Les trois premières occurrences de ce vers encadrent les deux premières strophes et semble d’ailleurs
défier et anéantir ce que ces strophes ont de pathétique et de tragiques.
A la strophe 3, la menace se fait plus pressante. Aragon intègre le refrain à la strophe, qui s’allonge
ainsi d’un vers, pour mieux tenter de conjurer l’inexorable avancée de la vie vers la mort.
A la strophe 4, la mort a été plus forte : « lorsque les choses plus ne sont » (v.23). D’ailleurs, les vers
23-25 sont une périphrase qui masque à peine la dure réalité de la mort. Le vers « refrain » est
totalement intégré à la strophe puisqu’il y apparait en avant-dernière position. Cependant, la
proposition « je t’aime » est reprise comme une sorte d’écho au dernier vers, sans signe de ponctuation
final. On retrouve aussi au dernier vers les mêmes caractères italiques du vers 1. Cela crée une
circularité dans le poème, par les caractères italiques et la répétition de « je t’aime ».
A l’initiale et au final du poème, le « je t’aime » en italique indique du discours direct. Le poète adresse
ainsi à Elsa une déclaration d’amour sans cesse renouvelée. Elle encadre le poème comme si elle
voulait éliminer les forces adverses (vieillesse, condition mortelle de l’homme, la mort).
Le « je t’aime » (deux fois en italique, quatre fois en caractères romains) renforce à l’intérieur du
poème le sentiment amoureux du poète (v.8/15/22/29).
Il y a autant de fois le verbe « dire » que le verbe « aimer », qui d’ailleurs le précède. Cet aveu d’amour
est maintes fois répété car la parole, aussi puissante soit elle, est vaincue par le temps qui passe et la
vie qui se dégrade (v.16-17).
Cet aveu, qui dans la dernière strophe devient chanson, qui est créée sous nos yeux de lecteur. Cette
œuvre poétique peut seule triompher du temps et de la mort.
2) Le chant amoureux
Cette expression de l’amour peut seule triompher de l’amour et de la mort.
Ce pouvoir donné à la parole poétique amoureuse se traduit par le retour à intervalles réguliers du
même vers. Le « je t’aime » revient particulièrement (6 fois). Ce vers se signale à notre intention car il
ne rime avec aucun autre, mais le « je t’aime » met en relief le thème du poème, l’amour.
Les deux derniers vers créent un phénomène d’écho. Dans ce poème, on trouve uniquement des
octosyllabes et cela renforce l’affirmation amoureuse. Ces vers courts créent une fluidité dans le
poème, renforcée par l’absence de ponctuation.
La disposition des rimes est régulière mais originale. A l’intérieur des sizains, du septain et du huitain,
le vers 1, 2, 4, 6 riment ensemble, ainsi que le vers 3 et le vers 5.
Le mot « chanson » (v.28) est d’abord de la musicalité. La parole amoureuse se fait chanson par les
sonorités employées car Aragon joue avec deux sons : é (fermé) et è (ouvert), qui forment des
assonances. Il y a une grande harmonie sonore propice à l’aveu amoureux. Ces assonances sont plus
nombreuses dans le septain, où l’angoisse du poète atteint son paroxysme. C’est là que le poète
exprime la force de son amour d’où la musicalité qui s’en dégage.
Il y a aussi des allitérations en « s », « t », « d », « m », « n », « r » qui renforcent les effets sonores et
musicaux de ce poème-incantation.
Conclusion : Lorsqu’il publie ce poème en 1963, Aragon a 66 ans, Elsa en a 67. Elle mourra sept ans
plus tard, en 1970. Loin d’être un banal motif poétique, les thèmes de la fuite du temps, de la
séparation d’avec sa bien-aimée, de l’angoisse de la vieillesse et de la mort est douloureusement
ressentie par le poète. Il veut se persuader que ses « je t’aime » à Elsa triompheront de toutes ses
peurs. Cette chanson enchante aussi bien sa muse que ses lecteurs et atteste qu’au poète, le ciel n’est
pas mesuré.