limites apparaissent aussi: on observe
des pertes d’efficacité au niveau natio-
nal quand toutes les organisations du
même type poursuivent des objectifs
multiples; des conflits sont inévitables
du fait même de la diversité des
missions; des tensions surgissent au
sein des personnels parce qu’ils sont
pris entre plusieurs feux; le risque existe
qu’un but l’emporte totalement sur un
autre 4.
Dans divers travaux, nous avons essayé
de voir comment évoluaient les diffé-
rentes fonctions, lesquelles dominaient
à un moment, et pourquoi, quels
groupes tendaient à les développer ou
à les freiner, comment les personnels
essayaient de réaliser des arbitrages
entre des activités qui se cumulaient5.
Comme l’ont montré des sociologues de
l’organisation, tels que Michel Crozier6,
il n’y a pas «une» rationalité ainsi que
le pensait un ingénieur comme Taylor,
mais plusieurs. Elles coexistent et sont
représentées par des acteurs défendant
chacun des stratégies déterminées.
L’hôpital est à un véritable tournant de
la réorganisation et du financement de
ses missions. Certains pensent que la
crise actuelle «imposera une redéfini-
tion de l’ensemble des structures hospi-
talières avec, comme corollaire, une
réforme des systèmes de tarification
intégrant un financement des missions
sociales des établissements publics et
une participation, qui reste à inventer,
des médecins libéraux à l’ensemble du
système7» ; la Fédération hospitalière
de France, par exemple, défend l’idée
que le financement de la recherche et
de l’enseignement devrait se faire à
part, avec les autres missions sociales
et de service public. «Il s’agit d’isoler
deux masses financières distinctes, a
écrit Gérard Vincent: l’une, dédiée aux
missions sociales et de service public
telles que la recherche, l’enseignement,
les urgences, les statuts, ferait l’objet
d’un versement global; l’autre, consa-
crée à l’activité clinique, également
encadrée sur le plan macroécono-
mique, serait gérée par la facturation
à la pathologie 8.»
«Coalition externe»
de l’hôpital
Henry Mintzberg, dans Le Pouvoir dans
les organisations, distingue deux types
de détenteurs d’influence dans l’entre-
prise en général: les détenteurs
d’influence externe (la coalition externe)
et les détenteurs d’influence interne (la
coalition interne); les premiers sont
composés de cinq groupes: d’abord les
propriétaires, puis les associés, les four-
nisseurs, les clients, les partenaires et
les concurrents, ensuite les associations
ou syndicats d’employés suivis des
publics et enfin des administrateurs de
l’organisation (le conseil d’administra-
tion est situé à l’interface, mais comme
ses membres, dont un certain nombre
du reste viennent de l’extérieur, ne se
réunissent que par intermittence, il est
classé dans la coalition externe)9.
S’agissant de l’hôpital, celui-ci est en
relation étroite avec des acteurs
externes 10 tels que le maire dans les
établissements communaux (lequel,
malgré l’ordonnance du 24 avril 1996
précitée lui permettant de renoncer à la
présidence de droit du conseil d’admi-
nistration, garde le plus souvent cette
responsabilité), les directions départe-
mentales et régionales des affaires sani-
taires et sociales, le préfet, les orga-
nismes de Sécurité sociale, les fournis-
seurs, les médecins de ville, le public,
et surtout, depuis la réforme de 1996,
les agences régionales de l’hospitalisa-
tion (ARH).
Ces agences, qui ont trois missions
(mettre en place la politique régionale
d’offre de soins hospitaliers, analyser et
coordonner l’activité des établissements
de santé publics et privés, déterminer
les ressources) ont été créées pour
«instaurer une véritable instance de
planification, de régulation et de
contrôle, dont le directeur, nommé en
Conseil des ministres, pourra réaliser,
à l’abri des influences locales, les
restructurations jugées indispensables
et la répartition des moyens11 ». Par
leur rôle stratégique et leur apport
incontestable au niveau régional, elles
ont modifié le paysage hospitalier et
suscité en même temps une série de
craintes, notamment de la part des
directeurs d’hôpitaux qui, dès 1998,
dans une enquête réalisée par la
Conférence nationale des directeurs de
centre hospitalier (CNDCH), avaient
estimé, à une écrasante majorité, que
ces nouvelles structures allaient
«profondément bouleverser la fonction
de directeur d’hôpital», risquant de
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N° 497 - Mars - Avril 2004
Revue hospitalière de France
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Le management hospitalier de demain: approche sociologique
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2. Ce n’est pas parce que des hôpi-
taux ne sont pas officiellement
universitaires qu’ils n’assument
pas, même si la fonction soins est
dominante, des missions, infor-
melles mais aussi parfois formelles,
d’apprentissage, de formation (des
personnels soignants, par exemple)
et de recherche (études de cas,
protocoles thérapeutiques, publi-
cations diverses, etc.).
3. Amitai Etzioni, né en 1929,
professeur à l’université Columbia
jusqu’en 1978 puis à la
Washington University en 1980,
s’est beaucoup intéressé à la
sociologie des organisations et des
professions au début de sa
carrière, dans les années 1960;
ses centres d’intérêt aujourd’hui
concernent davantage la socio-
économie (il a été l’un des fonda-
teurs de l’Association internatio-
nale de socio-économie dont il
sera le premier président en
1989-1990) et le mouvement
communautarien dont il est un
chef de file.
4. Etzioni A., Modern Organizations,
Englewood Cliffs, New Jersey,
Prentice Hall, 1964. Trad. franç.,
Les Organisations, Gembloux,
Duculot, 1971, pp. 32-36.
5. Steudler F., L’Hôpital en obser-
vation, Paris, Armand Colin,
1974 ; id., «L’arbitrage entre les
fonctions hospitalières du corps
médical», L’Hôpital à Paris, n° 61,
janvier-février 1982, pp. 225-229;
id., «Soins, enseignement et
recherche dans les structures
hospitalières», Recherches écono-
miques et sociales, n° 1,
1er trimestre 1982, pp. 39-58; id.,
Institutions de soins et professions
de santé. Soins, enseignement et
recherche dans les centres hospi-
taliers et universitaires, thèse pour
le doctorat d’État ès lettres et
sciences humaines, Paris, univer-
sité René-Descartes Paris V, 1984,
4 tomes.
6. Crozier M. et Friedberg E.,
L’Acteur et le système, Paris,
Seuil, 1977.
7. Nau J.-Y., «Hôpital public en
souffrance», Le Monde, 2 février
2000.
8. Vincent G. (propos recueillis
par Baulon S.), «Quel avenir pour
l’hospitalisation ? », Concours
médical, 19 juin 1999, p. 1970.
9. Mintzberg H., Le Pouvoir dans
les organisations,op. cit., pp. 71-
172.
10. Steudler F., «La communica-
tion à l’hôpital public; les acteurs,
les forces et les problèmes »,
Journal d’économie médicale,
t. 11, n° 6, 1993, p. 319.
11. Steudler F., « L’État et la
réforme hospitalière», Cahier du
CRESS (Centre de recherches et
d’études en sciences sociales ;
université des sciences humaines
de Strasbourg), n° 3, 1998,
p. 68.