recherche
Qui sont les formateurs
en travat
Doctorant en sociologie, ChristopheVerron s'est demandé, face à
I'absence de données les concernant, qui sont les formateurs en travail
croient dépositaires 4o n 5av6i1 o , (4).
Llétude des modes d'entrée dans le mé-
tier et des processus de socialisation
professionnelle permet de formuler
lhypothèse d'une typologie construite
sur trois profils que I'on peut mettre
en lien avec les figures dégagées de
l'histoire des métiers :
- le travailleur social: il est légiti-
mité par I'expérience et un diplôme
professionnel initial. Son mode d'en-
trée dans le métier s'effectue par des
vacations puis la cooptation entre
pairs. Ses pratiques professionnelles
sont centrées sur I'accompagnement
et I'analyse de pratiques.
- I'enseignant: il tire sa légitimité de
sa culture et de ses diplômes univer-
sitaires, et n'a pas ou peu de pratique
professionnelle. Son entrée dans le
métier s'est réalisée par le biais de
vacations en lien avec ses savoirs
universitaires. Ses pratiques profes-
sionnelles sont centrées sur la trans-
(1) Recherche menée dans le cadre d'un
doctorat en sociologie sous Ia direction
d'Alain Vilbrod, Atelier de Recherche
Sociologique, Université de Brest
(2) Demaziere D., Gadea C. (dir.),
Sociologie des groupes professionnels -
Acquis récents et nouueaux défis,
La Découverte, 2009, p. 20
(3) Bach L., Deuenir formateur - une
affaire de carrière - Former au trauail
sociol, ASH, 2006, p. 104
(4) E. Jovignot, Les formateurs d'écoles
d'éducateurs spécialisés, Archives
Cnahes, fonds CEECFES 5C53,
Journée d'étude de Dijon, 1980
social ?
social, combien ils sont, ce qu'ils font ou ce qui fonde leur identité. ll a envoyé
deux mille questionnaires dans des établissements de formation et déjà
reçu pas mal de réponses.Assez pour pouvoir fournir des premiers éléments
d'information en attendant de recevoir d'autres retours.
ous ne savons quasiment
rien sur les formateurs
permanents en travail so-
cial et c'est face à ce constat que j'ai
débuté une recherche (1) inédite, à la
fois qualitative et quantitative, sur ce
groupe professionnel. Ce travail s'ins-
crit dans le champ de la sociologie des
groupes professionnels, héritière de la
sociologie des professions, qui définit
un groupe professionnel comme u un
ensemble de travailleurs exerçant
une activité ayant le même nom, et
par conséquence doté d'une visibilité
sociale, bénéficiant d'une identifica-
tion et d'une reconnaissance, occupant
une place différenciée dans la division
sociale du travail, et caractérisé par
une légitimité symbolique ' (2). Ainsi à
travers l'étude des dynamiques identi
taires, des pratiques et des trajectoires
professionnelles, je tenterai de ré-
pondre à la question suivante: peut-on
repérer des processus de professionna-
lisation, voire I'existence d'un groupe
professionnel des formateurs perma-
nents en travail social?
Mes premières investigations et lec-
tures permettent de formuler quelques
hypothèses, préalables à l'enquête de
terrain, que je propose ci-dessous.
Première hypothèse: l'étude de I'his-
toire des formations sociales est déter-
minante pour comprendre l'organisa-
tion actuelle. Comment sommes-nous
passés de trois diplômes en 1950, à
neufen 1980 puis à quatorze actuelle-
ment? Pourquoi la monitrice de I'école
d'assistante sociale ou I'instructeur de
22 uex soctAL n"loo8 - 3 mars 2oll
l'école d'éducateur spécialisé sont-ils
devenus des formateurs en travail
social? Quels rôles ontjoué les écoles
dans la structuration du social?
Bien que peu explorée, I'histoire des
formations nous montre une répéti-
tion des questionnements à travers
le temps et les interrogations des an-
nées 50, 70 ou 90 sont bien proches
de celles d'aujourd'hui: quels sont
les rôles et fonctions du formateur?
Comment définir I'alternance et dans
quel lien entre les terrains et les
écoles? Faut-il former les formateurs
de terrain et d'école ? Quels liens avec
I'université? Quels sont les savoirs du
travail social et comment formaliser le
lien théorie-pratique?
Différents modes d'entrée
dans la profession
C'est aussi par l'histoire que I'on peut
mieux comprendre un mode d'entrée
dans le métier basé sur la cooptation
entre pairs. Le plus souvent, l'éduca-
teur, l'assistante sociale suivra une
trajectoire qui I'amènera à traverser
différentes étapes (moniteur de stage,
jury au DE, accompagnateur de mé-
moire puis quelques cours) jusqu'au
recrutement * logique et naturel , (3)
dans une école, souvent celle-là même
il aura fait sa formation.
Bien sûr l'on recrutera aussi des psy-
chologues, puis plus tard des sociolo-
gues, mais avec de la méfiance face
à n ces gens arrivés qui trônent dans
les écoles et, parce qu'ils ont quelques
diplômes de plus que les autres, se
mission de connaissances liées à sa
discipline de référence.
- le formateur: il est légitimé par un
diplôme spécifique et une pratique
professionnelle dans la formation.
Son entrée dans le métier s'est ef-
fectuée lors d'un recrutement u clas-
sique u hors secteur travail social.
Ses pratiques professionnelles sont
centrées sur I'ingénierie.
Ces trois figures ne forment pas des
modèles types. Elles peuvent se com-
pléter, se croiser, évoluer et générer
des mouvements et des stratégies
identitaires individuelles mais aussi
collectives. Elles sont également à re-
garder différemment selon la généra-
tion de formateurs, le métier d'origine
et le type de structures d'écoles.
Une grande polyvalence
Lianalyse des pratiques profession-
nelles permet de repérer des évo-
lutions importantes dans le temps.
Initialement cantonné dans la trans-
mission des savoirs pratiques, l'ins-
tructeur/moniteur va progressivement
revendiquer le droit à la transmission
des savoirs théoriques (bien souvent
réservée aux médecins, jugés, avo-
cats..,). Toutefois, il restera toujours
aussi difficile de définir précisément
ses rôles et fonctions tant sa poly-
valence paraît grande et son champ
d'intervention sans limites. Comme
I'indique M. Christin en 1980, ( nous
voyons donc, ce formateur passer de la
coordination administrative et pédago-
gique à I'animation de groupes de tra-
vail, de I'enseignement de disciplines
en sciences humaines et sociales (psy-
chologie, psychologie sociale, sociolo-
gie. ..) à I'apprentissage de techniques
éducatives, de la guidance individuelle
et de la supervision pédagogique à
I'enseignement de la psychopédago-
gie etc. " (5) Actuellement, on note
encore des différences importantes
entre les pratiques selon le niveau et
le lieu de formation. la convention col-
lective en vigueur, la hiérarchisation
des activités,... Troisième hypothèse :
dans cette diversité, on peut repérer
une base commune qui permettra de
définir I'activité d'un formateur per-
manent en travail social.
Llanalyse des processus de profes-
sionnalisation s'appuie sur les carac-
téristiques propres du groupe, I'orga-
nisation de sa hiérarchie interne, le
positionnement dans le social et le
positionnement global dans le monde
du travail.
Quatrième hypothèse : le groupe pro-
fessionnel des formateurs en travail
social n'existe pas en tant qu'entité
autonome mais plutôt comme un
sous-monde du travail social consti-
tué par un conglomérat de profes-
sionnels s'identifiant d'abord par leur
métier d'origine avec, pourtant, des
processus d'organisation et de hié-
rarchisation à I'intérieur de ce sous-
monde (hiérarchie interne proche
de la hiérarchie des diplômes de TS,
hiérarchie entre les différents types
d'école...). Les formateurs construi-
sent leurs carrières en naviguant
entre ces diftrents niveaux et écoles.
Le métier de formateur
Peu reconnu
De plus, le métier de formateur ayant
une reconnaissance forte et une haute
valeur dans le social, I'accès à la for-
mation permet une ascension dans la
carrière qui passe par un circuit pa-
rallèle à la progression par l'échelle
hiérarchique traditionnelle (chef de
service, directeur,...), ascension par
le savoir, par refus du pouvoir.
En revanche, le métier de formateur
a peu de reconnaissance en dehors
du social. Le formateur n'existe que
par l'école dans laquelle il exerce ou
sur son nom propre s'il acquiert une
reconnaissance par I'expertise, ce qui
lui permet de quitter le secteur de la
formation en travail social pour accé-
der à I'université.
Enfin, on peut s'étonner de l'absence
de collectif de formateurs æuvrant
pour la reconnaissance de ce groupe
professionnel : défense d'un statut,
définition du métier, démarche de
légitimation, fermeture du marché
du travail. Au sein des différents co-
mités d'entente des écoles (6),les for-
mateurs avaient trouvé des espaces
On peut s'étonner de I'absence de collectif de formateurs
recherche
de revendication et de défense d'une
r$entité professionnelle spécifique.
A ce jour, ces espaces d'élaboration
collective n'existent plus, sans doute
est-ce un signe supplémentaire de
la non-existence d'un groupe profes-
sionnel des formateurs permanents
en travail social?
Ainsi, comme j'ai tenté de le montrer,
beaucoup de questions restent ou-
vertes. IJenquête en cours auprès des
formateurs doit permettre d'en savoir
un peu plus sur ces professionnels.
Deux mille questionnaires ont été en-
voyes fin décembre 2010 dans 160 éta-
blissements de formation (7). Comme
pour toutes enquêtes par question-
naires auto-administrés, I'incertitude
principale concerne le taux de réponse.
Si cet article a pour premier objet dIn-
former sur une recherche en cours. il
a également pour but d'inciter les for-
mateurs à répondre au questionnaire.
Parce que n la question du profes-
sionnalisme rejoint la question de
la politique des organisations u (8),
avant de décider qui seront les for-
mateurs de demain. il est nécessaire
de mieux connaître ceux qui accom-
plissent cette tâche aujourd'hui.
ChristopheVerron
Doctorant en sociologie -ARS Brest
Formateur en travail social ARIFTS
PONANTS - Rezé
(5) Archives Cnahes, Fonds CEECFES
5C38, Journées d'étude des 8 et 9 mai
1980 à Dijon, Introduction par M. Christin
(6) Les Comités d'Entente des Ecoles
étaient des collectifs qui rassemblaient
les écoles par métier, en quelque sorte
les ancêtres de I'Aforts et du GNI
(7) Si vous êtes formateur dans
un établissement de travail social qui
prépare à I'un des 14 diplômes du travail
social et que vous n'avez pas reçu de
questionnaire, vous pouvez le télécharger
à cette adresse: https://sites. google.
corn /site/formateurentravailsocialhomd
telecharger-le-questionnaire
(8) H. S. Becker Préface, in Demaziere D.,
Gadea C. (2009), Op. Cit., p. 11
3 mars 20 | | - LIEN SOCIAL n" lO0S 23
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