Tchekhov volera toujours
Mise en scène - Stéphane Braunschweig - Lars Norén - Jean-Luc Fall
Auteur Anton Tchekhov
Jean-Claude Grumberg, Roger Grenier
Mais comment donc s’y est pris Anton Tchekhov ? Comment a-t-il fait pour que, près de cent après sa
mort, ses pièces conservent une telle actualité ? Pour que volent, presque en même temps dans le ciel de
Paris, La mouette de Stéphane Braunschweig (créée au Théâtre national de Strasbourg et présentée au
théâtre de la Colline), celles de Luc Bondy (Théâtre de l’Odéon), de Lars Norén (Théâtre des
Amandiers) et de Philippe Calvario (Bouffes du Nord) ? Pour qu’au même moment le théâtre des
Quartiers d’Ivry donne Les Trois sœurs, le Théâtre 13 Oncle Vania et le Théâtre Gérard Philippe Sur la
grande route ? Pour que le Théâtre des Amandiers mette Platonov à l’honneur et la Scène nationale de
Poitiers L’homme des bois ? Pourquoi ces "scènes de vie à la campagne", ainsi que Tchekhov avait
qualifié Oncle Vania, nous parlent-elles tant ?
Trois débuts de réponse : d’abord, parce que ce sont précisément des scènes de vie. Des simples scènes
de la vie comme elle va, comme elle a toujours été, comme elle ira toujours. Des petites choses de rien,
anodines, banales, qui étaient tout cela il y a cent ans et qui le sont encore aujourd’hui. Ensuite, parce
que le monde a beau avoir changé d’apparence, il est resté de cette même noirceur décrite par Eléna
Andréevna dans Oncle Vania : "Vous, Ivan Petrovitch, vous êtes intelligent et cultivé, vous devriez
comprendre, semble-t-il, que ce qui détruit le monde, ce ne sont pas les brigands, les incendies, mais la
haine, l’inimitié, tous ces conflits mesquins..." Enfin et surtout, parce Tchekhov pose sur l’homme un
regard rempli d’une splendide compassion, l’interdisant de juger qui que ce soit, de démontrer quoi que
ce soit.
D’autres pistes sont à explorer pour comprendre la fraîcheur de Tchekhov, comme celle de l’espoir d’un
jour meilleur que portent certains de ses personnages ou celle du "voile du secret" sous lequel chacun
dissimule sa vie. Mais il en est une autre, moins immédiate et pourtant essentielle, que, par exemple,
Stéphane Braunschweig avec La mouette et Jean-Luc Fall avec Les trois sœurs ont parfaitement mis en
valeur : l’humour de Tchekhov.
Un humour revendiqué par l’auteur - il précisait écrire des comédies -, mais qui n’a pas toujours été
traduit par ses metteurs en scène. A commencer par Stanislavsky, qui le premier fit des pièces de
Tchekhov des tragédies. La raison de ce décalage ? La vision de la vie qu’avait Tchekhov, propose
Roger Grenier dans son éclairant Regardez la neige qui tombe (Folio), laquelle "aboutit à ce qu’il se
croit drôle quand il en donne une image calamiteuse, pour ne pas dire désespérée."
"Le problème avec Tchekhov, relevait Stéphane Braunschweig dans une émission sur les coulisses de
La Mouette diffusée récemment sur France 5, c’est qu’il a beaucoup d’humour, mais que ces
personnages n’en ont pas". Le metteur en scène expliquait qu’il fallait dès lors trouver la distance
nécessaire entre le texte et les personnages, afin de donner sa place au rire de Tchekhov.
Tchekhov, c’est donc simplement "décrire la vie telle quelle est, et en plus d’en rire", comme le
souligne Jean-Claude Grumberg en préface de son adaptation théâtrale de la nouvelle Le duel (Actes-
Sud Papiers). Grumberg qui ajoute : "En ce temps de triste déballage où le vide et l’obscène se
conjuguent pour envahir jusqu’à notre imaginaire, le docteur Tchekhov reste un bon et nécessaire
contrepoison." Frédéric Mairy
INFOS PRATIQUES Théâtre National de La Colline - Grande Salle, 15-17 rue Malte Brun 75020 Paris - Tarifs :
de 24,20 à 33,00 euros - Renseignements : 01.44.62.52.52
Colline.fr : Le chant du cygne<br>Platonov
du 3 novembre au 23 décembre 2005 Grand Théâtre
textes Anton Tchekhov mises en scène Alain Françon
textes français Françoise Morvan et André Markowicz
dramaturgie Guillaume Lévêque et Michel Vittoz