21-Reperes-12-2011_Mise en page 1 23/11/11 16:53 Page179 Bibliothèque Robert Boyer LES FINANCIERS DÉTRUIRONT-ILS LE CAPITALISME ? Paris, Éditions Économica, 2011, 240 p., 23 € finalement de « passer », de se faire accepter par la communauté blanche. D’autres, cependant, tentent de construire une identité alternative, à la fois juive et noire, à contre-courant, et leur œuvre est souvent lue à contresens. Il en va ainsi d’André Schwartz-Bart, auteur du Dernier des justes et de la Mulâtresse Solitude, qui revendique le droit à une double mémoire que beaucoup lui dénient. Peut-on tout à la fois se dire héritier de la Shoah et de la traite ? De l’assimilation juive et de l’aliénation noire ? Une telle approche va radicalement à l’encontre de la logique de concurrence que l’on voit souvent à l’œuvre aujourd’hui. Et c’est précisément celle que défend Nicole Lapierre dans sa conclusion, où elle plaide pour l’empathie, qui ne doit pas être confondue avec la compassion, mais se situe justement dans le changement de perspective, dans la migration vers une identité autre. C’est ce que permettent les parcours dont elle rend ici compte, qui résonnent au-delà des individus qu’ils décrivent, et invitent également à réfléchir sur des modèles de société ; car après tout, ce n’est sans doute pas un hasard si ces parcours croisés entre Juifs et Noirs se retrouvent surtout aux États-Unis et en France, pays marqués par l’esclavage, la colonisation et la Shoah, par la relation à leurs peuples changeants, qui ne se laissent ni assimiler, ni sagement enfermer dans des cases communautaires étanches. Robert Boyer fait partie des rares économistes analysant les phénomènes économiques dans une histoire au long cours des dynamiques capitalistes. Sa démarche, formalisée dans la théorie de la régulation avec Michel Aglietta, lui donne une aptitude toute particulière à décrypter, sous l’avalanche des données conjoncturelles, les transformations en jeu dans la crise actuelle. Dans cet ouvrage, il retrace la montée progressive de la financiarisation de l’économie et le surgissement en 2008 d’une crise systémique mondiale dont les effets se feront sentir longtemps. Les premiers chapitres sont consacrés aux caractéristiques structurelles de ce capitalisme financiarisé qui s’est progressivement imposé au nom de la croyance doctrinaire en l’efficience et l’autorégulation des marchés financiers, que la théorie économique standard ne parvient à défendre qu’en refoulant les principaux apports de l’économie politique1. C’est en renouant avec les exigences d’une économie politique qui ne renie pas l’apport de l’histoire économique et de ses crises récurrentes que Robert Boyer cherche à dessiner des possibles sorties de crise pour lesquelles le « fragile savoir des économistes », même des plus éclairés, ne saurait se substituer à la responsabilité du politique. L’ouvrage souligne l’interaction entre l’espace économique et la dimension politique. Dans les grandes crises, la Alice Béja 1 Voir sur ce point l’article de R. Boyer « L’économie en crise : le prix de l’oubli de l’économie politique », L’Économie politique, juillet 2010, n° 47. 179