Bibliothèque
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finalement de « passer », de se faire
accepter par la communauté blanche.
D’autres, cependant, tentent de
construire une identité alternative, à la
fois juive et noire, à contre-courant, et
leur œuvre est souvent lue à contresens.
Il en va ainsi d’André Schwartz-Bart,
auteur du Dernier des justes et de la
Mulâtresse Solitude, qui revendique le
droit à une double mémoire que beau-
coup lui dénient. Peut-on tout à la fois
se dire héritier de la Shoah et de la
traite ? De l’assimilation juive et de
l’aliénation noire ? Une telle approche
va radicalement à l’encontre de la
logique de concurrence que l’on voit
souvent à l’œuvre aujourd’hui. Et c’est
précisément celle que défend Nicole
Lapierre dans sa conclusion, elle
plaide pour l’empathie, qui ne doit pas
être confondue avec la compassion, mais
se situe justement dans le changement
de perspective, dans la migration vers
une identité autre. C’est ce que per-
mettent les parcours dont elle rend ici
compte, qui résonnent au-delà des indi-
vidus qu’ils décrivent, et invitent éga-
lement à réfléchir sur des modèles de
société ; car après tout, ce n’est sans
doute pas un hasard si ces parcours croi-
sés entre Juifs et Noirs se retrouvent
surtout aux États-Unis et en France,
pays marqués par l’esclavage, la colo-
nisation et la Shoah, par la relation à
leurs peuples changeants, qui ne se lais-
sent ni assimiler, ni sagement enfermer
dans des cases communautaires
étanches.
Alice Béja
Robert Boyer
LES FINANCIERS
DÉTRUIRONT-ILS
LE CAPITALISME ?
Paris, Éditions Économica, 2011,
240 p., 23
Robert Boyer fait partie des rares
économistes analysant les phénomènes
économiques dans une histoire au long
cours des dynamiques capitalistes. Sa
démarche, formalisée dans la théorie
de la régulation avec Michel Aglietta,
lui donne une aptitude toute particu-
lière à décrypter, sous l’avalanche des
données conjoncturelles, les transfor-
mations en jeu dans la crise actuelle.
Dans cet ouvrage, il retrace la montée
progressive de la financiarisation de
l’économie et le surgissement en 2008
d’une crise systémique mondiale dont
les effets se feront sentir longtemps.
Les premiers chapitres sont consa-
crés aux caractéristiques structurelles
de ce capitalisme financiarisé qui s’est
progressivement imposé au nom de la
croyance doctrinaire en l’efficience et
l’autorégulation des marchés financiers,
que la théorie économique standard ne
parvient à défendre qu’en refoulant les
principaux apports de l’économie
politique1.
C’est en renouant avec les exigences
d’une économie politique qui ne renie
pas l’apport de l’histoire économique et
de ses crises récurrentes que Robert
Boyer cherche à dessiner des possibles
sorties de crise pour lesquelles le « fra-
gile savoir des économistes », même des
plus éclairés, ne saurait se substituer à
la responsabilité du politique.
L’ouvrage souligne l’interaction entre
l’espace économique et la dimension
politique. Dans les grandes crises, la
1 Voir sur ce point l’article de R. Boyer «L’éco-
nomie en crise : le prix de l’oubli de l’économie
politique », L’Économie politique, juillet 2010,
n° 47.
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