunions de la commission "Volailles" de l'ITAB, il nous a semblé utile de mettre l'accent sur deux problèmes majeurs dans la pratique des aviculteurs bio : les conditions d'utilisation des vitamines de synthèse d'une part, et des acides aminés de synthèse d'autre part. Dans la perspective du futur règlement européen sur les productions animales, nous espérons que les observations et propositions qui vont suivre, contribueront à clarifier le débat sur ces questions. Ces problèmes (vitamines et acides aminés de synthèse) sont ceux des éleveurs mais aussi, par effet de "boomerang", la préoccupation première des fabricants d'aliments qui sont en première ligne pour enregistrer les désiderata de leurs clients avicoles. Des contraintes élevées 'lui obligent à des compromis Il n'est pas inutile de rappeler les contraintes, auxquelles doivent faire face les éleveurs de volailles bio : • Des ressources limitées et disparates en matières premières riches en protéines de qualité. • Un matériel génétique peu adapté aux contraintes de l'élevage biologique: la sélection (1) a, hier, trop encouragé le critère rendement aux dépens des qualités d'adaptation des animaux à des milieux différents. De ce fait, nous disposons, aujourd'hui, de "Formules 1" (c'est surtout le cas des pondeuses) alors que, le plus souvent, l'aviculteur bio utilise un "carburant" (l'aliment) de qualité inégale .. Il est normal qu'il y ait des "ratés" ! (1) Il semble que des programmes de sélection en volailles soient entrepris, au sein de l'INRA, pour obtenir des animaux moins exigeants en nutriments "nobles". • Les coûts de certaines matières premières (tourteaux, minéraux, vitamines ... ), vu la faiblesse des besoins, apparaissent exorbitants pour les petits éleveurs qui fabriquent euxmêmes leur aliment. Il apparaît préférable d'apporter les vitamines de synthèse dans l'aliment plutôt que sous la forme de cure. Rappelons que le cahier des charges français, en volailles, autorise le recours aux vitamines de synthèse par cure "quand les besoins s'en font sentir" et refuse la supplémentation dans l'aliment. Et c'est bien là qu'est le problème! En effet nous avons reçu des lettres ou entendu des témoignages, dans le cadre de la Commission "volailles", montrant l'extrême difficulté, pour la plupart des éleveurs, à appréhender le moment optimal où les "besoins en vitamines se font sentir". En pratique, attitudes: on constate deux - "préventive" : l'éleveur fait systématiquement un apport de vitamines AD3E dans l'eau de boisson, en moyenne une fois par mois. Le risque est d'apporter ces vitamines en excès à certains animaux (puisque l'absorption est dépendante de la consommation d'eau) ; ce qui pourrait provoquer des hypervitaminoses qui peuvent être préjudiciables à la santé des animaux; - "réactive" : l'éleveur réagit lorsqu'il constate des chutes significatives du taux de ponte ou de la vitesse de croissance, qui peuvent être accompagnées de troubles sanitaires. Dans ce cas, on constate des performances en "dent de scie" qui, au final, pénaliseront les résultats, en particulier si les carences en vitamines sont observées en début de ponte ou en début de croissance. Alter Agri 11 __ ~_É_LE_V._~_G_E __ ~/7~ CAHIER DES CHARGES VOLAILLES Et les apports naturels en vitamines? Quels yotentiels en acides amines de nos aliments? A ce stade de l'analyse du problème, on nous rétorquera: que faites-vous des apports "naturels" de vitamines? Parlons-en. Rappelons qu'il existe deux grands groupes de vitamines : les hydrosolubles (groupe B, C principalement) et les liposolubles (A, D, E essentiellement). Au regard de ce qui précède, nous proposons la supplémentation en vitamines A, D3, E de synthèse dans les aliments pour volailles, afin de sécuriser l'éleveur en régularisant les performances et en réduisant les troubles sanitaires. En conséquence la cure de vitamines serait exceptionnelle, redevenant ce qu'elle aurait toujours due rester : un acte thérapeutique de la responsabilité du vétérinaire ; ce qui, par ailleurs, faciliterait le contrôle par les organismes certificateurs (OC) ; en effet, certains éleveurs peuvent être tentés d'oublier de faire les déclarations d'apport de vitamines de synthèse aux OC, ne sachant pas toujours où se situe "la frontière de la légalité". Pour ce qui concerne les hydrosolubles, les apports "naturels" sont en général suffisants, dès que l'on introduit des levures dans la ration (source de vitamines du groupe B) à l'exception de la Choline et de la vitamine B12. En revanche, pour les liposolubles, les apports "naturels" sont, le plus souvent, insuffisants. En effet, si l'on analyse les principales ressources d'origine naturelle des vitamines liposolubles, on observe dans chaque cas des facteurs limitants : · les ressources du commerce, à base d'huile de foie de poisson, sont, à notre connaissance, supplémentées en vitamines de synthèse, pour permettre de garantir les teneurs. · les ressources du parcours sont plus limitées que l'on imagine, soit parce que la saison est peu propice à la pousse de l'herbe (en hiver et en été), soit, et c'est souvent le cas avec nos souches "modernes", parce que les volailles exploitent malle parcours. L'utilisation de certains acides aminés de synthèse (lysine et méthionine) devrait surtout être envisagée dans les périodes critiques de la vie des volailles. Au même titre que les vitamines de synthèse, certains acides aminés de synthèse (lysine et méthionine) peuvent être autorisés comme "correcteurs additifs à but nutritionnel", sans que leur usage puisse être permanent. Il est important de rappeler quels sont les apports de ces deux acides aminés, strictement indispensables, par la plupart des matières premières "bio" utilisées dans les formules d'aliment, face aux besoins exprimés par les volailles. L'analyse des figures 1 et 2 met en évidence que: - les céréales sont, dans tous les cas, insuffisamment pourvues en méthionine et surtout en lysine - les protéagineux (pois, lupin, féverole) sont aussi mal pourvues en méthionine que les céréales, tout en étant plus riches en lysine que cellesci. Il faut aussi tenir compte des limites d'apport dans les formules : sauf pour le pois, il est conseillé de ne pas dépasser 10% de protéagineux dans l'aliment. - le tourteau de tournesol est intéressant surtout pour ses apports de méthionine, mais, outre que ses disponibilités sont limitées (puisque dépendant de la production d'huile), il faut limiter sa présence dans la formule à cause de sa richesse en cellulose et en huile résiduelle. Quant au tourteau de soja bio, son caractère confidentiel ne garantit pas sa disponibilité. Figure 1 ~ Niveaux nutritifs de l'aliment en lysine en % 3,03 · les graines germées peuvent représenter des sources intéressantes de vitamines A et E, mais sont peu pratiques d'utilisation pour les élevages, de quelques milliers d'unités et, de toute manière ne résolvent en rien l'apport de vitamine D. ~ 2,25 ~ l,55 à 1,85 r.--- --- --- 1,2 l,Il · les possibilités de synthèse de vitamine D3 (au niveau de la peau) pour les animaux en parcours sont insuffisante chez la pondeuse face aux besoins importants nécessaires à un bon métabolisme du calcium. 12 Alter Agri BeSOIns Les •.rumaux en lysine % (1'0 urcheuc r------ 1.05 0,8 - --- 0,25 à 0,44 0,4 } Pou t C,8X (,.80 f---- Ainsi, on a pu observer cet été dans certains élevages, la production d'œufs à "coquille molle", problème qui a disparu avec l'administration de vitamine D de synthèse. On peut, en partie, expliquer cette carence par le fait que les pondeuses se mettaient à l'ombre en période de fortes chaleurs. - 0,2 f- - f- - _.- .- -. _.- _._0,66 } Pondeuse ~~~ CAHIER DES CHARGES VOLAILLES Figure 2 Niveaux nutritifs de l'aliment en méthionine en % 0,8 - 0,74 0,7 - 0,6 - 0,5 - 0,4 - 0,3 f--- - -0,18 à 0,23 1--0,18 à 0,20 - 0,2 0,1 0,52 0,54 0,41 --- -- --- 1--1--- } 0,41 0,35 c-- =n Poulet } ---0.30 Pondeuse --- ~ Type d'aliment Ajoutons pour finir, que le tourteau de carthame bio ne présente aucun intérêt pour les volailles, du fait de sa très grande richesse en cellulose. Il existe, sans doute, des solutions d'avenir: l'utilisation en graines entières de soja (après traitement thermique) et de colza 00 peut être envisagée sous réserves que des relations contractuelles s'établissent entre les producteurs de matières premières et les fabricants d'aliment. Face à cette situation, établir une formule alimentaire équilibrée en acides aminés n'est pas une sinécure! En pratique Besoins des ani maux en méthionine % (fourchette) - - qu'observe-t'on ? L'obligation de s'ajuster sur les apports de l'acide aminé le plus limitant amène à apporter en excès les matières azotées (avec risque d'excès de lysine dans certains cas) ; ce qui entraîne un gaspillage d'azote, les excès étant éliminés sous forme d'acide urique qui se retrouve dans les déjections, sans parler des risques de "fatigue rénale". Par ailleurs, les formulateurs utilisent au maximum la dérogation permettant l'utilisation de sources de protéines d'origine "conventionnelle" : il s'agit, principalement de tourteau de soja dont l'origine étrangère rend peu crédible la recherche d'autonomie que revendique l'agriculture biologique. La question se pose, à ce niveau, de savoir qui pourrait rendre obligatoire l'application de ces règles. Est-ce le rôle de l'Interprofession Bio ou des organismes certificateurs ? Elargissons le débat 0,73 - c-- __ ~É~LE_V._~_G_E Lysine et méthionine : vers une autorisation ? • A court terme, la commission propose d'autoriser le recours aux acides aminés les plus limitants (lysine et méthionine), ce en supplémentation de l'aliment afin de maximiser le recours aux protéagineux (pois surtout) dans la formule, avec comme conséquence de réduire l'apport de tourteau de soja "conventionnel". Exemple: 10% de pois + 1,4% de graisse (ou d'huile) + 0,019% de méthionine peuvent remplacer 4% de tourteau de soja + 7,6% de maïs. En tout état de cause, cette supplémentation apparaît surtout indispensable aux pondeuses en début de ponte et aux volailles de chair au début de leur croissance. • A moyen terme, mais peut-être s'agit-il d'un vœu pieux, il faudrait recenser les disponibilités et les potentialités de production en soja, colza 00 et tourteaux d'origine bio, de manière à rendre obligatoire, pour chaque fabricant d'aliment: - l'utilisation, au moins partielle, des ressources existantes au prorata des quantités fabriquées; - de passer des contrats avec des groupements de producteurs organi- . sés, pour la mise en culture de matières bio riches en protéines de qualité. Ces propositions, nous en sommes conscients, méritent un débat plus large que celui que nous avons eu dans le cadre de la Commission IT AB. Mais nous espérons avoir démontré - au-delà du pragmatisme évident de l'argumentaire - notre souci d'encourager une évolution de la réglementation française (et future européenne) pour atteindre un triple objectif: obtenir des résultats technico-économiques satisfaisants, réduire la pollution, conséquence du gaspillage des matières azotées, optimiser les équilibres alimentaires facteurs entre autres, de la bonne santé des animaux ; sans pour autant, négliger les objectifs principaux qui sont de développer l'agriculture biologique dans son ensemble, à tous les niveaux de la filière, et de produire des aliments sains et équilibrés. Depuis le temps que les producteurs, les transformateurs et les consommateurs l'attendent, le Cahier des Charges Porc Biologique vient d'être voté par la Commission Nationale de l'Agriculture Biologique. Reste encore la signature du Ministère de l'Agriculture et la parution au Joumal Officiel... S'il est signé, ce cahier des charges innove par rapport à celui des autres productions. Jugez-en plutôt: 50 % de l'aliment doit être produit' sur la ferme (donc pas de hors sol), le caillebotis total ou partiel est interdit (donc pas de lisier), les apports totaux d'azote ne doivent pas dépasser 140 unités par ha et par an (c'est nettement mieux que la directive nitrate), la production annuelle de porcs charcutiers est limitée à 750 porcs par travailleur et plafonnée à 1500 porcs par ferme (ça, c'est de la maîtrise de production !...). Tout cela semble dévoiler l'évolution nécessaire des cahiers des charges des produits bio ; il est temps en effet que l'agriculture biologique se définisse par des concepts plus larges que de simples règles de productions techniques ... Yves Hardy (CAB d'Armor) Alter Agri 13 _