- -, Platonov, adaptation Éric Lacascade, in L’avant-scène théâtre, 2002, n°1115 ; rééd. 2004. A propos de Platonov, Eric Lacascade, Comédie de Caen, Avignon, 2002. [Quelque soit le spectacle] le texte est rarement le même. D’ailleurs, la première mise en scène utilisait un texte particulièrement tronqué : il manquait le premier acte. La mise en scène de Jenny reprit cette version. Il fallut attendre la parution des Œuvres de Tchekhov dans La Pléiade pour qu’un texte fut complet fût disponible. Et le premier acte intéressa rapidement les metteurs en scène, non seulement parce qu’il est indispensable mais parce qu’il a une forme théâtrale passionnante. « Il pose le problème de l’affirmation du réel et de sa mise en représentation, dit Jacques Téphany, chaque personnage arrive avec son histoire, des esquisses qu’il faut rendre lisibles. Pour le metteur en scène, c’est à la fois un plaisir et une souffrance. » p.124 Un peu comme Woyzek de Büchner, Platonov est une œuvre complexe et touffue, inachevée et fragmentaire, de telle sorte que la personne qui la prend en charge opère des choix, dessine son propre Platonov. Jacques Téphany (…) « […] Si l’on tente de la résumer à partir de toutes ses visions, on peut dire que tous ont vu l’histoire d’un ours qui sort de sa tanière, avec sa femme et son fils, après un long hiver de grande solitude. Dans l’intense floraison du printemps russe, il réunit ses amis et replonge dans un monde qui, pendant son absence, a changé. Ce monde projette sur lui un appétit phénoménal, qui le dépasse complètement. C’est un original, un esprit provocateur, mais totalement innocent et inconséquent. On a parlé de Don Juan et d’Hamlet mais, comme dit Lavaudant, « de Platonov, que reste-t-il de sa séduction ? Quels mérites les femmes lui trouvent-elles ? » Dans tout cela, les metteurs en scène trouvent un incomparable terrain pour la manipulation, humaine et esthétique. Ils apprécient aussi le côté concret : on n’est pas dans le rêve, la nostalgie, la demi-teinte, mais dans quelque chose de brutal et de terrien ». p.124-125 Jacques Téphany note plusieurs constantes dans l’histoire de la mise en scène de la pièce. D’abord, cela repose généralement sur un travail d’équipe, de troupe : le spectacle a besoin d’une forte base collective. Ensuite, il est rare que le metteur en scène en reste à un seul Tchekhov : il a abordé son œuvre avant, ou il la poursuit après : « c’est une entrée en Tchekhovie, en aimant affronter la pièce où l’on peut prendre toutes les libertés, Platonov, p.125 et une autre pièce où, au contraire, on suit le texte rigoureusement ». Jean-Claude Fall, par exemple, avait inscrit Platonov dans tout un cycle Tchekhov. Par ailleurs, on y voit souvent quelque chose de cinématographique, une préfiguration d’un certain cinéma, « en rapport avec un cinéma indépendant, français et américain, om les situations importent moins que le mode d’être des personnages ». p.126 Une confidence de Claire Lasne a particulièrement touché Téphany. Conviée à parler de ses souvenirs des répétitions, elle dit : « on ne se souvient de rien de réel, que de notre réveil ». Platonov est vraiment la pièce de tous les possibles. « On la joue vite, comme Lavaudant, ou lentement, sur plusieurs heures, dit Téphany. Il y a des écarts énormes dans les partis pris sur la stylisation, les choix sur le réel, la vérité, la psychologie. Le dialogue que les metteurs en scène ont avec cette œuvre est un moment de liberté et de confrontation exceptionnelle. » C’est, enfin, une pièce d’espace. Presque tous les scénographes ont agrandi la scène. C’était le cas chez Vilar – derrière la maison, il y avait la route - et Garran. Chantal Morel a pris un lieu immense. C’est ainsi que Platonov s’installe, à l’été 2002, dans la Cour d’honneur du Palais des Papes… p.126 Gilles Costaz