L’ A P R È S LA ÉPILOGUE d’Israël, ni sa fierté pour ses réalidemeurez vigilants ; ne considérez journée se fige lorsque sations, ni ses espérances pour son pas l’existence d’Israël comme les sirènes retentissent à dix avenir, y compris une paix acquise. Soyez réalistes : n’imagiheures. Deux minutes plus tard, la véritable avec des voisins arabes nez pas que la Shoah ne sera matinée israélienne reprend souvent hostiles. Le hurlement jamais oubliée, et encore moins comme à l’ordinaire, ou presque. des sirènes ne signifie pas non que le génocide appartient au C’est le Yom haShoah, le jour plus que l’identité juive équivaut à passé. Ne vous leurrez pas : ne d’avril consacré à la commémoraun statut de victime. Les sirènes pensez pas que l’existence d’Israël tion de la Shoah. Des cérémonies du Yom haShoah nient encore « compense » la Shoah. Soyez se déroulent aujourd’hui dans plumoins le dynamisme de la sieurs pays, mais cette comvie juive après la Shoah. Au mémoration annuelle a été « Observateur de l’Histoire contraire, ces sirènes instituée pour la première contemporaine, tourne ton peuvent et doivent être fois en 1951 par la Knesset, le parlement d’Israël. regard vers les monceaux de entendues, du moins en partie, comme des expressions Le calendrier hébraïque cadavres, arrête-toi un de courage et de confiance fixe au 27ème jour du mois de instant, et pense que ces dans le fait que la vie juive Nissan la célébration du Yom est ici pour durer – haShoah, date anniversaire pauvres restes de chair et vigoureuse, brillante et, à du début du soulèvement du son sommet, ce que le ghetto de Varsovie, le 19 avril d'os, c’est ton père, ton prophète Isaïe appelait « une 1943. Peu après Yom enfant, ta femme, c’est l'être lumière pour les nations. » haShoah, Yom Haatsmaout (le jour de l’indépendance que tu chéris ! Regarde, d’Israël) est célébré le 5 regarde-toi ainsi que tes Un rêve royal Iyyar, anniversaire de la proL’État d’Israël moderne a clamation de l’État, le 14 mai proches, auxquels tu es célébré son 50ème anniversaire 1948. La proximité de ces attaché de cœur et d’esprit, en 1998. L’aspiration à un deux dates n’est guère forÉtat juif est cependant bien tuite. Elle suggère qu’après jetés nus dans les plus ancienne. Vers la fin du les ruines et la résistance du immondices, tourmentés, XIXe siècle, Nathan ghetto de Varsovie, les Birnbaum, dirigeant juif affamés, assassinés. » ravages et les désespérances autrichien, était à la tête d’un de la Shoah, la vie juive —Eugen Kogon, écrivain rescapé de Buchenwald groupe nationaliste juif retrouve une nouvelle vitalité appelé Hovevei Tsion lucides : ne faites pas de la Shoah en Israël. (Amants de Sion). Il introduisit le un mal qui aurait, en quelque Retentissant avant la terme sionisme en 1893. Depuis sorte, produit un « bien ». célébration de l’indépendance cette époque, le sionisme constitue, Le hurlement des sirènes ne israélienne, les sirènes émettent en partie, une réponse à l’antisémidoit pas entamer la joie de l’État aussi plusieurs avertissements : tisme. Quelques mois après l’indépendance d’Israël, des Juifs amputés se retrouvent devant une salle de cinéma à Tel Aviv. Le film d’Hollywood Les meilleures années de notre vie porte sur les Américains rentrés chez eux après la guerre. 655 L ’ A P R È S Le terme biblique aliyah, signifiant « montée », désigne un voyage jusqu’aux collines de Jérusalem ; il est communément utilisé pour désigner l’immigration en Israël. Entre 1882 et 1903, environ 30 000 Juifs immigrèrent en Palestine, ce qui doubla la population juive de la région. Le bateau d’immigrants « illégaux », le Ce nombre demeurait Théodore Herzl, arriva à Haïfa (Eretz Israël), cependant dérisoire, en 1947. Sur la bannière, il est écrit : comparé aux 500 000 Juifs « Les Allemands ont détruit nos familles… Ne ruinez pas nos espoirs. » d’Europe orientale et de Russie qui pénétrèrent aux Il exprime également États-Unis à la même époque. l’affirmation d’une culture juive dis35 000 Juifs se rendirent en tincte et la volonté de fonder et de Palestine au cours de la deuxième soutenir une patrie juive par des Aliyah (1904-1914), soit un petit voies politiques. Historiquement, les pourcentage du nombre de Juifs aspirations sionistes ont reflété (1,5 million) qui fuirent les pogroms diverses sensibilités politiques, culd’Europe orientale, incessants aux turelles et religieuses. Certains siocours de ces dix années. En 1914, nistes se sont situés politiquement à un demi million d’Arabes et 85 000 gauche, d’autres à droite ; certains Juifs vivaient en Palestine. sont laïques, d’autres religieux ; les De puissants intérêts uns et les autres, plus ou moins miliéconomiques et stratégiques au tants. Ils partagent cependant la Moyen-Orient, notamment le même cause : le soutien et la contrôle du canal de Suez, conduisidéfense d’un État pour les Juifs rent la Grande-Bretagne à adopter dans un territoire appelé précédemla Déclaration Balfour, du nom du ment Palestine et, dans des temps ministre des Affaires étrangères encore plus anciens, l’époque Arthur James Balfour. Elle stipulait biblique, possédé par les Juifs euxque le gouvernement britannique mêmes. serait favorable à « l’établissement En 1896, le dirigeant juif en Palestine d’un foyer national Théodore Herzl qualifia le concept pour le peuple juif, et fera tout son d’État juif de « rêve royal ». Ce rêve possible pour favoriser la réalisation est devenu réalité, mais seulement de cet objectif, étant clairement après des cauchemars qu’Herzl ne entendu que rien ne sera fait qui connut pas et n’aurait jamais imagipuisse porter atteinte aux droits nés. • 1947 : Jozef Tiso, ancien premier ministre de Slovaquie et allié d’Adolf Hitler, est jugé et exécuté en Tchécoslovaquie. • Le diplomate suédois Raoul Wallenberg meurt dans une prison soviétique (selon un rapport soviétique de 1956). • Le ministre belge Jean Terfve, communiste, fait adopter une loi sur la commémoration des victimes juives des persécutions nazies. 656 • 4 janvier-4 décembre 1947 : Le procès de 15 juges nazis se déroule à Nuremberg, en Allemagne. Quatre sont condamnés à la prison à vie, quatre autres à dix ans de prison, un à sept ans et un autre à cinq ans. Quatre sont acquittés et un est libéré pour raison de santé. • 13 janvier-3 novembre 1947 : Dix- huit anciens membres du Wirtschafts- civiques et religieux des communautés non juives existantes en Palestine, ou aux droits et au statut politique des Juifs dans tout autre pays. » La Déclaration Balfour fut publiée peu après l’entrée des troupes britanniques en Palestine, en octobre 1917. Au mois de septembre de l’année suivante, la région tout entière se trouvait sous contrôle britannique. En vertu des dispositions adoptées après la guerre par la toute récente Société des nations, la Palestine fut placée sous mandat britannique. Les Britanniques furent alors chargés de contrôler une Palestine où la population arabe majoritaire voyait d’un mauvais œil la population juive minoritaire œuvrer de plus en plus intensément à la création de l’État évoqué par la Déclaration Balfour. La Grande-Bretagne accueillit favorablement l’immigration en Palestine jusqu’aux émeutes arabes En juillet 1947, un soldat britannique contraint des enfants juifs à débarquer de l’Exodus. und Verwaltungshauptamt (principale instance nazie chargée de l’économie et de l’administration) sont jugés à Nuremberg. Quatre sont condamnés à mort et onze à des peines de prison ; trois sont acquittés. • 8 février-22 décembre 1947 : Six industriels allemands, dont Friedrich Flick, sont jugés à Nuremberg. Trois L ’ A P R È S de mai 1921. L’immigration fut alors temporairement suspendue, mais le secrétaire britannique aux Colonies, Winston Churchill, publia un Livre blanc du gouvernement qui réaffirmait la Déclaration Balfour. Le Livre blanc établissait que la Palestine ne deviendrait pas un territoire complètement juif et liait l’immigration juive à la capacité d’intégration économique du pays. Si les Britanniques ne firent rien pour encourager un État juif, l’immigration juive en Palestine augmenta constamment. Vers la fin des années 1930, la présence juive s’était renforcée, la population arabe avait elle aussi augmenté et une partie d’entre elle fomenta des troubles en faveur d’un État arabe palestinien. La tentative de la GrandeBretagne d’apaiser les troubles se traduisit par l’adoption du Livre blanc de 1939. Entre autres clauses controversées du Livre blanc : 1. Au bout de dix ans, les Britanniques créeraient un État palestinien indépendant binational dans lequel Juifs et Arabes partageraient le pouvoir proportionnellement à leurs populations respectives. 2. Durant les cinq premières années, 75 000 Juifs seraient autorisés à pénétrer en Palestine ; ensuite, l’immigration dépendrait de l’accord arabe. 3. Les achats de terres par les Juifs seraient considérablement réduits. Lorsque la Seconde Guerre mondiale commença, moins de quatre mois plus tard, non seulement le rêve de Théodore Herzl d’un État juif se trouva en hibernation, mais les portes d’un refuge contre l’antisémitisme qu’il redoutait furent brusquement fermées. De 1939 à 1945, environ 50 000 Juifs seulement purent entrer en Palestine. Environ 16 000 d’entre eux arrivèrent clandestinement par bateau grâce à des groupes juifs militants décidés à s’opposer aux tentatives britanniques. Ultérieurement, la passion d’après-guerre pour une patrie juive en Palestine incita des groupes juifs sont condamnés à des peines de prison ; trois sont acquittés. • 16 avril 1947 : Pendaison de Rudolf Höss, ancien commandant d’Auschwitz. • 29 mars 1947 : Rudolf Höss, ancien com- • 8 mai 1947-30 juillet 1948 : Vingt- mandant d’Auschwitz, est condamné à mort par un tribunal de Varsovie (Pologne) ; voir 16 avril 1947. • Le chasseur de nazis Simon Wiesenthal fonde un Centre de documentation sur les criminels de guerre nazis à Linz, en Autriche. Une grenade à la main, une jeune femme de la Haganah, la résistance juive clandestine, s’entraîne dans la perspective des combats sur le mont Scopus, à Jérusalem, en 1948. L’immigration juive en Palestine Sur les 250 000 Juifs qui devinrent des DP (displaced persons) à la fin de la guerre, bien peu souhaitaient demeurer en Europe. Confinés dans des camps de DP, ils souhaitaient commencer une nouvelle vie ailleurs. La plupart des Juifs espéraient émigrer en Palestine. Cependant, comme c’était le cas pendant la guerre, leur évasion fut entravée par les quotas d’immigration imposés par les Britanniques qui détenaient le mandat sur la Palestine. Grâce aux activités du Mossad, l’organisation secrète juive, les Juifs parvinrent à entreprendre des voyages clandestins vers la Palestine, de 1945 à 1948. Traversant des montagnes et se dirigeant à la faveur de la nuit vers les côtes européennes, des familles juives s’entassaient alors à bord d’embarcations délabrées qui tentaient d’esquiver les patrouilles britanniques. En cas de découverte, elles étaient arrêtées. Malgré les risques, 64 bateaux acheminèrent plus de 70 000 personnes sur les plages d’Eretz Israël (Palestine). 50 000 autres furent arrêtées et emmenées dans des camps de détention britanniques sur l’île de Chypre. Dans l’incapacité de stopper l’exode des Juifs d’Europe, les Britanniques finirent par céder. La proclamation de l’indépendance d’Israël en 1948 permit une immigration en masse d’environ les deux-tiers des personnes déplacées. Les autres réfugiés choisirent de s’installer ailleurs, 70 000 environ se rendant aux États-Unis, lorsque les quotas devinrent moins restrictifs en 1948 et en 1950. quatre membres du conseil d’administration d’I.G. Farben sont jugés à Nuremberg. Treize sont condamnés à des peines de prison ; dix sont acquittés et l’un n’est pas jugé compte tenu de son état de santé. • 10 mai 1947-19 février 1948 : Douze anciens officiers de la Wehrmacht sont jugés à Nuremberg au cours du « procès des otages ». Huit sont condamnés à des peines de prison, deux sont acquittés, un se suicide et le dernier est libéré pour raison de santé. • 1er juillet 1947-10 mars 1948 : Procès de 14 anciens chefs SS à Nuremberg. Treize 657 L ’ A P R È S La clandestinité juive en Palestine La Haganah (Forces de défense) fut fondée en 1920 pour combattre les attaques arabes lancées contre les Juifs palestiniens. Acceptant les femmes comme leurs égaux, les membres de la Haganah combattirent aux côtés des Britanniques pendant la Seconde Guerre mondiale. L’Irgoun (Organisation militaire nationale) fut créée en 1931 par des membres dissidents de la Haganah qui ressentaient le besoin d’ouvrir la Palestine en dépit de l’opposition britannique, afin de sauver des Juifs européens. Pendant la Shoah, l’Irgoun aida l’Aliya Bet (ou immigration juive « illégale ») des Juifs européens en Palestine, tout en épaulant les Britanniques dans leur lutte antinazie. Mais lorsque la guerre fut pratiquement gagnée, l’Irgoun commença à attaquer des cibles militaires britanniques en Palestine en raison de la politique juive de la Grande-Bretagne, politique trop restrictive, antisémite et collaborant avec les Allemands. Le groupe Stern, encore plus combatif, qui jugeait les Britanniques en général antijuifs et pro-arabes, combattit les Britanniques comme les Allemands. sont condamnés à des peines de prison ; le dernier est acquitté. • 3 juillet 1947-10 avril 1948 : Vingt- quatre officiers de la SS et du SD sont jugés à Nuremberg. Quatorze sont condamnés à mort. • 12 juillet 1947 : À Netanya, en Eretz Israël (Palestine), des Juifs kidnappent et 658 clandestins à tenter d’expulser les Britanniques par la force : notamment l’Irgoun, dirigé par Menahem Begin, et le Lehi, dirigé par Yitzhak Shamir (tous deux furent par la suite premier ministre en Israël). La répression britannique tenta de contenir ces mouvements minoritaires, mais l’insurrection s’intensifia en faveur d’un État d’Israël. Ce bref récit des quelque 50 ans de l’histoire de la Palestine évoque une partie de la lutte menée par les Juifs pour leur patrie et soulève une grave question : Les Juifs de Palestine ont-il fait tout ce qui était en leur pouvoir pour contrecarrer la Shoah ? Le débat demeure. D’aucuns critiquent les Britanniques qui refusèrent de soutenir les efforts militaires des Juifs. D’autres En 1948, de jeunes membres de l’organisation clandestine de la Haganah, accompagnés de leurs chiens, gardent une implantation juive dans le Néguev contre une éventuelle attaque arabe. affirment que les dirigeants juifs en Palestine demeurèrent trop passifs et trop dociles face à la politique britannique. Quoi qu’il en soit – et les deux affirmations sont peut-être exactes – un fait incontournable demeure : les tendances antisémites en Europe se firent de plus en plus intenses dans les années 1930, conduisant par la suite au meurtre systématique de six millions de Juifs. La réflexion des rescapés sur ce crime commença à faire l’objet de nombreuses publications après la guerre. La choc de la découverte Menahem Begin fut le premier ministre d’Israël de 1977 à 1983. Jeune militant sioniste dans les années 1930 à Varsovie, il se rendit en Palestine avec l’armée polonaise en exil en 1942. Begin dirigea le groupe militaire Irgoun de 1943 à 1948. battent deux membres des services secrets de l’armée britannique ; les autorités britanniques instaurent temporairement la loi martiale dans la région. • 18 juillet 1947 : La prison de Spandau, à Berlin-Ouest, accueille les criminels nazis condamnés à des peines de détention : Baldur von Schirach (voir 1966), Karl Dönitz, le baron Konstantin von Neurath, J’ai parlé avec la mort, alors je sais comme trop de choses apprises étaient vaines, mais je l’ai su au prix de souffrances si grandes que je me demande si cela en valait la peine. — Charlotte Delbo, Auschwitz et après Erich Raeder, Albert Speer (voir 1966), Walther Funk, et Rudolf Hess (voir 17 août 1987). • 14 août 1947 : Le prince allemand Josias von Waldeck-Pyrmont, premier membre de la vieille noblesse allemande à avoir été recruté par la SS, est accusé de crimes de guerre et condamné à la prison à vie. L ’ A P R È S Connaissance inutile. C’est ainsi que Charlotte Delbo qualifie son expérience à Auschwitz et à Ravensbrück. Elle n’était pas juive et fut pourtant envoyée à Auschwitz en 1943. Sur les 230 Françaises de son convoi, elle fut l’une des 49 qui survécurent. Ch. Delbo vit ce qui était arrivé aux Juifs, à ses camarades françaises et à elle-même. Elle n’aurait pas dû connaître Auschwitz. Lorsque les Allemands occupèrent la France en juin 1940, Ch. Delbo se trouvait en tournée en Amérique du Sud avec une troupe de théâtre. Contre l’avis de ses Kazet, une troupe de théâtre rescapée, joue La colonie de la mort au camp de personnes déplacées de Bergen-Belsen. En 1947, cette troupe se produisit devant des publics de DP dans toute l’Europe. • 16 août 1947-31 juillet 1948 : Pro- cès de 12 dirigeants de Krupp. Onze sont condamnés à des peines de prison ; un seul est acquitté. Tous bénéficieront par la suite d’une remise de peine. • 20 août 1947 : Fin du « procès des médecins » à Nuremberg. 16 des 23 médecins accusés sont reconnus cou- amis, elle revint en France pour rejoindre son mari Georges Dudach et travailler avec lui dans la Résistance. Arrêtés par la police française collaborationniste, le 2 mars 1942, tous deux furent livrés aux Allemands qui les emprisonnèrent séparément. Ch. Delbo eut droit à une brève entrevue avec son mari, juste avant sa mise à mort par un peloton d’exécution, le 23 mai. Prisonnière en France jusqu’à sa déportation, Ch. Delbo décrit ainsi son arrivée à Auschwitz en janvier 1943 : « Les wagons s’étaient ouverts au bord d’une plaine glacée. C’était un endroit d’avant la géographie. Où étionsnous ? Nous devions apprendre – plus tard, deux mois plus tard au moins ; nous, celles qui deux mois plus tard étaient encore en vie – que l’endroit se nommait Auschwitz. Nous n’aurions pu lui donner un nom. » Ces mots sont extraits de la superbe trilogie de Charlotte Delbo, Auschwitz et après, dont les angoissantes descriptions et les profondes réflexions sur la mémoire font un témoignage exceptionnel sur la Shoah. Les trois parties commencent par Aucun de nous ne reviendra qu’elle écrivit en 1946 après avoir été libérée par la Croix rouge du pables. Sept sont condamnés à mort, cinq à la prison à vie, deux à 20 ans de détention, un à quinze ans et un autre à dix ans de prison. Les sept autres sont acquittés. • Fin août 1947 : À l’issue du procès des médecins, le Code de Nuremberg, en dix points, est adopté en vue de réglementer la recherche mettant en Cette sculpture en bronze, « Mémorial aux victimes des camps », œuvre de Nandor Glid, se dresse dans l’enceinte de Yad Vashem, à Jérusalem. camp de femmes de Ravensbrück. Après sa convalescence en Suède, elle revint en France. Ch. Delbo attendit cependant près de 20 ans avant d’autoriser la publication de Aucun de nous ne reviendra en 1965. Des parties de Une connaissance inutile furent également rédigées peu après son retour en France, mais ce second volume de la trilogie ne parut qu’en 1970. La suite, Mesure de nos jours, suivit bientôt. « Auschwitz, déclara Ch. Delbo dans La mémoire et les jours, est si profondément ancré dans ma mémoire que je ne peux l’oublier un seul instant. » Effectivement, durant les mois et les années après Auschwitz, elle réapprit ce qu’elle avait oublié avant son calvaire. Ici, en France où elle était revenue, elle pourrait faire ce qui là-bas avait été impossible, par exemple utiliser une brosse à jeu des sujets humains. • 8 septembre 1947 : Les troupes britanniques en Palestine emploient du gaz lacrymogène pour empêcher le débarquement des réfugiés juifs de l’Exodus. • 3 novembre 1947 : Fin du procès d’Oswald Pohl, général SS chargé des 659 L ’ A P R È S La justice après la Shoah et la Guerre froide Avant même la célébration de la victoire en Europe, les tensions s’accentuèrent entre les Alliés occidentaux et l’Union soviétique. La division de l’Europe en « sphères d’influence » exacerba la rivalité, conduisant aux décennies de la « Guerre froide ». La course aux armements nucléaires, à la conquête de l’espace et la nécessité de reconstruire les économies d’après-guerre, l’emportèrent sur la quête de la justice. Quelques dirigeants d’I.G. Farben, jugés comme criminels de guerre, mais considérés comme indispensables au succès économique de l’Allemagne de l’Ouest, ne purgèrent que de brèves peines de prison, alors qu’I.G. Farben avait été le plus gros employeur de maind’œuvre concentrationnaire à Auschwitz pendant la guerre. Friedrich Flick (photo), chef du conglomérat Mitteldeutsche Stahlwerke, un producteur de charbon et d’acier qui avait abondamment utilisé la main-d’œuvre réduite en esclavage pendant la guerre, ne fit que quelques années de prison avant de reprendre une carrière si fulgurante qu’il devint l’homme le plus riche d’Allemagne. Des chercheurs dont les compétences furent jugées indispensables au programme spatial ou à la course aux armements nucléaires ne furent pas tenus pour responsables de l’exploitation de main-d’œuvre servile dans leurs projets de guerre ; le pionnier des fusées sur la lune à la NASA, Wernher von Braun fut l’un d’eux. Dans le monde d’après-guerre, la quête de la justice fut tempérée par la volonté acharnée de gagner la Guerre froide. dents. Maintenant elle pourrait faire ce qui, alors, était impensable, comme manger tranquillement avec une fourchette et un couteau. Et pourtant, alors qu’elle était apparemment redevenue celle qu’elle avait été avant son internement à Auschwitz – charmante, cultivée, civilisée – elle pouvait à peine sentir l’odeur de la pluie sans se rappeler qu’à « Birkenau, la pluie exhalait une odeur de diarrhée. » Ce qui s’est passé à Auschwitz, témoigne-t-elle, a fait bien peu, alors ou maintenant, pour unifier, édifier ou ennoblir la vie. Dans l’ensemble, ce qui se produisit travaux dans les camps et des objets de valeurs volés aux détenus. • 28 novembre 1947-28 octobre 1948 • 4 novembre 1947-13 avril 1949 : Procès de vingt-et-un diplomates et hauts fonctionnaires nazis à Nuremberg. Dixneuf sont condamnés à des peines de prison ; deux sont acquittés. Toutes les peines seront par la suite commuées à la période déjà purgée. 660 : Quatorze anciens membres du haut commandement de la Wehrmacht (OKW) sont jugés à Nuremberg. Douze sont condamnés à des peines de prison ; deux sont acquittés. Tous les prisonniers bénéficieront ultérieurement de remises de peine. • 29 novembre 1947 : Les Nations unies durant la Shoah a, au contraire, divisé, rongé et réduit la vie à tout jamais. Ch. Delbo ne voulait pas dire que la vie d’après la Shoah est nécessairement sans espoir. Si « inutile » que soit sa connaissance en un sens, elle l’a utilisée pour montrer à quel point il serait dangereux d’oublier qu’il fut un temps où Auschwitz était « la plus grande gare du monde pour les arrivées et les départs. » Le professeur Lawrence L. Langer, lui non plus, ne dit pas que la connaissance de la Shoah est totalement inutile. Au contraire, il affirme que l’étude sérieuse de la Shoah est aussi importante qu’elle est difficile, car un tel travail « nous donne accès à l’événement central de notre temps et peutêtre de l’époque moderne. » Ch. Delbo détestait l’abstraction, rejetait la sentimentalité et méprisait encore plus la malhonnêteté. Elle écrivit : « C’est interminable, le bruit de cinquante coups de bâton sur le dos d’un Un timbre américain commémore le 50ème anniversaire de la libération des camps de concentration par les Alliés en 1945. votent en faveur du partage de la Palestine prévoyant la création d’un État juif et d’un État arabe. Les Arabes palestiniens s’y opposent vigoureusement. • Décembre 1947 : Quarante anciens membres de l’administration d’Auschwitz sont jugés à Cracovie, en Pologne. 23 sont condamnés à mort, 16 à des peines de prison. L’un des verdicts est inconnu. L ’ A P R È S Cette tête réduite, découverte dans le camp de concentration de Buchenwald, constitue un macabre rappel de la cruauté nazie. homme. » À Auschwitz, elle ajoute : « aucune d’entre nous ne disait “j’ai faim. J’ai soif. J’ai froid”. » Ces choses allaient sans dire ; utiliser de telles expressions à Auschwitz était absurde. Simples mais percutants, les mots de Ch. Delbo montrent que les nazis avaient créé un environnement calculé pour provoquer la faim, la soif et la misère de façon si continue que la plupart des expressions portant sur les besoins étaient réduites au silence sous l’indifférence du ciel bleu. La mort, poursuit Ch. Delbo, pouvait apporter un instant étourdissant dans lequel on pouvait sentir « c’est fini, plus de souffrance et de lutte, ou exiger l’impossible d’un cœur au bout de ses ressources… un bonheur dont on ignorait l’existence. » L’ absence même de respect pour la mort rendit cependant Ch. Delbo à la • 2 décembre 1947 : Maria Mandel, SS inspectrice en chef du camp des femmes à Auschwitz-Birkenau, est pendue à Cracovie, en Pologne. • 1948 : Le pape Pie XII implore la clémence pour tous les criminels de guerre condamnés à mort. Son appel est rejeté par le général Lucius Clay, gouverneur militaire adjoint. vie, mais seulement en partie : « Je veux mourir, mais pas passer sur la petite civière. Pas passer sur la petite civière avec les jambes qui pendent et la tête qui pend, nue sous la couverture en loques. Je ne veux pas passer sur la petite civière. » Comme Auschwitz a réduit, tellement réduit, les raisons de vivre, Ch. Delbo en conclut que « pour vivre, il vaut mieux ne rien savoir ». Quant à l’amour, après Auschwitz, il n’est plus si tragiquement triomphant que voudraient le faire croire les idées reçues. La phrase « mieux vaut avoir aimé et perdu que n’avoir jamais aimé » ne s’applique pas ici. À un niveau extrême, suggère Ch. Delbo, les nazis ont vaincu l’amour. Ayant eu droit à une ultime rencontre avec son mari avant qu’il ne soit tué, elle rapporte que tous deux trouvèrent le seul acte d’amour qui semblait possible pour leur séparation : tromperie mutuelle, prétendre chacun ignorer le sort qui les attendait. À Auschwitz, on ne gardait pas bien le souvenir de l’amour. La mémoire elle-même était un luxe que l’énergie autorisait à peine. Lorsqu’elle surgissait, se lamente Ch. Delbo, la mémoire ajoutait souvent à la souffrance trop grande pour ceux qui vivaient déjà au-delà de leurs moyens émotionnels. • Janvier 1948 : Shlomo Mikhoels, directeur du Théâtre juif national de Moscou et président du Comité antifasciste juif, est assassiné par la police secrète soviétique, le NKVD, au cours d’un accident d’auto provoqué. • Avril 1948 : Franz W. Six, ancien SS-Brigadeführer et commandant de l’Einsatzgruppe B, est condamné à 20 Car, pour Ch. Delbo, comme pour tout autre rescapé, surgirent des questions complexes, lancinantes. Ce que Ch. Delbo qualifie de « connaissance inutile » la conduisit à se demander s’il valait la peine de survivre. Son témoignage d’une franchise brutale et d’une profonde mélancolie ne ressemble pas à celui d’autres victimes – juives ou non juives – qui subirent les camps nazis. Il amplifie cependant l’une des répercussions clés de la Shoah, un impact ou une conséquence qui mérite une attention soutenue : en particulier après Auschwitz, il faut veiller à ne pas utiliser la Shoah comme une sorte de levier philosophique pour professer des idéaux et des convictions religieuses d’avant la Shoah. Ch. Delbo et d’autres qui survécurent savaient que, sans avoir péri physiquement entre les mains des nazis et de leurs collaborateurs, ils ont presque littéralement été « retirés du monde », emmenés en des Le dernier Juif de Vilkaviskis, en Lituanie, se recueille dans le cimetière juif de la ville qu’il restaura après la guerre. ans de prison pour crimes de guerre ; voir 1955. • 28 avril 1948 : Albert Foster, ancien Gauleiter de Dantzig (Pologne), est exécuté dans cette ville après avoir été reconnu coupable de crimes de guerre. • 14 mai 1948 : Expiration du mandat britannique sur la Palestine. 661 L ’ A P R È S d’Israël illustre cette capacité. Destin et lutte L’immigration aux États-Unis donna l’occasion d’un nouveau départ dans la vie à de nombreux enfants juifs rescapés, mais rien ne pouvait compenser les pertes subies. lieux où les espérances normales et les codes de conduite étaient mis sens dessus dessous, ébranlés, pulvérisés. De nombreux rescapés continuent à ressentir ce sentiment d’étrangeté au monde et à trouver difficile, sinon impossible, de célébrer quoi que ce soit qui ressemble au « triomphe » de l’homme sur la capacité destructrice de la Shoah. Cependant, cette étrangeté même est susceptible de suggérer des réponses aux niveaux les plus profonds de la conscience humaine. Comme le rappelle Lawrence Langer, l’horreur que suscite un « bébé déchiré en deux ou d’une femme brûlée vive » est insoutenable. Et pourtant, si nous entretenons une conscience aiguë de la Shoah, nous pouvons empêcher le désespoir et la mort d’avoir le dernier mot. L’État La Palestine se compose désormais de l’État d’Israël et du Royaume de Jordanie. Le Conseil national juif proclame l’indépendance de l’État d’Israël, État reconnu par les États-Unis dans les heures qui suivent ; voir 15 mai 1948. • 15 mai 1948 : Les forces égyptiennes et jordaniennes envahissent l’État d’Israël né la veille ; voir 7 janvier 1949. 662 Printemps 1945. Hitler était mort, le Troisième Reich en ruines. De nombreux non Juifs de par le monde supposaient que l’horreur avait pris fin, mais ce n’était vrai qu’à un certain degré. La terreur et l’extermination orchestrées par l’État avaient été stoppées, mais l’antisémitisme demeurait vivace dans l’Europe continentale. D’anciens SS et d’autres bourreaux de niveau inférieur circulaient librement et on ignorait où se terraient certains nazis de haut rang. En GrandeBretagne et aux États-Unis, les préoccupations juives ne semblaient guère susciter de compassion. Les Juifs ne se faisaient guère d’illusions sur leur sort. Les pogroms meurtriers qui se déchaînèrent en Pologne en 1946 ne firent que confirmer cette vérité : si les Juifs voulaient vivre en sécurité, il leur faudrait prendre en main leur destin, créer leur propre nation. Dans l’immédiat après-guerre, plusieurs dizaines de milliers de rescapés de la Shoah avaient pour objectif d’immigrer en Palestine où ils espéraient rejoindre leurs frères pour édifier une patrie juive indépendante. Les Britanniques, cependant, contrôlaient toujours l’immigration juive. Redoutant qu’un afflux de réfugiés juifs ne leur aliène le monde arabe, les Britanniques demeurèrent réticents à autoriser leur entrée en Palestine sur une grande échelle. Ils autorisèrent un maigre quota de 1 500 Juifs par mois et mirent un frein à l’immigration « illégale ». Néanmoins, entre 1944 et 1948, plus de 200 000 Juifs tentèrent de fuir en Palestine, franchissant les Le 12 novembre 1947, les dirigeants juifs (de gauche à droite) Nahum Goldmann, David Horowitz, Emmanuel Neumann et le rabbin Wolf Gold examinent une carte montrant le partage de la Palestine proposé par les Nations unies. Le 29 novembre 1947, les Nations unies approuvèrent un plan de partage de la Palestine stipulant la création d’un État juif. Les membres du yishouv (la communauté juive de Palestine) célèbrent l’événement. • 2 juin 1948 : Viktor Brack, ancien SS- Oberführer et organisateur de l’Aktion T-4 d’euthanasie, est pendu dans la prison de Landsberg (Allemagne) après avoir été reconnu coupable de crimes de guerre. Karl Brandt, médecin d’Adolf Hitler et SSGruppenführer, impliqué dans des expériences médicales illégales, est lui aussi reconnu coupable de crimes de guerre et pendu dans la prison de Landsberg. • 30 septembre 1948 : Fermeture de l’UNRRA (United Nations Relief and Rehabilitation Agency). • Novembre 1948 : Au cours d’une purge dans les milieux culturels juifs soviétiques, le dirigeant soviétique Joseph Staline suspend la publication du journal en yiddish Eynikeyt (Unité). L ’ A P R È S frontières partout où ils le pouvaient. Entre août 1945 et mai 1948, environ 69 000 Juifs firent le voyage par la mer à bord de 65 embarcations. Quelquesuns seulement de ces bateaux parvinrent à contourner le blocus britannique. Environ 51 000 réfugiés juifs passèrent jusqu’à deux ans dans des camps de détention britanniques sur l’île de Chypre, en Méditerranée. Tandis que l’insistance juive augmentait, la pression internationale encourageait également la création d’une patrie juive. À Tel Aviv, le 14 mai 1948, plusieurs POPULATIONS JUIVES D’APRÈS-GUERRE, 1950 N IE AS PE RO EU FINLANDE 1 800 NORVÈGE 1 200 OCÉAN ATLANTIQUE SUÈDE 12 500 mer du UNION SOVIÉTIQUE 2 000 000 Nord IRLANDE 5 400 GRANDEBRETAGNE 450 000 PAYS-BAS 27 000 BELGIQUE 42 000 LUXEMBOURG 800 DANEMARK 5 500 ALLEMAGNE 37 000 FRANCE 235 000 SUISSE 21 000 PORTUGAL 4 000 ESPAGNE 3 000 POLOGNE 45 000 TCHÉCOSLOVAQUIE 17 000 AUTRICHE 18 000 HONGRIE 155 000 ROUMANIE ITALIE 280 000 35 000 YOUGOSLAVIE 3 500 BULGARIE 6 500 TURQUIE ALBANIE 50 000 300 mer Caspienne mer Noire ASIE GRÈCE 7 000 AFRIQUE 0 400 miles 0 700 kilomètres mer Méditerranée La population juive d’Europe passa d’environ 9,5 millions en 1933 à 3,5 millions en 1950. La population juive de Pologne passa de trois millions à 45 000 âmes. En 1950, plus de 200 000 Juifs européens avaient émigré en Palestine/Israël et 72 000 s’étaient installés aux États-Unis. • Décembre 1948 : Les Nations unies réunissent une Convention sur le génocide qui appelle tous les États membres à réagir avec fermeté contre les groupes perpétrant des massacres pour des raisons raciales, ethniques, religieuses ou nationales. La délégation des ÉtatsUnis, très consciente de la ségrégation prévalant dans son pays, refuse de ratifier la convention. • 1949 : Sur les 9 600 personnes condam- nées à des peines de prison par le Tribunal de Nuremberg et les procès suivants, 300 seulement sont encore en détention. • Josef Mengele, médecin/tortionnaire d’Auschwitz-Birkenau, adopte un pseudonyme et s’installe en Amérique du Sud. • Le nazi Hermann Esser, auteur de La peste juive mondiale (1939), est privé de ses biens et de ses droits civiques par un tribunal allemand de dénazification et condamné par contumace à cinq ans de travaux forcés. • Lutz Schwerin von Krosigk, ancien ministre des Finances du Reich, est condamné, lors d’un procès de Nuremberg, à dix ans de prison. • Préoccupé par le début de la Guerre froide, l’Occident s’intéresse moins à la poursuite des criminels de guerre nazis sur une grande échelle. 663 L ’ A P R È S les plus importants étant la guerre des Six Jours de 1967 et la guerre de Kippour de 1973 qui aboutirent toutes deux à des victoires israéliennes retentissantes et à des gains territoriaux. Or, s’il est souvent question de paix durable dans la En février 1948, des Arabes, échappant vraisemrégion, elle ne semble blablement aux dispositifs de sécurité britanniques peu aucunement assurée. La rigoureux, firent exploser une bombe qui réduisit le problématique question quartier juif de Jérusalem aux décombres de la photo. d’un État indépendant Trois mois plus tard, le 15 mai, l’État d’Israël, âgé d’un pour les Arabes palestijour, se retrouvait en guerre après les agressions déclenchées par l’Égypte et la Jordanie. niens en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza mois après le vote des Nations demeure incertaine en ce début unies prévoyant le partage de la du XXIe siècle. Palestine en un État juif et un L’État d’Israël aurait-il existé si État arabe, et alors que les Britanla Shoah ne s’était pas produite ? niques avaient commencé leur D’aucuns soutiennent qu’une retrait de Palestine, David Ben patrie juive aurait pu exister plus Gourion proclama l’indépendance tôt si la Seconde Guerre mondiale de l’État d’Israël. Le recensement effectué six mois plus tard montra que la nouvelle nation comptait 782 000 habitants, dont 713 000 Juifs, y compris des rescapés de la Shoah dont le nombre approchait les 140 000 vers la fin de la décennie. L’indépendance, cependant, ne garantit pas la sécurité d’Israël. La nouvelle nation, proclamée le 14 mai 1948, fut envahie dès le 15 mai par les forces arabes ; un cessez-le-feu intervint huit mois plus tard. La guerre de 1948-49 fut la première d’une série de conflits avec des voisins arabes hostiles – • 7 janvier 1949 : Un cessez-le-feu imposé met fin à la guerre déclenchée par les Arabes en mai 1948 : au cours des combats, Israël a augmenté son territoire de 50%. Au cours de la guerre des Six Jours de 1967, Israël remporta une victoire écrasante contre les agresseurs arabes. Le triomphe permit au pays d’élargir ses frontières, créant une nouvelle image de puissance et de force israéliennes dans la région, et remplissant les Juifs de fierté. fédérale d’Allemagne (RFA ou Allemagne de l’Ouest), démocratie parlementaire. • 11 mai 1949 : Admission d’Israël • 7 octobre 1949 : Les États communistes d’Allemagne orientale adoptent une constitution centralisée et s’associent pour créer la République démocratique allemande (RDA). • 23 mai 1949 : Création de la République • 1949-1952 : Encouragés par le dirigeant soviétique Joseph Staline, des aux Nations unies. 664 et la Shoah n’avaient pas eu lieu. D’autres, sceptiques quant aux spéculations, soulignent que l’existence même de l’État d’Israël est inextricablement liée à l’histoire de la Shoah. Et, comme l’avertit le hurlement de la sirène le Yom haShoah, Israël ne pourra jamais relâcher sa vigilance. L’existence d’Israël suscite une autre question, lorsqu’on évoque la conviction de Théodore Herzl pour lequel un État juif indépendant était l’unique réponse viable à la « question juive » : Et si les Juifs avaient disposé d’un État à eux au début du XXe siècle, la Shoah aurait-elle eu lieu ? Probablement pas, mais cette question ouvre la porte à une intense spéculation. Les nazis auraient-il pu déporter neuf millions de Juifs européens dans une Palestine juive et ce territoire aurait-il pu accueillir un tel afflux de population ? Un tel scénario est difficilement crédible. La question n’en attire pas moins l’attention sur des thèmes majeurs. Être privé d’État, c’est encourir impuissance et désespoir. Stratégiquement, la vulnérabilité n’est guère une politique saine. La puissance nationale fait réfléchir à deux fois d’éventuels agresseurs et quiconque s’attaque à la sécurité d’Israël ou aux intérêts des Juifs dans le monde ne doit pas s’attendre à agir en toute impunité. Ces considérations politiques font partie intégrante des tribunaux fantoches organisent des procès à grand spectacle en Hongrie et en Tchécoslovaquie ; les accusés, dans leur immense majorité, sont des Juifs. • 1950 : Les Alliés chargent l’Allemagne de l’Ouest d’assumer la responsabilité de poursuivre les criminels de guerre nazis. • Erich Koch, ancien haut commissaire d’Ukraine, est extradé en Pologne pour sa L ’ A P R È S En mai 1974, le village de Maalot, en Galilée, fut la cible de terroristes palestiniens. Vingt écoliers furent assassinés. Ici, Galil Maïmon transporte en lieu sûr sa sœur Tsipora, blessée. répercussions les plus importantes de la Shoah. Les questions de culpabilité Peu d’événements ont affecté l’identité juive et israélienne autant que la Shoah. Les répercussions de la Shoah affectent corollairement l’identité allemande. Aucune sirène d’avril n’impose à l’Allemagne une minute de silence à la mémoire de l’anéantissement des Juifs européens, mais l’histoire de la nation est inévitablement liée à celle de la Shoah. Au début du siècle, Berlin est devenu le site d’un nouveau mémorial dont la naissance a été particulièrement laborieuse, le Mémorial d’Allemagne à la mémoire des Juifs d’Europe assassinés. Il existe, depuis quelque complicité dans la mort de millions de personnes, dont 72 000 Polonais. Sa condamnation à mort est commuée en peine de prison à vie en raison de son état de santé. • Israël adopte la Loi sur le jugement des criminels nazis et leurs collaborateurs, ouvrant la voie aux procès d’anciens nazis dans le pays. • Le fonctionnaire SS Adolf Eichmann s’évade en Argentine avec l’aide d’agents secrets d’Odessa, une orga- temps, en territoire allemand des sites commémorant la Shoah ; les anciens camps de concentration de Buchenwald, Dachau, Ravensbrück et Sachsenhausen en sont des exemples. Mais le mémorial de Berlin, qui sera situé au cœur de la capitale du pays, représente une reconnaissance nationale particulière de la responsabilité historique de l’Allemagne dans la Shoah. En juin 1998, une Findungskommission de cinq membres recommanda un projet soumis par l’architecte américain Peter Eisenman qui représente un champ de stèles ondoyantes. Ce projet, pour lequel la presse allemande se montra fort élogieuse, avait été accepté par Helmut Kohl, alors chancelier. Cependant, du fait de la résistance de l’opposition politique à Helmut Kohl, les décisions définitives ne furent prises qu’après les élections allemandes de septembre 1998. Gerhard Schröder devint alors le nouveau chancelier. Michael Naumann, ministre de la culture de Schröder, s’opposait à l’idée d’un mémorial national de la Shoah, mais les négociations menées entre Naumann, Eisenman et la Findungskommision conduisirent à des modifications rendant le projet réalisable. Le projet d’origine du mémorial a été réduit et le site sera complété par un centre d’information et une bibliothèque. L’indépendance d’Israël L’objectif si longtemps poursuivi par les sionistes – la création d’une patrie juive en Palestine – fut enfin atteint le 14 mai 1948 lorsque David Ben Gourion (debout) proclama l’indépendance de l’État d’Israël. Les pertes juives durant la Shoah contribuèrent au soutien apporté par la communauté internationale à la création d’un État juif souverain. Le 29 novembre 1947, les Nations unies votèrent le partage de la Palestine en deux États, un juif et un arabe. Alors que les nationalistes arabes rejetaient complètement le plan, les dirigeants de la communauté juive en Palestine finirent par accepter le partage. Lorsque le premier ministre Ben Gourion annonça la création de l’État d’Israël dans les frontières qui lui étaient attribuées par le plan de partage, les armées des États arabes envahirent presque immédiatement l’État nouvellement créé. nisation d’anciens officiers SS ayant pour objectif d’aider de telles évasions. • Juin 1950 : Une loi américaine sur les DP (displaced persons) de 1948 est modifiée par le Congrès afin de permettre une immigration juive équitable aux ÉtatsUnis. La loi de 1948 favorisait les Juifs originaires de pays se trouvant sous domination soviétique après la guerre. • 1er décembre 1950 : Découverte, à l’endroit où se trouvait autrefois le 68 de la rue Nowolipki à Varsovie, des deuxième et troisième parties des archives Oneg Shabbat d’Emanuel Ringelblum, comprenant son journal intime. S’y trouve également le témoignage d’Abraham Jacob Krzepicki, un jeune évadé du camp de la mort de Treblinka. 665 L ’ A P R È S Israël et la Shoah Les Juifs de Palestine non seulement accueillirent les Juifs européens de la Shoah, mais combattirent pour sauver leur vie. La Palestine fut le seul endroit sur terre où un important pourcentage de la population accueillit favorablement les Juifs européens pendant la guerre. Le sionisme, un mouvement créé par Théodore Herzl dans les années 1890, soutenait que l’Europe n’était pas un lieu sûr pour les Juifs qui devaient disposer de leur patrie nationale en Palestine. Le sionisme encourageait l’immigration légale ou illégale en Palestine, alors sous mandat britannique. Durant les premières années de la guerre, David Ben Gourion, président de l’Exécutif sioniste et de l’Agence juive pour la Palestine, rechercha le soutien des Juifs américains aussi bien dans l’intérêt des Juifs européens que pour favoriser la création d’un État juif en Palestine. Il exhorta les Alliés à bombarder les villes allemandes en représailles aux atrocités contre les Juifs, mais, constatant que les Alliés n’aidaient pas les Juifs, il considérait les grandes manifestations organisées dans les pays alliés comme une perte de temps. • 1951 : Hans Schmidt, un ancien garde de Buchenwald, est le dernier criminel de guerre à être exécuté par les Alliés. • L’écrivain Ernst von Salomon publie Der Fragebogen (Le questionnaire), texte qui tente d’atténuer la culpabilité allemande en « répondant » à un questionnaire distribué en Allemagne par les Alliés, en 1945. Ce dernier était destiné à éliminer les nazis invétérés, à les empêcher d’occuper des postes dans 666 Après la Shoah, près d’un million de réfugiés juifs européens furent accueillis en Palestine et en Israël, l’État juif créé en 1948. La photo montre des Juifs arrivant à bord du Néguev, en 1948. Cette nation, unique en son genre, qui accorde automatiquement la nationalité à tout Juif qui s’installe là où il entend vivre, fut créée et défendue comme un lieu où les Juifs pourraient enfin être en sécurité. Paradoxalement, les Juifs connaissent de nombreux risques en Israël. L’énorme impact de la Shoah sur l’état d’esprit des Israéliens conditionne la vie et la politique israéliennes depuis des décennies. Environnés de nombreux les gouvernements d’après-guerre. • De connivence avec la Banque fédérale des États-Unis, la banque américaine National City accepte de l’or pillé par les nazis pour un montant de 30 millions de dollars, fonds blanchis en Suisse sous couvert de garantie d’un prêt à l’Espagne. Les lingots, estampillés de la croix gammée nazie, sont fondus et reconstitués pour apparaître comme des lingots des États-Unis ; voir 1er novembre 1997. gouvernements arabes hostiles et se trouvant sur une topographie difficilement défendable, les Israéliens ont mis l’accent sur la sécurité, ce qui détermine parfois leur politique étrangère. Bien que la vie culturelle, intellectuelle et politique reflète un large éventail de thèmes, le spectre d’une réédition de la Shoah hante la nation. Le penseur juif Richard Rubenstein a décrit comme suit la ferme détermination des rescapés de la Shoah qui ont immigré en Israël : « Nous pouvons mourir sur les sables de la Palestine, mais nous ne nous accommoderons plus jamais de votre bon plaisir ou de vos préjugés. Il y aura peut-être un jour un autre Massada au cours duquel les Juifs combattront jusqu’au dernier avant d’être submergés par l’ennemi. » « Il n’y aura jamais un autre Auschwitz, poursuit-il. Les Juifs n’auront plus jamais confiance dans votre humanité, pour subir finalement la plus dégradante des morts froides. Nous avons plié nos tentes. Pour nous, l’errance a pris fin. Nous ne vivrons plus parmi vous. Pour le meilleur ou pour le pire, nous rentrons chez nous. » • Le baron Otmar von Verschuer reçoit un poste à l’université de Münster en Allemagne de l’Ouest pour enseigner la génétique humaine. En tant que mentor de Josef Mengele, il recevait des spécimens humains et des rapports provenant d’Auschwitz. • Création à New York de la Claims Conference, chargée de coiffer tous les organismes s’occupant d’indemniser les Juifs spoliés par les Allemands. L ’ A P R È S Pendant la rixe, des vitrines de magasins et des véhicules furent fracassés et, des deux côtés, il y eut des blessés ; la police arrêta 26 personnes. Si l’incident s’était réduit à cette description, la presse internationale n’en aurait vraisemblablement même pas parlé, mais les raisons qui déterminèrent cet affrontement en Allemagne présentaient un grand intérêt médiatique. L’Allemagne d’après-guerre estime – du moins en partie – que, quel que soit le mal commis par Hitler et ses nazis, la Wehrmacht (armée allemande durant la Seconde Guerre mondiale) a combattu dans l’honneur et ne peut être ternie par la Shoah. De nombreux Allemands savaient beaucoup de choses, mais les impressions sur la noblesse de l’armée persistaient dans l’opinion publique. Puis, en mars 1995, une exposition intitulée Vernichtungskrieg: Verbrechen der Wehrmacht, 1941-1944 (Guerre d’extermination : les crimes de la Wehrmacht) commença à apparaître dans divers endroits en Allemagne et en Autriche. Cette exposition de photos et de documents confirmait Le 20 janvier 1999, Michael Naumann – que la Wehrmacht avait ministre de la culture du chancelier allemand Gerhard Schröder – présente la maquette d’un bel et bien mené une mémorial de la Shoah devant être construit au politique génocidaire à cœur de Berlin. l’encontre des Juifs et des Tsiganes. Le projet du mémorial était presque réalisé en 1999 lorsque deux autres événements furent remarqués dans les nouvelles allemandes, ayant tous deux des liens au moins implicites avec le mémorial des Juifs d’Europe assassinés. En premier lieu, l’Associated Press à Cologne (Allemagne), en date du 22 mai, fit état d’incidents entre groupes politiques de droite et de gauche. Le police maintint les adversaires à distance pendant un moment, mais, lorsque environ 200 partisans du Parti national, un groupe d’extrême droite, commencèrent la manifestation autorisée par un tribunal, quelque 400 opposants de gauche contournèrent les barrages de police et se mirent à bombarder les manifestants avec des bouteilles, des pierres, des œufs et des tomates. • Janvier 1951 : Manifestation monstre à Jérusalem contre une proposition de l’Allemagne de l’Ouest de verser des « réparations » monétaires à Israël et aux Juifs pour la Shoah. Nombreux sont les Israéliens qui refusent tout accord avec l’Allemagne ; voir 27 septembre 1951. • 12 janvier 1951 : Sous l’égide des Nations unies, en vertu de l’article 56 de la charte de l’ONU, la Convention sur le génocide, interdit la torture, le meurtre, la déportation et la persécution d’un groupe pour des raisons raciales, religieuses ou politiques. • 12 avril 1951 : La Knesset (parlement d’Israël) adopte une loi sur le Yom haShoah, jour de commémoration de la Shoah. L’exposition itinérante « Guerre d’extermination : les crimes de la Wehrmacht » fit voler en éclat l’idée fort répandue que l’armée allemande avait combattu courageusement pendant la guerre et n’était pas ternie par les atrocités nazies. L’armée avait également perpétré des massacres en masse de Slaves sans défense en Pologne, Serbie et Union soviétique ; elle était en outre responsable de la mort de plus de trois millions de prisonniers de guerre soviétiques. Cette exposition, vue par plus de 820 000 personnes dans 32 villes à la fin du printemps 1999, suscita des protestations considérables. Avant les troubles de Cologne, des incidents avaient éclaté entre groupes de droite et de gauche dans la ville de Sarrebruck, dans le sud-ouest du pays. Là, plus de 100 personnes de gauche, favorables à l’exposition, furent arrêtées lorsqu’elles contestèrent les protestations de droite contre l’exposition des atrocités perpétrées par la Wehrmacht. • 8 juin 1951 : Après avoir été reconnus coupables de crimes de guerre, d’anciens nazis sont pendus à la prison de Landsberg : Oswald Pohl, ancien général SS chargé des travaux dans les camps et des objets de valeurs volés aux détenus ; Paul Blobel, ancien SS-Standartenführer et chef du Sonderkommando 1005 ; et Otto Ohlendorf, ancien SS- 667 L ’ A P R È S La prétendue pureté morale de la Wehrmacht revêtait de l’importance pour les Allemands d’après-guerre. La complicité de l’armée à de nombreuses atrocités devint évidente par la suite, justifiant les procès intentés en 1947 au général Wilhelm List (au centre) et à d’autres chefs militaires. Les nouvelles d’Allemagne du 21 mai 1999 comportaient un autre récit concernant la Shoah. Il s’agissait d’un Allemand de souche du nom d’Alons Goeztfried. En 1991, alors que l’Union soviétique se désintégrait, Goetzfried avait immigré en Allemagne depuis son Ukraine natale. Il ne réussit pas cependant à laisser derrière lui son passé du temps de guerre. Il s’avéra qu’en 1943, Goetzfried, membre de la Gestapo, avait participé au meurtre de 17 000 Juifs en Pologne. Traduit en justice en L’Allemagne aux prises avec son passé Le legs sanglant du nazisme jette une ombre sinistre et durable sur la nation allemande. Les questions de culpabilité et de responsabilité collectives pour les crimes commis par le national-socialisme imprègnent la société allemande tout entière. Bien que plus de 50 ans la séparent de la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne lutte toujours pour assumer son passé. Jusqu’aux années 1960, les débats sur le national-socialisme étaient quasiment absents des manuels scolaires allemands. Si de nombreuses questions sur la culpabilité dans la Shoah sont désormais prudemment abordées en Allemagne, toute tentative de commémorer la Shoah déclenche un débat national. Au niveau individuel, des intellectuels allemands se débattent sans relâche à propos de la culpabilité allemande. Alors que le philosophe allemand Karl Jaspers rejette la thèse de la culpabilité collective, le théologien allemand Martin Niemöller la reconnaît ouvertement. Dans sa confession « Je suis coupable », Niemöller écrivit : « Nous ne sommes certainement pas exempts de culpabilité ; et je me demande sans cesse ce qui se serait passé si, dans toute l’Allemagne, 14 000 pasteurs évangéliques avaient défendu la vérité avec leur vie en 1933 ou 1934… J’imagine que nous aurions sauvé 30 à 40 millions de vies humaines. » Gruppenführer et commandant de l’Einsatzgruppe D. • 23 juillet 1951 : Philippe Pétain, chef du gouvernement collaborationniste de Vichy, meurt en exil sur l’île d’Yeu, à l’âge de 96 ans. • 8 septembre 1951 : Jürgen Stroop, ancien SS-Gruppenführer chargé de la 668 liquidation du ghetto de Varsovie, est pendu à Varsovie après avoir été reconnu coupable de crimes de guerre. • 27 septembre 1951 : Le chancelier ouest-allemand Konrad Adenauer demande officiellement pardon pour la persécution des Juifs par les nazis et réitère des offres de réparations ; voir janvier 1951 ; voir 10 septembre 1952. Allemagne, il fut reconnu coupable de crimes de guerre par un tribunal de Stuttgart. Le procureur réclama une peine de 13 ans de prison que le tribunal refusa. Même si le procureur l’avait emporté, on ne sait pas très bien si le sort de Goetzfried eût été très différent. Après l’avoir condamné à dix ans de prison, le tribunal libéra Goetzfried en raison des 13 années qu’il avait purgées dans un camp de travail soviétique en Sibérie. Les avocats de Goetzfried déclarèrent qu’en Allemagne, ce procès pourrait bien être le dernier intenté pour crimes de guerre de l’époque nazie. Car, à l’instar des rescapés de la Shoah, les personnes suspectées de crimes de guerre et celles qui pourraient témoigner contre eux vieillissent et disparaissent. Après la guerre, le docteur Josef Mengele, le sadique médecin-chef d’Auschwitz, trouva refuge en Amérique du Sud. Cet avis de recherche fut diffusé par le Centre Simon Wiesenthal en 1985. • 1952 : Le tribunal fédéral allemand statue que les lois et ordonnances adoptées par le régime nazi sont nulles et non avenues parce qu’elles violent toutes les normes de légalité et de moralité. • Février 1952 : La Federal Reserve Bank de New York reçoit des plaques en or, des boutons, des pièces de monnaie et des L ’ A P R È S L’Allemagne n’est pas le seul pays qui ait dû juger des personnes ayant détruit des vies juives pendant la Shoah. Aux États-Unis, par exemple, le département de la Justice a créé, en 1979, un Bureau se consacrant à la chasse aux nazis (Office of Special Investigations ou OSI). Depuis sa création, 61 ex-nazis ont été déchus de leur nationalité américaine et 49 ont été expulsés des États-Unis. Le programme « watch list » (liste de surveillance) a empêché l’entrée sur le territoire américain de 150 personnes suspectées d’être des criminels de guerre nazis et, en 1999, l’OSI enquêtait sur plus de 250 personnes. John Demjanjuk, un travailleur de l’industrie automobile à la retraite, à Cleveland, dans l’Ohio, qui avait immigré aux États-Unis en 1951 et avait reçu la nationalité américaine en 1958, fit l’objet d’un examen particulièrement approfondi. En 1986, Demjanjuk fut extradé en Israël où il fut jugé pour crimes contre l’humanité. Il fut cependant acquitté lorsque des documents provenant d’Union soviétique jetèrent le doute sur son identité : était-il l’ignoble opérateur de la chambre à gaz de Treblinka surnommé Ivan le Terrible ? Le département américain de la Justice entama des poursuites dans un tribunal fédéral le 19 mai 1999 pour priver Demjanjuk de sa nationalité américaine. Demjanjuk ornements de pipe en or, apparemment volés aux victimes de la persécution nazie en Europe. Par la suite, la Réserve fédérale fera fondre ces objets et les transformera en lingots qui seront cédés aux banques centrales européennes ; voir décembre 1997. A gauche en haut : Beate Klarsfeld fut l’un des « chasseurs de nazis » les plus dévoués de l’aprèsguerre. Elle accueille ici le premier ministre israélien Yitzhak Rabin, en juillet 1975. A droite en haut : Né en Ukraine, John Demjanjuk, soupçonné d’être « Ivan le Terrible », l’homme qui faisait fonctionner les chambres à gaz de Treblinka, fut libéré par les procureurs, faute de preuves. Le département américain de la Justice l’avait cependant associé à d’autres camps de la mort. A droite en bas : En mars 1998, l’ancien officier SS Erik Priebke fut condamné à la prison à vie pour avoir ordonné le massacre de 335 civils italiens, dont 75 Juifs, aux Fosses ardéatines, à la périphérie de Rome, en 1944. Il fit appel. n’avait peut-être jamais été à Treblinka, mais le département de la Justice l’accusa, entre autres, d’être un garde armé de Sobibor et Majdanek, deux camps de la mort et de concentration nazis en territoire polonais où des centaines de milliers de Juifs avaient été assassinés pendant la Shoah. Le code criminel des États-Unis ne contenait pas de dispositions explicites sur les crimes de guerre. Les États-Unis eurent cependant recours à une autre accusation : la falsification d’informations concernant les demandes de nationalité, pour reti- de l’Ouest signent les accords de Luxembourg en vertu desquels la RFA versera des Controverses Tandis que la génération des bourreaux disparaît, le mémorial des Juifs d’Europe assassinés se dresse en Allemagne. Cependant, comme le montrent les incidents de Cologne et de Sarrebruck, les réper- « réparations » à Israël et aux organisations juives pour le génocide nazi. Sur les 820 millions de dollars versés, 750 millions iront au gouvernement israélien ; voir 1990. neaux en graisse animale à I. A. Topf und Söhne (I. A. Topf & fils), fabricant des chambres à gaz et des fours crématoires pendant la guerre. • 9 novembre 1952 : Décès de Haïm Weiz- • 1955 : Franz W. Six, ancien SS-Bri- mann, premier président de l’État d’Israël. • 10 septembre 1952 : Israël et l’Allemagne rer la nationalité des suspects de crimes de guerre et faciliter leur expulsion. Demjanjuk a été déchu de sa nationalité américaine en 2002. Le 17 décembre 2004, la justice américaine a décidé de l’expulser des États-Unis, pour une destination inconnue. • 1953 : Un brevet est accordé pour une méthode d’alimentation de four- gadeführer et commandant de l’Einsatzgruppe B, est libéré après avoir purgé sept ans d’une peine de 20 ans de prison pour crimes de guerre. 669 L ’ A P R È S Les fugitifs nazis dans les Amériques Tous les nazis ne suivirent pas la voie de Joseph Goebbels qui choisit de se suicider plutôt que d’affronter une vie sans le Führer. Plusieurs autres, y compris certains responsables de la mise en œuvre de la « solution finale », s’enfuirent d’Allemagne dans l’espoir d’échapper à la justice. Aidés par des réseaux secrets de sympathisants nazis, Adolf Eichmann, Franz Stangl et Josef Mengele, ainsi que d’autres jamais dévoilés, s’enfuirent en Amérique du Sud. Eichmann, le SS « expert de la question juive », se réfugia en Argentine, mais fut, par la suite, repéré et enlevé par des agents secrets israéliens. Stangl, commandant des camps de la mort de Sobibor et Treblinka, s’enfuit d’abord en Syrie avec l’aide d’un évêque catholique sympathisant, puis se rendit au Brésil. Pendant 16 ans, il y vécut avec sa famille, sous son propre nom, travaillant dans une usine Volkswagen jusqu’à ce que les enquêteurs sur les crimes de guerre finissent par l’extrader pour le faire juger en Allemagne. Josef Mengele, le médecin d’Auschwitz surnommé l’« Ange de la mort », trouva refuge en Argentine. Menacé d’extradition, il se cacha au Brésil et au Paraguay, parvenant à échapper à la capture. Il mourut, libre, en 1978. D’autres, y compris des gardes de camps de concentration et de camps de la mort, rejoignirent le flot de réfugiés qui immigrèrent aux États-Unis, refaisant leur vie et échappant aux poursuites. Durant l’été 1998, l’Argentine signa un accord avec l’Allemagne, Israël et les États-Unis concernant la communication d’information sur les nazis encore en liberté en Argentine. Dans Les Bourreaux volontaires de Hitler : les Allemands ordinaires et l’Holocauste, Daniel Goldhagen explique que l’antisémitisme invétéré très répandu détermina des Allemands ordinaires à devenir « volontairement » les meurtriers des Juifs. • 1955 : Sortie de Nuit et brouillard du réalisateur français Alain Resnais, un court et puissant documentaire sur les atrocités des camps de concentration et des camps de la mort nazis. Il comporte cependant une omission majeure en ne mentionnant pas le fait que les principales victimes de la Shoah furent les Juifs. • Jud Süss, le long métrage le plus 670 antisémite réalisé à l’époque d’Hitler, est doublé en arabe et distribué dans les pays arabes par Sovexport, une agence gouvernementale soviétique. • 1956 : Sortie de Kanal un film poignant du réalisateur polonais Andrzej Wajda sur des Juifs fugitifs se cachant sous les rues de Varsovie, dans les égouts, en septembre 1944. cussions de la Shoah sur l’identité allemande ne sont pas près d’être étouffées. Le mémorial de Berlin, qui témoignera de l’immensité de la « solution finale », suggère également que la responsabilité allemande dans la destruction des Juifs européens était fort étendue. Elle concerne des gens comme Alfons Goetzfried et ses collègues de la Gestapo, mais aussi de la Wehrmacht. Pour Daniel Jonah Goldhagen, jeune professeur de sociologie à l’Université de Harvard, la responsabilité allemande est si vaste qu’il est justifié d’appliquer le titre de son livre, succès de librairie, Les Bourreaux volontaires de Hitler : les Allemands ordinaires et l’Holocauste, à l’ensemble des Allemands. Un demi-siècle après la fin de la Shoah, aucun écrit sur la Shoah – pas même les efforts les plus acharnés de pseudo-intellectuels qui nient la Shoah – n’a provoqué une controverse plus importante sur l’identité allemande que celui-ci. Même lorsqu’ils traitent de sujets extrêmement importants comme la Shoah, les livres d’histoire de 600 pages attirent rarement l’attention accordée aux Bourreaux volontaires d’Hitler. Considérant que ses conclusions ne correspondaient pas aux leurs, la plupart des spécialistes de la Shoah aux États-Unis, en Europe et en Israël n’ont pas accordé au livre l’importance que lui donnent • 29 octobre 1956 : En réaction à la natio- nalisation par l’Égypte du canal de Suez, le 26 juillet, l’armée d’Israël, soutenue par des forces britanniques et françaises, attaque la péninsule du Sinaï et se dirige vers le canal. • 6 novembre 1956 : Un cessez-le-feu imposé par les États-Unis met fin aux hostilités et préserve la libre circulation dans le canal de Suez. L ’ A P R È S avait publié un livre comme motivations principales devenu un classique l’influence exercée par le groupe, dans le domaine de la l’acceptation aveugle des normes Shoah. Ce livre de politiques en vigueur et le carriéBrowning, intitulé Des risme. hommes ordinaires L’interprétation de Browning analysait les enquêtes souligne effectivement que les polijudiciaires de 210 ciers de la réserve, si allemands membres du 101e qu’ils fussent et si antisémites qu’ils aient pu être, revêtaient une bataillon de réserve de importance particulière parce qu’ils la police allemande, Les SS de Himmler s’imaginaient être très exceptionétaient aussi des êtres humains très une unité de 500 nels, alors qu’en fait, la plupart d’entre eux, y compris ordinaires. Browning soutenait que hommes responsables ces anciens gardes d’Auschwitz photographiés ici l’histoire du 101e bataillon de la de la mort de 83 000 durant leur procès, n’étaient que des hommes très Juifs en Pologne police de réserve devrait susciter, moyens, dénués de scrupules et de conscience. pendant la Shoah. pour le moins, un malaise chez tous Goldhagen évoquait le livre de les hommes et femmes du monde. les chiffres de vente. Browning lorsqu’il ajouta le sousEn effet, comme le montre Principalement pour de bonnes titre les Allemands ordinaires et l’histoire de l’après Shoah, des raisons, les principaux intellectuels l’Holocauste aux Bourreaux volongens, en d’autres temps et d’autres contestant Goldhagen estimèrent taires d’Hitler. Ayant examiné les lieux – des gens comme nous – sont suspects sa méthodologie, ainsi que même archives que Browning sur eux aussi capables de complicité de le ton d’arrogance et de mépris e le 101 bataillon de la police de génocide. Goldhagen ne fut guère même à l’égard des meilleurs impressionné et encore moins travaux sur la Shoah. Ils considérè- réserve, Goldhagen estimait que convaincu. Il critique le livre de son collègue avait mal exploité et rent les résultats de sa recherche Browning parce qu’il ignore ce mal interprété les données. En comme bien moins originaux que qu’il considère comme le point particulier, Goldhagen soutenait ne l’affirmait Goldhagen ou incoressentiel de la Shoah : seul l’antiséque Browning avait sous-estimé la rects au point d’être pernicieux profondeur de l’antiséparce qu’ils ré-enflammeraient des mitisme en Allemagne préjugés immérités aussi bien et minimisé son contre les Allemands que contre emprise et son les Juifs. Que disait Goldhagen – de cette influence mortifère sur génération de jeunes universitaires le peuple allemand. Goldhagen accusa en d’après-guerre – pour provoquer outre Browning d’avoir des réactions si critiques ? On expliqué de façon remarquera tout d’abord que l’ouinadéquate le comporCes anciennes gardiennes d’Auschwitz, jugées vrage Les bourreaux volontaires en Pologne en 1947, avaient été autrefois des tement meurtrier des d’Hitler avait été précédé par les femmes allemandes « typiques ». Attirées par le hommes du 101e travaux de Christopher Browning, pouvoir, elles trouvèrent satisfaction dans les barabataillon en citant éminent historien qui, en 1992, quements et à proximité des chambres à gaz. • 1957 : Fritz Katzmann, ancien SS-Gruppenführer responsable de l’extermination des Juifs de Galicie, une région de Pologne, meurt après avoir échappé aux poursuites judiciaires pendant douze ans. • Fermeture du dernier camp de personnes déplacées, situé en Belgique. • 1958 : Le procès des Einsatzkommandos en Union soviétique met en relief les actions génocidaires perpétrées par les nazis lorsqu’ils occupèrent la Lituanie. 94% des Juifs lituaniens – soit environ 220 000 personnes – furent assassinés pendant la Shoah. • Création par le gouvernement ouest-allemand de l’Office central des enquêtes sur les crimes nazis. • 1959 : Arrestation de Karl Jäger, ancien SS-Standartenführer et chef de l’Einsatzkommando 3 ; il se suicide avant son procès. • Ante Pavelic, fondateur de l’organisation terroriste fasciste Ustasa, en Croatie, qui ordonna le massacre de dizaines de milliers de Juifs et de centaines de milliers de Serbes, meurt deux ans après un attentat contre lui. • George Stevens, réalisateur amé671 L ’ A P R È S Shoah. En outre, l’entreprise de Goldhagen dépendait de la démonstration que des « Allemands ordinaires » – pas seulement les nazis farouchement antisémites qui disposaient du pouvoir politique – s’étaient engagés de leur plein gré dans le massacre ou étaient si désireux de l’encourager qu’ils n’auraient pas hésité à tuer si on le leur avait demandé. Bref, Goldhagen dut montrer que la Shoah, contrairement à l’hypothèse des « hommes ordinaires » de Browning était l’acte volontaire d’« Allemands ordinaires » d’un antisémitisme bien plus mortel que ne l’avaient admis jusqu’alors les chercheurs. Pour fonder ses positions, le livre de Goldhagen s’organise autour de deux arguments. Commençant par l’histoire de l’antisémitisme allemand, Goldhagen tente de montrer en particulier comment un racisme antijuif mortiEn 1959, la synagogue de Cologne, en Allemagne, fère exerça une puisfut reconstruite. Bientôt, des croix gammées et les mots Juden raus (Juifs dehors) profanèrent ses murs. sante influence sur l’Allemagne pré-nazie. Puis, il s’intéresse aux Allemands qui ont véritablement perpétré la Shoah, étudiant le personnel et le travail des escadrons de la mort comme le 101e bataillon de réserve de la police. Il examine également le rôle joué par d’autres « Allemands mitisme profondément enraciné dans le peuple allemand avait pu motiver et ainsi expliquer, le comportement des individus allemands qui perpétrèrent les atrocités et favorisèrent la solution finale. En développant sa thèse, cependant, Goldhagen dut dépasser le simple désaccord avec l’interprétation de Browning des archives sur le 101e bataillon de la police de réserve. Il lui fallut montrer, en premier lieu, que « les convictions antisémites des Allemands à l’égard des Juifs constituaient la cause majeure de la Shoah. » Cette affirmation nécessitait non seulement qu’il retrace l’histoire de l’antisémitisme allemand, mais également montre comment cette histoire supposait une autorité et une puissance suffisamment néfaste pour rendre compte de l’énormité des destructions de la ricain, monte à l’écran le Journal d’Anne Frank, en se fondant sur une pièce de théâtre biographique concernant la jeune Néerlandaise Anne Frank, sa famille et l’endroit secret à Amsterdam où ils se cachèrent pour échapper aux nazis. Le film, comme la pièce auparavant, déjudaïse Anne et sa famille. Son père, Otto, l’approuva parce qu’il avait le sentiment que le 672 public n’était pas prêt à accepter un film « trop juif ». • 1960 : L’ancien SS Wernher von Braun, éminent chercheur allemand qui avait contribué à concevoir la fusée V2, est nommé à la tête du Centre spatial George C. Marshall à Huntsville, en Alabama. • Publication à Stuttgart, en Allemagne de l’Ouest, Hannah Arendt, philosophe juive allemande – et ancienne maîtresse du sympathisant nazi Martin Heidegger – émigra aux États-Unis. Elle écrivit plus tard Les origines du totalitarisme. ordinaires » dans l’immense système de camps de concentration, de travail et de la mort, qui fut, comme il le déclare à juste titre, « l’institution emblématique de l’Allemagne à l’époque nazie. » À ces perspectives, il ajoute une précision, aussi atroce que fondée, sur un aspect moins connu de la Shoah, à savoir les brutales « marches de la mort » qui eurent lieu de la fin de l’année 1939 à la fin de la Seconde Guerre mondiale. En premier lieu, selon Goldhagen, les Allemands ordinaires étaient antisémites. Leur antisémitisme entraîna l’extermination des Juifs. C’est pourquoi, les Allemands ordinaires étaient disposés à devenir tortionnaires. En second lieu, loin de répugner aux massacres, certains Allemands devinrent en fait les de Hitler’s Zweites Buch (Le second livre d’Hitler), attribué à Adolf Hitler et prétendument une suite de Mein Kampf ; son authenticité demeure sujette à caution. • 23 mai 1960 : Le premier ministre israélien David Ben Gourion annonce qu’Adolf Eichmann a été repéré en Argentine par les services secrets L ’ A P R È S bourreaux volontaires des Juifs européens. En général, ces mêmes Allemands constituaient un échantillon représentatif de la population allemande. C’est pourquoi, malgré quelques exceptions qui ne font que confirmer la règle, les Allemands ordinaires sont responsables de l’anéantissement des Juifs européens. Les preuves apportées par Goldhagen à l’appui de ces affirmations proviennent à l’origine de son appréciation de l’antisémitisme allemand. Selon sa lecture de l’histoire, les formes haineuses de l’antisémitisme culturel et raciste devinrent une norme éthique dans l’Allemagne des XIXe et XXe siècles, bien avant l’arrivée au pouvoir d’Hitler et du parti nazi. Un tel antisémitisme appelait à l’élimination des Juifs et de l’influence juive en Allemagne. D’une façon ou d’une autre, alors, la majorité de la population allemande était préparée à détruire les Juifs. Lorsque les nazis s’emparèrent du pouvoir, ils prônèrent ouvertement un antisémitisme d’extermination. L’un des éléments fondamentaux de la thèse de Goldhagen consiste à affirmer que cette idéologie d’extermination ne fut qu’une variation sur le thème de l’antisémitisme d’élimination déjà existant en Allemagne depuis un certain temps. Pendant l’époque nazie, de 1933 à 1945, les Allemands qui perpétrèrent la israéliens et est arrivé en Israël pour y être jugé en tant que criminel de guerre ; voir 11 avril-14 août 1961. • 1961 : Effondrement d’un mur érigé à la lisière de Babi Yar, site d’un massacre perpétré en Ukraine ; de la boue, de l’eau et des vestiges humains se répandent dans les rues de Kiev. Vingt-quatre personnes sont tuées dans des incendies qui se Les chasseurs de nazis Après la guerre, une recherche fut entreprise pour repérer les nazis qui s’étaient enfuis et les traduire en justice. Deux hommes, Simon Wiesenthal et Serge Klarsfeld, devinrent les deux chasseurs de nazis qui réussirent le mieux. Wiesenthal (photo), qui survécut à plusieurs camps, notamment Buchenwald et Mauthausen, fonda le Centre de documentation historique juif à Linz, en Autriche, pour repérer, extrader et juger les criminels de guerre nazis. Il déplaça par la suite ses activités à Vienne. Ses inlassables efforts conduisirent au tribunal Franz Stangl, commandant de Sobibor et Treblinka, ainsi que d’autres nazis. Klarsfeld était enfant pendant la Shoah. Né à Bucarest, en Roumanie, il s’enfuit avec sa famille à Nice où ils se cachèrent des nazis. Luimême, sa mère et sa sœur échappèrent aux rafles des nazis, mais son père fut pris et assassiné à Auschwitz. Les efforts de Klarsfeld et de son épouse Beate conduisirent à la capture de Klaus Barbie, le « boucher de Lyon. » Extradé de Bolivie, Barbie fut jugé en France et condamné à la prison à vie. Déterminés à empêcher les nazis de vivre tranquillement dans l’anonymat, Wiesenthal et les Klarsfeld se consacrent à la surveillance des criminels de guerre et de ceux qui leur ont donné asile. Shoah persécutèrent et exterminèrent volontairement les Juifs parce qu’ils partageaient les opinions antisémites des nazis. Selon ces opinions, l’extermination des Juifs était nécessaire et juste, parce que les Juifs étaient une « peste mortelle » menaçant la supériorité raciale et les prérogatives politiques propres aux Allemands. Selon Goldhagen, légitimés par le régime nazi, les assassins allemands, loin de constituer une infime minorité, représentaient la population allemande. déclenchent ou dans des bâtiments et des tramways inondés. • Israël inaugure la salle du Souvenir, commémoration de la Shoah. • À Vienne, le chasseur de nazis Simon Wiesenthal rouvre un Centre de documentation sur les criminels de guerre nazis. • Publication de The Origins of the Second World War, un livre de l’historien britannique révisionniste A. J. P. Taylor, qui tente de rejeter la responsabilité de la La deuxième partie des archives d’Emanuel Ringelblum, Oneg Shabbat, qui décrivent les événements du ghetto de Varsovie, fut découverte en 1950. La troisième et dernière partie n’a jamais été retrouvée. Seconde Guerre mondiale sur les dirigeants alliés. • 11 avril-14 août 1961 : En Israël, procès d’Adolf Eichmann qui est reconnu coupable et condamné à mort ; voir mai 1962. • 1962 : Hans Globke, secrétaire d’État de l’Allemagne de l’Ouest et autrefois rédac- 673 L ’ A P R È S Le procès Eichmann Le procès d’Adolf Eichmann, en 1961, constitua une étape décisive dans la recherche universitaire sur la Shoah. Avant le procès, les détails du génocide nazi avaient rarement été étudiés systématiquement, et les survivants se montraient réticents à réfléchir ouvertement sur leurs expériences. Kidnappé en 1960 par des agents israéliens en Argentine, Eichmann fut amené en Israël pour être jugé. Non seulement le procès établit la culpabilité d’Eichmann, mais il présenta également les détails de la « solution finale » tels qu’ils se déroulèrent en Europe de 1933 à 1945. L’une des révélations les plus choquantes dans le procès fut la découverte qu’Eichmann, l’un des principaux responsables du meurtre de millions de Juifs, était un être relativement ordinaire. Ce n’était pas un nazi fanatique, mais seulement un bureaucrate faisant son travail. Adolf Eichmann fut pendu à minuit, dans la nuit du 31 mai au 1er juin 1962. Son corps fut incinéré et ses cendres dispersées au-dessus de la mer, au-delà des eaux territoriales d’Israël. Allemands ordinaires. Fanatiquement antisémites comme ils l’étaient, suggère Goldhagen, Hitler et le parti nazi entretenaient une relation réciproque avec les Allemands ordinaires, dès lors qu’intervenait la « question juive ». En Hitler et dans le parti nazi, les Allemands ordinaires trouvèrent l’organisation, la détermination et la légitimation d’agir sur la volonté latente, sinon active, de détruire les Juifs d’Europe. Chez les Allemands ordinaires, Hitler et le parti nazi trouvèrent des gens bien préparés à réaliser le projet d’un Troisième Reich judenrein (« purifié de ses Juifs »). C’est pourquoi, lorsque Goldhagen traite du phénomène de la Shoah, son livre devient bien autre chose qu’une explication de la façon dont il pense que cet événement a eu lieu. Considérant que la motivation antisémite de Allemands fut la condition la plus déterminante – nécessaire mais pas suffisante – de la Shoah, Goldhagen accuse les « Allemands ordinaires », une catégorie aussi vaste qu’indéterminée, et rend un verdict accablant de culpabilité collective allemande. Le livre de Goldhagen présente plusieurs mérites qui résident principalement dans la façon dont il développe certains aspects de la solution finale, mais non dans la promesse trompeuse de procéder à une analyse pionnière Goldhagen entend montrer que la majorité des Allemands non seulement étaient disposés à laisser la Shoah se produire, mais auraient probablement participé directement aux massacres si on le leur avait demandé. Convaincu de la supériorité de son opinion, Goldhagen soutient qu’il demeure quelques énigmes quant aux causes de la Shoah. Bien qu’il soit laborieux d’expliquer comment la Shoah s’est produite, Goldhagen estime qu’il n’est pas nécessaire de développer la plupart des complexités que plusieurs décennies d’analyse causale ont produites. Selon lui, la Shoah eut une cause qui l’emporte sur toutes les autres. Purement et simplement, il s’agit de la motivation sans laquelle la Shoah eût été inconcevable, à savoir les convictions antisémites des Allemands. Qu’on supprime seulement ce facteur et la Shoah n’aurait pas eu lieu. Par ailleurs, pour réaliser la solution finale, l’antisémitisme des Allemands ordinaires de Goldhagen eut besoin du catalyseur que fournirent Hitler et le parti nazi. Néanmoins, à eux seuls, Hitler et le parti nazi n’auraient pas pu provoquer la Shoah telle qu’elle s’est produite. Pour réaliser la Shoah, il fallait la participation des teur de la législation antisémite d’Hitler, propose une législation pour réparer l’exploitation des Juifs par les entreprises allemandes. L’industrie ouest-allemande rejette le plan de Globke. • Inauguration, au mémorial de Yad Vashem, à Jérusalem, de l’Avenue des Justes, où des arbres sont plantés en l’honneur des non Juifs qui aidèrent des Juifs pendant la Shoah. • Mai 1962 : Rejet de l’appel interjeté par Adolf Eichmann ; voir 31 mai 1962. d’extermination d’Auschwitz. Les verdicts vont de l’acquittement à la prison à vie. • 31 mai 1962 : Adolf Eichmann est • 1964 : À cette date, environ 65 000 674 pendu en Israël. • 20 décembre 1963-20 août 1965 : À Francfort-sur-le-Main, procès de 21 officiers SS qui travaillaient au camp criminels de guerre nazis ont été jugés et condamnés. • 1965 : Le Vatican reconnaît que l’Église catholique doit porter une L ’ A P R È S répondant à un besoin – plus imaginaire que réel – d’une « révision radicale » de presque toutes les connaissances précédentes sur la Shoah. L’évaluation de son livre n’est nulle part plus pertinente que lorsqu’il affirme que « les convictions antisémites des Allemands constituèrent le facteur causal principal de la Shoah. » Goldhagen insinue à tort que des intellectuels comme Raul Hilberg, Yehouda Bauer et Christopher Browning « ont nié ou occulté » l’importance de l’antisémitisme allemand. En réalité, eux, comme d’autres spécialistes de la Shoah, ont évité les simplifications excessives qui caractérisent le livre de Adolf Eichmann semble être l’un de ces « Allemands ordinaires » que décrit Daniel Goldhagen. Les motivations d’Eichmann étaient cependant bien plus complexes que ne le pense Goldhagen. certaine responsabilité dans l’antisémitisme et tente d’y mettre fin au sein de l’Église. • 1966 : Albert Speer, ancien ministre de l’Armement et de la production de guerre dans l’Allemagne nazie, est libéré de la prison de Spandau ; voir 1970. • Baldur von Schirach, ancien chef des Jeunesses hitlériennes, est libéré de Spandau. Goldhagen. L’antisémitisme, par exemple, fut un courant majeur de l’époque pré-nazie. Néanmoins, alors que l’ouvrage de Goldhagen est rempli de précisions empiriques sur ce tableau répugnant, l’antisémitisme prénazi en Allemagne n’était pas principalement aussi mortifère que le soutient Goldhagen. Écartant commodément toute preuve du contraire comme étant insuffisante ou inadéquate, s’abstenant de procéder à la relativisation qui aurait modifié son point de vue radical sur l’antisémitisme allemand en le situant dans un contexte européen plus large, Goldhagen s’appuie trop sur une uniformité allemande supposée pour étayer sa cause. De temps en temps, Goldhagen souligne que ces « Allemands ordinaires » ne doivent pas être caricaturés comme des gens serviles, obéissant aux ordres, et que leur liberté de choix devrait être reconnue comme décisive s’ils doivent être tenus pour responsables de leurs actes pendant la Shoah. Mais alors, pour citer l’une des réfutations lapidaires de Browning, Goldhagen ignore ses propres principes en décrivant les Allemands ordinaires comme fondamentalement « indifférenciés, immuables, en proie à une perspective cognitive unique, monolithique », notamment en ce qui concerne les Juifs avant et pendant la Shoah. • 5-10 juin 1967 : Réagissant aux incursions frontalières syriennes et aux mouvements de troupes égyptiennes, et craignant une agression arabe, Israël attaque la Syrie, la Jordanie et l’Égypte, remportant la victoire en six jours et augmentant son territoire de 200%. Ce conflit prend le nom de guerre des Six Jours. Israël administre désormais une partie du territoire palestinien sous mandat britan- Le procès Eichmann fut une épreuve douloureuse pour de nombreux rescapés de la Shoah. Ici, Yehiel Koydzenik s’évanouit après avoir témoigné contre l’accusé. Le livre de Goldhagen n’a pas encore subi l’épreuve du temps. Pour l’instant, de façon délibérément provocante, il soulève des questions contestables sur l’identité allemande et la Shoah. Complétées et compliquées par des épisodes comme le procès Goetzfried, les affrontements à propos de l’histoire de la Wehrmacht, ainsi que par l’avenir du mémorial de Berlin, les répercussions de ces questions doivent encore être définies et pleinement appréhendées en ce début du XXIe siècle. Mais une chose est sûre : l’intégrité de l’identité allemande dépend de ce que la philosophe Hannah Arendt (une réfugiée juive allemande du Troisième Reich) a appelé « examiner et assumer consciemment » les fardeaux de nique entre 1922 et 1948 ; voir 6 octobre 1973. • 1967-1968 : Le gouvernement communiste polonais fomente une campagne antisémite contre le sionisme. • 1969 : Suppression dans le code pénal allemand du paragraphe 175 qui rendait l’homosexualité illégale et 675 L ’ A P R È S glorieuse. Certes, une minorité chrétienne résista et protesta contre les agissements des nazis, mais leurs gestes de défi furent rarement effectués explicitement au nom des Juifs en détresse. La culpabilité chrétienne Quelques chrétiens sauvèrent des Les répercussions de la Shoah Juifs, mais pas suffisamment pour laissent intactes et indemnes peu supprimer la honte que les chréde traditions, institutions ou goutiens sensibles ressentent vernements. Les Églises lorsqu’ils reconnaissent ce qui chrétiennes de toutes obédiences aurait pu et aurait dû être fait et sont dans l’obligation d’examiner ne le fut pas. et d’assumer consciemment les Les retombées de la Shoah fardeaux de l’histoire de la Shoah. placent les Églises chrétiennes Elles le doivent du moins si elles devant des défis, mais aussi devant entendent conserver une crédibide pénibles questions. Comment les lité après cette catastrophe. Dans Églises affronteront-elles leur l’ensemble, la réaction de la comhistoire de la Shoah ? Comment les munauté chrétienne à cette rencontres avec cette histoire affecsombre époque – qui fut peutteront-elles ce qu’elles disent et être le résultat inéluctable de plufont, notamment lorsque la Shoah sieurs siècles de tradition antijuive recule dans le passé, où ses chances du christianisme – ne fut guère d’être oubliée sont vouées à augmenter ? Certaines Le 7 avril 1994, le Vatican organise la première questions, en particulier, commémoration officielle des victimes juives de l’agression nazie. Parmi les invités du pape au concert de se posent sur ce que les commémoration de la Shoah, se trouvaient 200 rescaÉglises devraient dire et pés de la Shoah. faire – ou ne disent pas et ne font pas – pour garantir que la Shoah ne sombrera pas dans l’oubli et ne sera jamais rationalisée ou minimisée. Il existe diverses formes d’Églises chrétiennes, mais, en Occident, aucune n’est plus importante, plus ancienne, plus visible et l’histoire du XXe siècle. C’est le moins qu’on puisse dire de l’identité que nous partageons en tant qu’êtres humains après Auschwitz. qui facilita la persécution des homosexuels par les nazis. • 1970 : Parution de Au cœur du Troisième Reich, les mémoires d’Albert Speer, ancien ministre de l’Armement et de la production de guerre du Reich. • À la tête d’un groupe d’Allemands, Willy Brandt, chancelier allemand, dirige un pèlerinage de contrition sur le site du ghetto de Varsovie. 676 • 22 décembre 1970 : Franz Stangl, commandant des camps de la mort de Sobibor et de Treblinka, est condamné à la prison à vie. Il s’était échappé en Syrie, puis s’était rendu au Brésil avant d’être extradé en Allemagne en 1967. • 1971 : Une note trouvée dans des dossiers du gouvernement d’Argentine concernant des nazis, fugitifs réfugiés Une manifestation organisée à Rome commémore le sixième anniversaire des massacres des Fosses ardéatines de 1944, au cours desquels (les massacres) les Allemands assassinèrent des otages italiens chrétiens et juifs. administrée de façon plus hiérarchique que l’Église catholique romaine. En ce qui concerne le christianisme, les répercussions de la Shoah arrivent inévitablement au seuil du Vatican. En particulier durant le pontificat de Jean-Paul II, le pape polonais intronisé le 16 octobre 1978, la façon dont l’Église catholique romaine a appréhendé les répercussions de la Shoah a été parfois constructive, parfois malheureuse, mais presque toujours mouvementée. Comme l’illustrent certains événements récents, la Shoah exercera indéfiniment un impact sur l’Église. Dans la soirée du 7 avril 1994, à l’invitation du pape Jean-Paul II, 7 500 personnes affluèrent dans l’immense Sala Nervi (la salle Paul dans ce pays, établit que plus de 100 pages de documents ont été retirées. • 1972 : Les autorités argentines insistent sur le fait qu’un seul fugitif nazi – Adolf Eichmann – s’est rendu en Argentine après la guerre. Des responsables juifs estiment que le chiffre réel est de 60 000, dont au moins 1 000 étaient membres de la SS ; voir juillet 1997. L ’ A P R È S mal aussi abominable. » Les préparatifs du concert étaient en cours depuis 1991, l’idée en revenant à Gilbert Levine. Juif américain, Levine avait rencontré le pape Jean-Paul II trois ans plus tôt, après avoir été nommé directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Cracovie, ville polonaise située non loin d’Auschwitz, d’où le pape est originaire. Après avoir dirigé l’Orchestre philharmonique royal qui vint de Londres pour le concert, Levine rédigea les commentaires sur le programme pour le CD d’archives qui suivit, enregistré par la firme Justice. Il y écrivit que le pontificat de Jean-Paul II – y compris l’aide apportée pour choisir la musique – contribua nettement à régler à l’amiable des questions difficiles. Le concert fut organisé comme une soirée de « premières ». Ces « premières » révélèrent le caractère véritablement En 1999, des écoliers allemands photographiés historique du concert. de façon provocante dans un « cadre » chrétien, sont Elles montrèrent attroupés devant l’entrée principale de l’ancien camp également à quel point il de concentration de Sachsenhausen, en Allemagne. demeure émouvant – dérangeant et troublant. 7 avril 1994 : Il faut considérer le exprima l’espoir que « la musique temps qu’ont mis ces « premières » que nous écouterons ensemble à survenir et à quel point elles ont confirmera à nouveau notre résolutardé. Selon Levine, le grand rabbin tion de consolider les bonnes de Rome fut invité pour la première relations entre chrétiens et Juifs afin fois à participer à une fonction qu’avec l’aide du Tout-Puissant, publique au Vatican. Pour la nous puissions œuvrer ensemble première fois, Juifs et catholiques pour empêcher la réédition d’un VI située près de la basilique SaintPierre au Vatican) pour assister au Concert du pape donné pour commémorer la Shoah. Dans 50 pays, les émissions de télévision permirent à des millions de personnes d’y participer virtuellement. À Rome, l’impressionnante assemblée interconfessionnelle réunit un grand nombre de cardinaux et de rabbins – dont Elio Toaff, grand rabbin de Rome – ainsi que des ambassadeurs et plus de 200 rescapés de la Shoah originaires de 12 pays. Avant le concert, au cours d’une réunion avec les rescapés, Jean-Paul II • 1973 : Seulement deux universités américaines proposent des cours sur la Shoah ; voir 1979. • 6 octobre 1973 : Espérant récupérer les territoires perdus pendant la guerre des Six Jours de 1967, les forces égyptiennes et syriennes lancent une attaque surprise contre Israël. • 26 novembre 1975-30 juin 1981 : Seize anciens membres de l’administration du camp de la mort de Majdanek, en Pologne, sont jugés à Düsseldorf, en Allemagne. Neuf sont condamnés à des peines de prison allant de trois ans à la perpétuité ; quatre sont acquittés ; deux sont considérés comme inaptes à être jugés ; l’un meurt pendant le procès. Les Protocoles des sages de Sion, un faux antisémite, fut publié dans le monde entier par des antisémites avant et après la Shoah. Cette édition en espagnol parut en 1963. prièrent ensemble, chaque groupe à sa façon, dans un tel cadre. Pour la première fois, un chantre juif, Howard Nevison, chanta au Vatican. Pour la première fois, le Chœur de la Capella Giulia du Vatican interpréta un texte en hébreu. Pour la première fois, le Vatican commémora officiellement la Shoah. Levine cite également le rapport d’un responsable du Vatican qui déclara que le concert révélait « les meilleures relations entre catholiques et Juifs depuis 2 000 ans. » Levine estima que « le pape en personne, le chef de 900 millions de catholiques de par le monde, s’était exprimé clairement, le 7 avril 1994. » Un tel geste n’était pas une • 1977 : Le gouvernement canadien déclare que les enquêtes sur les anciens nazis vivant au Canada, ne sont pas valides ; voir septembre 1987. • Arthur R. Butz, professeur d’ingénierie de la Northern University, dans l’Illinois, publie une « histoire » révisionniste de la Shoah, The Hoax of the Twentieth Century (La mystification du XXe siècle) ; voir décembre 1996. 677 L ’ A P R È S « première » pour Jean-Paul II, mais il reste démoralisant et fort triste que l’histoire, et en particulier le rôle qu’y joua le christianisme, ait abouti à rendre nécessaire un concert pontifical de commémoration de la Shoah. Le concert était très axé sur Auschwitz, que Charlotte Delbo avait appelé le « centre de l’Europe ». Plus d’une fois pendant le pontificat de Jean-Paul II, Auschwitz a constitué une poudrière pour les relations judéo-chrétiennes après la Shoah. Ainsi, il est important de noter qu’en mai 1999, le Sejm, le parlement polonais, a adopté une législation destinée à restreindre une exploitation inappropriée et à limiter les rassemblements publics dans un périmètre de 100 mètres des anciens camps de concentration et camps de la mort nazis situés en territoire polonais. Le symbolisme religieux, notamment les croix chrétiennes à Auschwitz, a conduit à cette mesure. Des croix à Auschwitz Évoquant la crucifixion de Jésus, la croix est un puissant symbole – cher aux chrétiens et même sacré, mais pas pour les Juifs qui ont souvent été persécutés sous sa domination. À Auschwitz, la croix a été plus que puissante ; elle a constitué un symbole explosif, qui a créé des tensions dans les relations entre chrétiens et Juifs à travers le monde. En juillet 1998, des Polonais catholiques romains • Décembre 1977 : Création à Los Angeles (Californie) du Centre Simon Wiesenthal se consacrant à l’étude de la Shoah. • 1978 : Noyade en Amérique du Sud du docteur Josef Mengele, ancien médecin d’Auschwitz qui se livra à des expériences sur les détenus. • Des révisionnistes américains fondent l’Institute for Historical 678 Durant une manifestation du 25 janvier 1995, des militants juifs protestent contre la « christianisation de la Shoah », notamment les croix érigées sur les lieux par des catholiques polonais à la mémoire des victimes catholiques. Des femmes polonaises catholiques prient devant des croix érigées devant Auschwitz. Si des dizaines de milliers de Polonais périrent à Auschwitz, la présence de ce symbole chrétien heurta la sensibilité de nombreux Juifs. de droite, déterminés à maintenir des symboles chrétiens dans l’ancien camp de la mort nazi en dépit de la forte opposition des Juifs, plantèrent plus de 50 croix devant Auschwitz I, la première partie du camp à avoir été créée. En septembre, le nombre de croix dépassait les 300. Les croix étaient situées à l’endroit où les nazis avaient autrefois exécuté 152 Polonais. Sur ce même site, une autre croix immense, de huit mètres de hauteur, visible de l’intérieur du camp, avait été érigée plus de dix ans auparavant. Cette croix particulièrement grande avait été déplacée d’AuschwitzBirkenau, le principal centre de meurtre du camp, où ce symbole avait été utilisé pour la première fois le 7 juin 1979, lorsque le pape Jean-Paul II célébra une messe durant sa première visite papale dans sa Pologne natale. Redoutant que l’emplacement plus récent de cette croix soit mis en danger – sa présence exaspérait de nombreux Juifs – les manifestants catholiques plantèrent un champ de croix en réaction. Les évêques catholiques de Pologne condamnèrent cette réaction et demandèrent que toutes les croix, Review (IHR) et sa publication officielle, le Journal of Historical Review. • Le président américain Jimmy Carter crée une commission chargée d’étudier un projet de mémorial national américain des victimes de la Shoah. création de l’Office des enquêtes spéciales, habilité à entamer des poursuites contre les personnes suspectées d’être des criminels de guerre, à les priver de la nationalité américaine (le cas échéant), et à les expulser. • Sous l’impulsion du premier ministre Menahem Begin, Israël adopte un programme sur la Shoah devant être enseigné dans les écoles. • 206 universités américaines proposent des cours sur la • 1979 : Les enquêtes menées par le Congrès des États-Unis sur les criminels de guerre en Occident conduisent à la L ’ A P R È S sauf la plus grande, soient retirées. La Pologne est depuis longtemps un pays principalement catholique romain. Un grand nombre de catholiques polonais – y compris plusieurs milliers de prêtres – furent assassinés par les nazis. Des Polonais chrétiens, par dizaines de milliers, périrent à Auschwitz. En même temps, Auschwitz est souvent considéré, à juste titre, comme le plus grand cimetière juif du monde, car 90% des personnes qui y périrent – plus d’un million – étaient juives. De façon compréhensible, la présence de croix chrétiennes ou leur enlèvement a grevé les relations judéo-catholiques, notamment entre Juifs et catholiques polonais. Pendant l’hiver 1997-1998, les symboles religieux – étoiles de David ou croix chrétiennes – furent retirés d’un champ d’Auschwitz-Birkenau, où plusieurs pouvaient être vus dans un endroit où les nazis avaient creusé des fosses communes et déversé les cendres des fours crématoires de Birkenau. Mais les événements de l’été suivant montrèrent que la controverse autour du symbolisme religieux n’était pas terminée. Même lorsque la législation du parlement polonais, créant une zone protégée autour des anciens camps nazis en Pologne, entra en vigueur le 25 mai 1999, Auschwitz faisait toujours l’objet de réactions – presque littéralement – explosives. À l’aube du 28 mai, des soldats de l’armée polonaise retirèrent plusieurs centaines de croix près d’Auschwitz I. Pendant ce temps, Kazimierz Switon, un militant catholique extrémiste qui s’était plaint de l’importance de l’influence juive en Pologne, vivait dans une tente installée sur le site. Il supervisait la construction d’une cabane en bois dont un prêtre retiré avait décidé de faire une chapelle, le 16 mai, action que Shoah ; deux seulement en proposaient en 1973 ; voir février 1997. • Fin de l’automne 1980 : Des écoliers • Octobre 1980 : Le Congrès des États-Unis adopte à l’unanimité la loi créant le Conseil du Mémorial de la Shoah sous l’égide duquel s’effectuera la collecte de fonds pour le Musée du Mémorial de la Shoah aux États-Unis. Ce monument commémoratif fut inauguré à Skokie (Illinois), où vivent de nombreux rescapés. Le film Skokie décrit la réaction à une manifestation néo-nazie organisée en 1977 dans la ville. Les Justes parmi les nations Dans les nuits sombres de la Shoah brillèrent quelques exemples lumineux des « Justes parmi les nations », titre provenant du Talmud et désignant ceux qui risquèrent leur propre vie pour sauver celle des autres, parfois de parfaits étrangers. Des individus comme Oskar Schindler (représenté ici à une cérémonie organisée à Yad Vashem en 1962) et même des nations tout entières comme le Danemark mirent en péril leur propre sécurité pour sauver ceux qui étaient persécutés par les nazis. Certains cachèrent des Juifs chez eux pendant des mois. D’autres aidèrent les Juifs à franchir la frontière vers la Suisse, pays neutre. D’autres encore utilisèrent leur statut diplomatique pour délivrer des visas de transit, voire accorder la nationalité. Depuis 1953, ces « Justes parmi les nations » ont été honorés à Yad Vashem, en Israël, un arbre étant planté en l’honneur de chacun, en témoignage vivant de leur héroïsme. Encourant la torture et la mort, ces quelques justes témoignent que la petite voix de la conscience pouvait encore être entendue par-delà la rhétorique nazie du racisme. Les « Justes parmi les nations » sauvèrent non seulement des individus, mais, comme le dit le Talmud, « l’univers tout entier. » Par leur courage et leur compassion, ils ont préservé la notion d’humanité au sein du mal. polonais, qui plantent un arbre à proximité du site de l’ancien camp de la mort d’Auschwitz-Birkenau, découvrent le journal secret d’un détenu caché à l’intérieur d’une bouteille Thermos enterrée. • 1981 : Des Juifs américains rescapés de la Shoah constituent un registre national pour réunir des documents sur la vie des survivants ayant émigré aux États-Unis. • Juin 1981 : Rassemblement à Jérusalem de plus de 6 000 rescapés de la Shoah. • 1982 : Hollywood lance une version fil- mée du Choix de Sophie, un roman de William Styron, un chrétien rescapé de la Shoah. • 1984 : Des religieuses catholiques créent un couvent carmélite dans l’un des 679 L ’ A P R È S Cinquante ans après les événements, la colossale criminalité des nazis provoqua des tensions entre catholiques et Juifs. Est photographié ici, lors de son procès, l’un des criminels de guerre, le garde d’Auschwitz, Vladimir Bilan. l’Église catholique romaine rejeta. Sur les lieux, Switon effectuait un autre travail. Il piégea la « chapelle » avec du plastic pour empêcher sa démolition ordonnée par les autorités locales. Tandis que les policiers enlevaient les croix – la plus grande, de huit mètres de hauteur, fut laissée en place – ils placèrent Switon en garde à vue et procédèrent à une détonation contrôlée des explosifs. De nombreux dirigeants catholiques romains de Pologne, qui redoutaient que la controverse à Auschwitz empoisonne la visite du pape Jean-Paul II dans sa patrie polonaise, se sentirent soulagés de bâtiments érigés dans l’enceinte de l’ancien camp de la mort d’Auschwitz. Les Juifs s’y opposent parce que les activités des nonnes commémoreront le souvenir de martyrs chrétiens sur un site où plus d’un million de Juifs ont péri. • 27 mars 1984 : Les États-Unis expulsent l’ingénieur Arthur Rudolph. Ce chercheur nazi de Peenemünde (Allemagne) avait 680 voir la situation désamorcée. La visite du pape, qui commença moins de dix jours plus tard, le 5 juin, comprenait la béatification de 108 catholiques polonais assassinés – certains à Auschwitz – par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Parmi ces 108, se trouvaient des religieuses et des prêtres qui avaient sauvé des Juifs pendant la Shoah. Le retrait des croix et le désarmement de Switon seront-ils le dernier épisode du conflit judéochrétien à propos d’Auschwitz ? C’est loin d’être évident et même peu probable. Un autre point en litige concerne un bâtiment d’Auschwitz-Birkenau. Juste à l’extérieur du périmètre enclos de barbelés, au bout d’un étroit chemin, se trouve une ancienne construction nazie aisément identifiée sur les cartes d’AuschwitzBirkenau comme le « bureau du nouveau commandant ». Ce bâtiment fut transformé en église catholique au début des années 1980. Entre autres fonctions, il commémore le souvenir d’Edith Stein, une Juive allemande, éminente philosophe convertie au catholicisme en 1922 qui devint religieuse et fut déportée en 1942 des Pays-Bas à Birkenau où elle fut gazée. Bien que sa déportation ait été provoquée par le désaccord des catholiques néerlandais opposés à l’antisémitisme nazi, E. Stein ne fut pas assassinée parce qu’elle était catholique, mais parce que, été amené en Amérique dans le cadre du projet Paperclip (trombone). Il est déchu de sa nationalité après la révélation de ses activités durant la guerre. • 1985 : Sortie de Shoah, un documentaire de huit heures et demi sur la Shoah de Claude Lanzmann. • Sortie du film Come and See (Requiem pour un massacre) du réalisateur soviétique Elem selon les définitions raciales nazies, elle était juive. La décision prise par le Vatican en 1998 d’en faire une sainte suscita un véritable tollé, notamment, mais pas exclusivement, parmi les Juifs. Par ailleurs, il y eut peu de protestations à propos de l’église de Birkenau lorsqu’elle ouvrit ses portes, mais la controverse a rebondi depuis et pourrait bien rebondir encore. Le 1er août 1984, un petit groupe de religieuses de l’Ordre de Notre-Dame du mont Carmel s’installa dans le Theatergebäude (l’ancien bâtiment du théâtre) sur le site d’Auschwitz I. C’est dans la cour de ce bâtiment qu’apparut par la suite la grande croix pontificale et que plusieurs autres croix furent érigées durant l’été 1998. Controverses de l’après Shoah mises à part, il est évident que des assassins comme le commandant d’Auschwitz Rudolf Höss étaient des gens sans envergure ni caractère. Klimov, qui montre de façon saisissante l’activité des Einsatzgruppen en Russie, en 1943. • L’« historien » révisionniste Ernst Zundel est jugé à Toronto (Canada) pour avoir publié une brochure antisémite intitulée Did Six Million Really Die? (Y a-t-il vraiment eu six millions de morts ?). Zundel, reconnu coupable de diffusion de faux, est condamné à 15 mois de prison. L ’ A P R È S Les carmélites avaient occupé le bâtiment de l’ancien théâtre avec l’approbation des autorités polonaises et des responsables de l’Église catholique, mais apparemment sans le moindre dialogue avec les membres de la communauté juive en Pologne ou à l’étranger. Au printemps suivant, un tollé soulevé par les Juifs dans le monde entier déclencha la « controverse du couvent d’Auschwitz ». L’emplacement précis de l’ancien théâtre était au cœur du débat. Ce bâtiment se dressait à l’extérieur du mur qui clôturait Auschwitz I, et quelques partisans des religieuses affirmèrent que le bâtiment – antérieur à la Première Guerre mondiale – ne faisait pas, stricto sensu, partie du camp. Cet argument n’était guère convaincant. D’autres constructions se trouvaient également à l’extérieur du mur – la maison du commandant, une voie de garage où les prisonniers étaient déchargés et un site d’exécution. On pouvait difficilement les exclure du camp. En outre, les multiples usages de l’ancien théâtre indiquaient qu’il avait véritablement fait partie intégrante du complexe d’Auschwitz. Il avait servi d’entrepôt non seulement pour le butin dérobé à ceux qui allaient être gazés, mais également pour le Zyklon B utilisé pour assassiner les victimes d’Auschwitz, principalement juives. De difficiles négociations entre dirigeants juifs et catholiques aboutirent à un accord, le 22 février 1987, stipulant que le couvent d’Auschwitz serait installé ailleurs à l’extérieur du camp dans Rien n’est noir et blanc, encore moins la nature les deux années à venir. des réactions de l’Église catholique à la Shoah. Le même accord C’est grâce à l’Église que Dana Szefflan (qui tient un prévoyait également qu’il enfant) arriva au Canada en 1948. n’y aurait « aucun lieu de Auschwitz en particulier de sa culte catholique permanent sur le particularité et de sa spécificité site des camps d’Auschwitz et Birjuives. Pour leur part, les kenau. » Cet accord ne calma catholiques polonais partisans du aucunement la situation. La couvent et des croix soutenaient controverse s’intensifia lorsque la qu’ils avaient le droit et le devoir date limite de février 1989 prévue de commémorer le souvenir de pour la réinstallation des leurs frères et sœurs qui avaient religieuses arriva sans qu’il soit péri eux aussi en grand nombre à question de leur départ. En Auschwitz, un lieu que de juillet, les choses prirent une nombreux Polonais considèrent vilaine tournure lorsque des manicomme le symbole du martyre de festants juifs protestèrent sur les leur pays pendant la Seconde lieux du couvent, se heurtant à une réaction violente de travailleurs polonais. Après un Les monuments commémorant la Shoah apportent un certain apaisement âpre débat, il fut convenu qu’un aux survivants et à leur famille. Ouverts à nouveau bâtiment hébergerait les tous, des monuments comme celui-ci à Thereligieuses, non loin, mais à une resienstadt contribuent à faire connaître les certaine distance du périmètre événements. d’Auschwitz. En 1993, l’ancien fut évacué et les religieuses emménagèrent dans leurs nouveaux locaux. Les Juifs furent profondément choqués par le couvent carmélite et les croix chrétiennes à Auschwitz qui semblaient « christianiser » la Shoah et dépouiller • 5-7 mai 1985 : À la demande du campagne pour la présidence en Autriche, ses activités durant la guerre en tant qu’officier allemand dans les Balkans sont révélées. Ce qui ne l’empêche pas d’être élu. • Andrija Artukovic est extradé des ÉtatsUnis vers la Yougoslavie où il est jugé et condamné à mort pour crimes de guerre. En tant que ministre croate de l’Intérieur, il avait contribué au meurtre de 300 000 Serbes, Juifs, Tsiganes et opposants chancelier allemand Helmut Kohl, le président américain Ronald Reagan se rend au cimetière de Bitburg, où sont enterrés des membres de la Waffen-SS. Cette visite déclenche une controverse internationale. • 1986 : Alors que Kurt Waldheim, secrétaire général des Nations unies fait politiques. Il mourra avant que la sentence ne soit exécutée. • Novembre 1986 : Le gouvernement australien prend des mesures pour poursuivre d’anciens nazis vivant en Australie. • 1987 : Des révisionnistes français fondent les Annales d'histoire révisionniste. 681 L ’ A P R È S Commémoration de la Shoah Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, des centaines d’institutions commémoratives, de monuments et de musées consacrés à la Shoah ont été construits en Israël, en Europe, et aux États-Unis. Bien que chaque monument soit érigé à la mémoire de millions de vies impitoyablement exterminées par le régime nazi, le contexte des sites varie d’un endroit à l’autre. Les monuments érigés dans les camps de la mort de Pologne comprennent le meurtre des Juifs sous le thème plus large de « mémoire nationale polonaise ». Ni le mémorial construit à Majdanek par les libérateurs soviétiques, ni le mémorial national érigé au camp d’extermination d’Auschwitz ne soulignent que les Juifs furent les principales victimes. Les deux sites adoptent un point de vue plus large et commémorent le souvenir de toutes les victimes du nationalsocialisme. Comme en Pologne, les monuments commémoratifs et musées en Allemagne sont dédiés à l’ensemble des victimes. L’édifice construit à Dachau, en Allemagne, comporte des mémoriaux distincts pour les protestants, les catholiques et les Juifs. Le monument de Berlin (photo) commémore le souvenir de femmes allemandes non juives qui défièrent la Gestapo ; un monument dédié aux Juifs est prévu à Berlin. La commémoration de la Shoah aux États-Unis et en Israël est fondamentalement différente de celle qui prévaut en Europe. Dans ces deux pays, les sites proposent en général des présentations de l’histoire juive, fournissant des descriptions détaillées de la vie juive en Europe avant la guerre. Ils présentent également la renaissance de la vie juive après la Shoah. Aux États-Unis, les mémoriaux de la Shoah soulignent souvent l’importance de la liberté et du pluralisme pour la sécurité de la communauté juive américaine. Le mémorial national de la Shoah en Israël, appelé Yad Vashem, a été créé par la Knesset (parlement israélien) en 1953. Le complexe de Yad Vashem consiste en musées et en monuments associés à des centres de recherche, d’enseignement et de documentation. Yad Vashem, qui signifie monument et nom, est extrait du verset biblique d’Isaïe LVI, 5 : « À eux, j’accorderai, dans ma maison et dans mes murs, un monument… qui ne périra point. » De nombreux sites israéliens mettent l’accent sur les différents types de résistance juive et sur le martyre du peuple juif. Le musée du mémorial de la Shoah des États-Unis a été créé à Washington en 1993. Plus que tout autre musée, il utilise toute la gamme des médias pour « recréer » ce que fut la Shoah. Les visiteurs lisent des récits sur des plaques, regardent des photos et des films, écoutent des discours nazis suintant de haine, observent des témoignages de survivants enregistrés sur vidéo et utilisent des ordinateurs pour rechercher tel ou tel sujet de leur choix. Chaque année, de nouveaux musées et mémoriaux sont planifiés et construits. Chaque site offre un témoignage de l’énorme importance que revêt la Shoah. Ils donnent également une idée de la façon dont se perçoivent les peuples et les nations qui les ont construits. • 16 février 1987-18 avril 1988 : John • 11 mai-4 juillet 1987 : Klaus • Septembre 1987 : Une loi • 11 avril 1987 : Suicide de Primo • 17 août 1987 : L’ancien adjoint du Führer Rudolf Hess, détenu par les Alliés depuis 1941 et interné dans la prison de Spandau depuis 1946, meurt à l’âge de 93 ans. Il semble s’être suicidé. • 1988 : Aux États-Unis, l’Office des Demjanjuk, accusé d’être « Ivan le Terrible », est jugé à Jérusalem et reconnu coupable ; voir fin 1993. Levi, un partisan juif italien qui écrivit de nombreux livres sur ce qu’il vécut en camp. 682 Barbie, ancien officier de la SS et du SD, est jugé à Lyon pour crimes de guerre et condamné à la prison à vie. canadienne est modifiée afin de permettre la poursuite d’anciens nazis vivant actuellement au Canada. enquêtes spéciales étudie les cas de 600 individus vivant en Amérique et suspectés d’être d’anciens nazis. L ’ A P R È S pour les relations religieuses n’a insistant trop peu sur guère amélioré sa crédibilité en souce qui les liait. 2. lignant que le pape Pie XII, dont le « Nous nous pontificat très controversé – souvenons » reconnaiscommencé en 1939 – couvrit les sait que « la résistance années critiques de la Shoah, avait spirituelle et l’action été remercié par des communautés concrète » des et des dirigeants juifs pendant et chrétiens pendant la après la guerre pour tout ce que lui Shoah « n’ont pas été et ses représentants avaient fait celles auxquelles on Cette plaque commémorative – rédigée en polonais, « pour sauver de centaines de aurait pu s’attendre de yiddish et hébreu – est apposée à Varsovie en souvenir milliers de vies juives. » la part de disciples du des centaines de milliers de Juifs du ghetto déportés au À tort ou à raison, Pie XII est Christ » et poursuivait camp de la mort de Treblinka. devenu la cible de critiques dès en disant que « pour lors qu’il est question de la Shoah. des chrétiens, ce poids écrasant qui Guerre mondiale. L’église cathoIl a été sévèrement et continuellepèse sur la conscience de leurs lique romaine à Birkenau, que les ment critiqué pour s’être abstenu frères et sœurs lors de la Seconde visiteurs juifs ne peuvent de faire ce qu’il aurait pu et dû Guerre mondiale doit être un appel manquer de voir, risque d’embrafaire en faveur des Juifs pendant à la repentance. » ser à nouveau la situation. la Shoah. Comme le montre Nombreux furent les Juifs et les Au moins trois autres « Nous nous souvenons », sa répuchrétiens qui ressentirent qu’un tel répercussions majeures de la Shoah tation a également été défendue – langage esquivait la responsabilité affecteront les relations judéo-chréau point qu’en fait, il pourrait fort de la faillite chrétienne, car « Nous tiennes au XXIe siècle. Tout bien être canonisé au XXIe siècle. nous souvenons » ne disait d’abord, en mars 1998, la Au printemps 1999, les Juifs critiquasiment rien – implicitement ou commission du Saint-Siège pour les explicitement – relations religieuses avec le sur les carences judaïsme a publié « Nous nous soudes dirigeants venons : une réflexion sur la catholiques Shoah », un document très attendu romains pendant censé constituer la déclaration de la Shoah. Ce l’Église sur l’attitude du Vatican texte donnait pendant la Shoah. Dans les milieux l’impression juifs notamment, il reçut un accueil douteuse que la mitigé. Deux points rendaient le base, plus que document particulièrement les dirigeants vulnérable : 1. Il séparait de façon catholiques, était peu convaincante l’antisémitisme responsable nazi de l’antijudaïsme chrétien. Il Voici une minuscule partie d’un mur de la synagogue des échecs existe des différences entre les deux, Pinkas de Prague, à la mémoire des 77 000 Juifs tchécoslochrétiens. La mais « Nous nous souvenons » les vaques qui périrent dans les camps de concentration et Commission mettait trop en relief tout en camps de la mort nazis. • Mars-avril 1988 : L’Américain Fred Leuchter rédige un article pseudo scientifique, piètrement conçu, qui sera publié par l’historien britannique révisionniste David Irving comme le Rapport Leuchter. Cet article affirme que les chambres à gaz d’Auschwitz n’ont jamais été utilisées pour des exécutions et que les fours crématoires du camp n’au- raient jamais pu traiter le nombre de corps généralement avancé. • 1990 : Effondrement de l’Union soviétique qui se scinde en plusieurs États indépendants. • Réunification de la RFA et de la RDA en une seule Allemagne démocratique. L’ancienne Allemagne de l’Est accepte les principes des accords de Luxembourg de 1952. • 1992 : Après la réunification de l’Allemagne, le pays est balayé par une vague de violence antisémite. Dans l’ancien camp de concentration de Sachsenhausen, une bombe incendiaire lancée par des néonazis détruit la majeure partie des baraquements préservés. • 1993 : Le président français Fran- çois Mitterrand condamne le gouver683 L ’ A P R È S quant cette éventualité ont souligné que conférer la sainteté à Pie XII équivaudrait à profaner le souvenir de la Shoah. Les défenseurs catholiques de Pie XII s’offusquent de tels points de vue. Il en résulte que les tensions dans les relations judéo-catholiques sont vraisemblablement vouées à s’exacerber si une mesure devait être prise en vue de la canonisation de Pie XII. L’apaisement de ces tensions dépend en partie d’une question encore plus contrariante concernant les archives du Vatican, notamment celles du pontificat de Pie XII. En ce début de XXIe siècle, les nouveaux documents Ce mémorial est dédié aux victimes, pour la plupart juives, du massacre perpétré à Babi Yar près de Kiev, en Ukraine, où les Allemands assassinèrent plusieurs dizaines de milliers d’innocents. affluent vers l’Occident, provenant principalement des archives soviétiques et d’Europe de l’Est, devenues accessibles seulement à la fin de la Guerre froide. Ce mémorial de la Shoah se dresse à Majdanek, l’un Parmi ces des six grands camps de la mort situés en Pologne. documents, par exemple, se trouve un calendrier/journal tenu Le legs des rescapés par le chef des SS, Heinrich HimmS’il n’existe aucune définition ler. Des parties des mémoires pro « officielle » et si toutes les victimes domo d’Adolf Eichmann ont ou rescapés de la Shoah ne sont pas également refait surface. Ces juifs, les rescapés sont en premier nouvelles découvertes, qui font l’oblieu ces enfants, ces femmes et ces jet d’estimations relativement hommes qui furent définis comme récentes de la part des chercheurs, Juifs par l’Allemagne nazie, contribueront à préciser, peut-être – vécurent sous le régime de et c’est plus important – à revoir les l’Allemagne nazie et de ses collabomeilleures interprétations de la rateurs ou sous occupation, et Shoah dont on dispose aujourd’hui. cependant échappèrent à l’extermiQuoi qu’il en soit, les archives du nation totale que la politique nazie Vatican de l’époque de la Shoah destinait aux Juifs d’Europe et n’ont pas encore été entièrement même du monde. Chaque ouvertes aux spécialistes de la Shoah. expérience subie par les rescapés de Tant que cette situation perdurera, la Shoah est spécifique en fonction notre compréhension de la politique des circonstances, du temps et des de Pie XII et du Vatican à l’époque lieux. Certains échappèrent à la pernazie demeurera, au mieux, sécution nazie avant le début de la ambiguë. L’attitude – passée, Seconde Guerre mondiale en 1939 présente et future – du Vatican face ou avant que la « solution finale » ne à la Shoah continuera de toute devienne la politique officielle de évidence à alimenter des l’Allemagne nazie en 1941. D’autres controverses. subirent les années de la guerre et la solution finale elle-même, nement de Vichy de la Seconde Guerre mondiale. • Sortie du film du réalisateur Steven Spielberg La liste de Schindler, l’histoire de l’industriel allemand Oskar Schindler. • Fin 1993 : Faute de preuves, John Dem- • Avril 1993 : Ouverture du Musée • 1994 : Fermeture de l’unité des enquêtes sur les crimes de guerre en GrandeBretagne par suite de l’échec des poursuites contre un criminel de guerre du mémorial de la Shoah à Washington. 684 janjuk, habitant aux États-Unis reconnu coupable de crimes de guerre en 1988, à Jérusalem, est libéré de prison par la Cour suprême israélienne. nazi présumé. • L’Argentine lève son interdiction sur l’extradition de criminels condamnés par contumace dans d’autres pays. • Le réalisateur d’Hollywood, Steven Spielberg crée la Fondation de la Shoah, une association à but non lucratif destinée à enregistrer sur magnétoscope des interviews avec des rescapés de la Shoah, des sauveteurs et des témoins. • Sabine Zlatin, qui avait fondé la Maison d’enfants L ’ A P R È S dant un certain temps, mais le projet n’a pas revêtu l’ampleur de celui de Los Angeles : la Fondation pour une histoire visuelle de la Shoah. Ému par son expérience de la réalisation de la Liste de Schindler (1993), film qui reçut un oscar et contribua tellement à attirer l’attention sur la Shoah, Steven Spielberg créa la Fondation de la Shoah en 1994. Son personnel a constitué l’un des legs des survivants les plus impressionnants : l’enregistrement sur cassettes vidéos de plus de 50 000 interviews, en mai 1999. Menées en 32 langues, les interviews ont été accordées par des rescapés de 57 pays. Leurs témoignages sont préservés sur plus de 50 000 kilomètres de bandes vidéo. Il faudrait plus de 13 ans sans interruption pour les visionner toutes. La voix des rescapés juifs domine comme il se doit les interviews de la Fondation de la Shoah. Il existe cependant aussi des interviews avec des non Juifs : groupes persécutés comme les Tsiganes, les Ce mémorial aux déportés fut érigé à Yad Vashem en souvenir des millions de Juifs acheminés dans des Témoins de wagons à bestiaux dans les camps d’extermination nazis Jéhovah, les disd’Europe orientale. sidents parvenant d’une façon ou d’une autre à survivre à la pénurie dans les ghettos, aux brigades de travail, aux déportations, aux camps et aux marches de la mort. D’autres survécurent en dissimulant leur identité, en se cachant ou en combattant dans des groupes de résistance. En ce début du XXIe siècle, le chercheur Michael Berenbaum estime que seuls restent en vie environ 300 000 Juifs qui subirent le régime ou l’occupation des nazis et de leurs collaborateurs après juin 1941. Cette population âgée disparaît rapidement. Vers le milieu du XXIe siècle, elle n’existera plus. Berenbaum connaît bien cette démographie pour avoir dirigé une ambitieuse campagne visant à réunir les témoignages oraux des rescapés. Un tel travail s’est poursuivi pen- d’Izieu, dans l’Ain, en 1944, ouvre, près du site de la maison, un musée à la mémoire des enfants ; voir 6 avril 1944. • 17 mars-19 avril 1994 : Paul Touvier, ancien sympathisant de Vichy, est condamné à la prison à vie pour le meurtre de sept Juifs en 1944. • 16 juillet 1994 : Pour la première fois, la France commémore officiellement les déportations de 76 000 Juifs à partir de son territoire, pendant la guerre. • 1995 : Les jumeaux juifs Ida et Adam Paluch se retrouvent 53 ans après avoir été séparés par suite d’une tentative de la Gestapo de les arracher à leur maison de Oskar Schindler à Yad Vashem à Jérusalem. Après sa mort, son exfemme dénigra son statut de chrétien vertueux. Quoi qu’il en soit, il contribua à sauver des centaines de Juifs. politiques et les homosexuels, ainsi que des libérateurs des camps et des spectateurs qui se trouvaient en position de voir ce qui se passait pendant la Shoah. Personne ne peut regarder des témoignages de la Shoah pendant 13 ans. Le défi relevé par la Fondation de la Shoah consiste à avoir placé ce legs inestimable sous des formes pouvant être utilisées pour la recherche et l’éducation. Outre les précautions prises pour préserver les cassettes elles-mêmes, des archivistes travailleront plusieurs années pour dresser un index des témoignages auquel les chercheurs auront accès dans certains centres de recherche, ce qui leur permettra une analyse extrêmement rapide grâce aux systèmes de recherche numériques. Sosnowiec, en Pologne, durant l’été 1942. Leur tante les avait fait disparaître en les envoyant, à l’âge de trois ans, dans des foyers catholiques distincts. • Été 1995 : Le Comité international de la Croix-Rouge présente des excuses officielles pour sa passivité pendant la Shoah, la qualifiant de « faillite morale ». 685 L ’ A P R È S l’odeur de chair carbonisée, l’anDes interviews de rescathropophagie – que cela donc pés se trouvent également laisse peu de place à l’optimisme. ailleurs qu’à la Fondation Une rescapée, dont le de la Shoah, par exemple à témoignage se trouve dans les Yad Vashem, le mémorial Archives Fortunoff à Yale, se souisraélien de la Shoah à vient avoir vu le soleil à Jérusalem, qui est aussi un Auschwitz. « Je voyais le soleil se centre de recherche ; dans lever, dit-elle, parce que nous les archives vidéos devions nous lever à quatre Fortunoff des témoignages heures du matin. Mais ce n’était de la Shoah à l’université jamais beau pour moi. Je ne l’ai de Yale ; et au musée du jamais vu briller. C’était juste le Mémorial de la Shoah aux Le musée du Mémorial de la Shoah aux Étatsdébut d’une atroce journée. » États-Unis à Washington. Unis évoque le souvenir des millions de personnes Pleurant ses morts à Auschwitz et Ce musée, qui ouvrit ses assassinées. Les visiteurs ressentent l’impact de la souffrant d’avoir si peu d’espoir portes en avril 1993, avait Shoah en regardant des photographies, textes, après la Shoah – espoir que l’hisreçu, le 8 avril 1999, à deux objets, documents, films et témoignages sur toire de cet événement semaines de son sixième cassettes vidéo. apprendrait aux gens à être plus anniversaire, 12 millions de La Fondation de la Shoah a en humains – une autre femme dit à visiteurs dont 8,6 non Juifs. En outre mis au point une documenpropos de sa survie : « Je ne sais général, les rescapés parlent de tation sur Cd-rom destinée aux pas si cela en valait la peine. » leur vie avant, pendant et après la écoles, ainsi que des films, notamShoah. ment un oscar du meilleur film Après Auschwitz, l’esprit documentaire The Last Days humain souhaite donner (1998) (Les derniers jours) décriun sens au maelström vant la vie de cinq Juifs hongrois émotionnel suscité par les durant la dernière phase de la témoignages sur la Shoah. solution finale en 1944. Le docuOn aspire profondément à mentaire confirme le jugement de rendre justice, à restaurer Charlotte Delbo qui disait : un tout, à espérer de la « Nous nous accrochions à un morale et à voir triompher espoir que nous avions forgé l’esprit humain. Mais les entièrement de pièces si fragiles témoignages montrent qu’aucune n’eût résisté à que ce que la rescapée de l’examen, eussions-nous encore la Shoah, Ida Fink, a En 1999, le chancelier allemand Gerhard conservé un minimum de sens appelé « les ruines de la Schroeder et le réalisateur Steven Spielberg discommun. C’est d’avoir perdu le mémoire » – entre autres cutent de l’intégration dans le mémorial de la sens et persisté dans la folie d’esShoah prévu à Berlin d’éléments de la « Fondala faim, les coups, les pérer qui a sauvé quelques-uns. tion de la Shoah » de Spielberg qui a enregistré maladies dévastatrices, les Ils sont si peu nombreux que cela sur magnétoscope les témoignages de rescapés. gazages, la fumée et ne prouve rien. » • Hiver 1995 : Bayer, une filiale d’I.G. Farben, présente des excuses pour les souffrances et l’exploitation dont l’entreprise s’est rendue coupable. • 1996 : Près d’Oswiecim (Auschwitz) en Pologne, un promoteur renonce à construire un petit centre commercial en face du musée d’Auschwitz après avoir été frappé par la vigueur des condamnations 686 de son projet dans le monde entier. • Des chercheurs d’Argentine découvrent les premières preuves de la responsabilité de l’ancien président de ce pays Juan Peron et de sa femme Éva dans l’entrée secrète d’au moins plusieurs dizaines de fugitifs nazis en Argentine, après la guerre. Les adjoints directs de Peron engagèrent le capitaine SS Horst Fuldner, né en Argentine, pour coordonner le programme. • Avril 1996 : L’éditeur américain St. Martin’s renonce à publier Goebbels, une biographie de l’historien britannique révisionniste David Irving. Le livre affirme qu’Hitler n’a jamais eu l’intention de perpétrer la Shoah et n’en avait pas connaissance. • Mai 1996 : Les banquiers suisses et le Congrès juif mondial créent une commis- L ’ A P R È S Questions persistantes « Ce qui s’est passé s’est passé », a dit le philosophe Jean Améry, un rescapé d’Auschwitz. « Mais le fait que cela se soit passé ne peut être pris à la légère. » La Shoah ne peut être « prise à la légère » parce qu’elle suscite tant de questions. Comment ? Pourquoi ? Ces deux petits mots posent les questions les plus insistantes : Comment la Shoah s’est-elle produite ? Pourquoi a-t-elle eu lieu ? Le chercheur spécialiste de la Shoah Raul Hilberg était opposé aux « grandes questions » parce qu’il craignait les « petites réponses ». La plupart des spécialistes de la Shoah, estiment que la « source du mal est dans les détails ». Ils ne se précipitent pas à faire des généralisations excessives qui « expliquent » la Shoah. Ils se contentent de réunir, de trier et de classer les témoignages. Ils préservent et étudient les documents, retrouvent et évaluent des témoignages ; ils développent, analysent et critiquent les récits. En ce début de XXIe siècle, la recherche universitaire s’oriente sur des questions comme : Quand les nazis prirent-ils la décision d’exterminer complètement les Juifs d’Europe ? Quels rôles jouèrent Hitler, Himmler, Heydrich et d’autres dirigeants nazis dans la « solution finale » ? Les exécutants étaient-ils des gens « ordinaires » ou des « bourreaux volontaires » typiquement allemands ? Quelle est la signification de la résistance juive pendant la Shoah ? Comment le souvenir de la Shoah peut-il être préservé au mieux alors que l’événement recule dans le passé et que les rescapés ne sont plus en vie ? Existe-t-il une réponse crédible aux questions fondamentales que pose la Shoah au judaïsme et au christianisme ? Que peuvent enseigner la littérature et l’art à propos de la Shoah ? En quoi la Shoah est-elle unique ? Bien que certains éclaircissements se dégagent de l’étude de telles questions, le comment et le pourquoi demeurent. Comment la Shoah s’est-elle produite dépend du pourquoi des hommes se sont comportés comme ils l’ont fait. Pourquoi les gens font ce qu’ils font est une question à laquelle les historiens peuvent répondre partiellement, mais l’étude historique ne peut, à elle seule, maîtriser la gamme des sentiments, intentions, réflexions humaines ou le choix qui intervient dans les désirs, les motivations, les aspirations, les objectifs, les espoirs et les décisions. « Pourquoi la Shoah a-telle eu lieu ? » est une question qui perdure, même lorsqu’on a beaucoup étudié ce qui s’est passé. Pourquoi ? est une question qui perdure aussi parce que, comme l’a souligné l’historien Saul Friedländer, les plus petits faits soulèvent les plus grands « pourquoi ». Ces données – entre autres le meurtre systématique de près de six millions de Juifs – montrent que l’histoire de la Shoah n’est pas une histoire ordinaire. La Shoah est au-delà de la compréhension. Plus on étudie la Shoah, plus elle s’avère dévastatrice. Silencieusement ou non, le pourquoi perdure intensément. Jean Améry avait raison : « Ce qui s’est passé s’est passé. Mais le fait que cela se soit passé ne peut être pris à la légère. » Après avoir écouté plus de témoignages que quiconque sur la Shoah, Lawrence Langer rapporte que les rescapés ne parlent pas seulement de leur supplice, loin de là. Bon nombre parlent de leur détermination à survivre, notamment ceux qui « savaient » qu’ils s’en sortiraient vivants. D’autres mettent l’accent sur le défi qu’ils lancèrent à la brutalité allemande. Nombreux également sont ceux qui soulignent à quel point il était important pour eux de donner un sens à leur vie et de garder l’espoir après Auschwitz. « Nous avons perdu, dit l’un des rescapés, et pourtant nous avons gagné, nous continuons. » Ce qui a été perdu, c’est aussi plus d’un million d’enfants juifs qui furent assassinés, et également les innombrables filles et garçons qui auraient pu naître si leurs pères et mères n’avaient pas été assassinés. Pourtant, la « continuation » est, elle aussi, sion d’enquête pour examiner les probables détournements de fonds juifs par des Suisses pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Elle étudie également le renvoi par la Suisse de quelque 30 000 réfugiés juifs à ses frontières ; voir septembre 1996. plis de formaldéhyde pendant plus de 50 ans, sont enterrés à Hambourg, en Allemagne. Ces cerveaux sont les restes de malades mentaux jugés génétiquement « inaptes » par des médecins et généticiens allemands. Avant d’être assassinées, les victimes furent soumises à des expériences médicales contraires à toute éthique à l’Institut Alsterdorfer, un hôpital psychiatrique de Hambourg. L’identification des restes commença lorsqu’une femme de la ville, regardant un reportage télévisé sur les cerveaux, vit le nom de sa propre sœur sur l’un des bocaux. • 8 mai 1996 : Dix cerveaux humains, sur quelque 400, pour la plupart des cerveaux d’enfants, conservés dans des bocaux rem- • Septembre 1996 : Un reportage de la Jewish Chronicle affirme que 4 milliards de dollars (65 milliards de dollars en 1996) dérobés aux Juifs et à d’autres personnes par les nazis pendant la Seconde Guerre 687 L ’ A P R È S réelle. Ce sont les enfants, les petits-enfants et autres descendants des rescapés. Ces legs de chair et de sang des rescapés se chiffrent déjà par millions. Si le souvenir de la Shoah doit être soigneusement entretenu, leur témoignage aura lui aussi son importance. Pertes et restitution Ce monument à la mémoire de Raoul Wallenberg, qui sauva plusieurs milliers de Juifs, fut érigé dans un jardin public de Budapest, en Hongrie. Mais le gouvernement communiste l’emporta avant qu’il puisse être inauguré. mondiale ont été transférés dans les banques suisses. Ce montant est environ 20 fois supérieur à ce que les banques suisses reconnaissaient auparavant ; voir décembre 1996. • 23 octobre 1996 : L’historien suisse Peter Hug dévoile des documents prouvant que les comptes en banque non réclamés des victimes de la Shoah ont été utilisés par le gouvernement suisse pour 688 Les chercheurs savent que le suivi de l’histoire de la Shoah nécessite de se tenir au courant des toutes dernières nouvelles. Le legs des rescapés en fournit des exemples surprenants. En 1990, personne n’aurait pu prévoir que Steven Spielberg allait créer la Fondation de la Shoah. En 1995, 50 ans après la fin de L’avocat américain Edward Fagan et sa cliente, la Shoah, bien peu de perEstelle Sapir, dans un recours en justice contre les sonnes s’attendaient à ce banques européennes, discutent de la question de que le XXe siècle se l’or nazi avec des journalistes. « Il ne s’agit pas d’artermine par des tentatives – gent, expliqua E. Sapir, il s’agit de justice. » à l’échelle internationale et hautement médiatisées – de recounazie et de la cupidité économique vrer les énormes montants et les qui contribua à la motiver. biens considérables volés aux Pour ne considérer que victimes de la Shoah. Cependant, au quelques aspects de cette répercustournant du siècle, aucune sion complexe de la Shoah, on répercussion de la Shoah n’a fait prendra l’exemple d’une femme autant les grands titres que la quesjuive nommée Estelle Sapir, qui tion de savoir s’il serait possible de mourut d’un arrêt cardiaque à New procéder à une quelconque restituYork, le 13 avril 1999, à l’âge de 72 tion approximative des biens volés ans. Cette rescapée de la Shoah et une compensation pour le travail était née à Varsovie (Pologne) où servile avant la disparition des rescason père, Josef, était un prospère pés. Outre le paiement pour le trabanquier. En 1938, alors que l’Allevail servile que des procédures magne nazie préparait la guerre, juridiques peuvent accorder, les Josef Sapir commença à déposer biens immenses concernés – ses capitaux au Crédit suisse, une comptes en banques, portefeuilles banque suisse où il pensait les d’actions et d’obligations, polices mettre en lieu sûr. Son plan paraisd’assurances, terres, maisons, sait particulièrement prudent – il bâtiments, entreprises, bijoux et comprenait des dépôt dans œuvres d’art volés pour ne mentionplusieurs banques suisses – et sa ner que quelques exemples – témoifamille et lui-même fuirent les gnent à nouveau de l’immensité de nazis en se rendant en France. la « solution finale » de l’Allemagne Pour les réfugiés juifs cependant, la contribuer au règlement des conflits avec la Pologne et la Hongrie sur les compensations d’après-guerre. Les autorités suisses annoncent la constitution de deux commissions pour enquêter sur ces allégations ; voir 12 février 1997. • 29 octobre 1996 : Le gouvernement suisse s’engage à répondre d’ici le 4 décembre aux allégations sur l’appropriation des biens des victimes de la Shoah pour dédommager des citoyens suisses dont les biens avaient été saisis par les nazis en Europe orientale. • Des œuvres d’art, des pièces de monnaies et d’autres objets pillés par les nazis dans les maisons de Juifs autrichiens sont vendus aux enchères à Vienne. Les organisateurs de la vente entendent conserver les objets dans la communauté juive. Vers la fin de la journée, la vente rapporte 13,2 millions de dollars qui seront distribués aux rescapés de L ’ A P R È S France n’avait rien d’un abri sûr. Les Sapir furent par la suite ramassés au cours d’une rafle et internés dans un camp de concentration. Josef Sapir, déporté en Pologne, fut assassiné à Majdanek en 1943. Estelle échappa au sort de son père, devint active dans la Résistance et veilla à se souvenir de l’une des dernières choses que son père lui avait dites : souviens-toi, le Crédit suisse détient l’argent appartenant à la famille – 82 000 dollars (de 1940). Si Estelle survivait, il lui avait fait promettre qu’elle réclamerait l’argent des Sapir au Crédit suisse – et aux autres banques qu’il avait souvent évoquées – afin que la famille puisse aller de l’avant. Ayant retrouvé sa mère à Paris après la guerre, Estelle tenta de tenir sa promesse en réclamant les comptes en banque de son Dans les camps de personnes déplacées après la guerre, des morceaux de papier tenaient lieu de monnaie. Des années plus tard, il fut révélé que les banques suisses et d’autres institutions avaient tiré profit du vol des biens juifs par les nazis. la Shoah et à leurs héritiers. • Novembre 1996 : Volkswagen est embarrassé par un recueil historique de 1 055 pages commandité par la société. L’ouvrage révèle la façon dont Volkswagen a exploité le travail forcé de prisonniers de guerre russes et de détenus des camps de concentration pendant la guerre. Les « réparations » allemandes Alors que les GI’s américains avaient besoin de logement, les personnes déplacées furent les premières à être relogées. Lorsque les institutions financières européennes souhaitèrent bénéficier des dépôts « non réclamés » après la guerre, les biens juifs furent choisis. père en Suisse. Les responsables du Crédit suisse ne furent guère coopérants. Aucun compte ne pouvait être débloqué faute d’un certificat de décès de son père. À Majdanek, les nazis avaient tué les Juifs et comptabilisé les morts, mais sans délivrer de certificats de décès. Estelle disposait d’autres preuves concernant son père, notamment les archives nazies précisant que Josef avait été déporté à Majdanek, le 6 avril 1943. Pour les banques suisses, ces documents étaient insuffisants. E. Sapir persévéra pour recouvrer les biens de sa famille. Après s’être rendue à 20 reprises de Paris au Crédit Suisse entre 1946 et 1957 sans obtenir • Décembre 1996 : Arthur R. Butz, professeur d’ingénierie et révisionniste de Northwestern University, qui qualifie la Shoah de « légende de l’extermination », se retrouve au centre d’une controverse parce que l’université lui fournit gratuitement l’accès à l’internet par le serveur de la faculté, ce qui lui permet de présenter ses idées à un immense public. Un professeur juif qui En 1952, la République fédérale d’Allemagne (l’Allemagne de l’Ouest, démocratique) accepta de verser des « réparations » à l’État d’Israël et d’indemniser les Juifs dans le monde pour les crimes perpétrés par le Troisième Reich. Depuis cette époque, des milliards de dollars ont été injectés dans l’économie israélienne, les budgets des organisations juives, et directement aux individus. Des réclamations pour la restitution des biens juifs et l’indemnisation furent émises dès 1945. Cependant, ce fut le chancelier allemand Konrad Adenauer, qui, par sa proclamation officielle en faveur de ces revendications pava la voie au programme qui commença huit ans plus tard. La première flotte marchande d’Israël et son agriculture ultramoderne furent financées par le gouvernement allemand. Des centaines de communautés et organisations juives en Europe reprirent vie avec les fonds venus d’Allemagne de l’Ouest. En outre, des indemnités ont été versées à des milliers de personnes qui furent persécutées par les nazis. critique la position de l’université pendant son cours est licencié. • 16 décembre 1996 : Cinq Suédois, membres du Front nationalsocialiste, sont condamnés à deux mois de prison pour avoir participé à une cérémonie organisée à Trollhättan commémorant la mort de Rudolf Hess, en 1987. 689 L ’ A P R È S suisses pour qu’elles restituent les biens juifs à leurs propriétaires ou héritiers légitimes. En mai 1998, E. Sapir fut la première rescapée de la Shoah à recevoir un versement d’une banque suisse. Lorsque le Crédit suisse effectua le versement – entre 300 et 500 000 dollars – il Lors d’une conférence de presse organisée à New déclara à la presse, York en mai 1996, Avraham Burg (à gauche), président depuis Zurich, avoir de l’Agence juive, annonce un accord décisif conclu avec agi ainsi après une l’Association des banques suisses pour étudier les comptes recherche approfonen déshérence ouverts plusieurs décennies auparavant die montrant que par des victimes de la Shoah. Josef Sapir avait effectivement eu des relations de résultat, elle renonça, quitta d’affaires avant la guerre avec la l’Europe pour s’installer en 1969 à banque. En août 1998, le Crédit New York où elle vécut dans une suisse et UBS, une autre grande seule pièce dans le Queens. Elle banque suisse, annoncèrent qu’un ne se maria jamais et travailla montant de 1,25 milliard de pendant 27 ans dans un drugstore dollars serait consacré à d’autres avant de prendre sa retraite. Puis, versements. Comme le déclara E. Sapir entendit un bulletin d’inEstelle Sapir à la presse : « Ce formations. n’est pas une question d’argent. Début 1996, à la demande C’est une question de justice. » insistante du Congrès juif Moins d’un an plus tard, E. Sapir, mondial, le sénateur américain l’unique survivante de sa famille, Alfonse D’Amato, qui, à l’époque, était décédée. dirigeait la commission bancaire La Shoah continue à mettre la du Sénat, lança une enquête sur justice en échec. L’argent fournit les milliards de dollars confiés par une compensation tangible, mais des Juifs à des banques suisses. E. il n’est pas de dédommagement à Sapir prit contact ave D’Amato, la solution finale, même si l’Allelui raconta son histoire et devint la magne a déjà versé des dizaines première plaignante dans un prode milliards de dollars de « répacès collectif intenté aux banques • Des responsables américains, britanniques et français acceptent de mettre fin à la distribution de 68 millions de dollars en lingots d’or nazis – dont une bonne partie provient de l’or volé aux Juifs (alliances, montres et travaux dentaires) – entreposés dans les coffres de la Federal Reserve Bank de New York et de la Banque d’Angleterre. • En France, des historiens de l’art affirment que des 690 œuvres d’art dérobées aux Juifs et à d’autres propriétaires par les Allemands sont exposées au Louvre et dans d’autres musées français. De nombreux musées américains renferment eux aussi des œuvres d’art volées par les Allemands. • Des dirigeants juifs demandent au gouvernement canadien d’enquêter sur d’anciens SS vivant au Canada et recevant des pensions de guerre allemandes. rations » et d’aide à des groupes juifs, à l’État d’Israël et aux victimes de la Shoah. L’irremplaçable ne peut être remplacé, même si 16 entreprises allemandes annoncent, comme elles l’ont fait en 1999, la constitution d’un fonds de 1,7 milliard de dollars pour indemniser les anciens travailleurs réduits en esclavage, Juifs et non Juifs, dont le travail leur a profité pendant la période nazie et a servi la politique génocidaire du Troisième Reich. DaimlerChrysler, Deutsche Bank, Siemens, Volkswagen, Hoechst, Dresdner Bank, Krupp, Allianz, BASF, Bayer, BMW, et Degussa faisaient En août 1998, le sénateur Alfonse D’Amato de New York annonce que la compagnie d’assurances italienne Generali a accepté de verser 100 millions de dollars aux rescapés de la Shoah et aux héritiers des victimes. • Février 1997 : L’université de Vienne annonce qu’elle va enquêter sur le fait que les corps de victimes de la Shoah ont été utilisés à titre d’illustrations dans un ouvrage médical hautement considéré, Anatomie topographique de l’être humain, rédigé par Eduard Pernkopf, un nazi qui dirigeait la faculté de médecine de l’université après 1938. • Une L ’ A P R È S nant la Shoah à la veille du XXIe siècle. tions extrêmement Le 20 mai 1999, par exemple, Eizenpénibles, servirent stat présenta un rapport de 1 200 également des pages étudiant les procès-verbaux firmes allemandes d’une conférence extrêmement qui demeurent resimportante sur les biens de l’époque pectées pour leur de la Shoah, organisée par le Départeefficacité et la ment d’État américain du 30 qualité de leurs pronovembre au 3 décembre 1998. Cette duits. L’article de conférence réunit les représentants de l’essayiste Roger 44 pays, notamment les dirigeants de Rosenblatt, « Paying 13 organisations non gouvernemenfor Auschwitz », tales, de musées et de salles des paru dans Time ventes. En conséquence, le travail sur d’avril 1999, précise I.G. Farben (représentée ci-dessus) était l’industrie ces thèmes se poursuit et ne se termide façon percutante chimique la plus importante d’Allemagne. Comme d’autres nera ni facilement ni immédiatement. l’injustice dominante grandes entreprises allemandes, elle payait les SS pour obteLes questions du travail forcé et du en matière de nir des travailleurs asservis. Dans les années 1990, Volkswatravail servile, par exemple, seront à Shoah : « Toute pengen, Siemens, BMW et d’autres sociétés réagirent à un l’ordre du jour d’une réunion organisée morale, observecontrôle en annonçant le versement de fonds « compensasée à l’initiative d’Eizenstat et du chef t-il, se fonde sur la toires » aux victimes et à leurs familles. de la chancellerie allemande, Bodo possibilité d’une corpartie de ces entreprises. Hombach, le 12 mai 1999. Mais la rection. Or, ici, il y a une injustice Plus on étudie la Shoah, plus elle conférence de Washington, fin 1998, qui ne pourra jamais être réparée, et s’avère dévastatrice. Jusqu’à la fin avait donné l’impulsion pour d’autres les gens sont livrés à eux-mêmes, des années 1990, par exemple, il négociations, tout en établissant des cherchant quelque chose qui pourn’était pas très connu que la objectifs et des principes. rait remplacer l’irremplaçable. » Deutsche bank (Allemagne) avait Le sous-secrétaire accordé des crédits pour financer la d’État américain construction d’Auschwitz. L’utilisaStuart Eizenstat ne se tion considérable de main-d’œuvre fait guère d’illusions servile par l’industrie allemande à sur le remplacement l’époque nazie demeure un chapitre de l’irremplaçable. Il a de la Shoah qui n’a pas été complècependant beaucoup tement révélé. En 1944, par œuvré pour coordonexemple, 750 000 détenus de camps ner les efforts internade concentration – dont environ la tionaux visant à moitié de Juifs – furent réduits en décider de la restituesclavage au profit d’entreprises tion des biens de En mars 1949, la société DEGESCH, qui avait fabriqué allemandes. Plusieurs millions l’époque de la guerre, le Zyklon B utilisé dans les chambres à gaz, fut jugée à d’autres travailleurs mobilisés, dont Francfort, en Allemagne. Ici, le pasteur protestant Martin thème dominant les bon nombre déportés en Allemagne Niemöller témoigne contre la firme. informations conceret contraints à vivre dans des condilettre déclassée, conservée aux Archives nationales des États-Unis, révèle qu’un fragment de fusée nazie qui explosa en Belgique porte les mots « Made in Sweden », violation par la Suède de sa neutralité en temps de guerre. • Plus de 1 600 universités américaines proposent des cours sur la Shoah. Il n’y en avait que deux en 1973 et 206 en 1979. • 12 février 1997 : La Suisse, stimulée par les allégations que le gouvernement avait, pendant la guerre, accepté et blanchi des fonds provenant du pillage des biens juifs par l’Allemagne nazie, accepte de créer un fonds de 71 millions de dollars au profit des rescapés de la Shoah et de leurs héritiers. • 20 février 1997 : Le parlement polonais vote la restitution aux Juifs de biens communautaires nationalisés à la fin de la Seconde Guerre mondiale, entre autres quelque 2 000 synagogues, écoles et autres édifices, ainsi qu’un millier de cimetières. • Mars 1997 : Des dirigeants juifs et polonais signent un accord portant sur 93,5 millions de dollars destinés à préserver et à étendre le musée d’Auschwitz sur le site 691 L ’ A P R È S D’après le verdict d’un tribunal d’après-guerre, Krupp, le principal fabricant d’armes d’Allemagne, aurait dû être dissous, mais le jugement ne fut jamais exécuté. Cinquante ans plus tard, d’intenses pressions publiques contraignirent Krupp à offrir une restitution financière aux travailleurs juifs et non juifs que l’entreprise avait réduits en esclavage. tent de façon incontestable le bienfondé des réclamations. Dans d’autres cas, tout comme Estelle Sapir ne pouvait produire aucun certificat de décès de son père à Majdanek lorsqu’elle s’adressa au Crédit suisse, les propriétaires d’origine d’une œuvre confisquée peuvent savoir que celle-ci leur appartient lorsqu’ils la voient, sans pouvoir prouver leur titre de propriété. Les œuvres d’art ne représentent qu’une partie des biens familiaux volés par les nazis. Lorsque les forces soviétiques arrivèrent à Auschwitz en janvier 1945, elles trouvèrent six entrepôts contenant des centaines de milliers de costumes d’hommes et de manteaux de femmes. Les biens de ce type – meubles, fourrures, objets de familles – sont peut-être « trop petits » pour être pris en compte, 50 ans plus tard, lors des négociations sur les biens de l’époque de la Shoah. Mais, si l’on considère que les nazis ont assassiné près de six millions de Juifs, en ont déraciné des millions d’autres devenus réfugiés et ont pratiqué une politique systématique d’expropriation des biens juifs, le montant des biens de famille – petits et grands – devient tout à fait stupéfiant. Alors que le XXe siècle se termine, des efforts louables sont investis pour promouvoir la restitution, laquelle est inévitablement vouée à être cruellement incomplète, et parce que les La conférence de Washington réunie en 1998 avait pour objectif, entre autres, de traiter des œuvres d’art confisquées par les nazis. Au cours des 50 dernières années, ces œuvres avaient, en grande partie, été vendues et revendues. Certaines avaient été acquises et exposées par des musées réputés qui connaissaient ou non leur histoire. Reconstituer l’histoire d’œuvres d’art, puis les restituer à leurs propriétaires légitimes, constitue une entreprise vaste et complexe. 20% des principaux chef-d’œuvres d’Europe furent confisqués par les nazis. Philip Saunders, spécialiste d’œuvres volées, estimait en 1997 que 100 000 pièces précieuses « manquaient toujours après l’occupation nazie. » Reflétant les diverses régions où les Juifs se réfugièrent pour échapper au nazisme, les requérants viennent d’Israël, du Canada, d’Australie, des ÉtatsUnis, ainsi que de pays européens. Il s’agit de personnes qui tentent de trouver des tableaux exposés dans leurs anciennes maisons ou de collectionneurs qui avaient prêté des œuvres à des musées et des galeries pillés par les nazis. Dans certains cas, des documents attes- du camp d’extermination de l’Allemagne nazie le plus tristement célèbre. • Juillet 1997 : L’Argentine constitue une commission gouvernementale pour déterminer le nombre de criminels de guerre nazis qui se réfugièrent en Argentine après la guerre et quels types de butin furent introduits dans le pays. affirme que le gouvernement suédois avait stérilisé environ 60 000 Suédoises pendant la guerre pour débarrasser la société des types raciaux « inférieurs » et encourager la prolifération des caractéristiques physiques aryennes. • 20-23 août 1997 : Dans des articles • 24 août 1997 : Le Congrès juif mondial • 19 mai 1997 : Des documents longtemps tenus secrets, publiés par les Archives nationales britanniques montrent que l’extermination en masse des Juifs avait commencé dès juin 1941 – plusieurs mois avant la date ordinairement donnée comme marquant le début de la « solution finale ». 692 publiés par le journal suédois Dagens Nyheter, le journaliste Maciej Zaremba rejette l’offre de l’Allemagne de procéder à un versement unique à titre de répara- L ’ A P R È S pertes sont énormes et parce que trop de temps a passé pour identifier, étudier et classer les innombrables réclamations. L’entreprise de restitution, si noble soit-elle, dans sa tentative de mettre au moins un point final dans un certain domaine de la Shoah, ne peut malheureusement y parvenir, car la Shoah échappe à tout point final, l’inventaire des dommages causés en montrant toujours davantage, bien davantage. Pour les prochaines générations, des gens peu méritants en Europe et à travers le monde seront les Une vente aux enchères d’œuvres d’art « en déshérence », volées à des familles juives par les nazis, fut organisée à Vienne en 1996. Quelque 8 000 pièces, y compris des tableaux de maîtres, furent vendus et les sommes recueillies furent versées à des survivants juifs autrichiens de la Shoah. tions aux rescapés de la Shoah vivant en Europe orientale. Le secrétaire général du CJM, Israël Singer, insiste pour que ces survivants reçoivent des versements mensuels. • 9 septembre 1997 : L’Association pour l’enseignement de la Shoah, dont le siège se trouve à Londres, rapporte que des banques britanniques détiennent proba- bénéficiaires, conscients ou non, du vol des Juifs par les nazis, ainsi que du vol d’autres personnes et institutions dans les territoires sous domination nazie. Les nazis, par exemple, ont volé des montants considérables d’or monétaire, le stockant souvent dans les banques de pays neutres comme la Turquie, l’Espagne, le Portugal et la Suède, ou la Suisse. L’« or nazi » comprend également des quantités considérables d’or non monétaire – obturations et couronnes dentaires, par exemple, prélevés sur les victimes des camps de la mort nazie. Ces biens ne sont pas restés inexploités. Ils ont induit des bénéfices immérités, ici et là, mais pas pour leurs véritables propriétaires. Les biens appartenant à des collectivités juives – synagogues et écoles, par exemple – ont eux aussi fait l’objet d’un pillage et les questions de restitution se font de plus en plus précises. Ce n’est qu’en partie vrai, parce qu’il ne reste que des vestiges de ces communautés, en particulier en Pologne et dans d’autres pays d’Europe de l’Est qui subirent non seulement l’occupation nazie, mais la domination soviétique et les régimes communistes pendant la Guerre froide. Ensuite, comme l’illustre l’histoire d’une femme juive nommée Marta Drucker Cornell, on est confronté à des problèmes énormes concernant l’assurance. En 1945, Marta Drucker avait 17 ans. À l’exception de sa grand-mère âgée de 80 ans, elle était la seule survi- blement 1,1 milliard de dollars sur des comptes en déshérence ouverts par des victimes de la Shoah. • Octobre 1997 : L’ancien collabora- teur nazi, Maurice Papon, est jugé en France pour la déportation et par conséquent la mort de plusieurs centaines de Français, dont des enfants. En 1979, Simone Veil, une Juive française rescapée d’Auschwitz, devint la présidente du Conseil européen. vante de sa famille qui appartenait à la bourgeoisie tchèque. Après avoir passé plus de trois ans dans les camps de concentration nazis, elle n’avait pas grand-chose, à part sa vie. Elle possédait cependant un morceau de papier de la taille d’une carte postale sur lequel son père, le docteur Leopold Drucker avait inscrit des numéros dont elle ignorait la signification. Avec l’aide d’un ami de son père – il s’avéra être l’agent d’assurance du docteur Drucker – elle apprit que les numéros désignaient les polices d’assurance-vie de son père. Tout comme Estelle Sapir tenta de récupérer l’argent de sa famille auprès des banques suisses, Marta Drucker s’efforça de toucher les fonds appartenant à sa famille. Les réponses qu’elle obtint des compagnies d’assurance ne furent guère différentes de celles qu’E. Sapir avait reçu des banques. À tout instant, la recherche de Marta Drucker s’avéra • 1er novembre 1997 : Des documents suisses sont rendus publics, montrant qu’une banque américaine, la National City (ultérieurement Citibank), accepta sciemment quelque 30 millions de dollars d’or pillé par les nazis en garantie pour un prêt à l’Espagne. La National City, travaillant avec l’approbation du Trésor des ÉtatsUnis, accepta l’or après qu’il eut été blanchi par les banques suisses ; voir 1951. 693 L ’ A P R È S décevante. Les compagnies d’assurance refusaient d’accéder à sa demande. On lui déclara même que son père n’avait pas payé les primes qui auraient maintenu en vigueur ses polices. D’autres « explications » pour rejeter les réclamations formulées par M. Drucker et d’autres plaignants furent de l’ordre : « la compagnie d’assurance n’existe plus », « les dossiers en question ont été détruits par la guerre », ou « les communistes ont nationalisé la compagnie » et « on ne peut rien faire sans un certificat de décès ». Pensant que sa cause était perdue, M. Drucker émigra aux États-Unis en 1964. En 1997, elle se rendit à Washington où elle raconta son histoire à un groupe d’inspecteurs chargés de surveiller les assurances. Ces inspecteurs furent chargés de l’aider, elle et les nombreux autres rescapés de la Shoah et leurs héritiers qui cherchaient à obtenir restitution de sommes impayées par d’importants assureurs comme Allianz, Winterthur et Generali, pour un montant d’un milEn mai 1997, le sous-secrétaire d’État américain au liard de dollars. Commerce, Stuart Eizenstat présente un épais rapport Le rapport de condamnant vigoureusement la Suisse pour ses transacStuart Eizenstat tions d’or nazi pendant la Seconde Guerre mondiale. indiquait que « la question des de Washington souligna également primes d’assurances de l’époque de qu’il fallait agir davantage en la Shoah était l’une des épreuves les matière de recherche, d’éducation plus complexes et et de commémoration de la les plus difficiles Shoah. « Il est important, précisa auxquelles était Eizenstat, que le dernier mot sur confrontée la conféla Shoah durant ce siècle ne porte rence de Washingpas seulement sur l’argent. » Les ton. » Ce rapport programmes de restitution annonçait qu’« une prévoient d’utiliser une partie des voie rapide pour les biens en déshérence à des versements aux resinitiatives éducatives capés de la Shoah » internationales destinées à faire était à l’étude, mais prendre conscience de ce que fut il ajouta – et on ne la Shoah. peut que se rallier à Sans une éducation appropriée, son estimation – « il la Shoah sombrera dans l’oubli. Si la reste beaucoup à Shoah est oubliée, les témoignages faire. » des rescapés, même enregistrés, Ces survivants Sintis (Tsiganes) poursuivirent une grève de la faim à Dachau, en Allemagne, en 1980. Ils réclamaient une réparation morale pour les souffrances endurées pendant la Shoah. • 9 novembre 1997 : Un musée de la Shoah ouvre à Sachsenhausen, en Allemagne, sur le site d’un camp de concentration de l’époque nazie. • 13 novembre 1997 : Devant les protestations soulevées par les Juifs, le parlement allemand vote que le gouvernement ne pourra plus verser de pension d’invalidité aux criminels de guerre nazis. Quelque 694 Ne jamais oublier La conférence 50 000 vétérans allemands soupçonnés de crimes de guerre, y compris des membres de la Waffen-SS, recevaient des allocations. • Fin novembre 1997 : Deux coffres-forts ouverts dans une banque de Sao Paulo, au Brésil, contiennent des documents suggérant que des biens volés aux nazis furent secrètement acheminés vers des banques brésiliennes. seront réduits au silence, mis en péril, voire deviendront nuls et non avenus. Si la Shoah est oubliée, nous • Décembre 1997 : La Federal Reserve Bank de New York rend publics des documents secrets montrant que, dès 1952, la banque prit possession de plaques d’or, de boutons, de pièces de monnaie et d’ornements de pipe en or qui avaient été volés aux victimes de la persécution nazie et ultérieurement fondus en lingots d’or remis aux banques centrales européennes. • Le Département d’État américain fixe L ’ A P R È S aurons ignoré les avertissements des survivants qui nous demandent instamment d’être plus bienveillants, d’améliorer le monde. Alors, la connaissance que nous aurons livrée à l’oubli pourra bien être inutile parce qu’elle nous laissera dans une épaisse indifférence à une catastrophe aussi réelle et aussi radicalement atroce qu’elle était inimaginable avant qu’elle ne se produise. Bien que l’histoire ne se répète jamais exactement sous les mêmes formes, la Shoah montre qu’il n’existe nulle part une police d’assurance morale ou religieuse, un acquis politique, garantissant que le « ICI, DEMEUREZ SILENCIEUX. AILLEURS, NE GARDEZ PAS LE SILENCE. » —Plaque commémorative en souvenir des enfants juifs assassinés à l’école de Bullenhuser Damm dans l’ancien camp de Neuengamme, en Allemagne penchant destructeur de l’homme ne donnera pas le pire de lui-même. Mais si nous observons, au moins de temps en temps, l’abîme de destruction que fut la Shoah, si douloureux et si pénible que ce soit, nous serons mieux armés pour affronter un nouveau siècle, un siècle qui n’a pas seulement un potentiel étonnant de progrès et de qualité, mais également la capacité de gâcher la vie humaine de façon encore plus dévastatrice que ne l’a fait le XXe siècle, et en particulier la Shoah. Après cette catastrophe, rien n’est plus important que d’affecter des ressources à l’éducation, ce qui permettra à la « connaissance inutile » de la Shoah de transmettre que la vie n’a pas de prix, que sa beauté est fragile, sa justice vulnérable, sa joie précaire et qu’il nous appartient d’en déterminer l’avenir, quoi qu’il arrive. Infamie durable Une affiche en yiddish sollicite des fonds pour acheter et planter des arbres dans le futur État d’Israël. Les arbres commémoreront le souvenir des six millions de Juifs qui périrent dans la Shoah. comme date limite la fin du siècle pour achever le versement de « réparations » allemandes aux victimes du pillage nazi pendant la Shoah. • 4 février 1998 : Dix-neuf intellectuels allemands, historiens et écrivains, exhortent le chancelier allemand Helmut Kohl à renoncer aux projets d’un mémorial de la Élie Wiesel, rescapé d’Auschwitz prit la parole à la Maison blanche à Washington, le 12 avril 1999. Remarquant que « nous sommes à la veille d’un nouveau siècle, d’un nouveau mil- Shoah à Berlin. Le groupe a le sentiment que le mémorial prévu est trop vaste et artificiel et ne comprend pas les Tsiganes, les Témoins de Jéhovah et autres groupes victimes des nazis. • 19 juin 1998 : Une proposition de 600 millions de dollars faite par les grandes banques suisses aux victimes de la Shoah dont les biens ont été lénaire », il demanda : « Que sera le legs de ce siècle qui disparaît ? Comment s’en souviendra-t-on dans le nouveau millénaire ? » Comme Wiesel posait ces questions, la revue Time réalisait, pendant un an, un sondage sur internet, pour connaître l’opinion publique afin de choisir la personnalité du siècle. Depuis les années 1930, Time présente la personnalité de l’année, mais en 1999, les enjeux étaient bien plus importants. La personnalité du siècle, précisait Time, sera celle « qui, pour le meilleur ou pour le pire, a le plus influencé le cours de l’histoire au cours des 100 années écoulées. » C’est finalement le physicien Einstein qui fut désigné parmi les candidats suivants, entre autres : V. I. Lénine, Winston Churchill, David Ben Gourion, Martin Luther King, le pape Jean-Paul II et Adolf Hitler. Time avait fourni sur son site une abondante information sur les principaux personnages. Qualifiant Hitler de « plus grande menace du siècle pour la démocratie », le résumé de la rubrique de Time précisait également qu’il « avait, à tout jamais, volés pendant la guerre après avoir été déposés dans des banques suisses est qualifiée d’« humiliante » par l’Organisation juive chargée des restitutions et est tournée en dérision par d’autres groupes et dirigeants juifs. Les trois banques sont le Crédit suisse, la Banque suisse et l’Union des banques de Suisse ; voir début août 1998. 695 L ’ A P R È S Magda Trocmé, une Française chrétienne qui avait sauvé des Juifs, ravive la flamme éternelle au mémorial de la Shoah de Yad Vashem à Jérusalem. redéfini la signification du mal. » Le site internet de Time sur Hitler incluait l’article principal annoncé en couverture du magazine du 2 janvier 1939. Il représentait Hitler comme l’homme de l’année 1938, selon Time. Le journal accordait à Hitler le mérite d’avoir conféré à l’Allemagne une puissance inattendue, en moins de six ans : « Sa dictature n’avait rien d’ordinaire ; c’était plutôt une grande énergie et une planification magnifique. » Mais dans l’ensemble, le récit de Time était inquiétant, car il précisait que l’élément le plus significatif sur Hitler en 1938, c’était qu’il était devenu « la plus grande force menaçante à laquelle [était] aujourd’hui confronté le monde • 7 juillet 1998 : Volkswagen annonce son intention de créer un fonds de compensation pour les travailleurs réduits en esclavage dans ses usines pendant la Seconde Guerre mondiale. • Début août 1998 : Les principales banques suisses acceptent de verser un total de 1,25 milliard de dollars aux victimes de la Shoah dont les capitaux déposés sur des 696 L’article sur Hitler mentionnait démocratique, attaché à la liberté. » également d’autres dirigeants qui L’article ne comprenait aucune s’étaient distingués en 1938. Dans le mention explicite des pogroms de domaine de la religion, Time citait novembre 1938 (Kristallnacht) perdeux hommes qui s’étaient opposés pétrés sauvagement contre les Juifs au Führer. L’un était le pasteur proen Allemagne et en Autriche, mais testant allemand Martin Niemöller, évoquait l’antisémitisme raciste arrêté et emprisonné par les nazis d’Hitler et attirait l’attention sur le début juillet 1937. Il subit les fait que les Juifs d’Allemagne « ont terribles conditions des camps de été torturés, dépouillés de leurs concentration de Sachsenhausen et maisons et de leurs biens, privés de de Dachau jusqu’à la fin de la toute possibilité de gagner leur vie, Seconde Guerre mondiale. Sa traqués dans les rues. » célèbre déclaration demeure l’un Pour son numéro du 2 janvier des avertissements les plus succincts 1939, Time n’eut pas recours à une de la Shoah. « Quand ils ont arrêté photographie conventionnelle, les communistes, je n’ai rien dit, je mais à une caricature illustrant des n’étais pas communiste ; quand ils sentiments dignes des courageux ont arrêté les chefs syndicalistes, je journalistes de Munich que les n’ai rien dit, je n’étais pas un chef nazis avaient écrasés parce qu’ils syndicaliste ; quand ils ont arrêté les avaient protesté contre Hitler à la Juifs, je n’ai rien dit, je n’étais pas fin des années 1920 et au début des juif ; quand ils sont venus m’arrêter, années 1930. Le dessin de couveril n’y avait plus personne pour proture, exécuté par le baron Rudolph tester. » Charles von Ripper, un catholique allemand qui méprisait l’Allemagne nazie, décrivait Hitler comme un organiste jouant un hymne de haine dans une cathédrale profanée, tandis que la hiérarchie nazie observait d’un air approbateur les Miep Gies aida Anne Frank et sa famille à Amstervictimes torturées du Troi- dam. Elle découvrit le journal d’Anne et sauva ce précieux ouvrage qui émut des millions de lecteurs. sième Reich. comptes en banque suisses ont été volés pendant la Seconde Guerre mondiale ; voir été 1999. • 18 août 1998 : Le gouvernement polo- nais annonce un plan pour mettre fin à la location d’un terrain près du camp de la mort d’Auschwitz détenu par une association de victimes chrétiennes de la guerre. Le gouvernement décide que le groupe viole les clauses du bail en érigeant des croix sur le terrain. Les croix avaient soulevé la colère des associations juives ; voir 20 septembre 1998. • 19 août 1998 : La compagnie d’assurances italienne Assicurazioni Generali accepte de verser 100 millions de dollars aux victimes de la Shoah dont les polices d’assurances ne furent jamais L ’ A P R È S L’autre dirigeant religieux distingué par Time dans son numéro du 2 janvier 1939, était le pape Pie XI, âgé de 81 ans, dont l’opposition au nazisme et à l’antisémitisme prouva qu’il était plus courageux que son successeur Pie XII, en 1939. L’article sur l’homme de 1938 de Time signalait aussi que « l’événement le plus important de l’année » était la conférence de Munich, du mois de septembre, qui avait fait de la Tchécoslovaquie un État fantoche allemand. Il soulignait qu’une Allemagne massivement réarmée risquerait d’avoir les coudées franches en Europe dans un proche avenir. « L’homme de 1938, concluait Time, pourrait bien faire de 1939 une année mémorable. » Cinquante ans plus tard, Élie Wiesel, dont les épreuves pendant la Shoah confirment qu’Hitler fit de 1939 une année mémorable, posa ses questions à la La prison de Spandau, à Berlin, demeurait l’unique Maison blanche : rappel concret de la justice des Alliés et du legs criminel « Que sera le nazi. Lorsque le dernier détenu, Rudolf Hess, mourut en legs de ce siècle 1987, le bâtiment fut rasé. qui disparaît ? Comment s’en souviendra-t-on personnalité du siècle. Preuve en dans le nouveau millénaire ? » est fournie par le site internet du Wiesel aurait été attristé, mais pas magazine, puisque c’est Wiesel surpris, que Time fasse d’Hitler sa Yom haShoah Yom haShoah, ou le jour du Souvenir de la Shoah, fut institué par la Knesset israélienne (parlement), en 1951. La date choisie pour la commémoration annuelle de l’événement est le 27 Nissan (mois hébraïque), un jour qui tombe entre l’anniversaire du soulèvement du ghetto de Varsovie (de janvier à mai 1943) et le jour de l’Indépendance d’Israël (14 mai 1948). En Israël, le Yom haShoah se caractérise par la fermeture de tous les lieux de divertissement et par le retentissement d’une sirène à 10 heures du matin. Lorsque la sirène retentit, toutes les activités cessent et le pays se fige pour une minute de silence. Les gens interrompent ce qu’ils sont en train de faire, même s’ils conduisent un véhicule, et restent debout en souvenir des Juifs qui ont péri pendant la Shoah. Yom haShoah est également observé aux États-Unis (photo, 1994) et dans plusieurs endroits honorées. L’accord prévoit également que Generali rende publiques ses archives de l’époque nazie. réduisirent en esclavage de la main-d’œuvre fournie par le gouvernement nazi ; voir 16 février 1999. • 30 août 1998 : Des avocats des États-Unis • 20 septembre 1998 : Ignorant les appels de responsables de l’Église et du gouvernement polonais, des catholiques conservateurs érigent quatre croix en bois de 4 mètres de haut à proximité de l’ancien camp de la mort d’Auschwitz. Ce geste porte à environ 200 le nombre de croix érigées sur le site. et d’Allemagne entament des poursuites contre Daimler-Benz, BMW, Volkswagen, Siemens, Krupp, Audi et six autres grandes entreprises allemandes et autrichiennes qui, pendant la Seconde Guerre mondiale, d’Europe. Des cérémonies commémoratives sont coordonnées par les centres communautaires et religieux juifs, des institutions religieuses non juives, des centres œcuméniques et des associations religieuses. Bien qu’aucune règle n’ait été fixée pour la commémoration du Yom haShoah, les cérémonies comportent en général des discours, des prières et l’allumage de bougies. Il est usuel d’allumer six bougies représentant les six millions de Juifs assassinés ; dans certaines cérémonies une septième bougie commémore les victimes non juives de la persécution nazie. • 3 décembre 1998 : Au cours d’une réunion organisée à Washington, les représentants de 44 pays acceptent les principes énumérés par les États-Unis concernant la restitution des objets d’art appartenant aux victimes de la Shoah et pillés par les nazis. La France annonce la création d’une instance gouvernementale pour traiter des réclamations individuelles émanant de victimes de la Shoah sur la restitution des œuvres d’art. 697 L ’ A P R È S De nombreux rescapés de la Shoah ont pris la peine de raconter au monde ce qu’ils avaient vécu. Ici, Abba Kovner, ancien chef de la Résistance témoigne avec véhémence au procès d’Adolf Eichmann, en 1961. lui-même qui est l’auteur de l’essai qui accompagne la documentation factuelle sur Hitler et la réédition de l’article principal de Time sur l’homme de 1938. Lorsqu’on se souvient du XXe siècle, déclare Wiesel, le nom d’Hitler sera « parmi les premiers qui viendront à l’esprit. » D’aucuns affirment que le nom d’Hitler devrait être définitivement effacé. Ce sentiment est compréhensible, mais lorsque Wiesel décida d’écrire sur Hitler pour le sondage du Time sur la personnalité du siècle, un autre thème surgit. Le monde ne peut vraiment pas se permettre d’oublier Hitler, parce que son infamie n’est pas seulement due au fait que son régime a déclenché, comme le dit Wiesel, « une guerre qui demeure la plus atroce, la plus brutale et la plus meurtrière de l’his- • 16 février 1999 : Le chancelier allemand Gerhard Schröder annonce la constitution du Fonds du souvenir, de la responsabilité et de l’avenir, d’un montant de 1,7 milliard de dollars. Il est financé par 12 grandes entreprises allemandes pour indemniser les personnes réduites en esclavage par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Parmi ces entreprises : Daimler-Benz, Volkswa698 toire. » Fondamentalement, l’infamie d’Hitler, inséparable de la guerre qu’il a engagée, ce fut la Shoah . Se souvenir de la Shoah, c’est ne pas oublier Hitler. Peut-être, alors, Hitler aurait dû être la personnalité du siècle. Le XXe siècle fut, après tout, le plus sanglant de l’histoire humaine. Aucun événement n’y a contribué autant que la Shoah. Personne ne fut plus impliqué dans la Shoah qu’Hitler. Aujourd’hui, nous nous souvenons de la Shoah, pas seulement comme une dimension du passé, mais comme un événement ayant de profondes implications pour le présent et pour l’avenir. Nous avons encore beaucoup à apprendre, mais il est une chose que nous savons : la Shoah n’était pas inévitable. Elle a surgi de décisions délibérées prises par des êtres humains. Ces décisions n’étaient ni prédestinées ni Dans cette scène du film La liste de Schindler, réalisé en 1993, un nazi, commandant du camp, choisit une prisonnière juive devant lui servir de domestique. Ralph Fiennes joue le rôle du commandant inspiré du sadique dirigeant du camp de Cracovie, Amon Goeth. gen, BMW, Siemens, Krupp et Audi. • 26 mai 1999 : L’Allemagne accepte que les travailleurs réduits en esclavage à l’époque nazie, originaires de Pologne, reçoivent les mêmes compensations que ceux des autres pays. Plus de 400 000 Polonais réclament au total 2 milliards de dollars pour le travail servile qu’ils ont été contraints d’effectuer. inévitables. Même si Hitler n’a pas été désigné comme la personnalité du XXe siècle selon Time, il faut insister pour que personne, présentant avec lui de vagues ressemblances, n’ait cette distinction à la fin du XXIe siècle. Mais notre insistance – ainsi que l’espoir et la détermination qui doi- Les petits, les sans défense, les innocents : telles furent les victimes de la Shoah dirigée par Adolf Hitler. Ses partisans en exterminèrent des millions. Ceux qui survécurent, comme cette Polonaise et son enfant, furent toute leur vie hantés par le souvenir de ces atrocités. vent l’accompagner – ne réduira pas l’horreur de la Shoah. Nous pouvons cependant entretenir le souvenir des rescapés de la Shoah et nous engager à demeurer vigilants et bien informés ; politiquement conscients et éthiquement sains. Tels sont les objectifs que La Chronique de la Shoah entend atteindre. • Été 1999 : Cinq cents journaux de par le monde publient en pleine page des annonces accompagnées de formulaires détachables qui permettront aux rescapés de la Shoah de demander leur part sur la somme de 1,25 milliard de dollars prévue par les banques suisses. • Ouverture et large diffusion des mémoires du haut fonctionnaire SS Adolf Eichmann.