DÉSINDUSTRIALISATION, DÉLOCALISATIONS 133
Commentaire
Patrick Artus
Directeur des études économiques, CDC IXIS
Le rapport traite de deux questions différentes quoique liées : la désin-
dustrialisation et les délocalisations. La désindustrialisation peut venir de
différentes causes : un transfert de la demande intérieure vers la demande
de services ; des gains de productivité importants dans l’industrie condui-
sent à un recul rapide de l’emploi ; la délocalisation de la production vers les
autres pays. La troisième cause de désindustrialisation est évidemment plus
sérieuse, puisqu’elle peut s’accompagner :
d’une perte de revenu s’il n’y a pas de gains de productivité associés
aux pertes d’emplois industriels ; dans un pays où l’emploi industriel recule
sans que les gains de productivité progressent, ce qui est le cas de la France
(graphique 1), il y a bien perte de revenu ;
d’un déséquilibre chronique du commerce extérieur, si le recul de l’em-
ploi industriel résulte d’un amaigrissement de l’industrie dû à une perte de
compétitivité et à une spécialisation internationale déficiente ; ceci est pro-
bablement le cas du Royaume-Uni et des États-Unis (graphiques 2 et 3).
Il est donc important de savoir si les délocalisations entraînent bien la
désindustrialisation, et le risque de passage à une économie de services
caractérisée par le recul du revenu par tête et un déficit extérieur chronique.
La mesure des délocalisations est une question difficile. On utilise sou-
vent les investissements directs à l’étranger, très importants dans le cas de
la France, des États-Unis et du Royaume-Uni (graphiques 4a et b), mais
cette mesure est très imparfaite :
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1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004
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Emploi manufacturier hors construction (100 en 1994, G)
Production industrielle (100 en 1994, G)
Productivité manufacturière (GA en %, D)
1. France : emploi manufacturier, productivité et production industrielle
Sources : Datastream, INSEE et CDC IXIS.
certains investissements à l’étranger ne correspondent pas du tout à
des délocalisations, mais à des implantations sur des marchés étrangers en
forte croissance qui ne détruisent pas d’emplois dans le pays d’origine, ou
même à de simples placements financiers ;
mais des délocalisations peuvent prendre une forme qui ne génère pas
de flux de capitaux internationaux, comme par exemple le choix de sous-
traitants étrangers.
Il serait donc très utile de disposer d’une mesure fiable de l’ampleur des
délocalisations.
La seconde question est donc celle de l’ampleur de l’effet des
délocalisations sur la désindustrialisation. Le rapport qui précède est ici ras-
surant dans le cas de la France. D’une part, lorsqu’on prend en compte le
fait que la balance commerciale de la France est en moyenne équilibrée
(graphique 5), et qu’on compare le contenu en emploi des importations et
des exportations (le premier étant plus élevé en raison de l’abandon des
productions à fort contenu en emplois), on estime la perte d’emplois due à la
spécialisation internationale à ½ point au plus.
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105
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1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004
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-2
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1
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Emploi manufacturier (10 en 1994, G)
Solde courant (en % du PIB, D)
2. Royaume-Uni : emploi manufacturier et balance courante
Sources : Datastream et CDC IXIS.
3. États-Unis : emploi manufacturier et balance courante
Sources : Datastream et CDC IXIS.
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1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004
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-4
-3
-2
-1
0
1
2
Emploi manufacturier (100 en 1994, G)
Balance courante (en % du PIB, D)
CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
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-300
-200
-100
0
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1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004
Etats-Unis
Allemagne
France
4. Investissements directs sorties
Sources : ONS, CDC IXIS, Banque d’Italie et Banque d’Espagne.
Sources : BEA, ONS, INSEE et Buba.
En milliards de dollars par an
-1000
-800
-600
-400
-200
0
200
1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004
-100
-80
-60
-40
-20
0
20
Royaume-Uni (G)
Espagne (D)
Italie (D)
En milliards de dollars par an
a. Allemagne, États-Unis et France
b. Espagne, Italie et Royaume-Uni
DÉSINDUSTRIALISATION, DÉLOCALISATIONS 137
5. France : solde courant et commercial
Source : INSEE.
D’autre part, lorsqu’on estime économétriquement la part de la perte
d’emplois industriels qui vient de la hausse des importations en provenance
des pays émergents, on trouve que seulement 12 ½ % de cette perte (sur la
période 1987-2002) peut être attribuée à cette hausse. Même si le constat
est nuancé à la fin du rapport par l’observation de la perte de qualité des
exportations de la France, de la faible part des nouvelles technologies dans
ces exportations, par la perte d’emplois de recherche dans le secteur des
hautes technologies, on pourrait conclure que les délocalisations sont, dans le
cas de la France, un phénomène peu important ayant peu d’effet sur l’emploi.
Il me semble qu’il faut prendre cette conclusion avec beaucoup de prudence :
les délocalisations et la désindustrialisation sont un phénomène récent,
qui s’est accéléré après les dépréciations des devises des émergents d’Asie
en 1997-1998 et après l’élargissement de l’Union européenne (voir les évo-
lutions de l’emploi et de la production manufacturière sur le graphique 1) ;
l’analyse historique ne permet peut-être pas de prévoir les tendances futures ;
le maintien de l’équilibre commercial qui sert de base, comme on l’a
vu plus haut, au calcul des pertes d’emplois dues aux délocalisations, résulte
aussi de l’affaiblissement de la demande intérieure, de la montée du chô-
mage (graphique 6) qu’on peut attribuer aussi aux délocalisations. Les cal-
culs présentés dans le rapport ignoreraient donc les effets macroécono-
miques (croissance faible) des délocalisations ;
l’estimation de l’effet des délocalisations sur l’emploi industriel en
France est basée sur la seule hausse des importations en provenance des
pays émergents (graphique 7), qui n’est pas très impressionnante.
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3
1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004
solde courant
Balance commerciale
En % du PIB
1 / 268 100%
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