LAjournée - Chronique de la Shoah

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L’ A P R È S
LA
ÉPILOGUE
d’Israël, ni sa fierté pour ses réalidemeurez vigilants ; ne considérez
journée se fige lorsque
sations, ni ses espérances pour son
pas l’existence d’Israël comme
les sirènes retentissent à dix
avenir, y compris une paix
acquise. Soyez réalistes : n’imagiheures. Deux minutes plus tard, la
véritable avec des voisins arabes
nez pas que la Shoah ne sera
matinée israélienne reprend
souvent hostiles. Le hurlement
jamais oubliée, et encore moins
comme à l’ordinaire, ou presque.
des sirènes ne signifie pas non
que le génocide appartient au
C’est le Yom haShoah, le jour
plus que l’identité juive équivaut à
passé. Ne vous leurrez pas : ne
d’avril consacré à la commémoraun statut de victime. Les sirènes
pensez pas que l’existence d’Israël
tion de la Shoah. Des cérémonies
du Yom haShoah nient encore
« compense » la Shoah. Soyez
se déroulent aujourd’hui dans plumoins le dynamisme de la
sieurs pays, mais cette comvie juive après la Shoah. Au
mémoration annuelle a été « Observateur de l’Histoire
contraire, ces sirènes
instituée pour la première
contemporaine,
tourne
ton
peuvent et doivent être
fois en 1951 par la Knesset, le
parlement d’Israël.
regard vers les monceaux de entendues, du moins en partie, comme des expressions
Le calendrier hébraïque
cadavres, arrête-toi un
de courage et de confiance
fixe au 27ème jour du mois de
instant,
et
pense
que
ces
dans le fait que la vie juive
Nissan la célébration du Yom
est ici pour durer –
haShoah, date anniversaire pauvres restes de chair et
vigoureuse, brillante et, à
du début du soulèvement du
son sommet, ce que le
ghetto de Varsovie, le 19 avril d'os, c’est ton père, ton
prophète Isaïe appelait « une
1943. Peu après Yom enfant, ta femme, c’est l'être
lumière pour les nations. »
haShoah, Yom Haatsmaout
(le jour de l’indépendance que tu chéris ! Regarde,
d’Israël) est célébré le 5 regarde-toi ainsi que tes
Un rêve royal
Iyyar, anniversaire de la proL’État d’Israël moderne a
clamation de l’État, le 14 mai proches, auxquels tu es
célébré son 50ème anniversaire
1948. La proximité de ces attaché de cœur et d’esprit,
en 1998. L’aspiration à un
deux dates n’est guère forÉtat juif est cependant bien
tuite. Elle suggère qu’après jetés nus dans les
plus ancienne. Vers la fin du
les ruines et la résistance du immondices, tourmentés,
XIXe siècle, Nathan
ghetto de Varsovie, les
Birnbaum, dirigeant juif
affamés, assassinés. »
ravages et les désespérances
autrichien, était à la tête d’un
de la Shoah, la vie juive —Eugen Kogon, écrivain rescapé de Buchenwald
groupe nationaliste juif
retrouve une nouvelle vitalité
appelé Hovevei Tsion
lucides : ne faites pas de la Shoah
en Israël.
(Amants de Sion). Il introduisit le
un mal qui aurait, en quelque
Retentissant avant la
terme sionisme en 1893. Depuis
sorte, produit un « bien ».
célébration de l’indépendance
cette époque, le sionisme constitue,
Le hurlement des sirènes ne
israélienne, les sirènes émettent
en partie, une réponse à l’antisémidoit pas entamer la joie de l’État
aussi plusieurs avertissements :
tisme.
Quelques mois après l’indépendance d’Israël, des Juifs
amputés se retrouvent devant une salle de cinéma à Tel Aviv.
Le film d’Hollywood Les meilleures années de notre vie porte
sur les Américains rentrés chez eux après la guerre.
655
L ’ A P R È S
Le terme biblique aliyah,
signifiant « montée », désigne
un voyage jusqu’aux collines
de Jérusalem ; il est communément utilisé pour désigner
l’immigration en Israël.
Entre 1882 et 1903, environ
30 000 Juifs immigrèrent en
Palestine, ce qui doubla la
population juive de la région.
Le bateau d’immigrants « illégaux », le
Ce nombre demeurait
Théodore Herzl, arriva à Haïfa (Eretz Israël),
cependant dérisoire,
en 1947. Sur la bannière, il est écrit :
comparé aux 500 000 Juifs
« Les Allemands ont détruit nos familles…
Ne ruinez pas nos espoirs. »
d’Europe orientale et de
Russie qui pénétrèrent aux
Il exprime également
États-Unis à la même époque.
l’affirmation d’une culture juive dis35 000 Juifs se rendirent en
tincte et la volonté de fonder et de
Palestine
au cours de la deuxième
soutenir une patrie juive par des
Aliyah (1904-1914), soit un petit
voies politiques. Historiquement, les
pourcentage du nombre de Juifs
aspirations sionistes ont reflété
(1,5 million) qui fuirent les pogroms
diverses sensibilités politiques, culd’Europe orientale, incessants aux
turelles et religieuses. Certains siocours de ces dix années. En 1914,
nistes se sont situés politiquement à
un demi million d’Arabes et 85 000
gauche, d’autres à droite ; certains
Juifs vivaient en Palestine.
sont laïques, d’autres religieux ; les
De puissants intérêts
uns et les autres, plus ou moins miliéconomiques et stratégiques au
tants. Ils partagent cependant la
Moyen-Orient, notamment le
même cause : le soutien et la
contrôle du canal de Suez, conduisidéfense d’un État pour les Juifs
rent la Grande-Bretagne à adopter
dans un territoire appelé précédemla Déclaration Balfour, du nom du
ment Palestine et, dans des temps
ministre des Affaires étrangères
encore plus anciens, l’époque
Arthur James Balfour. Elle stipulait
biblique, possédé par les Juifs euxque le gouvernement britannique
mêmes.
serait favorable à « l’établissement
En 1896, le dirigeant juif
en Palestine d’un foyer national
Théodore Herzl qualifia le concept
pour le peuple juif, et fera tout son
d’État juif de « rêve royal ». Ce rêve
possible pour favoriser la réalisation
est devenu réalité, mais seulement
de cet objectif, étant clairement
après des cauchemars qu’Herzl ne
entendu que rien ne sera fait qui
connut pas et n’aurait jamais imagipuisse porter atteinte aux droits
nés.
• 1947 : Jozef Tiso, ancien premier
ministre de Slovaquie et allié d’Adolf
Hitler, est jugé et exécuté en Tchécoslovaquie. • Le diplomate suédois
Raoul Wallenberg meurt dans une prison soviétique (selon un rapport soviétique de 1956). • Le ministre belge
Jean Terfve, communiste, fait adopter
une loi sur la commémoration des victimes juives des persécutions nazies.
656
• 4 janvier-4 décembre 1947 : Le procès
de 15 juges nazis se déroule à Nuremberg,
en Allemagne. Quatre sont condamnés à
la prison à vie, quatre autres à dix ans de
prison, un à sept ans et un autre à cinq
ans. Quatre sont acquittés et un est libéré
pour raison de santé.
• 13 janvier-3 novembre 1947 : Dix-
huit anciens membres du Wirtschafts-
civiques et religieux des communautés non juives existantes en
Palestine, ou aux droits et au statut
politique des Juifs dans tout autre
pays. »
La Déclaration Balfour fut
publiée peu après l’entrée des
troupes britanniques en Palestine,
en octobre 1917. Au mois de
septembre de l’année suivante, la
région tout entière se trouvait sous
contrôle britannique. En vertu des
dispositions adoptées après la
guerre par la toute récente Société
des nations, la Palestine fut placée
sous mandat britannique. Les
Britanniques furent alors chargés de
contrôler une Palestine où la population arabe majoritaire voyait d’un
mauvais œil la population juive
minoritaire œuvrer de plus en plus
intensément à la création de l’État
évoqué par la Déclaration Balfour.
La Grande-Bretagne accueillit
favorablement l’immigration en
Palestine jusqu’aux émeutes arabes
En juillet 1947, un soldat britannique contraint des enfants juifs à
débarquer de l’Exodus.
und Verwaltungshauptamt (principale
instance nazie chargée de l’économie
et de l’administration) sont jugés à
Nuremberg. Quatre sont condamnés
à mort et onze à des peines de
prison ; trois sont acquittés.
• 8 février-22 décembre 1947 : Six
industriels allemands, dont Friedrich
Flick, sont jugés à Nuremberg. Trois
L ’ A P R È S
de mai 1921. L’immigration fut
alors temporairement suspendue,
mais le secrétaire britannique aux
Colonies, Winston Churchill,
publia un Livre blanc du
gouvernement qui réaffirmait la
Déclaration Balfour. Le Livre
blanc établissait que la Palestine ne
deviendrait pas un territoire complètement juif et liait l’immigration
juive à la capacité d’intégration
économique du pays.
Si les Britanniques ne firent
rien pour encourager un État juif,
l’immigration juive en Palestine
augmenta constamment. Vers la
fin des années 1930, la présence
juive s’était renforcée, la
population arabe avait elle aussi
augmenté et une partie d’entre
elle fomenta des troubles en
faveur d’un État arabe palestinien.
La tentative de la GrandeBretagne d’apaiser les troubles se
traduisit par l’adoption du Livre
blanc de 1939. Entre autres
clauses controversées du Livre
blanc : 1. Au bout de dix ans, les
Britanniques créeraient un État
palestinien indépendant binational
dans lequel Juifs et Arabes partageraient le pouvoir proportionnellement à leurs populations
respectives. 2. Durant les cinq
premières années, 75 000 Juifs
seraient autorisés à pénétrer en
Palestine ; ensuite, l’immigration
dépendrait de l’accord arabe. 3.
Les achats de terres par les Juifs
seraient considérablement réduits.
Lorsque la Seconde Guerre
mondiale commença, moins de
quatre mois plus tard, non seulement le rêve de Théodore Herzl
d’un État juif se trouva en hibernation, mais les portes d’un refuge
contre l’antisémitisme qu’il redoutait furent brusquement fermées.
De 1939 à 1945, environ 50 000
Juifs seulement purent entrer en
Palestine. Environ 16 000 d’entre
eux arrivèrent clandestinement
par bateau grâce à des groupes
juifs militants décidés à s’opposer
aux tentatives britanniques.
Ultérieurement, la passion
d’après-guerre pour une patrie juive
en Palestine incita des groupes juifs
sont condamnés à des peines de
prison ; trois sont acquittés.
• 16 avril 1947 : Pendaison de Rudolf
Höss, ancien commandant d’Auschwitz.
• 29 mars 1947 : Rudolf Höss, ancien com-
• 8 mai 1947-30 juillet 1948 : Vingt-
mandant d’Auschwitz, est condamné à mort
par un tribunal de Varsovie (Pologne) ; voir
16 avril 1947. • Le chasseur de nazis Simon
Wiesenthal fonde un Centre de documentation sur les criminels de guerre nazis à Linz,
en Autriche.
Une grenade à la main, une jeune
femme de la Haganah, la résistance
juive clandestine, s’entraîne dans la
perspective des combats sur le mont
Scopus, à Jérusalem, en 1948.
L’immigration juive en Palestine
Sur les 250 000 Juifs qui devinrent des DP (displaced persons) à la
fin de la guerre, bien peu souhaitaient demeurer en Europe. Confinés dans des camps de DP, ils souhaitaient commencer une nouvelle
vie ailleurs.
La plupart des Juifs espéraient émigrer en Palestine. Cependant,
comme c’était le cas pendant la guerre, leur évasion fut entravée par
les quotas d’immigration imposés par les Britanniques qui détenaient
le mandat sur la Palestine. Grâce aux activités du Mossad, l’organisation secrète juive, les Juifs parvinrent à entreprendre des voyages
clandestins vers la Palestine, de 1945 à 1948.
Traversant des montagnes et se dirigeant à la faveur de la nuit
vers les côtes européennes, des familles juives s’entassaient alors à
bord d’embarcations délabrées qui tentaient d’esquiver les
patrouilles britanniques. En cas de découverte, elles étaient arrêtées.
Malgré les risques, 64 bateaux acheminèrent plus de 70 000 personnes sur les plages d’Eretz Israël (Palestine). 50 000 autres furent
arrêtées et emmenées dans des camps de détention britanniques sur
l’île de Chypre.
Dans l’incapacité de stopper l’exode des Juifs d’Europe, les Britanniques finirent par céder. La proclamation de l’indépendance d’Israël en 1948 permit une immigration en masse d’environ les
deux-tiers des personnes déplacées. Les autres réfugiés choisirent de
s’installer ailleurs, 70 000 environ se rendant aux États-Unis, lorsque
les quotas devinrent moins restrictifs en 1948 et en 1950.
quatre membres du conseil d’administration d’I.G. Farben sont jugés à
Nuremberg. Treize sont condamnés à
des peines de prison ; dix sont acquittés et l’un n’est pas jugé compte tenu
de son état de santé.
• 10 mai 1947-19 février 1948 : Douze
anciens officiers de la Wehrmacht sont
jugés à Nuremberg au cours du « procès
des otages ». Huit sont condamnés à des
peines de prison, deux sont acquittés, un
se suicide et le dernier est libéré pour raison de santé.
• 1er juillet 1947-10 mars 1948 : Procès de
14 anciens chefs SS à Nuremberg. Treize
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L ’ A P R È S
La clandestinité
juive en
Palestine
La Haganah (Forces de
défense) fut fondée en 1920
pour combattre les attaques
arabes lancées contre les Juifs
palestiniens. Acceptant les
femmes comme leurs égaux,
les membres de la Haganah
combattirent aux côtés des Britanniques pendant la Seconde
Guerre mondiale. L’Irgoun
(Organisation militaire nationale) fut créée en 1931 par des
membres dissidents de la
Haganah qui ressentaient le
besoin d’ouvrir la Palestine en
dépit de l’opposition britannique, afin de sauver des Juifs
européens.
Pendant
la
Shoah,
l’Irgoun aida l’Aliya Bet
(ou immigration juive « illégale ») des Juifs européens en
Palestine, tout en épaulant les
Britanniques dans leur lutte
antinazie. Mais lorsque la
guerre fut pratiquement
gagnée, l’Irgoun commença à
attaquer des cibles militaires britanniques en Palestine en raison
de la politique juive de la
Grande-Bretagne, politique
trop restrictive, antisémite et
collaborant avec les Allemands.
Le groupe Stern, encore plus
combatif, qui jugeait les Britanniques en général antijuifs et
pro-arabes, combattit les Britanniques comme les Allemands.
sont condamnés à des peines de prison ; le
dernier est acquitté.
• 3 juillet 1947-10 avril 1948 : Vingt-
quatre officiers de la SS et du SD sont
jugés à Nuremberg. Quatorze sont
condamnés à mort.
• 12 juillet 1947 : À Netanya, en Eretz
Israël (Palestine), des Juifs kidnappent et
658
clandestins à tenter d’expulser
les Britanniques par la force :
notamment l’Irgoun, dirigé
par Menahem Begin, et le
Lehi, dirigé par Yitzhak Shamir (tous deux furent par la
suite premier ministre en
Israël). La répression britannique tenta de contenir ces
mouvements minoritaires,
mais l’insurrection s’intensifia
en faveur d’un État d’Israël.
Ce bref récit des quelque 50 ans de
l’histoire de la Palestine évoque une
partie de la lutte menée par les Juifs
pour leur patrie et soulève une grave
question : Les Juifs de Palestine ont-il
fait tout ce qui était en leur pouvoir
pour contrecarrer la Shoah ? Le débat
demeure. D’aucuns critiquent les Britanniques qui refusèrent de soutenir
les efforts militaires des Juifs. D’autres
En 1948, de jeunes membres de l’organisation clandestine de la Haganah,
accompagnés de leurs chiens, gardent
une implantation juive dans le Néguev
contre une éventuelle attaque arabe.
affirment que les dirigeants juifs en
Palestine demeurèrent trop passifs et
trop dociles face à la politique britannique. Quoi qu’il en soit – et les deux
affirmations sont peut-être exactes –
un fait incontournable demeure : les
tendances antisémites en Europe se
firent de plus en plus intenses dans les
années 1930, conduisant par la suite au
meurtre systématique de six millions
de Juifs. La réflexion des rescapés sur
ce crime commença à faire l’objet de
nombreuses publications après la
guerre.
La choc de la découverte
Menahem Begin fut le premier
ministre d’Israël de 1977 à 1983.
Jeune militant sioniste dans les
années 1930 à Varsovie, il se rendit en Palestine avec l’armée polonaise en exil en 1942. Begin
dirigea le groupe militaire Irgoun
de 1943 à 1948.
battent deux membres des services secrets
de l’armée britannique ; les autorités britanniques instaurent temporairement la
loi martiale dans la région.
• 18 juillet 1947 : La prison de Spandau, à
Berlin-Ouest, accueille les criminels nazis
condamnés à des peines de détention :
Baldur von Schirach (voir 1966), Karl
Dönitz, le baron Konstantin von Neurath,
J’ai parlé avec la mort,
alors je sais
comme trop de choses apprises
étaient vaines,
mais je l’ai su au prix de souffrances si grandes
que je me demande si cela en valait
la peine.
— Charlotte Delbo,
Auschwitz et après
Erich Raeder, Albert Speer (voir 1966),
Walther Funk, et Rudolf Hess (voir 17
août 1987).
• 14 août 1947 : Le prince allemand
Josias von Waldeck-Pyrmont, premier
membre de la vieille noblesse
allemande à avoir été recruté par la
SS, est accusé de crimes de guerre et
condamné à la prison à vie.
L ’ A P R È S
Connaissance inutile. C’est
ainsi que Charlotte Delbo qualifie
son expérience à Auschwitz et à
Ravensbrück. Elle n’était pas
juive et fut pourtant envoyée à
Auschwitz en 1943. Sur les 230
Françaises de son convoi, elle fut
l’une des 49 qui survécurent. Ch.
Delbo vit ce qui était arrivé aux
Juifs, à ses camarades françaises
et à elle-même. Elle n’aurait pas
dû connaître Auschwitz. Lorsque
les Allemands occupèrent la
France en juin 1940, Ch. Delbo
se trouvait en tournée en
Amérique du Sud avec une troupe
de théâtre. Contre l’avis de ses
Kazet, une troupe de théâtre rescapée, joue La colonie de la mort
au camp de personnes déplacées
de Bergen-Belsen. En 1947, cette
troupe se produisit devant des
publics de DP dans toute l’Europe.
• 16 août 1947-31 juillet 1948 : Pro-
cès de 12 dirigeants de Krupp. Onze
sont condamnés à des peines de prison ; un seul est acquitté. Tous bénéficieront par la suite d’une remise de
peine.
• 20 août 1947 : Fin du « procès des
médecins » à Nuremberg. 16 des 23
médecins accusés sont reconnus cou-
amis, elle revint en
France pour rejoindre
son mari Georges
Dudach et travailler
avec lui dans la
Résistance.
Arrêtés par la police
française collaborationniste, le 2 mars 1942,
tous deux furent livrés aux
Allemands qui les emprisonnèrent
séparément. Ch. Delbo eut droit à
une brève entrevue avec son mari,
juste avant sa mise à mort par un
peloton d’exécution, le 23 mai.
Prisonnière en France jusqu’à sa
déportation, Ch. Delbo décrit
ainsi son arrivée à Auschwitz en
janvier 1943 : « Les wagons
s’étaient ouverts au bord d’une
plaine glacée. C’était un endroit
d’avant la géographie. Où étionsnous ? Nous devions apprendre –
plus tard, deux mois plus tard au
moins ; nous, celles qui deux mois
plus tard étaient encore en vie –
que l’endroit se nommait Auschwitz. Nous n’aurions pu lui
donner un nom. »
Ces mots sont extraits de la
superbe trilogie de Charlotte
Delbo, Auschwitz et après, dont
les angoissantes descriptions et les
profondes réflexions sur la
mémoire font un témoignage
exceptionnel sur la Shoah. Les
trois parties commencent par
Aucun de nous ne reviendra
qu’elle écrivit en 1946 après avoir
été libérée par la Croix rouge du
pables. Sept sont condamnés à mort,
cinq à la prison à vie, deux à 20 ans de
détention, un à quinze ans et un autre
à dix ans de prison. Les sept autres
sont acquittés.
• Fin août 1947 : À l’issue du procès
des médecins, le Code de Nuremberg,
en dix points, est adopté en vue de
réglementer la recherche mettant en
Cette sculpture en bronze,
« Mémorial aux victimes des
camps », œuvre de Nandor Glid,
se dresse dans l’enceinte de Yad
Vashem, à Jérusalem.
camp de femmes de Ravensbrück.
Après sa convalescence en Suède,
elle revint en France. Ch. Delbo
attendit cependant près de 20 ans
avant d’autoriser la publication de
Aucun de nous ne reviendra en
1965. Des parties de Une connaissance inutile furent également
rédigées peu après son retour en
France, mais ce second volume de
la trilogie ne parut qu’en 1970. La
suite, Mesure de nos jours, suivit
bientôt.
« Auschwitz, déclara Ch. Delbo
dans La mémoire et les jours, est
si profondément ancré dans ma
mémoire que je ne peux l’oublier
un seul instant. » Effectivement,
durant les mois et les années
après Auschwitz, elle réapprit ce
qu’elle avait oublié avant son calvaire. Ici, en France où elle était
revenue, elle pourrait faire ce qui
là-bas avait été impossible, par
exemple utiliser une brosse à
jeu des sujets humains.
• 8 septembre 1947 : Les troupes britanniques en Palestine emploient du
gaz lacrymogène pour empêcher le
débarquement des réfugiés juifs de
l’Exodus.
• 3 novembre 1947 : Fin du procès
d’Oswald Pohl, général SS chargé des
659
L ’ A P R È S
La justice après la Shoah et la Guerre
froide
Avant même la célébration de la victoire en Europe, les tensions
s’accentuèrent entre les Alliés occidentaux et l’Union soviétique. La
division de l’Europe en « sphères d’influence » exacerba la rivalité,
conduisant aux décennies de la « Guerre
froide ».
La course aux armements nucléaires, à la
conquête de l’espace et la nécessité de
reconstruire les économies d’après-guerre,
l’emportèrent sur la quête de la justice.
Quelques dirigeants d’I.G. Farben, jugés
comme criminels de guerre, mais considérés comme indispensables au succès économique de l’Allemagne de l’Ouest, ne
purgèrent que de brèves peines de prison,
alors qu’I.G. Farben avait été le plus gros employeur de maind’œuvre concentrationnaire à Auschwitz pendant la guerre. Friedrich Flick (photo), chef du conglomérat Mitteldeutsche
Stahlwerke, un producteur de charbon et d’acier qui avait abondamment utilisé la main-d’œuvre réduite en esclavage pendant la
guerre, ne fit que quelques années de prison avant de reprendre
une carrière si fulgurante qu’il devint l’homme le plus riche d’Allemagne.
Des chercheurs dont les compétences furent jugées indispensables au programme spatial ou à la course aux armements
nucléaires ne furent pas tenus pour responsables de l’exploitation de main-d’œuvre servile dans leurs projets de guerre ; le
pionnier des fusées sur la lune à la NASA, Wernher von Braun
fut l’un d’eux. Dans le monde d’après-guerre, la quête de la justice fut tempérée par la volonté acharnée de gagner la Guerre
froide.
dents. Maintenant elle pourrait
faire ce qui, alors, était
impensable, comme manger tranquillement avec une fourchette et
un couteau. Et pourtant, alors
qu’elle était apparemment
redevenue celle qu’elle avait été
avant son internement à
Auschwitz – charmante, cultivée,
civilisée – elle pouvait à peine
sentir l’odeur de la pluie sans se
rappeler qu’à « Birkenau, la pluie
exhalait une odeur de diarrhée. »
Ce qui s’est passé à Auschwitz,
témoigne-t-elle, a fait bien peu,
alors ou maintenant, pour unifier,
édifier ou ennoblir la vie. Dans
l’ensemble, ce qui se produisit
travaux dans les camps et des objets
de valeurs volés aux détenus.
• 28 novembre 1947-28 octobre 1948
• 4 novembre 1947-13 avril 1949 : Procès de vingt-et-un diplomates et hauts
fonctionnaires nazis à Nuremberg. Dixneuf sont condamnés à des peines de
prison ; deux sont acquittés. Toutes les
peines seront par la suite commuées à
la période déjà purgée.
660
: Quatorze anciens membres du haut
commandement de la Wehrmacht
(OKW) sont jugés à Nuremberg.
Douze sont condamnés à des peines
de prison ; deux sont acquittés. Tous
les prisonniers bénéficieront
ultérieurement de remises de peine.
• 29 novembre 1947 : Les Nations unies
durant la Shoah a, au contraire,
divisé, rongé et réduit la vie à tout
jamais.
Ch. Delbo ne voulait pas dire
que la vie d’après la Shoah est
nécessairement sans espoir. Si
« inutile » que soit sa connaissance
en un sens, elle l’a utilisée pour
montrer à quel point il serait dangereux d’oublier qu’il fut un
temps où Auschwitz était « la plus
grande gare du monde pour les
arrivées et les départs. » Le
professeur Lawrence L. Langer,
lui non plus, ne dit pas que la
connaissance de la Shoah est totalement inutile. Au contraire, il
affirme que l’étude sérieuse de la
Shoah est aussi importante qu’elle
est difficile, car un tel travail
« nous donne accès à l’événement
central de notre temps et peutêtre de l’époque moderne. »
Ch. Delbo détestait l’abstraction,
rejetait la sentimentalité et
méprisait encore plus la malhonnêteté. Elle écrivit : « C’est
interminable, le bruit de cinquante
coups de bâton sur le dos d’un
Un timbre américain commémore
le 50ème anniversaire de la libération
des camps de concentration par les
Alliés en 1945.
votent en faveur du partage de la
Palestine prévoyant la création d’un État
juif et d’un État arabe. Les Arabes palestiniens s’y opposent vigoureusement.
• Décembre 1947 : Quarante anciens
membres de l’administration d’Auschwitz
sont jugés à Cracovie, en Pologne. 23 sont
condamnés à mort, 16 à des peines de prison. L’un des verdicts est inconnu.
L ’ A P R È S
Cette tête réduite, découverte dans
le camp de concentration de Buchenwald, constitue un macabre rappel de
la cruauté nazie.
homme. » À Auschwitz, elle ajoute :
« aucune d’entre nous ne disait “j’ai
faim. J’ai soif. J’ai froid”. » Ces
choses allaient sans dire ; utiliser de
telles expressions à Auschwitz était
absurde. Simples mais percutants,
les mots de Ch. Delbo montrent
que les nazis avaient créé un
environnement calculé pour provoquer la faim, la soif et la misère de
façon si continue que la plupart des
expressions portant sur les besoins
étaient réduites au silence sous l’indifférence du ciel bleu.
La mort, poursuit Ch. Delbo,
pouvait apporter un instant étourdissant dans lequel on pouvait
sentir « c’est fini, plus de souffrance et de lutte, ou exiger l’impossible d’un cœur au bout de ses
ressources… un bonheur dont on
ignorait l’existence. » L’ absence
même de respect pour la mort
rendit cependant Ch. Delbo à la
• 2 décembre 1947 : Maria Mandel,
SS inspectrice en chef du camp des
femmes à Auschwitz-Birkenau, est
pendue à Cracovie, en Pologne.
• 1948 : Le pape Pie XII implore la
clémence pour tous les criminels de
guerre condamnés à mort. Son appel
est rejeté par le général Lucius Clay,
gouverneur militaire adjoint.
vie, mais seulement en partie :
« Je veux mourir, mais pas passer
sur la petite civière. Pas passer sur
la petite civière avec les jambes
qui pendent et la tête qui pend,
nue sous la couverture en loques.
Je ne veux pas passer sur la petite
civière. » Comme Auschwitz a
réduit, tellement réduit, les
raisons de vivre, Ch. Delbo en
conclut que « pour vivre, il vaut
mieux ne rien savoir ».
Quant à l’amour, après Auschwitz, il n’est plus si tragiquement
triomphant que voudraient le
faire croire les idées reçues. La
phrase « mieux vaut avoir aimé et
perdu que n’avoir jamais aimé »
ne s’applique pas ici. À un niveau
extrême, suggère Ch. Delbo, les
nazis ont vaincu l’amour. Ayant eu
droit à une ultime rencontre avec
son mari avant qu’il ne soit tué,
elle rapporte que tous deux trouvèrent le seul acte d’amour qui
semblait possible pour leur séparation : tromperie mutuelle, prétendre chacun ignorer le sort qui
les attendait.
À Auschwitz, on ne gardait pas
bien le souvenir de l’amour.
La mémoire elle-même
était un luxe que l’énergie
autorisait à peine.
Lorsqu’elle surgissait, se
lamente Ch. Delbo, la
mémoire ajoutait souvent à
la souffrance trop grande
pour ceux qui vivaient déjà
au-delà de leurs moyens
émotionnels.
• Janvier 1948 : Shlomo Mikhoels,
directeur du Théâtre juif national de
Moscou et président du Comité antifasciste juif, est assassiné par la police
secrète soviétique, le NKVD, au cours
d’un accident d’auto provoqué.
• Avril 1948 : Franz W. Six, ancien
SS-Brigadeführer et commandant de
l’Einsatzgruppe B, est condamné à 20
Car, pour Ch. Delbo, comme
pour tout autre rescapé, surgirent
des questions complexes,
lancinantes. Ce que Ch. Delbo qualifie de « connaissance inutile » la
conduisit à se demander s’il valait la
peine de survivre. Son témoignage
d’une franchise brutale et d’une
profonde mélancolie ne ressemble
pas à celui d’autres victimes – juives
ou non juives – qui subirent les
camps nazis. Il amplifie cependant
l’une des répercussions clés de la
Shoah, un impact ou une
conséquence qui mérite une attention soutenue : en particulier après
Auschwitz, il faut veiller à ne pas utiliser la Shoah comme une sorte de
levier philosophique pour professer
des idéaux et des convictions
religieuses d’avant la Shoah.
Ch. Delbo et d’autres qui survécurent savaient que, sans avoir péri
physiquement entre les mains des
nazis et de leurs collaborateurs, ils
ont presque littéralement été « retirés du monde », emmenés en des
Le dernier Juif de Vilkaviskis, en Lituanie, se recueille dans le cimetière juif de
la ville qu’il restaura après la guerre.
ans de prison pour crimes de guerre ;
voir 1955.
• 28 avril 1948 : Albert Foster, ancien
Gauleiter de Dantzig (Pologne), est
exécuté dans cette ville après avoir été
reconnu coupable de crimes de guerre.
• 14 mai 1948 : Expiration du
mandat britannique sur la Palestine.
661
L ’ A P R È S
d’Israël illustre cette capacité.
Destin et lutte
L’immigration aux États-Unis donna
l’occasion d’un nouveau départ dans la
vie à de nombreux enfants juifs rescapés,
mais rien ne pouvait compenser les
pertes subies.
lieux où les espérances normales et
les codes de conduite étaient mis
sens dessus dessous, ébranlés,
pulvérisés. De nombreux rescapés
continuent à ressentir ce sentiment
d’étrangeté au monde et à trouver
difficile, sinon impossible, de
célébrer quoi que ce soit qui
ressemble au « triomphe » de
l’homme sur la capacité destructrice
de la Shoah. Cependant, cette
étrangeté même est susceptible de
suggérer des réponses aux niveaux
les plus profonds de la conscience
humaine. Comme le rappelle
Lawrence Langer, l’horreur que
suscite un « bébé déchiré en deux
ou d’une femme brûlée vive » est
insoutenable. Et pourtant, si nous
entretenons une conscience aiguë
de la Shoah, nous pouvons
empêcher le désespoir et la mort
d’avoir le dernier mot. L’État
La Palestine se compose désormais de l’État d’Israël et du Royaume de Jordanie. Le
Conseil national juif proclame l’indépendance de l’État d’Israël, État reconnu par
les États-Unis dans les heures qui suivent ;
voir 15 mai 1948.
• 15 mai 1948 : Les forces égyptiennes et
jordaniennes envahissent l’État d’Israël né
la veille ; voir 7 janvier 1949.
662
Printemps 1945. Hitler était
mort, le Troisième Reich en
ruines. De nombreux non Juifs de
par le monde supposaient que
l’horreur avait pris fin, mais ce
n’était vrai qu’à un certain degré.
La terreur et l’extermination
orchestrées par l’État avaient été
stoppées, mais l’antisémitisme
demeurait vivace dans l’Europe
continentale. D’anciens SS et
d’autres bourreaux de niveau inférieur circulaient librement et on
ignorait où se terraient certains
nazis de haut rang. En GrandeBretagne et aux États-Unis, les
préoccupations juives ne
semblaient guère susciter de compassion. Les Juifs ne se faisaient
guère d’illusions sur leur sort. Les
pogroms meurtriers qui se déchaînèrent en Pologne en 1946 ne
firent que confirmer cette vérité :
si les Juifs voulaient vivre en sécurité, il leur faudrait prendre en
main leur destin, créer leur
propre nation.
Dans l’immédiat après-guerre,
plusieurs dizaines de milliers de
rescapés de la Shoah avaient pour
objectif d’immigrer en Palestine où
ils espéraient rejoindre leurs frères
pour édifier une patrie juive indépendante. Les Britanniques,
cependant, contrôlaient toujours
l’immigration juive. Redoutant
qu’un afflux de réfugiés juifs ne
leur aliène le monde arabe, les Britanniques demeurèrent réticents à
autoriser leur entrée en Palestine
sur une grande échelle. Ils
autorisèrent un maigre quota de
1 500 Juifs par mois et mirent un
frein à l’immigration « illégale ».
Néanmoins, entre 1944 et 1948,
plus de 200 000 Juifs tentèrent de
fuir en Palestine, franchissant les
Le 12 novembre 1947, les dirigeants juifs (de gauche à droite) Nahum
Goldmann, David Horowitz, Emmanuel Neumann et le rabbin Wolf Gold
examinent une carte montrant le partage de la Palestine proposé par les
Nations unies. Le 29 novembre 1947, les Nations unies approuvèrent un
plan de partage de la Palestine stipulant la création d’un État juif. Les
membres du yishouv (la communauté juive de Palestine) célèbrent
l’événement.
• 2 juin 1948 : Viktor Brack, ancien SS-
Oberführer et organisateur de l’Aktion T-4
d’euthanasie, est pendu dans la prison de
Landsberg (Allemagne) après avoir été
reconnu coupable de crimes de guerre.
Karl Brandt, médecin d’Adolf Hitler et SSGruppenführer, impliqué dans des expériences médicales illégales, est lui aussi
reconnu coupable de crimes de guerre et
pendu dans la prison de Landsberg.
• 30 septembre 1948 : Fermeture de
l’UNRRA (United Nations Relief and
Rehabilitation Agency).
• Novembre 1948 : Au cours d’une
purge dans les milieux culturels juifs
soviétiques, le dirigeant soviétique
Joseph Staline suspend la publication
du journal en yiddish Eynikeyt
(Unité).
L ’ A P R È S
frontières partout où ils le pouvaient.
Entre août 1945 et mai 1948, environ
69 000 Juifs firent le voyage par la mer
à bord de 65 embarcations. Quelquesuns seulement de ces bateaux
parvinrent à contourner le blocus britannique. Environ 51 000 réfugiés juifs
passèrent jusqu’à deux ans dans des
camps de détention britanniques sur
l’île de Chypre, en Méditerranée.
Tandis que l’insistance juive
augmentait, la pression internationale encourageait également la
création d’une patrie juive. À Tel
Aviv, le 14 mai 1948, plusieurs
POPULATIONS JUIVES D’APRÈS-GUERRE, 1950
N
IE
AS
PE
RO
EU
FINLANDE
1 800
NORVÈGE
1 200
OCÉAN
ATLANTIQUE
SUÈDE
12 500
mer du
UNION SOVIÉTIQUE
2 000 000
Nord
IRLANDE
5 400 GRANDEBRETAGNE
450 000
PAYS-BAS
27 000
BELGIQUE
42 000
LUXEMBOURG
800
DANEMARK
5 500
ALLEMAGNE
37 000
FRANCE
235 000
SUISSE
21 000
PORTUGAL
4 000 ESPAGNE
3 000
POLOGNE
45 000
TCHÉCOSLOVAQUIE
17 000
AUTRICHE
18 000 HONGRIE
155 000 ROUMANIE
ITALIE
280 000
35 000
YOUGOSLAVIE
3 500
BULGARIE
6 500
TURQUIE
ALBANIE
50 000
300
mer
Caspienne
mer Noire
ASIE
GRÈCE
7 000
AFRIQUE
0
400 miles
0
700 kilomètres
mer Méditerranée
La population juive d’Europe passa d’environ 9,5 millions en 1933 à 3,5 millions en 1950. La population juive
de Pologne passa de trois millions à 45 000 âmes. En 1950, plus de 200 000 Juifs européens avaient émigré en
Palestine/Israël et 72 000 s’étaient installés aux États-Unis.
• Décembre 1948 : Les Nations unies
réunissent une Convention sur le
génocide qui appelle tous les États
membres à réagir avec fermeté contre les
groupes perpétrant des massacres pour
des raisons raciales, ethniques, religieuses
ou nationales. La délégation des ÉtatsUnis, très consciente de la ségrégation
prévalant dans son pays, refuse de ratifier
la convention.
• 1949 : Sur les 9 600 personnes condam-
nées à des peines de prison par le Tribunal
de Nuremberg et les procès suivants, 300
seulement sont encore en détention.
• Josef Mengele, médecin/tortionnaire
d’Auschwitz-Birkenau, adopte un pseudonyme et s’installe en Amérique du Sud.
• Le nazi Hermann Esser, auteur de La
peste juive mondiale (1939), est privé de
ses biens et de ses droits civiques par un
tribunal allemand de dénazification et
condamné par contumace à cinq ans de
travaux forcés. • Lutz Schwerin von Krosigk, ancien ministre des Finances du
Reich, est condamné, lors d’un procès de
Nuremberg, à dix ans de prison. • Préoccupé par le début de la Guerre froide,
l’Occident s’intéresse moins à la poursuite
des criminels de guerre nazis sur une
grande échelle.
663
L ’ A P R È S
les plus importants
étant la guerre des Six
Jours de 1967 et la
guerre de Kippour de
1973 qui aboutirent
toutes deux à des
victoires israéliennes
retentissantes et à des
gains territoriaux. Or,
s’il est souvent question
de paix durable dans la
En février 1948, des Arabes, échappant vraisemrégion, elle ne semble
blablement aux dispositifs de sécurité britanniques peu
aucunement assurée. La
rigoureux, firent exploser une bombe qui réduisit le
problématique question
quartier juif de Jérusalem aux décombres de la photo.
d’un État indépendant
Trois mois plus tard, le 15 mai, l’État d’Israël, âgé d’un
pour les Arabes palestijour, se retrouvait en guerre après les agressions
déclenchées par l’Égypte et la Jordanie.
niens en Cisjordanie et
dans la Bande de Gaza
mois après le vote des Nations
demeure incertaine en ce début
unies prévoyant le partage de la
du XXIe siècle.
Palestine en un État juif et un
L’État d’Israël aurait-il existé si
État arabe, et alors que les Britanla
Shoah
ne s’était pas produite ?
niques avaient commencé leur
D’aucuns soutiennent qu’une
retrait de Palestine, David Ben
patrie juive aurait pu exister plus
Gourion proclama l’indépendance
tôt si la Seconde Guerre mondiale
de l’État d’Israël. Le recensement
effectué six mois plus tard montra
que la nouvelle nation comptait
782 000 habitants, dont 713 000
Juifs, y compris des rescapés de la
Shoah dont le nombre approchait
les 140 000 vers la fin de la décennie.
L’indépendance, cependant, ne
garantit pas la sécurité d’Israël. La
nouvelle nation, proclamée le 14
mai 1948, fut envahie dès le 15
mai par les forces arabes ; un cessez-le-feu intervint huit mois plus
tard. La guerre de 1948-49 fut la
première d’une série de conflits
avec des voisins arabes hostiles –
• 7 janvier 1949 : Un cessez-le-feu
imposé met fin à la guerre déclenchée
par les Arabes en mai 1948 : au cours
des combats, Israël a augmenté son
territoire de 50%.
Au cours de la guerre des Six Jours
de 1967, Israël remporta une victoire
écrasante contre les agresseurs
arabes. Le triomphe permit au pays
d’élargir ses frontières, créant une
nouvelle image de puissance et de
force israéliennes dans la région, et
remplissant les Juifs de fierté.
fédérale d’Allemagne (RFA ou Allemagne
de l’Ouest), démocratie parlementaire.
• 11 mai 1949 : Admission d’Israël
• 7 octobre 1949 : Les États communistes
d’Allemagne orientale adoptent une constitution centralisée et s’associent pour créer la
République démocratique allemande (RDA).
• 23 mai 1949 : Création de la République
• 1949-1952 : Encouragés par le
dirigeant soviétique Joseph Staline, des
aux Nations unies.
664
et la Shoah n’avaient pas eu lieu.
D’autres, sceptiques quant aux
spéculations, soulignent que l’existence même de l’État d’Israël est
inextricablement liée à l’histoire de
la Shoah. Et, comme l’avertit le
hurlement de la sirène le Yom
haShoah, Israël ne pourra jamais
relâcher sa vigilance.
L’existence d’Israël suscite une
autre question, lorsqu’on évoque
la conviction de Théodore Herzl
pour lequel un État juif indépendant était l’unique réponse viable
à la « question juive » : Et si les
Juifs avaient disposé d’un État à
eux au début du XXe siècle, la
Shoah aurait-elle eu lieu ? Probablement pas, mais cette question
ouvre la porte à une intense
spéculation. Les nazis auraient-il
pu déporter neuf millions de Juifs
européens dans une Palestine
juive et ce territoire aurait-il pu
accueillir un tel afflux de
population ? Un tel scénario est
difficilement crédible. La question
n’en attire pas moins l’attention
sur des thèmes majeurs. Être
privé d’État, c’est encourir
impuissance et désespoir. Stratégiquement, la vulnérabilité n’est
guère une politique saine. La
puissance nationale fait réfléchir à
deux fois d’éventuels agresseurs et
quiconque s’attaque à la sécurité
d’Israël ou aux intérêts des Juifs
dans le monde ne doit pas
s’attendre à agir en toute
impunité. Ces considérations politiques font partie intégrante des
tribunaux fantoches organisent des procès à grand spectacle en Hongrie et en
Tchécoslovaquie ; les accusés, dans leur
immense majorité, sont des Juifs.
• 1950 : Les Alliés chargent l’Allemagne
de l’Ouest d’assumer la responsabilité de
poursuivre les criminels de guerre nazis.
• Erich Koch, ancien haut commissaire
d’Ukraine, est extradé en Pologne pour sa
L ’ A P R È S
En mai 1974, le village de Maalot, en Galilée, fut la cible de terroristes palestiniens. Vingt écoliers
furent assassinés. Ici, Galil Maïmon
transporte en lieu sûr sa sœur
Tsipora, blessée.
répercussions les plus importantes
de la Shoah.
Les questions de culpabilité
Peu d’événements ont affecté
l’identité juive et israélienne
autant que la Shoah. Les
répercussions de la Shoah
affectent corollairement l’identité
allemande. Aucune sirène d’avril
n’impose à l’Allemagne une
minute de silence à la mémoire de
l’anéantissement des Juifs
européens, mais l’histoire de la
nation est inévitablement liée à
celle de la Shoah.
Au début du siècle, Berlin est
devenu le site d’un nouveau
mémorial dont la naissance a été
particulièrement laborieuse, le
Mémorial d’Allemagne à la
mémoire des Juifs d’Europe assassinés. Il existe, depuis quelque
complicité dans la mort de millions de personnes, dont 72 000 Polonais. Sa condamnation à mort est commuée en peine de
prison à vie en raison de son état de santé.
• Israël adopte la Loi sur le jugement des
criminels nazis et leurs collaborateurs,
ouvrant la voie aux procès d’anciens nazis
dans le pays. • Le fonctionnaire SS Adolf
Eichmann s’évade en Argentine avec
l’aide d’agents secrets d’Odessa, une orga-
temps, en territoire allemand des
sites commémorant la Shoah ; les
anciens camps de concentration
de Buchenwald, Dachau, Ravensbrück et Sachsenhausen en sont
des exemples. Mais le mémorial
de Berlin, qui sera situé au cœur
de la capitale du pays, représente
une reconnaissance nationale particulière de la responsabilité historique de l’Allemagne dans la
Shoah.
En juin 1998, une
Findungskommission de cinq
membres recommanda un projet
soumis par l’architecte américain
Peter Eisenman qui représente un
champ de stèles ondoyantes. Ce
projet, pour lequel la presse
allemande se montra fort élogieuse,
avait été accepté par Helmut Kohl,
alors chancelier. Cependant, du fait
de la résistance de l’opposition politique à Helmut Kohl, les décisions
définitives ne furent prises qu’après
les élections allemandes de
septembre 1998. Gerhard Schröder
devint alors le nouveau chancelier.
Michael Naumann, ministre de la
culture de Schröder, s’opposait à
l’idée d’un mémorial national de la
Shoah, mais les négociations
menées entre Naumann, Eisenman
et la Findungskommision conduisirent à des modifications rendant le
projet réalisable. Le projet
d’origine du mémorial a été réduit
et le site sera complété par un
centre d’information et une
bibliothèque.
L’indépendance d’Israël
L’objectif si longtemps poursuivi par les sionistes – la création
d’une patrie juive en Palestine – fut enfin atteint le 14 mai 1948
lorsque David Ben Gourion (debout) proclama l’indépendance de
l’État d’Israël. Les pertes juives durant la Shoah contribuèrent au
soutien apporté par la communauté
internationale à la création d’un État
juif souverain.
Le 29 novembre 1947, les Nations
unies votèrent le partage de la Palestine en deux États, un juif et un arabe.
Alors que les nationalistes arabes rejetaient complètement le plan, les dirigeants de la communauté juive en
Palestine finirent par accepter le partage.
Lorsque le premier ministre Ben Gourion annonça la création
de l’État d’Israël dans les frontières qui lui étaient attribuées par le
plan de partage, les armées des États arabes envahirent presque
immédiatement l’État nouvellement créé.
nisation d’anciens officiers SS ayant pour
objectif d’aider de telles évasions.
• Juin 1950 : Une loi américaine sur les
DP (displaced persons) de 1948 est modifiée par le Congrès afin de permettre une
immigration juive équitable aux ÉtatsUnis. La loi de 1948 favorisait les Juifs originaires de pays se trouvant sous
domination soviétique après la guerre.
• 1er décembre 1950 : Découverte, à
l’endroit où se trouvait autrefois le 68
de la rue Nowolipki à Varsovie, des
deuxième et troisième parties des
archives Oneg Shabbat d’Emanuel
Ringelblum, comprenant son journal
intime. S’y trouve également le
témoignage d’Abraham Jacob Krzepicki, un jeune évadé du camp de la
mort de Treblinka.
665
L ’ A P R È S
Israël et la Shoah
Les Juifs de Palestine non
seulement accueillirent les Juifs
européens de la Shoah, mais
combattirent pour sauver leur
vie. La Palestine fut le seul
endroit sur terre où un important pourcentage de la population accueillit favorablement les
Juifs européens pendant la
guerre.
Le sionisme, un mouvement
créé par Théodore Herzl dans
les années 1890, soutenait que
l’Europe n’était pas un lieu sûr
pour les Juifs qui devaient disposer de leur patrie nationale
en Palestine. Le sionisme
encourageait
l’immigration
légale ou illégale en Palestine,
alors sous mandat britannique.
Durant les premières années
de la guerre, David Ben Gourion, président de l’Exécutif sioniste et de
l’Agence juive pour la
Palestine, rechercha le
soutien des Juifs américains aussi bien dans
l’intérêt des Juifs européens que pour favoriser la création d’un État
juif en Palestine. Il
exhorta les Alliés à bombarder les villes allemandes en représailles
aux atrocités contre les
Juifs, mais, constatant
que les Alliés n’aidaient
pas les Juifs, il considérait les grandes manifestations organisées dans
les pays alliés comme
une perte de temps.
• 1951 : Hans Schmidt, un ancien garde
de Buchenwald, est le dernier criminel
de guerre à être exécuté par les Alliés.
• L’écrivain Ernst von Salomon publie
Der Fragebogen (Le questionnaire), texte
qui tente d’atténuer la culpabilité
allemande en « répondant » à un
questionnaire distribué en Allemagne
par les Alliés, en 1945. Ce dernier était
destiné à éliminer les nazis invétérés, à
les empêcher d’occuper des postes dans
666
Après la Shoah, près d’un
million de réfugiés juifs européens furent accueillis en Palestine et en Israël, l’État juif créé
en 1948. La photo montre des
Juifs arrivant à bord du Néguev,
en 1948. Cette nation, unique
en son genre, qui accorde automatiquement la nationalité à
tout Juif qui s’installe là où il
entend vivre, fut créée et
défendue comme un lieu où les
Juifs pourraient enfin être en
sécurité.
Paradoxalement, les Juifs
connaissent de nombreux
risques en Israël. L’énorme
impact de la Shoah sur l’état
d’esprit des Israéliens conditionne la vie et la politique
israéliennes depuis des décennies. Environnés de nombreux
les gouvernements d’après-guerre. • De
connivence avec la Banque fédérale des
États-Unis, la banque américaine National City accepte de l’or pillé par les nazis
pour un montant de 30 millions de
dollars, fonds blanchis en Suisse sous couvert de garantie d’un prêt à l’Espagne.
Les lingots, estampillés de la croix gammée nazie, sont fondus et reconstitués
pour apparaître comme des lingots des
États-Unis ; voir 1er novembre 1997.
gouvernements arabes hostiles
et se trouvant sur une topographie difficilement défendable,
les Israéliens ont mis l’accent
sur la sécurité, ce qui détermine parfois leur politique
étrangère.
Bien que la vie culturelle,
intellectuelle et politique
reflète un large éventail de
thèmes, le spectre d’une réédition de la Shoah hante la
nation. Le penseur juif Richard
Rubenstein a décrit comme suit
la ferme détermination des rescapés de la Shoah qui ont immigré en Israël : « Nous pouvons
mourir sur les sables de la
Palestine, mais nous ne nous
accommoderons plus jamais de
votre bon plaisir ou de vos préjugés. Il y aura peut-être un
jour un autre Massada
au cours duquel les Juifs
combattront jusqu’au
dernier avant d’être
submergés par l’ennemi. »
« Il n’y aura jamais un
autre Auschwitz, poursuit-il. Les Juifs n’auront
plus jamais confiance
dans votre humanité,
pour subir finalement la
plus dégradante des
morts froides. Nous
avons plié nos tentes.
Pour nous, l’errance a
pris fin. Nous ne vivrons
plus parmi vous. Pour le
meilleur ou pour le pire,
nous rentrons chez
nous. »
• Le baron Otmar von Verschuer reçoit
un poste à l’université de Münster en
Allemagne de l’Ouest pour enseigner la
génétique humaine. En tant que mentor
de Josef Mengele, il recevait des
spécimens humains et des rapports provenant d’Auschwitz. • Création à New
York de la Claims Conference, chargée
de coiffer tous les organismes s’occupant
d’indemniser les Juifs spoliés par les Allemands.
L ’ A P R È S
Pendant la rixe, des vitrines de
magasins et des véhicules furent
fracassés et, des deux côtés, il y eut
des blessés ; la police arrêta 26 personnes.
Si l’incident s’était réduit à
cette description, la presse
internationale n’en aurait vraisemblablement même pas parlé, mais
les raisons qui déterminèrent cet
affrontement en Allemagne présentaient un grand intérêt médiatique.
L’Allemagne d’après-guerre estime
– du moins en partie – que, quel
que soit le mal commis par Hitler
et ses nazis, la Wehrmacht (armée
allemande durant la Seconde
Guerre mondiale) a combattu dans
l’honneur et ne peut être ternie par
la Shoah. De nombreux Allemands
savaient beaucoup de choses, mais
les impressions sur la noblesse de
l’armée persistaient dans l’opinion
publique. Puis, en mars 1995, une
exposition intitulée
Vernichtungskrieg:
Verbrechen der
Wehrmacht, 1941-1944
(Guerre d’extermination : les crimes de
la Wehrmacht)
commença à apparaître
dans divers endroits en
Allemagne et en
Autriche. Cette
exposition de photos et
de documents confirmait
Le 20 janvier 1999, Michael Naumann –
que la Wehrmacht avait
ministre de la culture du chancelier allemand
Gerhard Schröder – présente la maquette d’un
bel et bien mené une
mémorial de la Shoah devant être construit au
politique génocidaire à
cœur de Berlin.
l’encontre des Juifs et
des Tsiganes.
Le projet du mémorial était
presque réalisé en 1999 lorsque
deux autres événements furent
remarqués dans les nouvelles allemandes, ayant tous deux des liens
au moins implicites avec le
mémorial des Juifs d’Europe
assassinés. En premier lieu, l’Associated Press à Cologne
(Allemagne), en date du 22 mai,
fit état d’incidents entre groupes
politiques de droite et de gauche.
Le police maintint les adversaires
à distance pendant un moment,
mais, lorsque environ 200
partisans du Parti national, un
groupe d’extrême droite,
commencèrent la manifestation
autorisée par un tribunal, quelque
400 opposants de gauche contournèrent les barrages de police et se
mirent à bombarder les manifestants avec des bouteilles, des
pierres, des œufs et des tomates.
• Janvier 1951 : Manifestation monstre à
Jérusalem contre une proposition de l’Allemagne de l’Ouest de verser des « réparations » monétaires à Israël et aux Juifs
pour la Shoah. Nombreux sont les Israéliens qui refusent tout accord avec l’Allemagne ; voir 27 septembre 1951.
• 12 janvier 1951 : Sous l’égide des
Nations unies, en vertu de l’article 56
de la charte de l’ONU, la Convention
sur le génocide, interdit la torture, le
meurtre, la déportation et la persécution d’un groupe pour des raisons
raciales, religieuses ou politiques.
• 12 avril 1951 : La Knesset
(parlement d’Israël) adopte une loi
sur le Yom haShoah, jour de commémoration de la Shoah.
L’exposition itinérante « Guerre
d’extermination : les crimes de la
Wehrmacht » fit voler en éclat l’idée
fort répandue que l’armée allemande
avait combattu courageusement pendant la guerre et n’était pas ternie
par les atrocités nazies.
L’armée avait également perpétré des massacres en masse de
Slaves sans défense en Pologne,
Serbie et Union soviétique ; elle
était en outre responsable de la
mort de plus de trois millions de
prisonniers de guerre soviétiques.
Cette exposition, vue par plus de
820 000 personnes dans 32 villes à
la fin du printemps 1999, suscita
des protestations considérables.
Avant les troubles de Cologne,
des incidents avaient éclaté entre
groupes de droite et de gauche
dans la ville de Sarrebruck, dans
le sud-ouest du pays. Là, plus de
100 personnes de gauche,
favorables à l’exposition, furent
arrêtées lorsqu’elles contestèrent
les protestations de droite contre
l’exposition des atrocités
perpétrées par la Wehrmacht.
• 8 juin 1951 : Après avoir été reconnus coupables de crimes de guerre,
d’anciens nazis sont pendus à la prison de Landsberg : Oswald Pohl,
ancien général SS chargé des travaux
dans les camps et des objets de
valeurs volés aux détenus ; Paul Blobel, ancien SS-Standartenführer et
chef du Sonderkommando 1005 ; et
Otto Ohlendorf, ancien SS-
667
L ’ A P R È S
La prétendue pureté morale de la
Wehrmacht revêtait de l’importance
pour les Allemands d’après-guerre.
La complicité de l’armée à de nombreuses atrocités devint évidente par
la suite, justifiant les procès intentés
en 1947 au général Wilhelm List (au
centre) et à d’autres chefs militaires.
Les nouvelles d’Allemagne du
21 mai 1999 comportaient un
autre récit concernant la Shoah. Il
s’agissait d’un Allemand de
souche du nom d’Alons
Goeztfried. En 1991, alors que
l’Union soviétique se désintégrait,
Goetzfried avait immigré en Allemagne depuis son Ukraine natale.
Il ne réussit pas cependant à laisser derrière lui son passé du
temps de guerre. Il s’avéra qu’en
1943, Goetzfried, membre de la
Gestapo, avait participé au
meurtre de 17 000 Juifs en
Pologne. Traduit en justice en
L’Allemagne aux prises avec son passé
Le legs sanglant du nazisme jette une ombre sinistre et
durable sur la nation allemande. Les questions de culpabilité et
de responsabilité collectives pour les crimes commis par le national-socialisme imprègnent la société allemande tout entière. Bien
que plus de 50 ans la séparent de la fin de la Seconde Guerre
mondiale, l’Allemagne lutte toujours pour assumer son passé.
Jusqu’aux années 1960, les débats sur le national-socialisme
étaient quasiment absents des manuels scolaires allemands. Si de
nombreuses questions sur la culpabilité dans la Shoah sont désormais prudemment abordées en Allemagne, toute tentative de
commémorer la Shoah déclenche un débat national.
Au niveau individuel, des intellectuels allemands se débattent
sans relâche à propos de la culpabilité allemande. Alors que le
philosophe allemand Karl Jaspers rejette la thèse de la culpabilité collective, le théologien allemand Martin Niemöller la reconnaît ouvertement.
Dans sa confession « Je suis coupable », Niemöller écrivit :
« Nous ne sommes certainement pas exempts de culpabilité ; et je
me demande sans cesse ce qui se serait passé si, dans toute l’Allemagne, 14 000 pasteurs évangéliques avaient défendu la vérité
avec leur vie en 1933 ou 1934… J’imagine que nous aurions
sauvé 30 à 40 millions de vies humaines. »
Gruppenführer et commandant de
l’Einsatzgruppe D.
• 23 juillet 1951 : Philippe Pétain,
chef du gouvernement collaborationniste de Vichy, meurt en exil sur l’île
d’Yeu, à l’âge de 96 ans.
• 8 septembre 1951 : Jürgen Stroop,
ancien SS-Gruppenführer chargé de la
668
liquidation du ghetto de Varsovie, est
pendu à Varsovie après avoir été
reconnu coupable de crimes de guerre.
• 27 septembre 1951 : Le chancelier
ouest-allemand Konrad Adenauer
demande officiellement pardon pour
la persécution des Juifs par les nazis et
réitère des offres de réparations ; voir
janvier 1951 ; voir 10 septembre 1952.
Allemagne, il fut reconnu
coupable de crimes de guerre par
un tribunal de Stuttgart.
Le procureur réclama une
peine de 13 ans de prison que le
tribunal refusa. Même si le procureur l’avait emporté, on ne sait
pas très bien si le sort de
Goetzfried eût été très différent.
Après l’avoir condamné à dix ans
de prison, le tribunal libéra
Goetzfried en raison des 13
années qu’il avait purgées dans un
camp de travail soviétique en
Sibérie. Les avocats de Goetzfried
déclarèrent qu’en Allemagne, ce
procès pourrait bien être le
dernier intenté pour crimes de
guerre de l’époque nazie. Car, à
l’instar des rescapés de la Shoah,
les personnes suspectées de
crimes de guerre et celles qui
pourraient témoigner contre eux
vieillissent et disparaissent.
Après la guerre, le docteur Josef
Mengele, le sadique médecin-chef
d’Auschwitz, trouva refuge en
Amérique du Sud. Cet avis de
recherche fut diffusé par le Centre
Simon Wiesenthal en 1985.
• 1952 : Le tribunal fédéral allemand
statue que les lois et ordonnances
adoptées par le régime nazi sont
nulles et non avenues parce qu’elles
violent toutes les normes de légalité
et de moralité.
• Février 1952 : La Federal Reserve Bank
de New York reçoit des plaques en or, des
boutons, des pièces de monnaie et des
L ’ A P R È S
L’Allemagne n’est pas le seul
pays qui ait dû juger des
personnes ayant détruit des vies
juives pendant la Shoah. Aux
États-Unis, par exemple, le département de la Justice a créé, en
1979, un Bureau se consacrant à
la chasse aux nazis (Office of Special Investigations ou OSI).
Depuis sa création, 61 ex-nazis
ont été déchus de leur nationalité
américaine et 49 ont été expulsés
des États-Unis. Le programme
« watch list » (liste de
surveillance) a empêché l’entrée
sur le territoire américain de 150
personnes suspectées d’être des
criminels de guerre nazis et, en
1999, l’OSI enquêtait sur plus de
250 personnes.
John Demjanjuk, un travailleur
de l’industrie automobile à la
retraite, à Cleveland, dans l’Ohio,
qui avait immigré aux États-Unis
en 1951 et avait reçu la nationalité
américaine en 1958, fit l’objet d’un
examen particulièrement
approfondi. En 1986, Demjanjuk
fut extradé en Israël où il fut jugé
pour crimes contre l’humanité. Il
fut cependant acquitté lorsque des
documents provenant d’Union
soviétique jetèrent le doute sur son
identité : était-il l’ignoble opérateur
de la chambre à gaz de Treblinka
surnommé Ivan le Terrible ? Le
département américain de la
Justice entama des poursuites dans
un tribunal fédéral le 19 mai 1999
pour priver Demjanjuk de sa nationalité américaine. Demjanjuk
ornements de pipe en or, apparemment
volés aux victimes de la persécution nazie en
Europe. Par la suite, la Réserve fédérale fera
fondre ces objets et les transformera en lingots qui seront cédés aux banques centrales
européennes ; voir décembre 1997.
A gauche en haut : Beate
Klarsfeld fut l’un des « chasseurs de
nazis » les plus dévoués de l’aprèsguerre. Elle accueille ici le premier
ministre israélien Yitzhak Rabin, en
juillet 1975. A droite en haut : Né
en Ukraine, John Demjanjuk,
soupçonné d’être « Ivan le Terrible »,
l’homme qui faisait fonctionner les
chambres à gaz de Treblinka, fut
libéré par les procureurs, faute de
preuves. Le département américain
de la Justice l’avait cependant associé à d’autres camps de la mort. A droite en bas : En mars 1998, l’ancien
officier SS Erik Priebke fut condamné à la prison à vie pour avoir ordonné
le massacre de 335 civils italiens, dont 75 Juifs, aux Fosses ardéatines, à la
périphérie de Rome, en 1944. Il fit appel.
n’avait peut-être jamais été à
Treblinka, mais le département de
la Justice l’accusa, entre autres,
d’être un garde armé de Sobibor et
Majdanek, deux camps de la mort
et de concentration nazis en territoire polonais où des centaines de
milliers de Juifs avaient été assassinés pendant la Shoah. Le code criminel des États-Unis ne contenait
pas de dispositions explicites sur les
crimes de guerre. Les États-Unis
eurent cependant recours à une
autre accusation : la falsification
d’informations concernant les
demandes de nationalité, pour reti-
de l’Ouest signent les accords de Luxembourg en vertu desquels la RFA versera des
Controverses
Tandis que la génération des
bourreaux disparaît, le mémorial des
Juifs d’Europe assassinés se dresse
en Allemagne. Cependant, comme
le montrent les incidents de
Cologne et de Sarrebruck, les réper-
« réparations » à Israël et aux organisations
juives pour le génocide nazi. Sur les 820
millions de dollars versés, 750 millions iront
au gouvernement israélien ; voir 1990.
neaux en graisse animale à I. A. Topf
und Söhne (I. A. Topf & fils),
fabricant des chambres à gaz et des
fours crématoires pendant la guerre.
• 9 novembre 1952 : Décès de Haïm Weiz-
• 1955 : Franz W. Six, ancien SS-Bri-
mann, premier président de l’État d’Israël.
• 10 septembre 1952 : Israël et l’Allemagne
rer la nationalité des suspects de
crimes de guerre et faciliter leur
expulsion. Demjanjuk a été déchu
de sa nationalité américaine en
2002. Le 17 décembre 2004, la justice américaine a décidé de l’expulser des États-Unis, pour une
destination inconnue.
• 1953 : Un brevet est accordé pour
une méthode d’alimentation de four-
gadeführer et commandant de l’Einsatzgruppe B, est libéré après avoir
purgé sept ans d’une peine de 20 ans
de prison pour crimes de guerre.
669
L ’ A P R È S
Les fugitifs nazis dans les Amériques
Tous les nazis ne suivirent pas la voie de Joseph Goebbels
qui choisit de se suicider plutôt que d’affronter une vie sans le
Führer. Plusieurs autres, y compris certains responsables de la
mise en œuvre de la « solution finale », s’enfuirent d’Allemagne
dans l’espoir d’échapper à la justice.
Aidés par des réseaux secrets de sympathisants nazis, Adolf
Eichmann, Franz Stangl et Josef Mengele, ainsi que d’autres
jamais dévoilés, s’enfuirent en Amérique du Sud. Eichmann, le
SS « expert de la question juive », se réfugia en Argentine, mais
fut, par la suite, repéré et enlevé par des agents secrets israéliens. Stangl, commandant des camps de la mort de Sobibor et
Treblinka, s’enfuit d’abord en Syrie avec l’aide d’un évêque
catholique sympathisant, puis se rendit au Brésil. Pendant 16
ans, il y vécut avec sa famille, sous son propre nom, travaillant
dans une usine Volkswagen jusqu’à ce que les enquêteurs sur
les crimes de guerre finissent par l’extrader pour le faire juger
en Allemagne.
Josef Mengele, le médecin d’Auschwitz surnommé l’« Ange
de la mort », trouva refuge en Argentine. Menacé d’extradition, il se cacha au Brésil et au Paraguay, parvenant à échapper
à la capture. Il mourut, libre, en 1978. D’autres, y compris des
gardes de camps de concentration et de camps de la mort,
rejoignirent le flot de réfugiés qui immigrèrent aux États-Unis,
refaisant leur vie et échappant aux poursuites. Durant l’été
1998, l’Argentine signa un accord avec l’Allemagne, Israël et
les États-Unis concernant la communication d’information sur
les nazis encore en liberté en Argentine.
Dans Les Bourreaux volontaires
de Hitler : les Allemands ordinaires et
l’Holocauste, Daniel
Goldhagen
explique que l’antisémitisme invétéré
très répandu détermina des Allemands ordinaires à
devenir « volontairement » les
meurtriers des Juifs.
• 1955 : Sortie de Nuit et brouillard
du réalisateur français Alain Resnais,
un court et puissant documentaire
sur les atrocités des camps de
concentration et des camps de la
mort nazis. Il comporte cependant
une omission majeure en ne mentionnant pas le fait que les principales
victimes de la Shoah furent les Juifs.
• Jud Süss, le long métrage le plus
670
antisémite réalisé à l’époque d’Hitler,
est doublé en arabe et distribué dans
les pays arabes par Sovexport, une
agence gouvernementale soviétique.
• 1956 : Sortie de Kanal un film poignant du réalisateur polonais Andrzej
Wajda sur des Juifs fugitifs se cachant
sous les rues de Varsovie, dans les
égouts, en septembre 1944.
cussions de la Shoah sur l’identité
allemande ne sont pas près d’être
étouffées. Le mémorial de Berlin,
qui témoignera de l’immensité de
la « solution finale », suggère également que la responsabilité allemande dans la destruction des
Juifs européens était fort étendue.
Elle concerne des gens comme
Alfons Goetzfried et ses collègues
de la Gestapo, mais aussi de la
Wehrmacht. Pour Daniel Jonah
Goldhagen, jeune professeur de
sociologie à l’Université de
Harvard, la responsabilité
allemande est si vaste qu’il est justifié d’appliquer le titre de son
livre, succès de librairie, Les
Bourreaux volontaires de Hitler :
les Allemands ordinaires et l’Holocauste, à l’ensemble des
Allemands. Un demi-siècle après
la fin de la Shoah, aucun écrit sur
la Shoah – pas même les efforts
les plus acharnés de pseudo-intellectuels qui nient la Shoah – n’a
provoqué une controverse plus
importante sur l’identité
allemande que celui-ci.
Même lorsqu’ils traitent de
sujets extrêmement importants
comme la Shoah, les livres
d’histoire de 600 pages attirent
rarement l’attention accordée aux
Bourreaux volontaires d’Hitler.
Considérant que ses conclusions
ne correspondaient pas aux leurs,
la plupart des spécialistes de la
Shoah aux États-Unis, en Europe
et en Israël n’ont pas accordé au
livre l’importance que lui donnent
• 29 octobre 1956 : En réaction à la natio-
nalisation par l’Égypte du canal de Suez,
le 26 juillet, l’armée d’Israël, soutenue par
des forces britanniques et françaises,
attaque la péninsule du Sinaï et se dirige
vers le canal.
• 6 novembre 1956 : Un cessez-le-feu
imposé par les États-Unis met fin aux hostilités et préserve la libre circulation dans
le canal de Suez.
L ’ A P R È S
avait publié un livre
comme motivations principales
devenu un classique
l’influence exercée par le groupe,
dans le domaine de la
l’acceptation aveugle des normes
Shoah. Ce livre de
politiques en vigueur et le carriéBrowning, intitulé Des
risme.
hommes ordinaires
L’interprétation de Browning
analysait les enquêtes
souligne effectivement que les polijudiciaires de 210
ciers de la réserve, si allemands
membres du 101e
qu’ils fussent et si antisémites qu’ils
aient pu être, revêtaient une
bataillon de réserve de
importance particulière parce qu’ils
la police allemande,
Les SS de Himmler s’imaginaient être très exceptionétaient aussi des êtres humains très
une unité de 500
nels, alors qu’en fait, la plupart d’entre eux, y compris
ordinaires. Browning soutenait que
hommes responsables
ces anciens gardes d’Auschwitz photographiés ici
l’histoire du 101e bataillon de la
de
la
mort
de
83
000
durant leur procès, n’étaient que des hommes très
Juifs en Pologne
police de réserve devrait susciter,
moyens, dénués de scrupules et de conscience.
pendant la Shoah.
pour le moins, un malaise chez tous
Goldhagen
évoquait
le
livre
de
les hommes et femmes du monde.
les chiffres de vente.
Browning
lorsqu’il
ajouta
le
sousEn effet, comme le montre
Principalement pour de bonnes
titre les Allemands ordinaires et
l’histoire de l’après Shoah, des
raisons, les principaux intellectuels
l’Holocauste aux Bourreaux volongens, en d’autres temps et d’autres
contestant Goldhagen estimèrent
taires
d’Hitler.
Ayant
examiné
les
lieux – des gens comme nous – sont
suspects sa méthodologie, ainsi que
même
archives
que
Browning
sur
eux aussi capables de complicité de
le ton d’arrogance et de mépris
e
le 101 bataillon de la police de
génocide. Goldhagen ne fut guère
même à l’égard des meilleurs
impressionné et encore moins
travaux sur la Shoah. Ils considérè- réserve, Goldhagen estimait que
convaincu. Il critique le livre de
son
collègue
avait
mal
exploité
et
rent les résultats de sa recherche
Browning parce qu’il ignore ce
mal
interprété
les
données.
En
comme bien moins originaux que
qu’il considère comme le point
particulier, Goldhagen soutenait
ne l’affirmait Goldhagen ou incoressentiel de la Shoah : seul l’antiséque Browning avait sous-estimé la
rects au point d’être pernicieux
profondeur
de
l’antiséparce qu’ils ré-enflammeraient des
mitisme en Allemagne
préjugés immérités aussi bien
et minimisé son
contre les Allemands que contre
emprise et son
les Juifs.
Que disait Goldhagen – de cette influence mortifère sur
génération de jeunes universitaires le peuple allemand.
Goldhagen accusa en
d’après-guerre – pour provoquer
outre Browning d’avoir
des réactions si critiques ? On
expliqué de façon
remarquera tout d’abord que l’ouinadéquate le comporCes anciennes gardiennes d’Auschwitz, jugées
vrage Les bourreaux volontaires
en Pologne en 1947, avaient été autrefois des
tement meurtrier des
d’Hitler avait été précédé par les
femmes allemandes « typiques ». Attirées par le
hommes du 101e
travaux de Christopher Browning,
pouvoir, elles trouvèrent satisfaction dans les barabataillon
en
citant
éminent historien qui, en 1992,
quements et à proximité des chambres à gaz.
• 1957 : Fritz Katzmann, ancien SS-Gruppenführer responsable de l’extermination
des Juifs de Galicie, une région de
Pologne, meurt après avoir échappé aux
poursuites judiciaires pendant douze ans.
• Fermeture du dernier camp de
personnes déplacées, situé en Belgique.
• 1958 : Le procès des
Einsatzkommandos en Union
soviétique met en relief les actions
génocidaires perpétrées par les nazis
lorsqu’ils occupèrent la Lituanie.
94% des Juifs lituaniens – soit
environ 220 000 personnes – furent
assassinés pendant la Shoah. • Création par le gouvernement ouest-allemand de l’Office central des
enquêtes sur les crimes nazis.
• 1959 : Arrestation de Karl Jäger,
ancien SS-Standartenführer et chef de
l’Einsatzkommando 3 ; il se suicide
avant son procès. • Ante Pavelic, fondateur de l’organisation terroriste fasciste
Ustasa, en Croatie, qui ordonna le massacre de dizaines de milliers de Juifs et
de centaines de milliers de Serbes,
meurt deux ans après un attentat contre
lui. • George Stevens, réalisateur amé671
L ’ A P R È S
Shoah. En outre, l’entreprise de
Goldhagen dépendait de la
démonstration que des
« Allemands ordinaires » – pas
seulement les nazis farouchement
antisémites qui disposaient du
pouvoir politique – s’étaient engagés de leur plein gré dans le massacre ou étaient si désireux de
l’encourager qu’ils n’auraient pas
hésité à tuer si on le leur avait
demandé. Bref, Goldhagen dut
montrer que la Shoah, contrairement à l’hypothèse des « hommes
ordinaires » de Browning était
l’acte volontaire d’« Allemands
ordinaires » d’un antisémitisme
bien plus mortel que ne l’avaient
admis jusqu’alors les chercheurs.
Pour fonder ses positions, le livre
de Goldhagen s’organise autour de
deux arguments. Commençant par
l’histoire de l’antisémitisme
allemand, Goldhagen tente de montrer en particulier comment un
racisme antijuif mortiEn 1959, la synagogue de Cologne, en Allemagne,
fère exerça une puisfut reconstruite. Bientôt, des croix gammées et les mots
Juden raus (Juifs dehors) profanèrent ses murs.
sante influence sur
l’Allemagne pré-nazie.
Puis, il s’intéresse aux
Allemands qui ont
véritablement perpétré la Shoah, étudiant
le personnel et le travail des escadrons de
la mort comme le
101e bataillon de
réserve de la police. Il
examine également le
rôle joué par d’autres
« Allemands
mitisme profondément enraciné
dans le peuple allemand avait pu
motiver et ainsi expliquer, le comportement des individus allemands
qui perpétrèrent les atrocités et
favorisèrent la solution finale.
En développant sa thèse,
cependant, Goldhagen dut dépasser le simple désaccord avec l’interprétation de Browning des
archives sur le 101e bataillon de la
police de réserve. Il lui fallut
montrer, en premier lieu, que
« les convictions antisémites des
Allemands à l’égard des Juifs
constituaient la cause majeure de
la Shoah. » Cette affirmation
nécessitait non seulement qu’il
retrace l’histoire de
l’antisémitisme allemand, mais
également montre comment cette
histoire supposait une autorité et
une puissance suffisamment
néfaste pour rendre compte de
l’énormité des destructions de la
ricain, monte à l’écran le Journal
d’Anne Frank, en se fondant sur une
pièce de théâtre biographique concernant la jeune Néerlandaise Anne Frank,
sa famille et l’endroit secret à Amsterdam où ils se cachèrent pour échapper
aux nazis. Le film, comme la pièce
auparavant, déjudaïse Anne et sa
famille. Son père, Otto, l’approuva
parce qu’il avait le sentiment que le
672
public n’était pas prêt à accepter un
film « trop juif ».
• 1960 : L’ancien SS Wernher von
Braun, éminent chercheur allemand
qui avait contribué à concevoir la
fusée V2, est nommé à la tête du
Centre spatial George C. Marshall à
Huntsville, en Alabama. • Publication
à Stuttgart, en Allemagne de l’Ouest,
Hannah Arendt, philosophe juive
allemande – et ancienne maîtresse
du sympathisant nazi Martin
Heidegger – émigra aux États-Unis.
Elle écrivit plus tard Les origines du
totalitarisme.
ordinaires » dans l’immense système
de camps de concentration, de travail et de la mort, qui fut, comme il
le déclare à juste titre, « l’institution
emblématique de l’Allemagne à
l’époque nazie. » À ces perspectives,
il ajoute une précision, aussi atroce
que fondée, sur un aspect moins
connu de la Shoah, à savoir les brutales « marches de la mort » qui
eurent lieu de la fin de l’année 1939
à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
En premier lieu, selon Goldhagen,
les Allemands ordinaires étaient antisémites. Leur antisémitisme entraîna
l’extermination des Juifs. C’est pourquoi, les Allemands ordinaires étaient
disposés à devenir tortionnaires.
En second lieu, loin de
répugner aux massacres, certains
Allemands devinrent en fait les
de Hitler’s Zweites Buch (Le second
livre d’Hitler), attribué à Adolf Hitler
et prétendument une suite de Mein
Kampf ; son authenticité demeure
sujette à caution.
• 23 mai 1960 : Le premier ministre
israélien David Ben Gourion annonce
qu’Adolf Eichmann a été repéré en
Argentine par les services secrets
L ’ A P R È S
bourreaux volontaires des Juifs
européens. En général, ces
mêmes Allemands constituaient
un échantillon représentatif de la
population allemande. C’est pourquoi, malgré quelques exceptions
qui ne font que confirmer la
règle, les Allemands ordinaires
sont responsables de l’anéantissement des Juifs européens.
Les preuves apportées par
Goldhagen à l’appui de ces
affirmations proviennent à
l’origine de son appréciation de
l’antisémitisme allemand. Selon sa
lecture de l’histoire, les formes
haineuses de l’antisémitisme culturel et raciste devinrent une
norme éthique dans l’Allemagne
des XIXe et XXe siècles, bien
avant l’arrivée au pouvoir d’Hitler
et du parti nazi. Un tel
antisémitisme appelait à l’élimination des Juifs et de l’influence
juive en Allemagne. D’une façon
ou d’une autre, alors, la majorité
de la population allemande était
préparée à détruire les Juifs.
Lorsque les nazis s’emparèrent
du pouvoir, ils prônèrent
ouvertement un antisémitisme
d’extermination. L’un des éléments
fondamentaux de la thèse de Goldhagen consiste à affirmer que cette
idéologie d’extermination ne fut
qu’une variation sur le thème de
l’antisémitisme d’élimination déjà
existant en Allemagne depuis un
certain temps. Pendant l’époque
nazie, de 1933 à 1945, les
Allemands qui perpétrèrent la
israéliens et est arrivé en Israël pour
y être jugé en tant que criminel de
guerre ; voir 11 avril-14 août 1961.
• 1961 : Effondrement d’un mur érigé à la
lisière de Babi Yar, site d’un massacre perpétré en Ukraine ; de la boue, de l’eau et
des vestiges humains se répandent dans
les rues de Kiev. Vingt-quatre personnes
sont tuées dans des incendies qui se
Les chasseurs de nazis
Après la guerre, une recherche fut entreprise pour repérer
les nazis qui s’étaient enfuis et les traduire en justice. Deux
hommes, Simon Wiesenthal et Serge Klarsfeld, devinrent les
deux chasseurs de nazis qui réussirent le mieux.
Wiesenthal (photo), qui survécut à plusieurs camps, notamment Buchenwald et Mauthausen, fonda le Centre de documentation historique juif à Linz, en Autriche, pour repérer, extrader
et juger les criminels de guerre nazis. Il déplaça par la suite ses
activités à Vienne. Ses inlassables efforts conduisirent au tribunal
Franz Stangl, commandant de Sobibor et Treblinka, ainsi que d’autres nazis.
Klarsfeld était enfant pendant la Shoah. Né
à Bucarest, en Roumanie, il s’enfuit avec sa
famille à Nice où ils se cachèrent des nazis. Luimême, sa mère et sa sœur échappèrent aux
rafles des nazis, mais son père fut pris et assassiné à Auschwitz. Les efforts de Klarsfeld et de
son épouse Beate conduisirent à la capture de
Klaus Barbie, le « boucher de Lyon. » Extradé de Bolivie, Barbie
fut jugé en France et condamné à la prison à vie.
Déterminés à empêcher les nazis de vivre tranquillement dans
l’anonymat, Wiesenthal et les Klarsfeld se consacrent à la surveillance des criminels de guerre et de ceux qui leur ont donné
asile.
Shoah persécutèrent et exterminèrent volontairement les Juifs parce
qu’ils partageaient les opinions
antisémites des nazis. Selon ces
opinions, l’extermination des Juifs
était nécessaire et juste, parce que
les Juifs étaient une « peste
mortelle » menaçant la supériorité
raciale et les prérogatives politiques
propres aux Allemands.
Selon Goldhagen, légitimés par
le régime nazi, les assassins
allemands, loin de constituer une
infime minorité, représentaient la
population allemande.
déclenchent ou dans des bâtiments et des
tramways inondés. • Israël inaugure la
salle du Souvenir, commémoration de la
Shoah. • À Vienne, le chasseur de nazis
Simon Wiesenthal rouvre un Centre de
documentation sur les criminels de guerre
nazis. • Publication de The Origins of the
Second World War, un livre de l’historien
britannique révisionniste A. J. P. Taylor,
qui tente de rejeter la responsabilité de la
La deuxième partie des archives
d’Emanuel Ringelblum, Oneg Shabbat, qui décrivent les événements du
ghetto de Varsovie, fut découverte en
1950. La troisième et dernière partie
n’a jamais été retrouvée.
Seconde Guerre mondiale sur les
dirigeants alliés.
• 11 avril-14 août 1961 : En Israël,
procès d’Adolf Eichmann qui est
reconnu coupable et condamné à
mort ; voir mai 1962.
• 1962 : Hans Globke, secrétaire d’État de
l’Allemagne de l’Ouest et autrefois rédac-
673
L ’ A P R È S
Le procès Eichmann
Le procès d’Adolf Eichmann, en 1961, constitua une étape décisive
dans la recherche universitaire sur la Shoah. Avant le procès, les
détails du génocide nazi avaient rarement été étudiés systématiquement, et les survivants se montraient réticents à réfléchir ouvertement sur leurs expériences.
Kidnappé en 1960 par des agents israéliens en Argentine, Eichmann fut amené
en Israël pour être jugé. Non seulement le
procès établit la culpabilité d’Eichmann,
mais il présenta également les détails de la
« solution finale » tels qu’ils se déroulèrent
en Europe de 1933 à 1945.
L’une des révélations les plus choquantes dans le procès fut la découverte qu’Eichmann, l’un des
principaux responsables du meurtre de millions de Juifs, était un
être relativement ordinaire. Ce n’était pas un nazi fanatique,
mais seulement un bureaucrate faisant son travail. Adolf Eichmann fut pendu à minuit, dans la nuit du 31 mai au 1er juin 1962.
Son corps fut incinéré et ses cendres dispersées au-dessus de la
mer, au-delà des eaux territoriales d’Israël.
Allemands ordinaires.
Fanatiquement antisémites
comme ils l’étaient, suggère Goldhagen, Hitler et le parti nazi
entretenaient une relation
réciproque avec les Allemands
ordinaires, dès lors qu’intervenait
la « question juive ». En Hitler et
dans le parti nazi, les Allemands
ordinaires trouvèrent
l’organisation, la détermination et
la légitimation d’agir sur la
volonté latente, sinon active, de
détruire les Juifs d’Europe. Chez
les Allemands ordinaires, Hitler et
le parti nazi trouvèrent des gens
bien préparés à réaliser le projet
d’un Troisième Reich judenrein
(« purifié de ses Juifs »). C’est
pourquoi, lorsque Goldhagen
traite du phénomène de la Shoah,
son livre devient bien autre chose
qu’une explication de la façon
dont il pense que cet événement a
eu lieu. Considérant que la motivation antisémite de Allemands
fut la condition la plus
déterminante – nécessaire mais
pas suffisante – de la Shoah,
Goldhagen accuse les « Allemands
ordinaires », une catégorie aussi
vaste qu’indéterminée, et rend un
verdict accablant de culpabilité
collective allemande.
Le livre de Goldhagen présente
plusieurs mérites qui résident
principalement dans la façon dont
il développe certains aspects de la
solution finale, mais non dans la
promesse trompeuse de procéder
à une analyse pionnière
Goldhagen entend montrer
que la majorité des Allemands
non seulement étaient disposés à
laisser la Shoah se produire, mais
auraient probablement participé
directement aux massacres si on
le leur avait demandé.
Convaincu de la supériorité de
son opinion, Goldhagen soutient
qu’il demeure quelques énigmes
quant aux causes de la Shoah.
Bien qu’il soit laborieux
d’expliquer comment la Shoah
s’est produite, Goldhagen estime
qu’il n’est pas nécessaire de développer la plupart des complexités
que plusieurs décennies d’analyse
causale ont produites. Selon lui, la
Shoah eut une cause qui
l’emporte sur toutes les autres.
Purement et simplement, il s’agit
de la motivation sans laquelle la
Shoah eût été inconcevable, à
savoir les convictions antisémites
des Allemands. Qu’on supprime
seulement ce facteur et la Shoah
n’aurait pas eu lieu. Par ailleurs,
pour réaliser la solution finale,
l’antisémitisme des Allemands
ordinaires de Goldhagen eut
besoin du catalyseur que
fournirent Hitler et le parti nazi.
Néanmoins, à eux seuls, Hitler et
le parti nazi n’auraient pas pu provoquer la Shoah telle qu’elle s’est
produite. Pour réaliser la Shoah, il
fallait la participation des
teur de la législation antisémite d’Hitler,
propose une législation pour réparer l’exploitation des Juifs par les entreprises allemandes. L’industrie ouest-allemande
rejette le plan de Globke. • Inauguration,
au mémorial de Yad Vashem, à Jérusalem,
de l’Avenue des Justes, où des arbres sont
plantés en l’honneur des non Juifs qui
aidèrent des Juifs pendant la Shoah.
• Mai 1962 : Rejet de l’appel
interjeté par Adolf Eichmann ; voir
31 mai 1962.
d’extermination d’Auschwitz. Les verdicts vont de l’acquittement à la prison à vie.
• 31 mai 1962 : Adolf Eichmann est
• 1964 : À cette date, environ 65 000
674
pendu en Israël.
• 20 décembre 1963-20 août 1965 : À
Francfort-sur-le-Main, procès de 21
officiers SS qui travaillaient au camp
criminels de guerre nazis ont été
jugés et condamnés.
• 1965 : Le Vatican reconnaît que
l’Église catholique doit porter une
L ’ A P R È S
répondant à un besoin – plus imaginaire que réel – d’une « révision
radicale » de presque toutes les
connaissances précédentes sur la
Shoah. L’évaluation de son livre
n’est nulle part plus pertinente
que lorsqu’il affirme que « les
convictions antisémites des
Allemands constituèrent le
facteur causal principal de la
Shoah. »
Goldhagen insinue à tort que
des intellectuels comme Raul Hilberg, Yehouda Bauer et
Christopher Browning « ont nié
ou occulté » l’importance de l’antisémitisme allemand. En réalité,
eux, comme d’autres spécialistes
de la Shoah, ont évité les simplifications excessives qui
caractérisent le livre de
Adolf Eichmann semble être l’un
de ces « Allemands ordinaires » que
décrit Daniel Goldhagen. Les motivations d’Eichmann étaient cependant
bien plus complexes que ne le pense
Goldhagen.
certaine responsabilité dans l’antisémitisme et tente d’y mettre fin au
sein de l’Église.
• 1966 : Albert Speer, ancien ministre de
l’Armement et de la production de guerre
dans l’Allemagne nazie, est libéré de la
prison de Spandau ; voir 1970. • Baldur
von Schirach, ancien chef des Jeunesses
hitlériennes, est libéré de Spandau.
Goldhagen. L’antisémitisme, par
exemple, fut un courant majeur
de l’époque pré-nazie.
Néanmoins, alors que l’ouvrage
de Goldhagen est rempli de précisions empiriques sur ce tableau
répugnant, l’antisémitisme prénazi en Allemagne n’était pas
principalement aussi mortifère
que le soutient Goldhagen. Écartant commodément toute preuve
du contraire comme étant insuffisante ou inadéquate, s’abstenant
de procéder à la relativisation qui
aurait modifié son point de vue
radical sur l’antisémitisme
allemand en le situant dans un
contexte européen plus large,
Goldhagen s’appuie trop sur une
uniformité allemande supposée
pour étayer sa cause.
De temps en temps, Goldhagen
souligne que ces « Allemands ordinaires » ne doivent pas être caricaturés comme des gens serviles,
obéissant aux ordres, et que leur
liberté de choix devrait être reconnue comme décisive s’ils doivent
être tenus pour responsables de
leurs actes pendant la Shoah. Mais
alors, pour citer l’une des réfutations
lapidaires de Browning, Goldhagen
ignore ses propres principes en
décrivant les Allemands ordinaires
comme fondamentalement « indifférenciés, immuables, en proie à
une perspective cognitive unique,
monolithique », notamment en ce
qui concerne les Juifs avant et pendant la Shoah.
• 5-10 juin 1967 : Réagissant aux
incursions frontalières syriennes et aux
mouvements de troupes égyptiennes, et
craignant une agression arabe, Israël
attaque la Syrie, la Jordanie et l’Égypte,
remportant la victoire en six jours et augmentant son territoire de 200%. Ce conflit
prend le nom de guerre des Six Jours.
Israël administre désormais une partie du
territoire palestinien sous mandat britan-
Le procès Eichmann fut une
épreuve douloureuse pour de nombreux rescapés de la Shoah. Ici,
Yehiel Koydzenik s’évanouit après
avoir témoigné contre l’accusé.
Le livre de Goldhagen n’a pas encore
subi l’épreuve du temps. Pour l’instant,
de façon délibérément provocante, il
soulève des questions contestables sur
l’identité allemande et la Shoah.
Complétées et compliquées par des
épisodes comme le procès Goetzfried,
les affrontements à propos de l’histoire
de la Wehrmacht, ainsi que par l’avenir
du mémorial de Berlin, les
répercussions de ces questions doivent
encore être définies et pleinement
appréhendées en ce début du XXIe
siècle. Mais une chose est sûre :
l’intégrité de l’identité allemande
dépend de ce que la philosophe
Hannah Arendt (une réfugiée juive
allemande du Troisième Reich) a
appelé « examiner et assumer
consciemment » les fardeaux de
nique entre 1922 et 1948 ; voir 6 octobre
1973.
• 1967-1968 : Le gouvernement communiste polonais fomente une campagne
antisémite contre le sionisme.
• 1969 : Suppression dans le code
pénal allemand du paragraphe 175
qui rendait l’homosexualité illégale et
675
L ’ A P R È S
glorieuse. Certes, une minorité
chrétienne résista et protesta
contre les agissements des nazis,
mais leurs gestes de défi furent
rarement effectués explicitement
au nom des Juifs en détresse.
La culpabilité chrétienne
Quelques chrétiens sauvèrent des
Les répercussions de la Shoah
Juifs, mais pas suffisamment pour
laissent intactes et indemnes peu
supprimer la honte que les chréde traditions, institutions ou goutiens sensibles ressentent
vernements. Les Églises
lorsqu’ils reconnaissent ce qui
chrétiennes de toutes obédiences
aurait pu et aurait dû être fait et
sont dans l’obligation d’examiner
ne le fut pas.
et d’assumer consciemment les
Les retombées de la Shoah
fardeaux de l’histoire de la Shoah.
placent les Églises chrétiennes
Elles le doivent du moins si elles
devant des défis, mais aussi devant
entendent conserver une crédibide pénibles questions. Comment les
lité après cette catastrophe. Dans
Églises affronteront-elles leur
l’ensemble, la réaction de la comhistoire de la Shoah ? Comment les
munauté chrétienne à cette
rencontres avec cette histoire affecsombre époque – qui fut peutteront-elles ce qu’elles disent et
être le résultat inéluctable de plufont, notamment lorsque la Shoah
sieurs siècles de tradition antijuive
recule dans le passé, où ses chances
du christianisme – ne fut guère
d’être oubliée sont vouées à
augmenter ? Certaines
Le 7 avril 1994, le Vatican organise la première
questions, en particulier,
commémoration officielle des victimes juives de l’agression nazie. Parmi les invités du pape au concert de
se posent sur ce que les
commémoration de la Shoah, se trouvaient 200 rescaÉglises devraient dire et
pés de la Shoah.
faire – ou ne disent pas
et ne font pas – pour
garantir que la Shoah ne
sombrera pas dans l’oubli et ne sera jamais
rationalisée ou
minimisée.
Il existe diverses
formes d’Églises
chrétiennes, mais, en
Occident, aucune n’est
plus importante, plus
ancienne, plus visible et
l’histoire du XXe siècle. C’est le moins
qu’on puisse dire de l’identité que
nous partageons en tant qu’êtres
humains après Auschwitz.
qui facilita la persécution des homosexuels par les nazis.
• 1970 : Parution de Au cœur du
Troisième Reich, les mémoires d’Albert
Speer, ancien ministre de l’Armement et
de la production de guerre du Reich. • À
la tête d’un groupe d’Allemands, Willy
Brandt, chancelier allemand, dirige un
pèlerinage de contrition sur le site du
ghetto de Varsovie.
676
• 22 décembre 1970 : Franz Stangl,
commandant des camps de la mort de
Sobibor et de Treblinka, est condamné
à la prison à vie. Il s’était échappé en
Syrie, puis s’était rendu au Brésil avant
d’être extradé en Allemagne en 1967.
• 1971 : Une note trouvée dans des dossiers du gouvernement d’Argentine
concernant des nazis, fugitifs réfugiés
Une manifestation organisée à Rome
commémore le sixième anniversaire des
massacres des Fosses ardéatines de
1944, au cours desquels (les massacres)
les Allemands assassinèrent des otages
italiens chrétiens et juifs.
administrée de façon plus
hiérarchique que l’Église catholique
romaine. En ce qui concerne le
christianisme, les répercussions de
la Shoah arrivent inévitablement au
seuil du Vatican. En particulier
durant le pontificat de Jean-Paul II,
le pape polonais intronisé le 16
octobre 1978, la façon dont l’Église
catholique romaine a appréhendé
les répercussions de la Shoah a été
parfois constructive, parfois malheureuse, mais presque toujours mouvementée. Comme l’illustrent
certains événements récents, la
Shoah exercera indéfiniment un
impact sur l’Église.
Dans la soirée du 7 avril 1994, à
l’invitation du pape Jean-Paul II,
7 500 personnes affluèrent dans
l’immense Sala Nervi (la salle Paul
dans ce pays, établit que plus de 100
pages de documents ont été retirées.
• 1972 : Les autorités argentines insistent
sur le fait qu’un seul fugitif nazi – Adolf
Eichmann – s’est rendu en Argentine
après la guerre. Des responsables juifs
estiment que le chiffre réel est de 60 000,
dont au moins 1 000 étaient membres de
la SS ; voir juillet 1997.
L ’ A P R È S
mal aussi abominable. »
Les préparatifs du concert
étaient en cours depuis 1991, l’idée
en revenant à Gilbert Levine. Juif
américain, Levine avait rencontré le
pape Jean-Paul II trois ans plus tôt,
après avoir été nommé directeur
musical de l’Orchestre philharmonique de Cracovie, ville polonaise
située non loin d’Auschwitz, d’où le
pape est originaire. Après avoir
dirigé l’Orchestre philharmonique
royal qui vint de Londres pour le
concert, Levine rédigea les
commentaires sur le programme
pour le CD d’archives qui suivit,
enregistré par la firme Justice. Il y
écrivit que le pontificat de
Jean-Paul II – y compris
l’aide apportée pour choisir
la musique – contribua
nettement à régler à
l’amiable des questions difficiles. Le concert fut organisé comme une soirée de
« premières ». Ces
« premières » révélèrent le
caractère véritablement
En 1999, des écoliers allemands photographiés
historique du concert.
de façon provocante dans un « cadre » chrétien, sont Elles montrèrent
attroupés devant l’entrée principale de l’ancien camp
également à quel point il
de concentration de Sachsenhausen, en Allemagne.
demeure émouvant –
dérangeant et troublant.
7 avril 1994 : Il faut considérer le
exprima l’espoir que « la musique
temps qu’ont mis ces « premières »
que nous écouterons ensemble
à survenir et à quel point elles ont
confirmera à nouveau notre résolutardé. Selon Levine, le grand rabbin
tion de consolider les bonnes
de Rome fut invité pour la première
relations entre chrétiens et Juifs afin
fois à participer à une fonction
qu’avec l’aide du Tout-Puissant,
publique au Vatican. Pour la
nous puissions œuvrer ensemble
première fois, Juifs et catholiques
pour empêcher la réédition d’un
VI située près de la basilique SaintPierre au Vatican) pour assister au
Concert du pape donné pour commémorer la Shoah. Dans 50 pays,
les émissions de télévision
permirent à des millions de
personnes d’y participer
virtuellement. À Rome,
l’impressionnante assemblée interconfessionnelle réunit un grand
nombre de cardinaux et de rabbins
– dont Elio Toaff, grand rabbin de
Rome – ainsi que des ambassadeurs
et plus de 200 rescapés de la Shoah
originaires de 12 pays. Avant le
concert, au cours d’une réunion
avec les rescapés, Jean-Paul II
• 1973 : Seulement deux universités
américaines proposent des cours sur
la Shoah ; voir 1979.
• 6 octobre 1973 : Espérant récupérer les territoires perdus pendant la
guerre des Six Jours de 1967, les
forces égyptiennes et syriennes
lancent une attaque surprise contre
Israël.
• 26 novembre 1975-30 juin 1981 :
Seize anciens membres de l’administration du camp de la mort de Majdanek, en Pologne, sont jugés à
Düsseldorf, en Allemagne. Neuf sont
condamnés à des peines de prison
allant de trois ans à la perpétuité ;
quatre sont acquittés ; deux sont
considérés comme inaptes à être
jugés ; l’un meurt pendant le procès.
Les Protocoles des sages de Sion, un
faux antisémite, fut publié dans le monde
entier par des antisémites avant et après
la Shoah. Cette édition en espagnol
parut en 1963.
prièrent ensemble, chaque groupe à
sa façon, dans un tel cadre. Pour la
première fois, un chantre juif,
Howard Nevison, chanta au Vatican.
Pour la première fois, le Chœur de
la Capella Giulia du Vatican
interpréta un texte en hébreu. Pour
la première fois, le Vatican commémora officiellement la Shoah.
Levine cite également le rapport
d’un responsable du Vatican qui
déclara que le concert révélait « les
meilleures relations entre
catholiques et Juifs depuis 2 000
ans. » Levine estima que « le pape
en personne, le chef de 900 millions
de catholiques de par le monde,
s’était exprimé clairement, le 7 avril
1994. » Un tel geste n’était pas une
• 1977 : Le gouvernement canadien
déclare que les enquêtes sur les anciens
nazis vivant au Canada, ne sont pas
valides ; voir septembre 1987. • Arthur
R. Butz, professeur d’ingénierie de la
Northern University, dans l’Illinois,
publie une « histoire » révisionniste de
la Shoah, The Hoax of the Twentieth
Century (La mystification du XXe
siècle) ; voir décembre 1996.
677
L ’ A P R È S
« première » pour Jean-Paul II,
mais il reste démoralisant et fort
triste que l’histoire, et en particulier le rôle qu’y joua le
christianisme, ait abouti à rendre
nécessaire un concert pontifical
de commémoration de la Shoah.
Le concert était très axé sur
Auschwitz, que Charlotte Delbo
avait appelé le « centre de
l’Europe ». Plus d’une fois pendant
le pontificat de Jean-Paul II, Auschwitz a constitué une poudrière pour
les relations judéo-chrétiennes après
la Shoah. Ainsi, il est important de
noter qu’en mai 1999, le Sejm, le
parlement polonais, a adopté une
législation destinée à restreindre
une exploitation inappropriée et à
limiter les rassemblements publics
dans un périmètre de 100 mètres
des anciens camps de concentration
et camps de la mort nazis situés en
territoire polonais. Le symbolisme
religieux, notamment les croix chrétiennes à Auschwitz, a conduit à
cette mesure.
Des croix à Auschwitz
Évoquant la crucifixion de
Jésus, la croix est un puissant symbole – cher aux chrétiens et même
sacré, mais pas pour les Juifs qui
ont souvent été persécutés sous sa
domination. À Auschwitz, la croix
a été plus que puissante ; elle a
constitué un symbole explosif, qui
a créé des tensions dans les
relations entre chrétiens et Juifs à
travers le monde. En juillet 1998,
des Polonais catholiques romains
• Décembre 1977 : Création à Los
Angeles (Californie) du Centre Simon
Wiesenthal se consacrant à l’étude de
la Shoah.
• 1978 : Noyade en Amérique du Sud du
docteur Josef Mengele, ancien médecin
d’Auschwitz qui se livra à des expériences
sur les détenus. • Des révisionnistes américains fondent l’Institute for Historical
678
Durant une manifestation du 25
janvier 1995, des militants juifs protestent contre la « christianisation de la
Shoah », notamment les croix érigées
sur les lieux par des catholiques polonais à la mémoire des victimes catholiques.
Des femmes polonaises catholiques
prient devant des croix érigées devant
Auschwitz. Si des dizaines de milliers
de Polonais périrent à Auschwitz, la
présence de ce symbole chrétien
heurta la sensibilité de nombreux Juifs.
de droite, déterminés à maintenir
des symboles chrétiens dans l’ancien camp de la mort nazi en
dépit de la forte opposition des
Juifs, plantèrent plus de 50 croix
devant Auschwitz I, la première
partie du camp à avoir été créée.
En septembre, le nombre de croix
dépassait les 300. Les croix étaient
situées à l’endroit où les nazis
avaient autrefois exécuté 152
Polonais. Sur ce même site, une
autre croix immense, de huit
mètres de hauteur, visible de l’intérieur du camp, avait été érigée
plus de dix ans auparavant. Cette
croix particulièrement grande
avait été déplacée d’AuschwitzBirkenau, le principal centre de
meurtre du camp, où ce symbole
avait été utilisé pour la première
fois le 7 juin 1979, lorsque le pape
Jean-Paul II célébra une messe
durant sa première visite papale
dans sa Pologne natale. Redoutant
que l’emplacement plus récent de
cette croix soit mis en danger – sa
présence exaspérait de nombreux
Juifs – les manifestants
catholiques plantèrent un champ
de croix en réaction. Les évêques
catholiques de Pologne
condamnèrent cette réaction et
demandèrent que toutes les croix,
Review (IHR) et sa publication officielle, le
Journal of Historical Review. • Le
président américain Jimmy Carter crée
une commission chargée d’étudier un projet de mémorial national américain des
victimes de la Shoah.
création de l’Office des enquêtes spéciales,
habilité à entamer des poursuites contre
les personnes suspectées d’être des criminels de guerre, à les priver de la nationalité américaine (le cas échéant), et à les
expulser. • Sous l’impulsion du premier
ministre Menahem Begin, Israël adopte
un programme sur la Shoah devant être
enseigné dans les écoles. • 206 universités
américaines proposent des cours sur la
• 1979 : Les enquêtes menées par le
Congrès des États-Unis sur les criminels
de guerre en Occident conduisent à la
L ’ A P R È S
sauf la plus grande, soient
retirées.
La Pologne est depuis
longtemps un pays
principalement catholique
romain. Un grand nombre de
catholiques polonais – y compris
plusieurs milliers de prêtres –
furent assassinés par les nazis.
Des Polonais chrétiens, par
dizaines de milliers, périrent à
Auschwitz. En même temps,
Auschwitz est souvent considéré,
à juste titre, comme le plus grand
cimetière juif du monde, car 90%
des personnes qui y périrent –
plus d’un million – étaient juives.
De façon compréhensible, la
présence de croix chrétiennes ou
leur enlèvement a grevé les
relations judéo-catholiques,
notamment entre Juifs et
catholiques polonais. Pendant l’hiver 1997-1998, les symboles religieux – étoiles de David ou croix
chrétiennes – furent retirés d’un
champ d’Auschwitz-Birkenau, où
plusieurs pouvaient être vus dans
un endroit où les nazis avaient
creusé des fosses communes et
déversé les cendres des fours crématoires de Birkenau. Mais les
événements de l’été suivant montrèrent que la controverse autour
du symbolisme religieux n’était
pas terminée.
Même lorsque la législation du
parlement polonais, créant une
zone protégée autour des anciens
camps nazis en Pologne, entra en
vigueur le 25 mai 1999, Auschwitz
faisait toujours l’objet de réactions
– presque littéralement –
explosives. À l’aube du 28 mai,
des soldats de l’armée polonaise
retirèrent plusieurs centaines de
croix près d’Auschwitz I. Pendant
ce temps, Kazimierz Switon, un
militant catholique extrémiste qui
s’était plaint de l’importance de
l’influence juive en Pologne, vivait
dans une tente installée sur le site.
Il supervisait la construction d’une
cabane en bois dont un prêtre
retiré avait décidé de faire une
chapelle, le 16 mai, action que
Shoah ; deux seulement en proposaient en
1973 ; voir février 1997.
• Fin de l’automne 1980 : Des écoliers
• Octobre 1980 : Le Congrès des
États-Unis adopte à l’unanimité la loi
créant le Conseil du Mémorial de la
Shoah sous l’égide duquel
s’effectuera la collecte de fonds pour
le Musée du Mémorial de la Shoah
aux États-Unis.
Ce monument commémoratif fut
inauguré à Skokie (Illinois), où
vivent de nombreux rescapés. Le
film Skokie décrit la réaction à une
manifestation néo-nazie organisée
en 1977 dans la ville.
Les Justes parmi les nations
Dans les nuits sombres de la Shoah brillèrent quelques
exemples lumineux des « Justes parmi les nations », titre provenant du Talmud et désignant ceux qui risquèrent leur propre vie
pour sauver celle des autres, parfois de parfaits étrangers.
Des individus comme Oskar Schindler (représenté ici à une cérémonie organisée à Yad Vashem en 1962) et même des nations tout
entières comme le Danemark mirent en péril leur propre sécurité
pour sauver ceux qui étaient persécutés par les nazis. Certains cachèrent des Juifs chez eux pendant des mois. D’autres aidèrent les Juifs
à franchir la frontière vers la
Suisse, pays neutre. D’autres
encore utilisèrent leur statut
diplomatique pour délivrer des
visas de transit, voire accorder la
nationalité.
Depuis 1953, ces « Justes
parmi les nations » ont été honorés à Yad Vashem, en Israël, un arbre étant planté en l’honneur de
chacun, en témoignage vivant de leur héroïsme. Encourant la torture et la mort, ces quelques justes témoignent que la petite voix de la
conscience pouvait encore être entendue par-delà la rhétorique nazie
du racisme. Les « Justes parmi les nations » sauvèrent non seulement
des individus, mais, comme le dit le Talmud, « l’univers tout entier. »
Par leur courage et leur compassion, ils ont préservé la notion d’humanité au sein du mal.
polonais, qui plantent un arbre à
proximité du site de l’ancien camp de la
mort d’Auschwitz-Birkenau, découvrent le
journal secret d’un détenu caché à l’intérieur d’une bouteille Thermos enterrée.
• 1981 : Des Juifs américains rescapés de
la Shoah constituent un registre national
pour réunir des documents sur la vie des
survivants ayant émigré aux États-Unis.
• Juin 1981 : Rassemblement à Jérusalem
de plus de 6 000 rescapés de la Shoah.
• 1982 : Hollywood lance une version fil-
mée du Choix de Sophie, un roman de
William Styron, un chrétien rescapé de la
Shoah.
• 1984 : Des religieuses catholiques
créent un couvent carmélite dans l’un des
679
L ’ A P R È S
Cinquante ans après les événements,
la colossale criminalité des nazis provoqua des tensions entre catholiques et
Juifs. Est photographié ici, lors de son
procès, l’un des criminels de guerre, le
garde d’Auschwitz, Vladimir Bilan.
l’Église catholique romaine rejeta.
Sur les lieux, Switon effectuait
un autre travail. Il piégea la « chapelle » avec du plastic pour empêcher sa démolition ordonnée par
les autorités locales. Tandis que
les policiers enlevaient les croix –
la plus grande, de huit mètres de
hauteur, fut laissée en place – ils
placèrent Switon en garde à vue
et procédèrent à une détonation
contrôlée des explosifs. De nombreux dirigeants catholiques
romains de Pologne, qui
redoutaient que la controverse à
Auschwitz empoisonne la visite du
pape Jean-Paul II dans sa patrie
polonaise, se sentirent soulagés de
bâtiments érigés dans l’enceinte de
l’ancien camp de la mort d’Auschwitz. Les
Juifs s’y opposent parce que les activités
des nonnes commémoreront le souvenir
de martyrs chrétiens sur un site où plus
d’un million de Juifs ont péri.
• 27 mars 1984 : Les États-Unis expulsent
l’ingénieur Arthur Rudolph. Ce chercheur
nazi de Peenemünde (Allemagne) avait
680
voir la situation désamorcée. La
visite du pape, qui commença
moins de dix jours plus tard, le 5
juin, comprenait la béatification
de 108 catholiques polonais assassinés – certains à Auschwitz – par
les nazis pendant la Seconde
Guerre mondiale. Parmi ces 108,
se trouvaient des religieuses et
des prêtres qui avaient sauvé des
Juifs pendant la Shoah.
Le retrait des croix et le désarmement de Switon seront-ils le
dernier épisode du conflit judéochrétien à propos d’Auschwitz ?
C’est loin d’être évident et même
peu probable. Un autre point en
litige concerne un bâtiment d’Auschwitz-Birkenau. Juste à
l’extérieur du périmètre enclos de
barbelés, au bout d’un étroit chemin, se trouve une ancienne
construction nazie aisément identifiée sur les cartes d’AuschwitzBirkenau comme le « bureau du
nouveau commandant ». Ce bâtiment fut transformé en église
catholique au début des années
1980. Entre autres fonctions, il
commémore le souvenir d’Edith
Stein, une Juive allemande,
éminente philosophe convertie au
catholicisme en 1922 qui devint
religieuse et fut déportée en 1942
des Pays-Bas à Birkenau où elle
fut gazée. Bien que sa déportation
ait été provoquée par le désaccord
des catholiques néerlandais opposés à l’antisémitisme nazi, E. Stein
ne fut pas assassinée parce qu’elle
était catholique, mais parce que,
été amené en Amérique dans le cadre du
projet Paperclip (trombone). Il est déchu
de sa nationalité après la révélation de ses
activités durant la guerre.
• 1985 : Sortie de Shoah, un
documentaire de huit heures et demi sur
la Shoah de Claude Lanzmann. • Sortie
du film Come and See (Requiem pour un
massacre) du réalisateur soviétique Elem
selon les définitions raciales
nazies, elle était juive. La décision
prise par le Vatican en 1998 d’en
faire une sainte suscita un
véritable tollé, notamment, mais
pas exclusivement, parmi les Juifs.
Par ailleurs, il y eut peu de protestations à propos de l’église de Birkenau lorsqu’elle ouvrit ses
portes, mais la controverse a
rebondi depuis et pourrait bien
rebondir encore.
Le 1er août 1984, un petit
groupe de religieuses de l’Ordre
de Notre-Dame du mont Carmel
s’installa dans le Theatergebäude
(l’ancien bâtiment du théâtre) sur
le site d’Auschwitz I. C’est dans la
cour de ce bâtiment qu’apparut
par la suite la grande croix pontificale et que plusieurs autres croix
furent érigées durant l’été 1998.
Controverses de l’après Shoah
mises à part, il est évident que des
assassins comme le commandant
d’Auschwitz Rudolf Höss étaient des
gens sans envergure ni caractère.
Klimov, qui montre de façon saisissante
l’activité des Einsatzgruppen en Russie, en
1943. • L’« historien » révisionniste Ernst
Zundel est jugé à Toronto (Canada) pour
avoir publié une brochure antisémite intitulée Did Six Million Really Die? (Y a-t-il
vraiment eu six millions de morts ?). Zundel, reconnu coupable de diffusion de
faux, est condamné à 15 mois de prison.
L ’ A P R È S
Les carmélites avaient occupé le
bâtiment de l’ancien théâtre avec
l’approbation des autorités
polonaises et des responsables de
l’Église catholique, mais
apparemment sans le moindre
dialogue avec les membres de la
communauté juive en Pologne ou
à l’étranger.
Au printemps suivant, un tollé
soulevé par les Juifs dans le monde
entier déclencha la « controverse
du couvent d’Auschwitz ».
L’emplacement précis de l’ancien
théâtre était au cœur du débat.
Ce bâtiment se dressait à
l’extérieur du mur qui clôturait
Auschwitz I, et quelques partisans
des religieuses affirmèrent que le
bâtiment – antérieur à la Première
Guerre mondiale – ne faisait pas,
stricto sensu, partie du camp.
Cet argument n’était guère
convaincant. D’autres
constructions se trouvaient également à l’extérieur du mur – la maison du commandant, une voie de
garage où les prisonniers étaient
déchargés et un site d’exécution.
On pouvait difficilement les
exclure du camp. En outre, les
multiples usages de l’ancien
théâtre indiquaient qu’il avait véritablement fait partie intégrante du
complexe d’Auschwitz. Il avait
servi d’entrepôt non seulement
pour le butin dérobé à ceux qui
allaient être gazés, mais également
pour le Zyklon B utilisé pour assassiner les victimes d’Auschwitz,
principalement juives.
De difficiles
négociations entre
dirigeants juifs et
catholiques aboutirent à
un accord, le 22 février
1987, stipulant que le
couvent d’Auschwitz
serait installé ailleurs à
l’extérieur du camp dans
Rien n’est noir et blanc, encore moins la nature
les deux années à venir.
des réactions de l’Église catholique à la Shoah.
Le même accord
C’est grâce à l’Église que Dana Szefflan (qui tient un
prévoyait également qu’il
enfant) arriva au Canada en 1948.
n’y aurait « aucun lieu de
Auschwitz en particulier de sa
culte catholique permanent sur le
particularité et de sa spécificité
site des camps d’Auschwitz et Birjuives. Pour leur part, les
kenau. » Cet accord ne calma
catholiques polonais partisans du
aucunement la situation. La
couvent et des croix soutenaient
controverse s’intensifia lorsque la
qu’ils avaient le droit et le devoir
date limite de février 1989 prévue
de commémorer le souvenir de
pour la réinstallation des
leurs frères et sœurs qui avaient
religieuses arriva sans qu’il soit
péri eux aussi en grand nombre à
question de leur départ. En
Auschwitz, un lieu que de
juillet, les choses prirent une
nombreux Polonais considèrent
vilaine tournure lorsque des manicomme le symbole du martyre de
festants juifs protestèrent sur les
leur pays pendant la Seconde
lieux du couvent, se heurtant à
une réaction violente de
travailleurs polonais. Après un
Les monuments commémorant la
Shoah apportent un certain apaisement
âpre débat, il fut convenu qu’un
aux survivants et à leur famille. Ouverts à
nouveau bâtiment hébergerait les
tous, des monuments comme celui-ci à Thereligieuses, non loin, mais à une
resienstadt contribuent à faire connaître les
certaine distance du périmètre
événements.
d’Auschwitz. En 1993, l’ancien fut
évacué et les religieuses emménagèrent dans leurs nouveaux
locaux.
Les Juifs furent profondément
choqués par le couvent carmélite
et les croix chrétiennes à
Auschwitz qui semblaient « christianiser » la Shoah et dépouiller
• 5-7 mai 1985 : À la demande du
campagne pour la présidence en Autriche,
ses activités durant la guerre en tant qu’officier allemand dans les Balkans sont révélées. Ce qui ne l’empêche pas d’être élu.
• Andrija Artukovic est extradé des ÉtatsUnis vers la Yougoslavie où il est jugé et
condamné à mort pour crimes de guerre.
En tant que ministre croate de l’Intérieur,
il avait contribué au meurtre de 300 000
Serbes, Juifs, Tsiganes et opposants
chancelier allemand Helmut Kohl, le
président américain Ronald Reagan
se rend au cimetière de Bitburg, où
sont enterrés des membres de la Waffen-SS. Cette visite déclenche une
controverse internationale.
• 1986 : Alors que Kurt Waldheim, secrétaire général des Nations unies fait
politiques. Il mourra avant que la sentence
ne soit exécutée.
• Novembre 1986 : Le gouvernement australien prend des mesures pour poursuivre
d’anciens nazis vivant en Australie.
• 1987 : Des révisionnistes français
fondent les Annales d'histoire
révisionniste.
681
L ’ A P R È S
Commémoration de la Shoah
Depuis la fin de la Seconde
Guerre mondiale, des centaines
d’institutions commémoratives,
de monuments et de musées
consacrés à la Shoah ont été
construits en Israël, en Europe,
et aux États-Unis. Bien que
chaque monument soit érigé à
la mémoire de millions de vies
impitoyablement exterminées
par le régime nazi, le contexte
des sites varie d’un endroit à
l’autre.
Les monuments érigés dans
les camps de la mort de Pologne
comprennent le meurtre des
Juifs sous le thème plus large de
« mémoire nationale polonaise ». Ni le mémorial construit
à Majdanek par les libérateurs
soviétiques, ni le mémorial
national érigé au camp d’extermination d’Auschwitz ne soulignent que les Juifs furent les
principales victimes. Les deux
sites adoptent un point de vue
plus large et commémorent le
souvenir de toutes les
victimes du nationalsocialisme.
Comme
en
Pologne, les monuments commémoratifs
et musées en Allemagne sont dédiés à
l’ensemble des victimes.
L’édifice
construit à Dachau, en
Allemagne, comporte
des mémoriaux distincts pour les protestants, les catholiques
et les Juifs. Le monument de Berlin (photo)
commémore le souvenir de
femmes allemandes non juives
qui défièrent la Gestapo ; un
monument dédié aux Juifs est
prévu à Berlin.
La commémoration de la
Shoah aux États-Unis et en
Israël est fondamentalement
différente de celle qui prévaut
en Europe. Dans ces deux pays,
les sites proposent en général
des présentations de l’histoire
juive, fournissant des descriptions détaillées de la vie juive en
Europe avant la guerre. Ils présentent également la renaissance de la vie juive après la
Shoah. Aux États-Unis, les
mémoriaux de la Shoah soulignent souvent l’importance de
la liberté et du pluralisme pour
la sécurité de la communauté
juive américaine.
Le mémorial national de la
Shoah en Israël, appelé Yad
Vashem, a été créé par la Knesset (parlement israélien) en
1953. Le complexe de Yad
Vashem consiste en musées et
en monuments associés à des
centres de recherche, d’enseignement et de documentation.
Yad Vashem, qui signifie monument et nom, est extrait du verset biblique d’Isaïe LVI, 5 : « À
eux, j’accorderai, dans ma maison et dans mes murs, un monument… qui ne périra point. »
De nombreux sites israéliens
mettent l’accent sur les différents types de résistance juive et
sur le martyre du peuple juif.
Le musée du mémorial de la
Shoah des États-Unis a été créé
à Washington en 1993. Plus que
tout autre musée, il utilise toute
la gamme des médias pour
« recréer » ce que fut la Shoah.
Les visiteurs lisent des récits sur
des plaques, regardent des photos et des films, écoutent des
discours nazis suintant de haine,
observent des témoignages de
survivants enregistrés sur vidéo
et utilisent des ordinateurs pour rechercher
tel ou tel sujet de leur
choix.
Chaque année, de
nouveaux musées et
mémoriaux sont planifiés et construits.
Chaque site offre un
témoignage
de
l’énorme importance
que revêt la Shoah. Ils
donnent également
une idée de la façon
dont se perçoivent les
peuples et les nations
qui les ont construits.
• 16 février 1987-18 avril 1988 : John
• 11 mai-4 juillet 1987 : Klaus
• Septembre 1987 : Une loi
• 11 avril 1987 : Suicide de Primo
• 17 août 1987 : L’ancien adjoint du Führer Rudolf Hess, détenu par les Alliés
depuis 1941 et interné dans la prison de
Spandau depuis 1946, meurt à l’âge de
93 ans. Il semble s’être suicidé.
• 1988 : Aux États-Unis, l’Office des
Demjanjuk, accusé d’être « Ivan le
Terrible », est jugé à Jérusalem et
reconnu coupable ; voir fin 1993.
Levi, un partisan juif italien qui écrivit de nombreux livres sur ce qu’il
vécut en camp.
682
Barbie, ancien officier de la SS et du
SD, est jugé à Lyon pour crimes de
guerre et condamné à la prison à vie.
canadienne est modifiée afin de permettre la poursuite d’anciens nazis
vivant actuellement au Canada.
enquêtes spéciales étudie les cas de
600 individus vivant en Amérique et
suspectés d’être d’anciens nazis.
L ’ A P R È S
pour les relations religieuses n’a
insistant trop peu sur
guère amélioré sa crédibilité en souce qui les liait. 2.
lignant que le pape Pie XII, dont le
« Nous nous
pontificat très controversé –
souvenons » reconnaiscommencé en 1939 – couvrit les
sait que « la résistance
années critiques de la Shoah, avait
spirituelle et l’action
été remercié par des communautés
concrète » des
et des dirigeants juifs pendant et
chrétiens pendant la
après la guerre pour tout ce que lui
Shoah « n’ont pas été
et ses représentants avaient fait
celles auxquelles on
Cette plaque commémorative – rédigée en polonais,
« pour sauver de centaines de
aurait pu s’attendre de
yiddish et hébreu – est apposée à Varsovie en souvenir
milliers
de vies juives. »
la
part
de
disciples
du
des centaines de milliers de Juifs du ghetto déportés au
À
tort
ou à raison, Pie XII est
Christ
»
et
poursuivait
camp de la mort de Treblinka.
devenu la cible de critiques dès
en disant que « pour
lors qu’il est question de la Shoah.
des chrétiens, ce poids écrasant qui
Guerre mondiale. L’église cathoIl a été sévèrement et continuellepèse sur la conscience de leurs
lique romaine à Birkenau, que les
ment critiqué pour s’être abstenu
frères et sœurs lors de la Seconde
visiteurs juifs ne peuvent
de faire ce qu’il aurait pu et dû
Guerre mondiale doit être un appel
manquer de voir, risque d’embrafaire en faveur des Juifs pendant
à la repentance. »
ser à nouveau la situation.
la Shoah. Comme le montre
Nombreux furent les Juifs et les
Au moins trois autres
« Nous nous souvenons », sa répuchrétiens qui ressentirent qu’un tel
répercussions majeures de la Shoah
tation a également été défendue –
langage esquivait la responsabilité
affecteront les relations judéo-chréau point qu’en fait, il pourrait fort
de la faillite chrétienne, car « Nous
tiennes au XXIe siècle. Tout
bien être canonisé au XXIe siècle.
nous souvenons » ne disait
d’abord, en mars 1998, la
Au printemps 1999, les Juifs critiquasiment rien – implicitement ou
commission du Saint-Siège pour les
explicitement –
relations religieuses avec le
sur les carences
judaïsme a publié « Nous nous soudes dirigeants
venons : une réflexion sur la
catholiques
Shoah », un document très attendu
romains pendant
censé constituer la déclaration de
la Shoah. Ce
l’Église sur l’attitude du Vatican
texte donnait
pendant la Shoah. Dans les milieux
l’impression
juifs notamment, il reçut un accueil
douteuse que la
mitigé. Deux points rendaient le
base, plus que
document particulièrement
les dirigeants
vulnérable : 1. Il séparait de façon
catholiques, était
peu convaincante l’antisémitisme
responsable
nazi de l’antijudaïsme chrétien. Il
Voici une minuscule partie d’un mur de la synagogue
des échecs
existe des différences entre les deux,
Pinkas de Prague, à la mémoire des 77 000 Juifs tchécoslochrétiens. La
mais « Nous nous souvenons » les
vaques qui périrent dans les camps de concentration et
Commission
mettait trop en relief tout en
camps de la mort nazis.
• Mars-avril 1988 : L’Américain Fred
Leuchter rédige un article pseudo
scientifique, piètrement conçu, qui
sera publié par l’historien
britannique révisionniste David
Irving comme le Rapport Leuchter.
Cet article affirme que les chambres
à gaz d’Auschwitz n’ont jamais été
utilisées pour des exécutions et que
les fours crématoires du camp n’au-
raient jamais pu traiter le nombre de
corps généralement avancé.
• 1990 : Effondrement de l’Union
soviétique qui se scinde en plusieurs
États indépendants. • Réunification de
la RFA et de la RDA en une seule Allemagne démocratique. L’ancienne Allemagne de l’Est accepte les principes
des accords de Luxembourg de 1952.
• 1992 : Après la réunification de
l’Allemagne, le pays est balayé par une
vague de violence antisémite. Dans
l’ancien camp de concentration de Sachsenhausen, une bombe incendiaire lancée
par des néonazis détruit la majeure partie
des baraquements préservés.
• 1993 : Le président français Fran-
çois Mitterrand condamne le gouver683
L ’ A P R È S
quant cette éventualité ont souligné que conférer la sainteté à Pie
XII équivaudrait à profaner le
souvenir de la Shoah. Les défenseurs catholiques de Pie XII s’offusquent de tels points de vue. Il
en résulte que les tensions dans
les relations judéo-catholiques
sont vraisemblablement vouées à
s’exacerber si une mesure devait
être prise en vue de la
canonisation de Pie XII.
L’apaisement de ces tensions
dépend en partie d’une question
encore plus contrariante
concernant les archives du Vatican,
notamment celles du pontificat de
Pie XII. En ce début de XXIe
siècle, les nouveaux documents
Ce mémorial est dédié aux victimes,
pour la plupart juives, du massacre perpétré à Babi Yar près de Kiev, en
Ukraine, où les Allemands assassinèrent
plusieurs dizaines de milliers d’innocents.
affluent vers
l’Occident, provenant principalement des
archives
soviétiques et
d’Europe de
l’Est, devenues
accessibles
seulement à
la fin de la
Guerre froide.
Ce mémorial de la Shoah se dresse à Majdanek, l’un
Parmi ces
des six grands camps de la mort situés en Pologne.
documents,
par exemple,
se trouve un calendrier/journal tenu
Le legs des rescapés
par le chef des SS, Heinrich HimmS’il n’existe aucune définition
ler. Des parties des mémoires pro
« officielle » et si toutes les victimes
domo d’Adolf Eichmann ont
ou rescapés de la Shoah ne sont pas
également refait surface. Ces
juifs, les rescapés sont en premier
nouvelles découvertes, qui font l’oblieu ces enfants, ces femmes et ces
jet d’estimations relativement
hommes qui furent définis comme
récentes de la part des chercheurs,
Juifs par l’Allemagne nazie,
contribueront à préciser, peut-être –
vécurent sous le régime de
et c’est plus important – à revoir les
l’Allemagne nazie et de ses collabomeilleures interprétations de la
rateurs ou sous occupation, et
Shoah dont on dispose aujourd’hui.
cependant échappèrent à l’extermiQuoi qu’il en soit, les archives du
nation totale que la politique nazie
Vatican de l’époque de la Shoah
destinait aux Juifs d’Europe et
n’ont pas encore été entièrement
même du monde. Chaque
ouvertes aux spécialistes de la Shoah.
expérience subie par les rescapés de
Tant que cette situation perdurera,
la Shoah est spécifique en fonction
notre compréhension de la politique
des circonstances, du temps et des
de Pie XII et du Vatican à l’époque
lieux. Certains échappèrent à la pernazie demeurera, au mieux,
sécution nazie avant le début de la
ambiguë. L’attitude – passée,
Seconde Guerre mondiale en 1939
présente et future – du Vatican face
ou avant que la « solution finale » ne
à la Shoah continuera de toute
devienne la politique officielle de
évidence à alimenter des
l’Allemagne nazie en 1941. D’autres
controverses.
subirent les années de la guerre et la
solution finale elle-même,
nement de Vichy de la Seconde
Guerre mondiale. • Sortie du film du
réalisateur Steven Spielberg La liste
de Schindler, l’histoire de l’industriel
allemand Oskar Schindler.
• Fin 1993 : Faute de preuves, John Dem-
• Avril 1993 : Ouverture du Musée
• 1994 : Fermeture de l’unité des enquêtes
sur les crimes de guerre en GrandeBretagne par suite de l’échec des
poursuites contre un criminel de guerre
du mémorial de la Shoah à Washington.
684
janjuk, habitant aux États-Unis reconnu
coupable de crimes de guerre en 1988, à
Jérusalem, est libéré de prison par la Cour
suprême israélienne.
nazi présumé. • L’Argentine lève son interdiction sur l’extradition de criminels
condamnés par contumace dans d’autres
pays. • Le réalisateur d’Hollywood, Steven
Spielberg crée la Fondation de la Shoah,
une association à but non lucratif destinée à
enregistrer sur magnétoscope des
interviews avec des rescapés de la Shoah,
des sauveteurs et des témoins. • Sabine Zlatin, qui avait fondé la Maison d’enfants
L ’ A P R È S
dant un certain temps, mais le
projet n’a pas revêtu l’ampleur de
celui de Los Angeles : la
Fondation pour une histoire
visuelle de la Shoah.
Ému par son expérience de la
réalisation de la Liste de Schindler
(1993), film qui reçut un oscar et
contribua tellement à attirer l’attention sur la Shoah, Steven Spielberg
créa la Fondation de la Shoah en
1994. Son personnel a constitué l’un
des legs des survivants les plus
impressionnants : l’enregistrement
sur cassettes vidéos de plus de
50 000 interviews, en mai 1999.
Menées en 32 langues, les
interviews ont été accordées par des
rescapés de 57 pays. Leurs
témoignages sont préservés sur plus
de 50 000 kilomètres de bandes
vidéo. Il faudrait plus de 13 ans sans
interruption pour les visionner
toutes. La voix
des rescapés
juifs domine
comme il se
doit les
interviews de la
Fondation de la
Shoah. Il existe
cependant aussi
des interviews
avec des non
Juifs : groupes
persécutés
comme les Tsiganes, les
Ce mémorial aux déportés fut érigé à Yad Vashem en
souvenir des millions de Juifs acheminés dans des
Témoins de
wagons à bestiaux dans les camps d’extermination nazis Jéhovah, les disd’Europe orientale.
sidents
parvenant d’une façon ou d’une
autre à survivre à la pénurie dans les
ghettos, aux brigades de travail, aux
déportations, aux camps et aux
marches de la mort. D’autres survécurent en dissimulant leur identité,
en se cachant ou en combattant
dans des groupes de résistance.
En ce début du XXIe siècle, le
chercheur Michael Berenbaum
estime que seuls restent en vie
environ 300 000 Juifs qui subirent
le régime ou l’occupation des
nazis et de leurs collaborateurs
après juin 1941. Cette population
âgée disparaît rapidement. Vers le
milieu du XXIe siècle, elle n’existera plus. Berenbaum connaît
bien cette démographie pour
avoir dirigé une ambitieuse campagne visant à réunir les
témoignages oraux des rescapés.
Un tel travail s’est poursuivi pen-
d’Izieu, dans l’Ain, en 1944, ouvre, près du
site de la maison, un musée à la mémoire
des enfants ; voir 6 avril 1944.
• 17 mars-19 avril 1994 : Paul
Touvier, ancien sympathisant de
Vichy, est condamné à la prison à vie
pour le meurtre de sept Juifs en
1944.
• 16 juillet 1994 : Pour la première
fois, la France commémore officiellement les déportations de 76 000 Juifs
à partir de son territoire, pendant la
guerre.
• 1995 : Les jumeaux juifs Ida et Adam
Paluch se retrouvent 53 ans après avoir
été séparés par suite d’une tentative de la
Gestapo de les arracher à leur maison de
Oskar Schindler à Yad Vashem à
Jérusalem. Après sa mort, son exfemme dénigra son statut de chrétien vertueux. Quoi qu’il en soit, il
contribua à sauver des centaines
de Juifs.
politiques et les homosexuels, ainsi
que des libérateurs des camps et des
spectateurs qui se trouvaient en
position de voir ce qui se passait
pendant la Shoah.
Personne ne peut regarder des
témoignages de la Shoah pendant 13
ans. Le défi relevé par la Fondation de
la Shoah consiste à avoir placé ce legs
inestimable sous des formes pouvant
être utilisées pour la recherche et
l’éducation. Outre les précautions
prises pour préserver les cassettes
elles-mêmes, des archivistes travailleront plusieurs années pour dresser un
index des témoignages auquel les
chercheurs auront accès dans certains
centres de recherche, ce qui leur permettra une analyse extrêmement
rapide grâce aux systèmes de
recherche numériques.
Sosnowiec, en Pologne, durant l’été 1942.
Leur tante les avait fait disparaître en les
envoyant, à l’âge de trois ans, dans des
foyers catholiques distincts.
• Été 1995 : Le Comité international
de la Croix-Rouge présente des
excuses officielles pour sa passivité
pendant la Shoah, la qualifiant de
« faillite morale ».
685
L ’ A P R È S
l’odeur de chair carbonisée, l’anDes interviews de rescathropophagie – que cela donc
pés se trouvent également
laisse peu de place à l’optimisme.
ailleurs qu’à la Fondation
Une rescapée, dont le
de la Shoah, par exemple à
témoignage se trouve dans les
Yad Vashem, le mémorial
Archives Fortunoff à Yale, se souisraélien de la Shoah à
vient avoir vu le soleil à
Jérusalem, qui est aussi un
Auschwitz. « Je voyais le soleil se
centre de recherche ; dans
lever, dit-elle, parce que nous
les archives vidéos
devions nous lever à quatre
Fortunoff des témoignages
heures du matin. Mais ce n’était
de la Shoah à l’université
jamais beau pour moi. Je ne l’ai
de Yale ; et au musée du
jamais vu briller. C’était juste le
Mémorial de la Shoah aux
Le musée du Mémorial de la Shoah aux Étatsdébut d’une atroce journée. »
États-Unis à Washington.
Unis évoque le souvenir des millions de personnes
Pleurant ses morts à Auschwitz et
Ce musée, qui ouvrit ses
assassinées. Les visiteurs ressentent l’impact de la
souffrant d’avoir si peu d’espoir
portes en avril 1993, avait
Shoah en regardant des photographies, textes,
après la Shoah – espoir que l’hisreçu, le 8 avril 1999, à deux
objets, documents, films et témoignages sur
toire de cet événement
semaines
de
son
sixième
cassettes vidéo.
apprendrait aux gens à être plus
anniversaire, 12 millions de
La Fondation de la Shoah a en
humains – une autre femme dit à
visiteurs
dont
8,6
non
Juifs.
En
outre mis au point une documenpropos de sa survie : « Je ne sais
général,
les
rescapés
parlent
de
tation sur Cd-rom destinée aux
pas si cela en valait la peine. »
leur
vie
avant,
pendant
et
après
la
écoles, ainsi que des films, notamShoah.
ment un oscar du meilleur film
Après Auschwitz, l’esprit
documentaire The Last Days
humain
souhaite donner
(1998) (Les derniers jours) décriun
sens
au
maelström
vant la vie de cinq Juifs hongrois
émotionnel suscité par les
durant la dernière phase de la
témoignages sur la Shoah.
solution finale en 1944. Le docuOn aspire profondément à
mentaire confirme le jugement de
rendre justice, à restaurer
Charlotte Delbo qui disait :
un tout, à espérer de la
« Nous nous accrochions à un
morale et à voir triompher
espoir que nous avions forgé
l’esprit humain. Mais les
entièrement de pièces si fragiles
témoignages montrent
qu’aucune n’eût résisté à
que ce que la rescapée de
l’examen, eussions-nous encore
la Shoah, Ida Fink, a
En 1999, le chancelier allemand Gerhard
conservé un minimum de sens
appelé « les ruines de la
Schroeder et le réalisateur Steven Spielberg discommun. C’est d’avoir perdu le
mémoire » – entre autres
cutent de l’intégration dans le mémorial de la
sens et persisté dans la folie d’esShoah prévu à Berlin d’éléments de la « Fondala
faim,
les
coups,
les
pérer qui a sauvé quelques-uns.
tion de la Shoah » de Spielberg qui a enregistré
maladies
dévastatrices,
les
Ils sont si peu nombreux que cela
sur magnétoscope les témoignages de rescapés.
gazages,
la
fumée
et
ne prouve rien. »
• Hiver 1995 : Bayer, une filiale d’I.G.
Farben, présente des excuses pour les
souffrances et l’exploitation dont l’entreprise s’est rendue coupable.
• 1996 : Près d’Oswiecim (Auschwitz) en
Pologne, un promoteur renonce à
construire un petit centre commercial en
face du musée d’Auschwitz après avoir été
frappé par la vigueur des condamnations
686
de son projet dans le monde entier. • Des
chercheurs d’Argentine découvrent les
premières preuves de la responsabilité de
l’ancien président de ce pays Juan Peron
et de sa femme Éva dans l’entrée secrète
d’au moins plusieurs dizaines de fugitifs
nazis en Argentine, après la guerre. Les
adjoints directs de Peron engagèrent le
capitaine SS Horst Fuldner, né en Argentine, pour coordonner le programme.
• Avril 1996 : L’éditeur américain St.
Martin’s renonce à publier Goebbels,
une biographie de l’historien britannique révisionniste David Irving. Le
livre affirme qu’Hitler n’a jamais eu
l’intention de perpétrer la Shoah et
n’en avait pas connaissance.
• Mai 1996 : Les banquiers suisses et le
Congrès juif mondial créent une commis-
L ’ A P R È S
Questions persistantes
« Ce qui s’est passé s’est
passé », a dit le philosophe Jean
Améry, un rescapé d’Auschwitz.
« Mais le fait que cela se soit
passé ne peut être pris à la
légère. » La Shoah ne peut être
« prise à la légère » parce qu’elle
suscite tant de questions. Comment ? Pourquoi ? Ces deux
petits mots posent les questions
les plus insistantes : Comment la
Shoah s’est-elle produite ? Pourquoi a-t-elle eu lieu ?
Le chercheur spécialiste de la
Shoah Raul Hilberg était opposé
aux « grandes questions » parce
qu’il craignait les « petites
réponses ». La plupart des spécialistes de la Shoah, estiment
que la « source du mal est dans
les détails ». Ils ne se précipitent
pas à faire des généralisations
excessives qui « expliquent » la
Shoah. Ils se contentent de
réunir, de trier et de classer les
témoignages. Ils préservent et
étudient les documents, retrouvent et évaluent des témoignages ; ils développent,
analysent et critiquent les récits.
En ce début de XXIe siècle, la
recherche universitaire s’oriente
sur des questions comme :
Quand les nazis prirent-ils la
décision d’exterminer complètement les Juifs d’Europe ? Quels
rôles jouèrent Hitler, Himmler,
Heydrich et d’autres dirigeants
nazis dans la « solution finale » ?
Les exécutants étaient-ils des
gens « ordinaires » ou des
« bourreaux volontaires » typiquement allemands ? Quelle est
la signification de la résistance
juive pendant la Shoah ? Comment le souvenir de la Shoah
peut-il être préservé au mieux
alors que l’événement recule
dans le passé et que les rescapés
ne sont plus en vie ? Existe-t-il
une réponse crédible aux questions fondamentales que pose la
Shoah au judaïsme et au christianisme ? Que peuvent enseigner la littérature et l’art à
propos de la Shoah ? En quoi la
Shoah est-elle unique ?
Bien que certains éclaircissements se dégagent de l’étude de
telles questions, le comment et
le pourquoi demeurent. Comment la Shoah s’est-elle produite
dépend du pourquoi des
hommes se sont comportés
comme ils l’ont fait. Pourquoi les
gens font ce qu’ils font est une
question à laquelle les historiens
peuvent répondre partiellement,
mais l’étude historique ne peut,
à elle seule, maîtriser la gamme
des sentiments, intentions,
réflexions humaines ou le choix
qui intervient dans les désirs, les
motivations, les aspirations, les
objectifs, les espoirs et les décisions. « Pourquoi la Shoah a-telle eu lieu ? » est une question
qui perdure, même lorsqu’on a
beaucoup étudié ce qui s’est
passé.
Pourquoi ? est une question
qui perdure aussi parce que,
comme l’a souligné l’historien
Saul Friedländer, les plus petits
faits soulèvent les plus grands
« pourquoi ». Ces données – entre
autres le meurtre systématique
de près de six millions de Juifs –
montrent que l’histoire de la
Shoah n’est pas une histoire ordinaire. La Shoah est au-delà de la
compréhension. Plus on étudie la
Shoah, plus elle s’avère dévastatrice. Silencieusement ou non, le
pourquoi perdure intensément.
Jean Améry avait raison : « Ce qui
s’est passé s’est passé. Mais le fait
que cela se soit passé ne peut être
pris à la légère. »
Après avoir écouté plus de
témoignages que quiconque sur la
Shoah, Lawrence Langer rapporte que
les rescapés ne parlent pas seulement de
leur supplice, loin de là. Bon nombre
parlent de leur détermination à survivre,
notamment ceux qui « savaient » qu’ils
s’en sortiraient vivants. D’autres mettent
l’accent sur le défi qu’ils lancèrent à la
brutalité allemande. Nombreux
également sont ceux qui soulignent à
quel point il était important pour eux de
donner un sens à leur vie et de garder
l’espoir après Auschwitz. « Nous avons
perdu, dit l’un des rescapés, et pourtant
nous avons gagné, nous continuons. »
Ce qui a été perdu, c’est aussi
plus d’un million d’enfants juifs
qui furent assassinés, et
également les innombrables filles
et garçons qui auraient pu naître
si leurs pères et mères n’avaient
pas été assassinés. Pourtant, la
« continuation » est, elle aussi,
sion d’enquête pour examiner les probables
détournements de fonds juifs par des
Suisses pendant et après la Seconde Guerre
mondiale. Elle étudie également le renvoi
par la Suisse de quelque 30 000 réfugiés
juifs à ses frontières ; voir septembre 1996.
plis de formaldéhyde pendant plus de 50
ans, sont enterrés à Hambourg, en
Allemagne. Ces cerveaux sont les restes de
malades mentaux jugés génétiquement
« inaptes » par des médecins et généticiens
allemands. Avant d’être assassinées, les victimes furent soumises à des expériences
médicales contraires à toute éthique à
l’Institut Alsterdorfer, un hôpital psychiatrique de Hambourg. L’identification des
restes commença lorsqu’une femme de la
ville, regardant un reportage télévisé sur
les cerveaux, vit le nom de sa propre sœur
sur l’un des bocaux.
• 8 mai 1996 : Dix cerveaux humains, sur
quelque 400, pour la plupart des cerveaux
d’enfants, conservés dans des bocaux rem-
• Septembre 1996 : Un reportage de la
Jewish Chronicle affirme que 4 milliards
de dollars (65 milliards de dollars en 1996)
dérobés aux Juifs et à d’autres personnes
par les nazis pendant la Seconde Guerre
687
L ’ A P R È S
réelle. Ce sont les enfants, les
petits-enfants et autres
descendants des rescapés. Ces
legs de chair et de sang des
rescapés se chiffrent déjà par
millions. Si le souvenir de la
Shoah doit être soigneusement
entretenu, leur témoignage aura
lui aussi son importance.
Pertes et restitution
Ce monument à la mémoire de Raoul
Wallenberg, qui sauva plusieurs milliers
de Juifs, fut érigé dans un jardin public
de Budapest, en Hongrie. Mais le gouvernement communiste l’emporta avant
qu’il puisse être inauguré.
mondiale ont été transférés dans les
banques suisses. Ce montant est environ
20 fois supérieur à ce que les banques
suisses reconnaissaient auparavant ; voir
décembre 1996.
• 23 octobre 1996 : L’historien suisse
Peter Hug dévoile des documents
prouvant que les comptes en banque non
réclamés des victimes de la Shoah ont été
utilisés par le gouvernement suisse pour
688
Les chercheurs savent
que le suivi de l’histoire de
la Shoah nécessite de se
tenir au courant des toutes
dernières nouvelles. Le legs
des rescapés en fournit des
exemples surprenants. En
1990, personne n’aurait pu
prévoir que Steven
Spielberg allait créer la
Fondation de la Shoah. En
1995, 50 ans après la fin de
L’avocat américain Edward Fagan et sa cliente,
la Shoah, bien peu de perEstelle Sapir, dans un recours en justice contre les
sonnes s’attendaient à ce
banques européennes, discutent de la question de
que le XXe siècle se
l’or nazi avec des journalistes. « Il ne s’agit pas d’artermine par des tentatives – gent, expliqua E. Sapir, il s’agit de justice. »
à l’échelle internationale et
hautement médiatisées – de recounazie et de la cupidité économique
vrer les énormes montants et les
qui contribua à la motiver.
biens considérables volés aux
Pour ne considérer que
victimes de la Shoah. Cependant, au
quelques aspects de cette répercustournant du siècle, aucune
sion complexe de la Shoah, on
répercussion de la Shoah n’a fait
prendra l’exemple d’une femme
autant les grands titres que la quesjuive nommée Estelle Sapir, qui
tion de savoir s’il serait possible de
mourut d’un arrêt cardiaque à New
procéder à une quelconque restituYork, le 13 avril 1999, à l’âge de 72
tion approximative des biens volés
ans. Cette rescapée de la Shoah
et une compensation pour le travail
était née à Varsovie (Pologne) où
servile avant la disparition des rescason père, Josef, était un prospère
pés. Outre le paiement pour le trabanquier. En 1938, alors que l’Allevail servile que des procédures
magne nazie préparait la guerre,
juridiques peuvent accorder, les
Josef Sapir commença à déposer
biens immenses concernés –
ses capitaux au Crédit suisse, une
comptes en banques, portefeuilles
banque suisse où il pensait les
d’actions et d’obligations, polices
mettre en lieu sûr. Son plan paraisd’assurances, terres, maisons,
sait particulièrement prudent – il
bâtiments, entreprises, bijoux et
comprenait des dépôt dans
œuvres d’art volés pour ne mentionplusieurs banques suisses – et sa
ner que quelques exemples – témoifamille et lui-même fuirent les
gnent à nouveau de l’immensité de
nazis en se rendant en France.
la « solution finale » de l’Allemagne
Pour les réfugiés juifs cependant, la
contribuer au règlement des conflits avec
la Pologne et la Hongrie sur les compensations d’après-guerre. Les autorités suisses
annoncent la constitution de deux
commissions pour enquêter sur ces allégations ; voir 12 février 1997.
• 29 octobre 1996 : Le gouvernement
suisse s’engage à répondre d’ici le 4
décembre aux allégations sur l’appropriation des biens des victimes de la Shoah
pour dédommager des citoyens suisses
dont les biens avaient été saisis par les
nazis en Europe orientale. • Des œuvres
d’art, des pièces de monnaies et d’autres
objets pillés par les nazis dans les maisons
de Juifs autrichiens sont vendus aux
enchères à Vienne. Les organisateurs de la
vente entendent conserver les objets dans
la communauté juive. Vers la fin de la journée, la vente rapporte 13,2 millions de dollars qui seront distribués aux rescapés de
L ’ A P R È S
France n’avait rien d’un abri sûr.
Les Sapir furent par la suite ramassés au cours d’une rafle et internés
dans un camp de concentration.
Josef Sapir, déporté en Pologne, fut
assassiné à Majdanek en 1943.
Estelle échappa au sort de son
père, devint active dans la
Résistance et veilla à se souvenir de
l’une des dernières choses que son
père lui avait dites : souviens-toi, le
Crédit suisse détient l’argent
appartenant à la famille – 82 000
dollars (de 1940). Si Estelle
survivait, il lui avait fait promettre
qu’elle réclamerait l’argent des
Sapir au Crédit suisse – et aux
autres banques qu’il avait souvent
évoquées – afin que la famille
puisse aller de l’avant.
Ayant retrouvé sa mère à Paris
après la guerre, Estelle tenta de
tenir sa promesse en réclamant
les comptes en banque de son
Dans les camps de personnes déplacées après la guerre, des morceaux de
papier tenaient lieu de monnaie. Des
années plus tard, il fut révélé que les
banques suisses et d’autres institutions
avaient tiré profit du vol des biens juifs
par les nazis.
la Shoah et à leurs héritiers.
• Novembre 1996 : Volkswagen est
embarrassé par un recueil historique
de 1 055 pages commandité par la
société. L’ouvrage révèle la façon
dont Volkswagen a exploité le travail
forcé de prisonniers de guerre russes
et de détenus des camps de concentration pendant la guerre.
Les « réparations »
allemandes
Alors que les GI’s américains avaient
besoin de logement, les personnes déplacées furent les premières à être relogées.
Lorsque les institutions financières
européennes souhaitèrent bénéficier des
dépôts « non réclamés » après la guerre,
les biens juifs furent choisis.
père en Suisse. Les responsables
du Crédit suisse ne furent guère
coopérants. Aucun compte ne
pouvait être débloqué faute d’un
certificat de décès de son père. À
Majdanek, les nazis avaient tué les
Juifs et comptabilisé les morts,
mais sans délivrer de certificats de
décès. Estelle disposait d’autres
preuves concernant son père,
notamment les archives nazies
précisant que Josef avait été
déporté à Majdanek, le 6 avril
1943. Pour les banques suisses,
ces documents étaient
insuffisants. E. Sapir persévéra
pour recouvrer les biens de sa
famille. Après s’être rendue à 20
reprises de Paris au Crédit Suisse
entre 1946 et 1957 sans obtenir
• Décembre 1996 : Arthur R. Butz,
professeur d’ingénierie et révisionniste
de Northwestern University, qui qualifie la Shoah de « légende de l’extermination », se retrouve au centre d’une
controverse parce que l’université lui
fournit gratuitement l’accès à l’internet
par le serveur de la faculté, ce qui lui
permet de présenter ses idées à un
immense public. Un professeur juif qui
En 1952, la République
fédérale d’Allemagne (l’Allemagne de l’Ouest, démocratique) accepta de verser des
« réparations » à l’État d’Israël et d’indemniser les Juifs
dans le monde pour les
crimes perpétrés par le Troisième Reich. Depuis cette
époque, des milliards de dollars ont été injectés dans
l’économie israélienne, les
budgets des organisations
juives, et directement aux
individus.
Des réclamations pour la
restitution des biens juifs et
l’indemnisation furent émises
dès 1945. Cependant, ce fut
le chancelier allemand Konrad Adenauer, qui, par sa
proclamation officielle en
faveur de ces revendications
pava la voie au programme
qui commença huit ans plus
tard.
La première flotte marchande d’Israël et son agriculture ultramoderne furent
financées par le gouvernement allemand. Des centaines de communautés et
organisations
juives
en
Europe reprirent vie avec les
fonds venus d’Allemagne de
l’Ouest. En outre, des indemnités ont été versées à des
milliers de personnes qui
furent persécutées par les
nazis.
critique la position de l’université pendant son cours est licencié.
• 16 décembre 1996 : Cinq Suédois,
membres du Front nationalsocialiste, sont condamnés à deux
mois de prison pour avoir participé à
une cérémonie organisée à Trollhättan commémorant la mort de Rudolf
Hess, en 1987.
689
L ’ A P R È S
suisses pour qu’elles
restituent les biens
juifs à leurs propriétaires ou héritiers
légitimes. En mai
1998, E. Sapir fut la
première rescapée de
la Shoah à recevoir
un versement d’une
banque suisse.
Lorsque le Crédit
suisse effectua le versement – entre 300 et
500 000 dollars – il
Lors d’une conférence de presse organisée à New
déclara à la presse,
York en mai 1996, Avraham Burg (à gauche), président
depuis Zurich, avoir
de l’Agence juive, annonce un accord décisif conclu avec agi ainsi après une
l’Association des banques suisses pour étudier les comptes
recherche approfonen déshérence ouverts plusieurs décennies auparavant
die montrant que
par des victimes de la Shoah.
Josef Sapir avait
effectivement eu des relations
de résultat, elle renonça, quitta
d’affaires avant la guerre avec la
l’Europe pour s’installer en 1969 à
banque. En août 1998, le Crédit
New York où elle vécut dans une
suisse et UBS, une autre grande
seule pièce dans le Queens. Elle
banque suisse, annoncèrent qu’un
ne se maria jamais et travailla
montant de 1,25 milliard de
pendant 27 ans dans un drugstore
dollars serait consacré à d’autres
avant de prendre sa retraite. Puis,
versements. Comme le déclara
E. Sapir entendit un bulletin d’inEstelle Sapir à la presse : « Ce
formations.
n’est pas une question d’argent.
Début 1996, à la demande
C’est une question de justice. »
insistante du Congrès juif
Moins d’un an plus tard, E. Sapir,
mondial, le sénateur américain
l’unique survivante de sa famille,
Alfonse D’Amato, qui, à l’époque,
était décédée.
dirigeait la commission bancaire
La Shoah continue à mettre la
du Sénat, lança une enquête sur
justice en échec. L’argent fournit
les milliards de dollars confiés par
une compensation tangible, mais
des Juifs à des banques suisses. E.
il n’est pas de dédommagement à
Sapir prit contact ave D’Amato,
la solution finale, même si l’Allelui raconta son histoire et devint la
magne a déjà versé des dizaines
première plaignante dans un prode milliards de dollars de « répacès collectif intenté aux banques
• Des responsables américains,
britanniques et français acceptent de
mettre fin à la distribution de 68 millions
de dollars en lingots d’or nazis – dont une
bonne partie provient de l’or volé aux Juifs
(alliances, montres et travaux dentaires) –
entreposés dans les coffres de la Federal
Reserve Bank de New York et de la
Banque d’Angleterre. • En France, des
historiens de l’art affirment que des
690
œuvres d’art dérobées aux Juifs et à
d’autres propriétaires par les Allemands
sont exposées au Louvre et dans d’autres
musées français. De nombreux musées
américains renferment eux aussi des
œuvres d’art volées par les Allemands.
• Des dirigeants juifs demandent au gouvernement canadien d’enquêter sur d’anciens SS vivant au Canada et recevant des
pensions de guerre allemandes.
rations » et d’aide à des groupes
juifs, à l’État d’Israël et aux
victimes de la Shoah. L’irremplaçable ne peut être remplacé,
même si 16 entreprises
allemandes annoncent, comme
elles l’ont fait en 1999, la constitution d’un fonds de 1,7 milliard de
dollars pour indemniser les
anciens travailleurs réduits en
esclavage, Juifs et non Juifs, dont
le travail leur a profité pendant la
période nazie et a servi la
politique génocidaire du
Troisième Reich. DaimlerChrysler, Deutsche Bank, Siemens,
Volkswagen, Hoechst, Dresdner
Bank, Krupp, Allianz, BASF,
Bayer, BMW, et Degussa faisaient
En août 1998, le sénateur Alfonse
D’Amato de New York annonce que la
compagnie d’assurances italienne Generali a accepté de verser 100 millions de
dollars aux rescapés de la Shoah et aux
héritiers des victimes.
• Février 1997 : L’université de
Vienne annonce qu’elle va enquêter
sur le fait que les corps de victimes
de la Shoah ont été utilisés à titre
d’illustrations dans un ouvrage médical hautement considéré, Anatomie
topographique de l’être humain,
rédigé par Eduard Pernkopf, un nazi
qui dirigeait la faculté de médecine
de l’université après 1938. • Une
L ’ A P R È S
nant la Shoah à la veille du XXIe siècle.
tions extrêmement
Le 20 mai 1999, par exemple, Eizenpénibles, servirent
stat présenta un rapport de 1 200
également des
pages étudiant les procès-verbaux
firmes allemandes
d’une conférence extrêmement
qui demeurent resimportante sur les biens de l’époque
pectées pour leur
de la Shoah, organisée par le Départeefficacité et la
ment d’État américain du 30
qualité de leurs pronovembre au 3 décembre 1998. Cette
duits. L’article de
conférence réunit les représentants de
l’essayiste Roger
44 pays, notamment les dirigeants de
Rosenblatt, « Paying
13 organisations non gouvernemenfor Auschwitz »,
tales, de musées et de salles des
paru dans Time
ventes. En conséquence, le travail sur
d’avril 1999, précise
I.G. Farben (représentée ci-dessus) était l’industrie
ces thèmes se poursuit et ne se termide façon percutante
chimique la plus importante d’Allemagne. Comme d’autres
nera ni facilement ni immédiatement.
l’injustice dominante
grandes entreprises allemandes, elle payait les SS pour obteLes questions du travail forcé et du
en
matière
de
nir des travailleurs asservis. Dans les années 1990, Volkswatravail servile, par exemple, seront à
Shoah
:
«
Toute
pengen, Siemens, BMW et d’autres sociétés réagirent à un
l’ordre du jour d’une réunion organisée morale, observecontrôle en annonçant le versement de fonds « compensasée à l’initiative d’Eizenstat et du chef
t-il, se fonde sur la
toires » aux victimes et à leurs familles.
de la chancellerie allemande, Bodo
possibilité d’une corpartie de ces entreprises.
Hombach, le 12 mai 1999. Mais la
rection. Or, ici, il y a une injustice
Plus on étudie la Shoah, plus elle
conférence de Washington, fin 1998,
qui ne pourra jamais être réparée, et
s’avère dévastatrice. Jusqu’à la fin
avait donné l’impulsion pour d’autres
les gens sont livrés à eux-mêmes,
des années 1990, par exemple, il
négociations, tout en établissant des
cherchant quelque chose qui pourn’était pas très connu que la
objectifs et des principes.
rait remplacer l’irremplaçable. »
Deutsche bank (Allemagne) avait
Le sous-secrétaire
accordé des crédits pour financer la
d’État américain
construction d’Auschwitz. L’utilisaStuart Eizenstat ne se
tion considérable de main-d’œuvre
fait guère d’illusions
servile par l’industrie allemande à
sur le remplacement
l’époque nazie demeure un chapitre
de l’irremplaçable. Il a
de la Shoah qui n’a pas été complècependant beaucoup
tement révélé. En 1944, par
œuvré pour coordonexemple, 750 000 détenus de camps
ner les efforts internade concentration – dont environ la
tionaux visant à
moitié de Juifs – furent réduits en
décider de la restituesclavage au profit d’entreprises
tion des biens de
En mars 1949, la société DEGESCH, qui avait fabriqué
allemandes. Plusieurs millions
l’époque de la guerre, le Zyklon B utilisé dans les chambres à gaz, fut jugée à
d’autres travailleurs mobilisés, dont
Francfort, en Allemagne. Ici, le pasteur protestant Martin
thème dominant les
bon nombre déportés en Allemagne
Niemöller témoigne contre la firme.
informations conceret contraints à vivre dans des condilettre déclassée, conservée aux
Archives nationales des États-Unis,
révèle qu’un fragment de fusée nazie
qui explosa en Belgique porte les
mots « Made in Sweden », violation
par la Suède de sa neutralité en
temps de guerre. • Plus de 1 600 universités américaines proposent des
cours sur la Shoah. Il n’y en avait que
deux en 1973 et 206 en 1979.
• 12 février 1997 : La Suisse, stimulée par
les allégations que le gouvernement avait,
pendant la guerre, accepté et blanchi des
fonds provenant du pillage des biens juifs
par l’Allemagne nazie, accepte de créer un
fonds de 71 millions de dollars au profit des
rescapés de la Shoah et de leurs héritiers.
• 20 février 1997 : Le parlement
polonais vote la restitution aux Juifs
de biens communautaires nationalisés à la fin de la Seconde Guerre
mondiale, entre autres quelque 2 000
synagogues, écoles et autres édifices,
ainsi qu’un millier de cimetières.
• Mars 1997 : Des dirigeants juifs et polonais signent un accord portant sur 93,5
millions de dollars destinés à préserver et
à étendre le musée d’Auschwitz sur le site
691
L ’ A P R È S
D’après le verdict d’un tribunal d’après-guerre, Krupp, le principal fabricant d’armes
d’Allemagne, aurait dû être dissous, mais le jugement ne fut jamais exécuté. Cinquante
ans plus tard, d’intenses pressions publiques contraignirent Krupp à offrir une restitution
financière aux travailleurs juifs et non juifs que l’entreprise avait réduits en esclavage.
tent de façon incontestable le bienfondé des réclamations. Dans
d’autres cas, tout comme Estelle
Sapir ne pouvait produire aucun
certificat de décès de son père à
Majdanek lorsqu’elle s’adressa au
Crédit suisse, les propriétaires
d’origine d’une œuvre confisquée
peuvent savoir que celle-ci leur
appartient lorsqu’ils la voient, sans
pouvoir prouver leur titre de
propriété.
Les œuvres d’art ne représentent
qu’une partie des biens familiaux
volés par les nazis. Lorsque les
forces soviétiques arrivèrent à
Auschwitz en janvier 1945, elles
trouvèrent six entrepôts contenant
des centaines de milliers de
costumes d’hommes et de manteaux
de femmes. Les biens de ce type –
meubles, fourrures, objets de
familles – sont peut-être « trop
petits » pour être pris en compte, 50
ans plus tard, lors des négociations
sur les biens de l’époque de la
Shoah. Mais, si l’on considère que
les nazis ont assassiné près de six
millions de Juifs, en ont déraciné
des millions d’autres devenus réfugiés et ont pratiqué une politique
systématique d’expropriation des
biens juifs, le montant des biens de
famille – petits et grands – devient
tout à fait stupéfiant.
Alors que le XXe siècle se
termine, des efforts louables sont
investis pour promouvoir la
restitution, laquelle est
inévitablement vouée à être cruellement incomplète, et parce que les
La conférence de Washington
réunie en 1998 avait pour objectif,
entre autres, de traiter des œuvres
d’art confisquées par les nazis. Au
cours des 50 dernières années, ces
œuvres avaient, en grande partie,
été vendues et revendues.
Certaines avaient été acquises et
exposées par des musées réputés
qui connaissaient ou non leur histoire. Reconstituer l’histoire
d’œuvres d’art, puis les restituer à
leurs propriétaires légitimes,
constitue une entreprise vaste et
complexe. 20% des principaux
chef-d’œuvres d’Europe furent
confisqués par les nazis.
Philip Saunders, spécialiste
d’œuvres volées, estimait en 1997
que 100 000 pièces précieuses
« manquaient toujours après l’occupation nazie. » Reflétant les
diverses régions où les Juifs se réfugièrent pour échapper au nazisme,
les requérants viennent d’Israël, du
Canada, d’Australie, des ÉtatsUnis, ainsi que de pays européens.
Il s’agit de personnes qui tentent
de trouver des tableaux exposés
dans leurs anciennes maisons ou de
collectionneurs qui avaient prêté
des œuvres à des musées et des
galeries pillés par les nazis. Dans
certains cas, des documents attes-
du camp d’extermination de l’Allemagne
nazie le plus tristement célèbre.
• Juillet 1997 : L’Argentine constitue une
commission gouvernementale pour déterminer le nombre de criminels de guerre
nazis qui se réfugièrent en Argentine
après la guerre et quels types de butin
furent introduits dans le pays.
affirme que le gouvernement suédois avait
stérilisé environ 60 000 Suédoises pendant
la guerre pour débarrasser la société des
types raciaux « inférieurs » et encourager
la prolifération des caractéristiques physiques aryennes.
• 20-23 août 1997 : Dans des articles
• 24 août 1997 : Le Congrès juif mondial
• 19 mai 1997 : Des documents longtemps
tenus secrets, publiés par les Archives nationales britanniques montrent que l’extermination en masse des Juifs avait commencé
dès juin 1941 – plusieurs mois avant la date
ordinairement donnée comme marquant le
début de la « solution finale ».
692
publiés par le journal suédois Dagens
Nyheter, le journaliste Maciej Zaremba
rejette l’offre de l’Allemagne de procéder
à un versement unique à titre de répara-
L ’ A P R È S
pertes sont énormes et parce que
trop de temps a passé pour identifier,
étudier et classer les innombrables
réclamations. L’entreprise de restitution, si noble soit-elle, dans sa tentative de mettre au moins un point
final dans un certain domaine de la
Shoah, ne peut malheureusement y
parvenir, car la Shoah échappe à tout
point final, l’inventaire des
dommages causés en montrant toujours davantage, bien davantage.
Pour les prochaines générations, des
gens peu méritants en Europe et à
travers le monde seront les
Une vente aux enchères d’œuvres
d’art « en déshérence », volées à des
familles juives par les nazis, fut organisée
à Vienne en 1996. Quelque 8 000
pièces, y compris des tableaux de
maîtres, furent vendus et les sommes
recueillies furent versées à des survivants
juifs autrichiens de la Shoah.
tions aux rescapés de la Shoah vivant en
Europe orientale. Le secrétaire général
du CJM, Israël Singer, insiste pour que ces
survivants reçoivent des versements mensuels.
• 9 septembre 1997 : L’Association pour
l’enseignement de la Shoah, dont le siège
se trouve à Londres, rapporte que des
banques britanniques détiennent proba-
bénéficiaires, conscients ou non, du
vol des Juifs par les nazis, ainsi que
du vol d’autres personnes et institutions dans les territoires sous
domination nazie. Les nazis, par
exemple, ont volé des montants
considérables d’or monétaire, le stockant souvent dans les banques de
pays neutres comme la Turquie, l’Espagne, le Portugal et la Suède, ou la
Suisse. L’« or nazi » comprend également des quantités considérables
d’or non monétaire – obturations et
couronnes dentaires, par exemple,
prélevés sur les victimes des camps
de la mort nazie. Ces biens ne sont
pas restés inexploités. Ils ont induit
des bénéfices immérités, ici et là,
mais pas pour leurs véritables
propriétaires.
Les biens appartenant à des collectivités juives – synagogues et
écoles, par exemple – ont eux aussi
fait l’objet d’un pillage et les
questions de restitution se font de
plus en plus précises. Ce n’est qu’en
partie vrai, parce qu’il ne reste que
des vestiges de ces communautés,
en particulier en Pologne et dans
d’autres pays d’Europe de l’Est qui
subirent non seulement l’occupation
nazie, mais la domination soviétique
et les régimes communistes pendant
la Guerre froide. Ensuite, comme
l’illustre l’histoire d’une femme juive
nommée Marta Drucker Cornell,
on est confronté à des problèmes
énormes concernant l’assurance.
En 1945, Marta Drucker avait 17
ans. À l’exception de sa grand-mère
âgée de 80 ans, elle était la seule survi-
blement 1,1 milliard de dollars sur des
comptes en déshérence ouverts par des
victimes de la Shoah.
• Octobre 1997 : L’ancien collabora-
teur nazi, Maurice Papon, est jugé en
France pour la déportation et par
conséquent la mort de plusieurs centaines de Français, dont des enfants.
En 1979, Simone Veil, une Juive
française rescapée d’Auschwitz,
devint la présidente du Conseil
européen.
vante de sa famille qui appartenait à la
bourgeoisie tchèque. Après avoir passé
plus de trois ans dans les camps de
concentration nazis, elle n’avait pas
grand-chose, à part sa vie. Elle possédait cependant un morceau de papier
de la taille d’une carte postale sur
lequel son père, le docteur Leopold
Drucker avait inscrit des numéros
dont elle ignorait la signification. Avec
l’aide d’un ami de son père – il s’avéra
être l’agent d’assurance du docteur
Drucker – elle apprit que les numéros
désignaient les polices d’assurance-vie
de son père. Tout comme Estelle
Sapir tenta de récupérer l’argent de sa
famille auprès des banques suisses,
Marta Drucker s’efforça de toucher les
fonds appartenant à sa famille. Les
réponses qu’elle obtint des
compagnies d’assurance ne furent
guère différentes de celles qu’E. Sapir
avait reçu des banques. À tout instant,
la recherche de Marta Drucker s’avéra
• 1er novembre 1997 : Des documents
suisses sont rendus publics, montrant
qu’une banque américaine, la National City
(ultérieurement Citibank), accepta sciemment quelque 30 millions de dollars d’or
pillé par les nazis en garantie pour un prêt
à l’Espagne. La National City, travaillant
avec l’approbation du Trésor des ÉtatsUnis, accepta l’or après qu’il eut été blanchi
par les banques suisses ; voir 1951.
693
L ’ A P R È S
décevante. Les compagnies
d’assurance refusaient d’accéder à sa
demande. On lui déclara même que
son père n’avait pas payé les primes
qui auraient maintenu en vigueur ses
polices. D’autres « explications » pour
rejeter les réclamations formulées par
M. Drucker et d’autres plaignants
furent de l’ordre : « la compagnie d’assurance n’existe plus », « les dossiers en
question ont été détruits par la
guerre », ou « les communistes ont
nationalisé la compagnie » et « on ne
peut rien faire sans un certificat de
décès ».
Pensant que sa cause était
perdue, M. Drucker émigra aux
États-Unis en 1964. En 1997, elle se
rendit à Washington où elle raconta
son histoire à un groupe
d’inspecteurs chargés de surveiller
les assurances. Ces inspecteurs
furent chargés de
l’aider, elle et les
nombreux autres
rescapés de la
Shoah et leurs
héritiers qui cherchaient à obtenir
restitution de
sommes impayées
par d’importants
assureurs comme
Allianz,
Winterthur et
Generali, pour un
montant d’un milEn mai 1997, le sous-secrétaire d’État américain au
liard de dollars.
Commerce, Stuart Eizenstat présente un épais rapport
Le rapport de
condamnant vigoureusement la Suisse pour ses transacStuart Eizenstat
tions d’or nazi pendant la Seconde Guerre mondiale.
indiquait que « la
question des
de Washington souligna également
primes d’assurances de l’époque de
qu’il fallait agir davantage en
la Shoah était l’une des épreuves les
matière de recherche, d’éducation
plus complexes et
et de commémoration de la
les plus difficiles
Shoah. « Il est important, précisa
auxquelles était
Eizenstat, que le dernier mot sur
confrontée la conféla Shoah durant ce siècle ne porte
rence de Washingpas seulement sur l’argent. » Les
ton. » Ce rapport
programmes de restitution
annonçait qu’« une
prévoient d’utiliser une partie des
voie rapide pour les
biens en déshérence à des
versements aux resinitiatives éducatives
capés de la Shoah »
internationales destinées à faire
était à l’étude, mais
prendre conscience de ce que fut
il ajouta – et on ne
la Shoah.
peut que se rallier à
Sans une éducation appropriée,
son estimation – « il
la Shoah sombrera dans l’oubli. Si la
reste beaucoup à
Shoah est oubliée, les témoignages
faire. »
des rescapés, même enregistrés,
Ces survivants Sintis (Tsiganes) poursuivirent une
grève de la faim à Dachau, en Allemagne, en 1980.
Ils réclamaient une réparation morale pour les
souffrances endurées pendant la Shoah.
• 9 novembre 1997 : Un musée de la
Shoah ouvre à Sachsenhausen, en
Allemagne, sur le site d’un camp de
concentration de l’époque nazie.
• 13 novembre 1997 : Devant les protestations soulevées par les Juifs, le parlement
allemand vote que le gouvernement ne
pourra plus verser de pension d’invalidité
aux criminels de guerre nazis. Quelque
694
Ne jamais oublier
La conférence
50 000 vétérans allemands soupçonnés de
crimes de guerre, y compris des membres
de la Waffen-SS, recevaient des allocations.
• Fin novembre 1997 : Deux coffres-forts
ouverts dans une banque de Sao Paulo, au
Brésil, contiennent des documents suggérant que des biens volés aux nazis furent
secrètement acheminés vers des banques
brésiliennes.
seront réduits au silence, mis en
péril, voire deviendront nuls et non
avenus. Si la Shoah est oubliée, nous
• Décembre 1997 : La Federal Reserve
Bank de New York rend publics des documents secrets montrant que, dès 1952, la
banque prit possession de plaques d’or, de
boutons, de pièces de monnaie et d’ornements de pipe en or qui avaient été volés
aux victimes de la persécution nazie et
ultérieurement fondus en lingots d’or
remis aux banques centrales européennes.
• Le Département d’État américain fixe
L ’ A P R È S
aurons ignoré les avertissements des
survivants qui nous demandent instamment d’être plus bienveillants,
d’améliorer le monde. Alors, la
connaissance que nous aurons livrée
à l’oubli pourra bien être inutile
parce qu’elle nous laissera dans une
épaisse indifférence à une
catastrophe aussi réelle et aussi radicalement atroce qu’elle était inimaginable avant qu’elle ne se produise.
Bien que l’histoire ne se répète
jamais exactement sous les mêmes
formes, la Shoah montre qu’il
n’existe nulle part une police d’assurance morale ou religieuse, un
acquis politique, garantissant que le
« ICI, DEMEUREZ SILENCIEUX.
AILLEURS, NE GARDEZ PAS LE
SILENCE. »
—Plaque commémorative en souvenir des enfants juifs assassinés à
l’école de Bullenhuser Damm dans l’ancien camp de Neuengamme,
en Allemagne
penchant destructeur de l’homme
ne donnera pas le pire de lui-même.
Mais si nous observons, au moins de
temps en temps, l’abîme de destruction que fut la Shoah, si douloureux
et si pénible que ce soit, nous serons
mieux armés pour affronter un nouveau siècle, un siècle qui n’a pas
seulement un potentiel étonnant de
progrès et de qualité, mais
également la capacité de gâcher la
vie humaine de façon encore plus
dévastatrice que ne l’a fait le XXe
siècle, et en particulier la Shoah.
Après cette catastrophe, rien n’est
plus important que d’affecter des
ressources à l’éducation, ce qui permettra à la « connaissance inutile »
de la Shoah de transmettre que la
vie n’a pas de prix, que sa beauté est
fragile, sa justice vulnérable, sa joie
précaire et qu’il nous appartient
d’en déterminer l’avenir, quoi qu’il
arrive.
Infamie durable
Une affiche en yiddish sollicite des
fonds pour acheter et planter des arbres
dans le futur État d’Israël. Les arbres commémoreront le souvenir des six millions
de Juifs qui périrent dans la Shoah.
comme date limite la fin du siècle pour
achever le versement de « réparations »
allemandes aux victimes du pillage nazi
pendant la Shoah.
• 4 février 1998 : Dix-neuf
intellectuels allemands, historiens et
écrivains, exhortent le chancelier
allemand Helmut Kohl à renoncer
aux projets d’un mémorial de la
Élie Wiesel, rescapé
d’Auschwitz prit la parole à la
Maison blanche à Washington, le
12 avril 1999. Remarquant que
« nous sommes à la veille d’un
nouveau siècle, d’un nouveau mil-
Shoah à Berlin. Le groupe a le sentiment que le mémorial prévu est trop
vaste et artificiel et ne comprend pas
les Tsiganes, les Témoins de Jéhovah
et autres groupes victimes des nazis.
• 19 juin 1998 : Une proposition de
600 millions de dollars faite par les
grandes banques suisses aux victimes
de la Shoah dont les biens ont été
lénaire », il demanda : « Que sera
le legs de ce siècle qui disparaît ?
Comment s’en souviendra-t-on
dans le nouveau millénaire ? »
Comme Wiesel posait ces
questions, la revue Time réalisait,
pendant un an, un sondage sur
internet, pour connaître l’opinion
publique afin de choisir la personnalité du siècle. Depuis les années
1930, Time présente la personnalité
de l’année, mais en 1999, les enjeux
étaient bien plus importants. La
personnalité du siècle, précisait
Time, sera celle « qui, pour le
meilleur ou pour le pire, a le plus
influencé le cours de l’histoire au
cours des 100 années écoulées. »
C’est finalement le physicien
Einstein qui fut désigné parmi les
candidats suivants, entre autres :
V. I. Lénine, Winston Churchill,
David Ben Gourion, Martin
Luther King, le pape Jean-Paul II
et Adolf Hitler. Time avait fourni
sur son site une abondante information sur les principaux personnages. Qualifiant Hitler de « plus
grande menace du siècle pour la
démocratie », le résumé de la
rubrique de Time précisait également qu’il « avait, à tout jamais,
volés pendant la guerre après avoir
été déposés dans des banques suisses
est qualifiée d’« humiliante » par
l’Organisation juive chargée des restitutions et est tournée en dérision
par d’autres groupes et dirigeants
juifs. Les trois banques sont le Crédit
suisse, la Banque suisse et l’Union
des banques de Suisse ; voir début
août 1998.
695
L ’ A P R È S
Magda Trocmé, une Française chrétienne qui avait sauvé des Juifs, ravive la
flamme éternelle au mémorial de la
Shoah de Yad Vashem à Jérusalem.
redéfini la signification du mal. »
Le site internet de Time sur
Hitler incluait l’article principal
annoncé en couverture du magazine
du 2 janvier 1939. Il représentait
Hitler comme l’homme de l’année
1938, selon Time. Le journal accordait à Hitler le mérite d’avoir
conféré à l’Allemagne une puissance
inattendue, en moins de six ans :
« Sa dictature n’avait rien
d’ordinaire ; c’était plutôt une
grande énergie et une planification
magnifique. » Mais dans l’ensemble,
le récit de Time était inquiétant, car
il précisait que l’élément le plus
significatif sur Hitler en 1938, c’était
qu’il était devenu « la plus grande
force menaçante à laquelle [était]
aujourd’hui confronté le monde
• 7 juillet 1998 : Volkswagen annonce son
intention de créer un fonds de compensation pour les travailleurs réduits en
esclavage dans ses usines pendant la
Seconde Guerre mondiale.
• Début août 1998 : Les principales
banques suisses acceptent de verser un total
de 1,25 milliard de dollars aux victimes de la
Shoah dont les capitaux déposés sur des
696
L’article sur Hitler mentionnait
démocratique, attaché à la liberté. »
également d’autres dirigeants qui
L’article ne comprenait aucune
s’étaient distingués en 1938. Dans le
mention explicite des pogroms de
domaine de la religion, Time citait
novembre 1938 (Kristallnacht) perdeux hommes qui s’étaient opposés
pétrés sauvagement contre les Juifs
au Führer. L’un était le pasteur proen Allemagne et en Autriche, mais
testant allemand Martin Niemöller,
évoquait l’antisémitisme raciste
arrêté et emprisonné par les nazis
d’Hitler et attirait l’attention sur le
début juillet 1937. Il subit les
fait que les Juifs d’Allemagne « ont
terribles conditions des camps de
été torturés, dépouillés de leurs
concentration de Sachsenhausen et
maisons et de leurs biens, privés de
de Dachau jusqu’à la fin de la
toute possibilité de gagner leur vie,
Seconde Guerre mondiale. Sa
traqués dans les rues. »
célèbre déclaration demeure l’un
Pour son numéro du 2 janvier
des avertissements les plus succincts
1939, Time n’eut pas recours à une
de la Shoah. « Quand ils ont arrêté
photographie conventionnelle,
les communistes, je n’ai rien dit, je
mais à une caricature illustrant des
n’étais pas communiste ; quand ils
sentiments dignes des courageux
ont arrêté les chefs syndicalistes, je
journalistes de Munich que les
n’ai rien dit, je n’étais pas un chef
nazis avaient écrasés parce qu’ils
syndicaliste ; quand ils ont arrêté les
avaient protesté contre Hitler à la
Juifs, je n’ai rien dit, je n’étais pas
fin des années 1920 et au début des
juif ; quand ils sont venus m’arrêter,
années 1930. Le dessin de couveril n’y avait plus personne pour proture, exécuté par le baron Rudolph
tester. »
Charles von Ripper, un catholique
allemand qui
méprisait l’Allemagne nazie,
décrivait Hitler
comme un organiste jouant un
hymne de haine
dans une
cathédrale profanée, tandis que la
hiérarchie nazie
observait d’un air
approbateur les
Miep Gies aida Anne Frank et sa famille à Amstervictimes
torturées du Troi- dam. Elle découvrit le journal d’Anne et sauva ce précieux ouvrage qui émut des millions de lecteurs.
sième Reich.
comptes en banque suisses ont été volés
pendant la Seconde Guerre mondiale ;
voir été 1999.
• 18 août 1998 : Le gouvernement polo-
nais annonce un plan pour mettre fin à la
location d’un terrain près du camp de la
mort d’Auschwitz détenu par une association de victimes chrétiennes de la guerre.
Le gouvernement décide que le groupe
viole les clauses du bail en érigeant des
croix sur le terrain. Les croix avaient soulevé la colère des associations juives ; voir
20 septembre 1998.
• 19 août 1998 : La compagnie
d’assurances italienne Assicurazioni Generali accepte de verser 100 millions de dollars aux victimes de la Shoah dont les
polices d’assurances ne furent jamais
L ’ A P R È S
L’autre dirigeant religieux distingué par Time dans son numéro du 2
janvier 1939, était le pape Pie XI,
âgé de 81 ans, dont l’opposition au
nazisme et à l’antisémitisme prouva
qu’il était plus courageux que son
successeur Pie XII, en 1939.
L’article sur l’homme de 1938 de
Time signalait aussi que
« l’événement le plus important de
l’année » était la conférence de
Munich, du mois de septembre, qui
avait fait de la Tchécoslovaquie un
État fantoche allemand. Il soulignait
qu’une Allemagne massivement
réarmée risquerait d’avoir les
coudées franches en Europe dans
un proche avenir. « L’homme de
1938, concluait Time, pourrait bien
faire de 1939 une année
mémorable. »
Cinquante ans
plus tard, Élie
Wiesel, dont les
épreuves
pendant la
Shoah
confirment
qu’Hitler fit de
1939 une année
mémorable, posa
ses questions à la
La prison de Spandau, à Berlin, demeurait l’unique
Maison blanche :
rappel concret de la justice des Alliés et du legs criminel
« Que sera le
nazi. Lorsque le dernier détenu, Rudolf Hess, mourut en
legs de ce siècle
1987, le bâtiment fut rasé.
qui disparaît ?
Comment s’en souviendra-t-on
personnalité du siècle. Preuve en
dans le nouveau millénaire ? »
est fournie par le site internet du
Wiesel aurait été attristé, mais pas
magazine, puisque c’est Wiesel
surpris, que Time fasse d’Hitler sa
Yom haShoah
Yom haShoah, ou le jour du
Souvenir de la Shoah, fut institué par la Knesset israélienne
(parlement), en 1951. La date
choisie pour la commémoration
annuelle de l’événement est le
27 Nissan (mois hébraïque), un
jour qui tombe entre l’anniversaire du soulèvement du ghetto
de Varsovie (de janvier à mai
1943) et le jour de l’Indépendance d’Israël (14 mai 1948).
En Israël, le Yom haShoah se
caractérise par la fermeture de
tous les lieux de divertissement
et par le retentissement d’une
sirène à 10 heures du matin.
Lorsque la sirène retentit,
toutes les activités cessent et le
pays se fige pour une minute de
silence. Les gens interrompent
ce qu’ils sont en train de faire,
même s’ils conduisent un véhicule, et restent debout en souvenir des Juifs qui ont péri
pendant la Shoah.
Yom haShoah est également
observé aux États-Unis (photo,
1994) et dans plusieurs endroits
honorées. L’accord prévoit également que
Generali rende publiques ses archives de
l’époque nazie.
réduisirent en esclavage de la main-d’œuvre
fournie par le gouvernement nazi ; voir 16
février 1999.
• 30 août 1998 : Des avocats des États-Unis
• 20 septembre 1998 : Ignorant les appels de
responsables de l’Église et du gouvernement
polonais, des catholiques conservateurs érigent quatre croix en bois de 4 mètres de haut
à proximité de l’ancien camp de la mort d’Auschwitz. Ce geste porte à environ 200 le
nombre de croix érigées sur le site.
et d’Allemagne entament des poursuites
contre Daimler-Benz, BMW, Volkswagen,
Siemens, Krupp, Audi et six autres grandes
entreprises allemandes et autrichiennes
qui, pendant la Seconde Guerre mondiale,
d’Europe. Des cérémonies commémoratives sont coordonnées
par les centres communautaires
et religieux juifs, des institutions religieuses non juives, des
centres œcuméniques et des
associations religieuses. Bien
qu’aucune règle n’ait été fixée
pour la commémoration du Yom
haShoah, les cérémonies comportent en général des discours,
des prières et l’allumage de
bougies. Il est usuel d’allumer
six bougies représentant les six
millions de Juifs assassinés ;
dans certaines cérémonies une
septième bougie commémore
les victimes non juives de la
persécution nazie.
• 3 décembre 1998 : Au cours d’une
réunion organisée à Washington, les
représentants de 44 pays acceptent les
principes énumérés par les États-Unis
concernant la restitution des objets d’art
appartenant aux victimes de la Shoah et
pillés par les nazis. La France annonce la
création d’une instance gouvernementale
pour traiter des réclamations individuelles
émanant de victimes de la Shoah sur la
restitution des œuvres d’art.
697
L ’ A P R È S
De nombreux rescapés de la Shoah
ont pris la peine de raconter au monde
ce qu’ils avaient vécu. Ici, Abba Kovner,
ancien chef de la Résistance témoigne
avec véhémence au procès d’Adolf Eichmann, en 1961.
lui-même qui est l’auteur de l’essai qui accompagne la documentation factuelle sur Hitler et la
réédition de l’article principal de
Time sur l’homme de 1938. Lorsqu’on se souvient du XXe siècle,
déclare Wiesel, le nom d’Hitler
sera « parmi les premiers qui
viendront à l’esprit. »
D’aucuns affirment que le nom
d’Hitler devrait être définitivement
effacé. Ce sentiment est
compréhensible, mais lorsque Wiesel décida d’écrire sur Hitler pour le
sondage du Time sur la personnalité
du siècle, un autre thème surgit. Le
monde ne peut vraiment pas se permettre d’oublier Hitler, parce que
son infamie n’est pas seulement due
au fait que son régime a déclenché,
comme le dit Wiesel, « une guerre
qui demeure la plus atroce, la plus
brutale et la plus meurtrière de l’his-
• 16 février 1999 : Le chancelier
allemand Gerhard Schröder annonce la
constitution du Fonds du souvenir, de la
responsabilité et de l’avenir, d’un
montant de 1,7 milliard de dollars. Il est
financé par 12 grandes entreprises allemandes pour indemniser les personnes
réduites en esclavage par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Parmi
ces entreprises : Daimler-Benz, Volkswa698
toire. » Fondamentalement,
l’infamie d’Hitler, inséparable de la
guerre qu’il a engagée, ce fut la
Shoah .
Se souvenir de la Shoah, c’est
ne pas oublier Hitler. Peut-être,
alors, Hitler aurait dû être la personnalité du siècle. Le XXe siècle
fut, après tout, le plus sanglant de
l’histoire humaine. Aucun événement n’y a contribué autant que la
Shoah. Personne ne fut plus
impliqué dans la Shoah qu’Hitler.
Aujourd’hui, nous nous souvenons
de la Shoah, pas seulement comme
une dimension du passé, mais
comme un événement ayant de profondes implications pour le présent
et pour l’avenir. Nous avons encore
beaucoup à apprendre, mais il est
une chose que nous savons : la Shoah
n’était pas inévitable. Elle a surgi de
décisions délibérées prises par des
êtres humains. Ces décisions
n’étaient ni prédestinées ni
Dans cette scène du film La liste de
Schindler, réalisé en 1993, un nazi, commandant du camp, choisit une prisonnière
juive devant lui servir de domestique.
Ralph Fiennes joue le rôle du commandant
inspiré du sadique dirigeant du camp de
Cracovie, Amon Goeth.
gen, BMW, Siemens, Krupp et Audi.
• 26 mai 1999 : L’Allemagne accepte que
les travailleurs réduits en esclavage à
l’époque nazie, originaires de Pologne,
reçoivent les mêmes compensations que
ceux des autres pays. Plus de 400 000
Polonais réclament au total 2 milliards de
dollars pour le travail servile qu’ils ont été
contraints d’effectuer.
inévitables. Même si Hitler n’a pas
été désigné comme la personnalité
du XXe siècle selon Time, il faut insister pour que personne, présentant
avec lui de vagues ressemblances,
n’ait cette distinction à la fin du XXIe
siècle.
Mais notre insistance – ainsi que
l’espoir et la détermination qui doi-
Les petits, les sans défense, les
innocents : telles furent les victimes de la
Shoah dirigée par Adolf Hitler. Ses partisans en exterminèrent des millions. Ceux
qui survécurent, comme cette Polonaise et
son enfant, furent toute leur vie hantés par
le souvenir de ces atrocités.
vent l’accompagner – ne réduira pas
l’horreur de la Shoah. Nous pouvons
cependant entretenir le souvenir
des rescapés de la Shoah et nous
engager à demeurer vigilants et bien
informés ; politiquement conscients
et éthiquement sains.
Tels sont les objectifs que La
Chronique de la Shoah entend
atteindre.
• Été 1999 : Cinq cents journaux de
par le monde publient en pleine page
des annonces accompagnées de formulaires détachables qui permettront
aux rescapés de la Shoah de demander leur part sur la somme de 1,25
milliard de dollars prévue par les
banques suisses. • Ouverture et large
diffusion des mémoires du haut fonctionnaire SS Adolf Eichmann.
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