gens que je hais1.»
Ce désaccord entre le Professeur et Katia pour savoir si l’acteur est un
esprit élevé qui participe à un « art sacré », ou simplement l’« outil
»médiocre d’un divertissement dégradé, est le sujet de préoccupation et la
source de débats d’un grand nombre d’œuvres deTchekhov : certaines de
ses premières nouvelles (comme L’impresario sous le divan ; Le jeune pre-
mier ; Remède contre les crises d’ivrognerie ; Les bottes (1885) ; La fin d’un
acteur (1886) ; Calchas (1886) ou sa seconde pièce en un acte, le drame
Le Chant du cygne (Calchas), ou dans la grande comédie La Mouette, écri-
te en 1896.
Ce débat (toujours d’actualité) vient de l’écart entre une idée du théâtre
comme « institution morale » et la réalité présente de ses pratiques. Dans
Une banale histoire, Le Chant du cygne et La Mouette, Tchekhov utilise cet
écart pour explorer une question plus vaste : le gouffre entre l’idéal et la
réalité, entre le romantisme et le réel. Ainsi Katia dans Une banale histoi-
re avait-elle préalablement expliqué au professeur que:
« Le théâtre était une force qui réunissait à elle seule tous les arts et les acteurs
étaient des missionnaires.Aucun art ni aucune science, pris séparément n’étaient
à même d’agir si fortement et sûrement sur l’âme humaine et ce n’est donc pas
sans raison qu’un acteur de moyenne grandeur jouissait dans le pays d’une bien
plus grande popularité que le plus grand savant ou le plus grand artiste.Aucune
activité publique ne pouvait apporter autant de jouissance et de satisfaction que
celle de la scène2.»
En l’espace de deux ans, sa « masse d’espérance radieuse3»s’est transformée
en une complète désillusion – désillusion qui vient aussi d’une histoire
d’amour malheureuse, et de la perte d’un enfant. En cela, l’histoire de
Katia peut, naturellement, être mise en parallèle avec ce que vit Nina dans
La Mouette ; cependant tandis que Katia est écrasée par ce qu’elle com-
prend et reconnaît de la réalité, Nina, elle, « encaisse ». Elle aussi a voué
un culte a un « art sacré »et se faisait une idée romantique de la vie des
acteurs et des écrivains (et a recherché la célébrité), mais quand elle
revient après un entracte de deux ans à l’acte IV, sa vie d’actrice est deve-
nue sordide et se résume à une lutte pour la survie, pas pour un art créatif:
« Et donc vous êtes devenu écrivain…Vous êtes écrivain, moi, je suis actrice…
Nous voilà pris, vous et moi, dans le grand tourbillon… Je vivais joyeuse,
comme un enfant – on s’éveille le matin, on se met à chanter ; je vous aimais, je
rêvais de gloire, et, maintenant ? Demain, à l’aube, partir pour Ieletz, en troi-
sième classe… avec les paysans, et, à Ieletz, subir les amabilités des marchands
cultivés. Elle est grossière la vie4!»
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