Le management hospitalier de demain Approche sociologique L

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François STEUDLER
Professeur de sociologie
Directeur du Centre européen de recherche
en sociologie de la santé (CERESS)
à l’université Marc-Bloch (Strasbourg II)
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MOTS-CLÉS
Dossier
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hôpital
management
approche sociologique
structure externe
structure interne
Droit
et jurisprudence
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Le management
hospitalier de demain
Approche sociologique
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à buts et à acteurs multiples inscrite dans un environnement
spécifique, c’est une organisation que l’on peut qualifier
de « professionnelle » et qui, de ce fait, connaît des particularités
de fonctionnement. L’objectif de cet article est de prendre
en considération les enjeux de l’établissement et les rapports
de pouvoir qui le caractérisent, pour mieux comprendre les défis
auxquels il aura à faire face. Il est aussi de fournir quelques
éléments de réflexion sociologique, susceptibles d’apporter
un éclairage dans la conduite du management hospitalier
L
e Centre européen de recherche
en sociologie de la santé
(CERESS) mène depuis de
nombreuses années des recherches sur
l’hôpital. Quelques éléments de réflexion
sur le management hospitalier sont développés ici. On insistera plus particulièrement sur deux points: toute approche de
l’établissement de soins en termes
jouent un rôle important mais où, sous
l’effet des transformations socio-culturelles, la demande des usagers dans sa
triple dimension technico-médicale,
psychologique et sociale devra de plus
en plus être prise en considération, et
cela d’autant plus que l’institution joue
un rôle privilégié dans la lutte contre la
maladie, la souffrance et la mort.
managériaux doit d’abord tenir compte
du fait que celui-ci n’est pas une organisation comme une autre et qu’il est
marqué par une certaine spécificité,
notamment au niveau de ses missions
et de ses rapports avec l’environnement;
ensuite, il est une structure complexe à
l’intérieur de laquelle interviennent des
groupes très divers, où les professionnels
L’hôpital face à ses missions
et aux attentes
de son environnement
Des buts et acteurs multiples
Pour reprendre la classification d’un
spécialiste du management comme
Henry Mintzberg, l’hôpital fait partie,
selon nous, des organisations dites « à
buts et à agents multiples 1 ». Il s’agit
d’une structure complexe qui doit
répondre à des fonctions diverses (soins,
enseignement, recherche, prévention,
éducation sanitaire, etc.), ce que l’évolu-
N °
Le management hospitalier de demain : approche sociologique
L’hôpital n’est pas une organisation comme une autre. Structure
1. Mintzberg H., Power In and Around
Organizations, Englewood Cliffs, New Jersey,
Prentice Hall, 1983. Trad. franç., Le Pouvoir
dans les organisations, Paris, Les Éditions
d’Organisation, 1986, pp. 53-55. Henry
Mintzberg est professeur de management à
l’université Mc Gill de Montréal. Il s’est fait
connaître sur le plan international par des
ouvrages qu’il a publiés dans les années 1980
sur les organisations et où il a en particulier
développé une typologie originale des organisations à laquelle il est souvent fait référence.
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tion n’a cessé de confirmer : la multifonctionnalité, concrétisée officiellement
en ce qui concerne les soins, l’enseignement et la recherche par la création
des centres hospitaliers et universitaires
en 1958, s’étend à l’ensemble du
service public hospitalier. La pratique le
montre, ne serait-ce que de façon infor-
l’urgence et en introduisant l’évaluation.
Cette dernière trouvera une véritable
reconnaissance dans l’ordonnance du
24 avril 1996 portant réforme de
l’hospitalisation publique et privée qui
créera l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (ANAES)
et soumettra les établissements de
L’hôpital, pris dans sa globalité,
est une grande entreprise,
mais n’a pas de stratégie de groupe.
melle 2. Divers textes juridiques l’ont
stipulé : la loi du 31 décembre 1970
portant réforme hospitalière, dans son
article 2, et celle du 31 juillet 1991, qui
apporte un certain nombre de précisions
et compléments en insistant sur la prise
en compte des aspects psychologiques
du patient, en ajoutant les soins palliatifs aux soins préventifs et curatifs, en
accordant une attention particulière à
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santé à une procédure d’accréditation.
La loi du 29 juillet 1998 d’orientation
relative à la lutte contre les exclusions
confie à l’hôpital une nouvelle mission
qui rejoint celle qu’il avait autrefois de
soutien des miséreux et des déviants :
la participation à la lutte contre les
exclusions.
Si ces buts peuvent se compléter harmonieusement et être source de dyna-
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misme, il leur arrive aussi d’entrer en
conflit, ce qui est à l’origine de blocages,
surtout dans les grandes institutions
comme les CHU où la triple fonction est
une réalité par opposition aux hôpitaux
non universitaires où une activité, celle
des soins, prédomine de fait.
Amitai Etzioni 3 a bien mis en évidence
le dynamisme spécifique mais aussi les
contradictions qui caractérisent les organisations à buts multiples. Celles-ci, par
rapport aux structures à but unique de
la même catégorie, bénéficient sur le
plan de l’efficacité de deux avantages.
L’un est lié à des facteurs extrinsèques:
les organisations à buts multiples sont
généralement situées dans des centres
urbains et elles bénéficient de cet environnement. L’autre avantage correspond à des facteurs intrinsèques : la
poursuite d’une mission fait progresser
celle des autres; la multiplicité des buts
favorise le recrutement; la combinaison
des tâches facilite le processus d’adaptation. Mais, revers de la médaille, des
2. Ce n’est pas parce que des hôpitaux ne sont pas officiellement
universitaires qu’ils n’assument
pas, même si la fonction soins est
dominante, des missions, informelles mais aussi parfois formelles,
d’apprentissage, de formation (des
personnels soignants, par exemple)
et de recherche (études de cas,
protocoles thérapeutiques, publications diverses, etc.).
3. Amitai Etzioni, né en 1929,
professeur à l’université Columbia
jusqu’en 1978 puis à la
Washington University en 1980,
s’est beaucoup intéressé à la
sociologie des organisations et des
professions au début de sa
carrière, dans les années 1960 ;
ses centres d’intérêt aujourd’hui
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que le financement de la recherche et
de l’enseignement devrait se faire à
part, avec les autres missions sociales
et de service public. « Il s’agit d’isoler
deux masses financières distinctes, a
écrit Gérard Vincent : l’une, dédiée aux
missions sociales et de service public
telles que la recherche, l’enseignement,
les urgences, les statuts, ferait l’objet
d’un versement global ; l’autre, consacrée à l’activité clinique, également
encadrée sur le plan macroéconomique, serait gérée par la facturation
à la pathologie 8. »
« Coalition externe »
de l’hôpital
Henry Mintzberg, dans Le Pouvoir dans
les organisations, distingue deux types
de détenteurs d’influence dans l’entreprise en général : les détenteurs
d’influence externe (la coalition externe)
et les détenteurs d’influence interne (la
coalition interne) ; les premiers sont
composés de cinq groupes: d’abord les
propriétaires, puis les associés, les fournisseurs, les clients, les partenaires et
les concurrents, ensuite les associations
ou syndicats d’employés suivis des
publics et enfin des administrateurs de
l’organisation (le conseil d’administration est situé à l’interface, mais comme
ses membres, dont un certain nombre
du reste viennent de l’extérieur, ne se
réunissent que par intermittence, il est
classé dans la coalition externe) 9.
S’agissant de l’hôpital, celui-ci est en
relation étroite avec des acteurs
externes 10 tels que le maire dans les
concernent davantage la socioéconomie (il a été l’un des fondateurs de l’Association internationale de socio-économie dont il
sera le premier président en
1989-1990) et le mouvement
communautarien dont il est un
chef de file.
4. Etzioni A., Modern Organizations,
Englewood Cliffs, New Jersey,
Prentice Hall, 1964. Trad. franç.,
Les Organisations, Gembloux,
Duculot, 1971, pp. 32-36.
5. Steudler F., L’Hôpital en observation, Paris, Armand Colin,
1974 ; id., « L’arbitrage entre les
fonctions hospitalières du corps
médical», L’Hôpital à Paris, n° 61,
janvier-février 1982, pp. 225-229;
id., « Soins, enseignement et
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établissements communaux (lequel,
malgré l’ordonnance du 24 avril 1996
précitée lui permettant de renoncer à la
présidence de droit du conseil d’administration, garde le plus souvent cette
responsabilité), les directions départementales et régionales des affaires sanitaires et sociales, le préfet, les organismes de Sécurité sociale, les fournisseurs, les médecins de ville, le public,
et surtout, depuis la réforme de 1996,
les agences régionales de l’hospitalisation (ARH).
Ces agences, qui ont trois missions
(mettre en place la politique régionale
d’offre de soins hospitaliers, analyser et
coordonner l’activité des établissements
de santé publics et privés, déterminer
les ressources) ont été créées pour
« instaurer une véritable instance de
planification, de régulation et de
contrôle, dont le directeur, nommé en
Conseil des ministres, pourra réaliser,
à l’abri des influences locales, les
restructurations jugées indispensables
et la répartition des moyens 11 ». Par
leur rôle stratégique et leur apport
incontestable au niveau régional, elles
ont modifié le paysage hospitalier et
suscité en même temps une série de
craintes, notamment de la part des
directeurs d’hôpitaux qui, dès 1998,
dans une enquête réalisée par la
Conférence nationale des directeurs de
centre hospitalier (CNDCH), avaient
estimé, à une écrasante majorité, que
ces nouvelles structures allaient
« profondément bouleverser la fonction
de directeur d’hôpital », risquant de
recherche dans les structures
hospitalières», Recherches économiques et sociales, n° 1,
1er trimestre 1982, pp. 39-58; id.,
Institutions de soins et professions
de santé. Soins, enseignement et
recherche dans les centres hospitaliers et universitaires, thèse pour
le doctorat d’État ès lettres et
sciences humaines, Paris, université René-Descartes Paris V, 1984,
4 tomes.
6. Crozier M. et Friedberg E.,
L’Acteur et le système, Paris,
Seuil, 1977.
7. Nau J.-Y., « Hôpital public en
souffrance », Le Monde, 2 février
2000.
8. Vincent G. (propos recueillis
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par Baulon S.), « Quel avenir pour
l’hospitalisation ? », Concours
médical, 19 juin 1999, p. 1970.
9. Mintzberg H., Le Pouvoir dans
les organisations, op. cit., pp. 71172.
10. Steudler F., « La communication à l’hôpital public ; les acteurs,
les forces et les problèmes »,
Journal d’économie médicale,
t. 11, n° 6, 1993, p. 319.
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limites apparaissent aussi : on observe
des pertes d’efficacité au niveau national quand toutes les organisations du
même type poursuivent des objectifs
multiples ; des conflits sont inévitables
du fait même de la diversité des
missions ; des tensions surgissent au
sein des personnels parce qu’ils sont
pris entre plusieurs feux; le risque existe
qu’un but l’emporte totalement sur un
autre 4.
Dans divers travaux, nous avons essayé
de voir comment évoluaient les différentes fonctions, lesquelles dominaient
à un moment, et pourquoi, quels
groupes tendaient à les développer ou
à les freiner, comment les personnels
essayaient de réaliser des arbitrages
entre des activités qui se cumulaient 5.
Comme l’ont montré des sociologues de
l’organisation, tels que Michel Crozier 6,
il n’y a pas « une » rationalité ainsi que
le pensait un ingénieur comme Taylor,
mais plusieurs. Elles coexistent et sont
représentées par des acteurs défendant
chacun des stratégies déterminées.
L’hôpital est à un véritable tournant de
la réorganisation et du financement de
ses missions. Certains pensent que la
crise actuelle « imposera une redéfinition de l’ensemble des structures hospitalières avec, comme corollaire, une
réforme des systèmes de tarification
intégrant un financement des missions
sociales des établissements publics et
une participation, qui reste à inventer,
des médecins libéraux à l’ensemble du
système 7 » ; la Fédération hospitalière
de France, par exemple, défend l’idée
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11. Steudler F., « L’État et la
réforme hospitalière », Cahier du
CRESS (Centre de recherches et
d’études en sciences sociales ;
université des sciences humaines
de Strasbourg), n° 3, 1998,
p. 68.
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réduire leur rôle « à un simple relais
administratif chargé de mettre en place
les décisions des ARH»; elles devraient
« être recadrées et recentrées sur les
deux missions stratégiques qui leur
sont dévolues par l’ordonnance du
24 avril 1996, à savoir la planification
et l’allocation de moyens», et en aucun
cas « devenir ni une strate supplémentaire de tutelle des hôpitaux publics ni
une administration de gestion 12 ».
Complémentarité
et travail en réseau
L’hôpital de demain se situera dans un
réseau dont il sera un élément essentiel, mais plus le seul. « Le réseau,
fondé sur la coordination de partenaires
travaillant de concert sur une aire
géographique donnée pour répondre le
mieux possible aux besoins du patient,
ne peut que renouveler un système de
soins marqué par l’isolement et l’atomisation des structures, avons-nous écrit;
c’est une mise en question d’un côté
de l’hospitalo-centrisme et de l’autre de
l’éparpillement des médecins libéraux.
C’est une alternative aux entités
bureaucratisées et aux pratiques individuelles repliées sur elles-mêmes. Il
s’agit de faire le lien entre tous les
éléments de l’offre : hôpitaux, médecins de ville, structures médico-sociales
grâce à une complémentarité sans
hiérarchie et sans concurrence.13 »
« L’hôpital, pris dans sa globalité, est
une grande entreprise, mais n’a pas de
stratégie de groupe », constate Gérard
Larcher, président de la Fédération
hospitalière de France, auquel répond
comme en écho le délégué général de
celle-ci, Gérard Vincent, qui déclare qu’il
doit « s’ouvrir sur le monde extérieur et
trouver, via des coopérations, des
regroupements ou des fusions, la
dimension critique lui permettant d’être
efficace 14 ». La fongibilité des enveloppes financières devrait être le corollaire de la logique de réseau au niveau
régional. La coopération entre les acteurs
et les structures se traduit par l’émergence, pour reprendre la terminologie
d’Émile Durkheim, d’une solidarité
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« organique » selon laquelle le consensus résulte de la différenciation des individus qui sont objectivement plus
dépendants les uns des autres et qui ont
conscience de leurs différences, du fait
de la diversité des rôles sociaux 15.
Les rapports qui s’établissent peuvent
être de deux types : « sociétaires »
(caractéristiques de la Gesellschaft,
c’est-à-dire de la «société» en allemand)
au sens de Ferdinand Tönnies 16, à
savoir marqués par la loi des intérêts et
de la codification des échanges par le
contrat, sens que l’on retrouve dans ce
que Max Weber appelle la « sociation »
(Vergesellschaftung), activité qui fait se
rejoindre les individus sur la base du
compromis ou de la coordination d’intérêts, ou bien « communautaires » (relevant de la Gemeinschaft, signifiant
« communauté » en allemand) chez
Ferdinand Tönnies selon lesquels les
membres s’identifient à la vie d’une
collectivité et sont associés par des liens
forts qui évoquent ceux d’une famille,
correspondant chez Max Weber à la
«communalisation» (Vergemeinschaftung),
c’est-à-dire l’activité unificatrice qui se
fonde sur le sentiment subjectif des
participants d’appartenir à une même
communauté 17.
Cette coopération, qui ne se décrète pas
et implique beaucoup de négociations,
ne se limite pas à l’échelon purement
national, mais doit franchir les frontières, comme nous avons essayé par
exemple de le montrer, dans le cas de
la coopération transfrontalière de part
et d’autre du Rhin supérieur, en mettant
en évidence l’importance que pourrait
revêtir une telle complémentarité, si elle
était analogue à celle qui existe déjà sur
le plan des échanges économiques, et
en recherchant les raisons des réussites
et des limites des expériences menées
en ce domaine 18.
L’hôpital
et ses groupes internes
« Coalition interne » :
les pouvoirs à l’hôpital
Selon Henry Mintzberg, font partie de
la coalition interne : le PDG, les cadres
intermédiaires, les opérateurs, les
analystes de la technostructure, le
personnel de soutien logistique 19. En
ce qui concerne l’hôpital, on pourrait
montrer, dans une perspective un peu
différente, que coexistent plusieurs
groupes: l’administration, les médecins,
les personnels paramédicaux et sociaux,
les personnels techniques et ouvriers,
les usagers.
De nombreuses études sociologiques ont
essayé de cerner la particularité et
l’évolution des rapports entre les acteurs
dans l’hôpital. Charles Perrow par
exemple 20, qui a publié dans les années
1960 une étude socio-historique d’un
hôpital de taille moyenne (Valley
Hospital) dans les Middleplains aux
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États-Unis, a montré que l’organisation
était, à long terme, contrôlée par les
individus ou les groupes qui accomplissaient les tâches les plus difficiles et
les plus critiques, les premières étant
celles qui ne pouvaient pas devenir
routinières ou être confiées à une
personne n’ayant pas la compétence
suffisante, les secondes étant celles qui,
non pas entraîneraient la cessation de
fonctionnement de la structure si elles
n’étaient pas remplies, mais représentaient les problèmes spécifiques que
l’organisation rencontrait en raison de
son degré de développement, des conditions du marché, des opérations
internes, etc. C’étaient dès lors les caractéristiques du ou des groupes devenus
dominants qui déterminaient les politiques et les buts organisationnels.
L’auteur montre que l’établissement
était passé par diverses phases: d’abord
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14. Larcher G., Vincent G. (propos
recueillis par Gabillat C.), «Hôpital
public : définir une stratégie de
groupe », Le Quotidien du médecin, 10 mars 2000.
15. Cette solidarité due à la division du travail succède dans nos
sociétés, comme le montre Émile
Durkheim dans De la division du
travail social, à la « solidarité
mécanique » ou par similitude
faite d’« une répétition de
segments similaires et homogènes ». Sur l’application de cette
théorie ainsi que de celles de
Ferdinand Tönnies et de Max
Weber à l’hôpital, cf. notre article:
Steudler F., « L’opportunité de la
complémentarité hospitalière »,
Journal d’économie médicale,
1994, t. 12, n° 5, pp. 271-276.
16. Ferdinand Tönnies (18551936), qu’on a pu considérer
comme un des pères de la sociologie allemande, est surtout connu
pour la distinction célèbre qu’il a
faite dans Communauté et société
(1887) entre les rapports
« communautaires » caractéristiques des petites unités où prévalent l’affectivité et les liens organiques et les rapports « sociétaires » typiques de la société
moderne où prédomine la logique
de l’intérêt et du contrat.
17. Cf. Steudler F., « L’opportunité de la complémentarité hospitalière », op. cit., pp. 272-273.
18. Steudler F., Thiry-Bour C., «La
coopération hospitalière transfrontalière. Le cas de l’Alsace», Gestions
hospitalières, mai 1998, n° 376,
pp. 370-376.
19. Mintzberg H., Le Pouvoir
dans les organisations, op. cit.,
pp. 173-206.
20. Charles Perrow, né en 1925,
professeur de sociologie dans
plusieurs universités des ÉtatsUnis, s’est intéressé au fonctionnement des entreprises et en particulier aux buts et à la structure du
pouvoir dans les organisations.
21. Perrow Ch., «Goals and Power
Structure, A Historical Case Study »
in Freidson E. (ed), The Hospital in
Modern Society, New York, The Free
Press, 1963, pp.112-146. Voir aussi
Perrow Ch., « The Analysis of
Goals in Complex Organizations»,
American Sociological Review, 26,
December 1961, pp. 854-866.
22. Smith H.L., « Two Lines of
Authority :
The
Hospital’s
Dilemma », in Jaco E.G. (ed),
Patients, Physicians and Illness,
New York, The Free Press, 1958,
pp. 468-477. (Texte en partie
traduit sous le titre : Un double
système d’autorité: le dilemme de
l’hôpital, in Herzlich C., Médecine,
maladie et société, Paris Mouton,
1970, pp. 259-262).
23. Steudler F., « Hôpital, profession médicale et politique hospitalière», Revue française de sociologie, XIV, n° spécial 1973,
Sociologie médicale, p. 37 ; id.,
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L’Hôpital en observation, Paris,
Armand Colin, 1974, pp. 214220. Sur les différentes logiques,
en particulier l’opposition entre le
modèle techno-bureaucratique
(médico-administratif) et le modèle
techno-professionnel (médicouniversitaire) et bureaucraticoétatique (administratif et centralisé),
voir Steudler F., Institutions de
soins et professions de santé.
Soins, enseignement et recherche
dans les centres hospitaliers et
universitaires, op. cit., tome 1,
Problématique, situation actuelle et
méthodologie, p. 62. Id., « Santé,
politique et politiques de santé »,
Prospective et santé, n° 19,
automne 1981, « Enjeux de la
santé », p. 25.
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Actualités
Réflexions
hospitalières
Sur le web
24. Avec le décret du 19 avril
2002, ce responsable s’est vu
attribuer le titre de directeur des
soins, coordonnateur général des
soins, le corps de directeur des
soins étant maintenant constitué,
selon la formation d’origine, de
cadres issus de la filière infirmière,
de la filière de rééducation ou de
la filière médico-technique.
Tribune
libre
confiée à l’infirmier général 24, membre
de l’équipe de direction et d’une
commission présidée par ce responsable et composée des différentes catégories de personnels du service de soins
infirmiers.
Cultures
et cité
essayé de le montrer, une partie importante des professionnels est de plus en
plus impliquée dans des activités de
gestion. Ceci correspond à ce que nous
avons appelé une attitude « participationniste», opposée à celle, «traditiona-
International
Se développe une attitude
« participationniste », opposée à l’attitude
« traditionaliste » de ceux qui souhaitent
rester cantonnés dans leur activité de soins.
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En librairie
13. Steudler F., « De nouvelles
responsabilités relationnelles dans
le réseau : une évolution, une
révolution ? », La Lettre du
SNMG (Syndicat national des
médecins de groupe), mai 1999,
n° 100, p. 14.
liste », de ceux qui souhaitent rester
cantonnés dans leur activité de soins et
à celle, «hyper-professionnalisante», de
ceux qui estiment au contraire qu’il
revient aux médecins de gérer l’hôpital 23.
Il nous semble qu’on assiste depuis
quelques années à la montée d’un troisième pouvoir, celui des personnels
soignants. On a pu le voir à travers un
certain nombre de mouvements sociaux
infirmiers, revendiquant une véritable
reconnaissance. En témoigne la création par la loi du 31 juillet 1991, dans
chaque établissement, d’un service de
soins infirmiers, dont la direction est
Offres
d’emploi
12. « Les directeurs d’hôpitaux
critiquent les agences régionales»,
Le Quotidien du médecin,
31 mars 1998.
Tout semble se passer comme si les
personnels dans l’établissement étaient
pris entre deux feux : d’un côté l’impératif « financier », incarné par l’administration, de l’autre la logique de
service représentée par les professionnels, notamment les médecins ; en
termes weberiens, on pourrait dire qu’il
s’agit d’une sorte d’opposition entre
l’autorité « légale-rationnelle » du
bureaucrate et l’autorité « charismatique » du professionnel-médecin 22.
Il n’y a en fait pas d’opposition irréductible entre les deux types d’autorité, dans
la mesure où, comme nous avons
Le management hospitalier de demain : approche sociologique
celle de la domination du conseil
d’administration (1885-1929) en
raison de problèmes de financement
(notamment de lits non payants) et de
légitimation du type de prise en charge;
puis celle du pouvoir médical (19291942), du fait des progrès de la science
médicale ; ensuite c’était au tour de
l’administration de s’imposer (19421952), en s’interposant entre les médecins et les membres du conseil d’administration, et en réalisant la centralisation des communications; enfin prenait
place un leadership multiple (19521958), où un ou plusieurs groupes se
répartissaient le pouvoir 21.
Le leadership partagé est bien ce qui
caractérise la nature actuelle des
pouvoirs à l’hôpital. D’une manière
générale, les observateurs ont été frappés par le décalage entre l’organigramme, trop inspiré du modèle traditionnel de l’entreprise, qui placerait le
conseil d’administration en haut de la
pyramide et les travailleurs hospitaliers
en bas, et la réalité ; il existe, selon
l’analyse sociologique classique qui est
souvent citée en référence de Harvey
L. Smith, un double système d’autorité.
Droit
et jurisprudence
Dossier
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>> Les cinq parties de base
des organisations
selon Henry Mintzberg (schéma 1)
Sommet
stratégique
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logi
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sup
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Fon
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Ligne
hiérarchique
Centre opérationnel
>> Les cinq forces pesant sur l’organisation
selon Henry Mintzberg (schéma 2)
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coll
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Ver
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Vers la centralisation
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Vers la professionnalisation
!
>> La bureaucratie professionnelle
selon Henry Mintzberg (schéma 3)
Sommet
stratégique
Technostructure
n
Fonctions de support logistique
Ligne
hiérarchique
Centre opérationnel
Source : Mintzberg H., Structure et dynamique des organisations,
Paris, les Éditions d’organisation, 1982, p.32 (schéma 1), p.270
(schéma 2), p. 315 (schéma 3).
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Tout semble se passer à présent
comme si on assistait à la montée d’un
quatrième pouvoir, celui des usagers.
Depuis un certain nombre d’années,
l’hôpital, soupçonné de développer une
logique technique au détriment du
social, a été l’objet de mises en question par les patients. On a dénoncé la
façon dont on mourait à l’hôpital et on
a revendiqué de finir ses jours dans la
dignité chez soi. D’une façon générale,
la population n’accepte plus de trouver
dans l’établissement des conditions
d’hébergement qu’elle n’accepterait
plus chez elle, d’où l’intérêt que
peuvent représenter sur ce point les
alternatives à l’hospitalisation, la création des unités de soins palliatifs, les
réseaux ville/hôpital, etc. L’usager tend
à porter sur le fonctionnement de
l’établissement un nouveau regard
critique ; ce dernier nous paraît lié à
l’émergence d’un enjeu social et culturel conduisant, en liaison avec les
actions de mouvements de consommateurs et les associations, à revendiquer le passage obligé de la qualité,
qui n’est plus jugée suffisante, à la
qualité de vie 25. L’institution n’est plus
seulement définissable comme un
centre technique mais comme un véritable lieu d’existence où les dimensions
médico-techniques, psychologiques et
sociales, matérielles et spirituelles
doivent être prises en considération.
La place nouvelle des usagers au sein
du conseil d’administration depuis
l’ordonnance du 24 avril 1996, la création par le décret du 2 novembre 1998
de la commission de conciliation «chargée d’assister et d’orienter toute
personne qui s’estime victime d’un
préjudice du fait de l’activité de
l’établissement et de l’informer sur les
voies de conciliation et de recours
gracieux ou juridictionnels dont elle
dispose», l’arrêt Hédreul de la première
chambre civile de la Cour de cassation
du 25 février 1997 renversant la charge
de la preuve de l’information du patient
incombant auparavant à celui-ci, la
décision du Conseil d’État du 4 janvier
2000 imposant à tous les praticiens
2 0 0 4
publics d’informer systématiquement
leurs patients de l’ensemble des risques
liés aux actes diagnostiques et thérapeutiques justifiés par leur état, même
lorsqu’ils sont exceptionnels, sont
autant de manifestations d’une nouvelle
prise en considération du patient. Cette
évolution s’est concrétisée dans la loi
du 4 mars 2002, dite loi Kouchner,
ayant trait aux droits des malades et à
la qualité du système de santé.
On peut citer aussi la loi HurietSérusclat du 20 décembre 1988.
Relative à la protection des personnes
qui se prêtent à des recherches biomédicales, elle comble un vide juridique,
dans la mesure où les essais cliniques
se déroulaient antérieurement en
dehors de tout cadre légal, et assure,
à travers la mise en place des comités
consultatifs de protection des
personnes dans la recherche biomédicale (CCPPRB), une garantie pour les
individus concernés.
On a pu penser que les malades ne
constituaient pas un véritable groupe
dans l’établissement, dans la mesure
où la durée de séjour, qui diminue par
ailleurs, est généralement courte (sauf
dans des disciplines comme la
psychiatrie ou certaines pathologies).
On découvre aujourd’hui qu’ils
forment un groupe de poids au niveau
interne comme au niveau externe de
l’institution.
Organisation (ou bureaucratie)
professionnelle ?
Deux auteurs, parmi d’autres, nous
paraissent avoir apporté un éclairage
intéressant sur la spécificité d’une organisation où travaillent un nombre élevé
de professionnels, comme l’hôpital :
Amitai Etzioni et Henry Mintzberg.
Le premier distingue, du point de vue
de la manière dont la connaissance est
traitée, à côté des organisations de
service, deux autres types d’organisations qui retiendront notre attention :
celles qu’il appelle non-professionnelles, et les professionnelles 26. Les
premières correspondent à l’entreprise
classique. À leur tête, des dirigeants
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Dossier
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25. Steudler F., « Les
enjeux et les acteurs de
la promotion de la qualité
de vie », in Jasmin C., Levy
J.A. et Bez G. (eds),
Cancer, sida… la qualité de
vie, Le Plessis-Robinson,
Synthélabo Groupe, 1996,
pp. 140-141.
26. Sur toute cette question cf.
Etzioni A., Les Organisations
modernes, Gembloux, Duculot,
1971, chapitre 8 : « L’autorité
administrative et professionnelle», pp. 137-168.
27. Ibid., p. 148.
28. Les analyses et les sché-
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Tribune
libre
Actualités
Réflexions
hospitalières
Sur le web
mas présentés sont tirés de
Mintzberg H., The Structuring
of Organizations : a Synthesis
of the Research, Englewood
Cliffs, Prentice-Hall, 1981.
Trad. franç., Structure et
dynamique des organisations,
Paris, Les Éditions d’organisation, 1982.
Cultures
et cité
elle est l’élément-clé : le sommet stratégique qui pousse à la centralisation
est la partie fondamentale de la structure simple ou entrepreneuriale ; la
technostructure, qui vise la standardisation, joue un rôle central dans la
bureaucratie mécaniste qui représente
la grande entreprise classique dont le
fonctionnement et le développement
dépendent fortement de sa capacité à
prévoir ; le centre opérationnel, marqué
par la tendance à la professionnalisation, est très développé dans la
bureaucratie professionnelle (aussi
appelée indifféremment « organisation
professionnelle » par Henry Mintzberg),
où l’on retrouve en particulier l’hôpital
et l’université ; la ligne hiérarchique,
source de possible balkanisation, a
une place privilégiée dans la structure
divisionnalisée qui caractérise les
grandes entreprises composées d’entités quasi autonomes qui sont couplées
par une structure administrative
centrale ; les fonctions de support
logistique sont tout particulièrement
amenées à collaborer dans le cas de
International
une formation spécialisée. C’est le cas
avec les directeurs d’hôpitaux en
France, spécifiquement formés à l’École
nationale de la santé publique (ENSP)
de Rennes.
Henry Mintzberg part de l’idée que
toute organisation est composée de
cinq parties de base (voir schéma 1) 28 :
le sommet stratégique qui est la direction générale de l’organisation, la ligne
hiérarchique, composée des cadres et
qui va de ceux qui sont juste en
dessous du sommet stratégique
jusqu’aux agents de maîtrise de la
première ligne de contrôle, le centre
opérationnel
comprenant
les
travailleurs qui fabriquent les produits
et génèrent les services ou en fournissent les supports directs tels que les
opérateurs de machines dans l’usine
de production ou bien les médecins ou
le personnel infirmier dans un hôpital,
la technostructure où l’on trouve les
spécialistes qui s’occupent de la
conception et de l’exploitation des
systèmes pour la planification et le
contrôle formel (analystes du bureau
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En librairie
Un professionnel peut mettre en péril
l’organisation s’il met trop l’accent
sur la mission principale au détriment
des fonctions secondaires.
Droit
et jurisprudence
d’études, techniciens des calculs de
coûts, réalisateurs de plans à long
terme, etc.), les fonctions de support
logistique qui fournissent un support
indirect aux opérateurs et au reste de
l’organisation.
À chaque partie de base, caractérisée
par une force spécifique qui s’exerce
dans un sens donné (voir schéma 2),
correspond un type d’organisation où
Offres
d’emploi
mettre en péril l’organisation s’il met
trop l’accent sur la mission principale
au détriment des fonctions secondaires.
Deux solutions apparaissent concernant
la direction de la structure : soit celle-ci
est assumée, comme dans les universités françaises, par les professionnels,
avec les avantages et les inconvénients
que cela peut représenter, soit il est fait
appel à des administrateurs ayant reçu
Le management hospitalier de demain : approche sociologique
qui ont une expérience administrative
et coordonnent les différentes activités
de manière à maximiser l’objectif principal de l’organisation, à savoir le profit
en général. Les dirigeants représentent
l’autorité administrative (line, ou chaîne
régulière de commandement). Ils ont
autorité sur l’ensemble des personnels,
y compris les professionnels (s’occupant particulièrement de la connaissance) qui sont toutefois traités différemment des subordonnés réguliers et
le sont comme un staff, terme qui
désigne des fonctions en dehors de la
line et implique un certain degré
d’autonomie.
En revanche, dans les organisations
professionnelles spécialement conçues
dans le but de produire, diffuser ou
appliquer la connaissance et qui ont la
particularité qu’au moins la moitié du
personnel est composée de professionnels, ces derniers détiennent l’autorité principale ; les administrateurs
gèrent les moyens au service de l’activité essentielle accomplie par les
professionnels, la décision finale devant
rester dans les mains de ceux-ci. « Le
professeur décide de la recherche à
entreprendre et, dans une certaine
mesure, de ce qu’il va enseigner ; le
médecin prescrit le traitement à appliquer au patient 27. » Sans doute les
administrateurs peuvent-ils soulever
des objections concernant telle politique d’enseignement ou tel produit
pharmaceutique trop coûteux ; mais
c’est le professionnel qui décide à
discrétion jusqu’où il convient de tenir
compte de ces considérations administratives.
Il en résulte que la direction d’une organisation professionnelle pose toujours
problème : d’un côté on peut penser
que la direction devrait être confiée à
un professionnel pour avoir la garantie
que les buts de la direction sont en
accord avec les objectifs de l’organisation ; d’un autre côté, les organisations
ont des besoins qui ne sont pas rattachés à leur activité de but spécifique
(récolte de fonds, recrutement de
personnel, etc.) et un professionnel peut
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l’« adhocratie » ; il s’agit là d’une structure généralement jeune, centrée sur
l’innovation et conduite à la résolution
de problèmes ad hoc (d’où son titre)
en s’adaptant sans cesse à un environnement complexe et dynamique
(cf. les start-up aujourd’hui) 29.
L’organisation (ou bureaucratie) professionnelle est évidemment la structure qui
nous intéresse le plus ici, même si
guides de bonnes pratiques, etc. On
peut même se demander si ce ne sont
pas les ARH qui seraient amenées à
jouer un peu ce rôle.
Si le centre opérationnel est si développé (et par suite aussi les fonctions
de support logistique qui le servent),
c’est en raison de l’importance des
professionnels qui se retrouvent en bas
de la structure. Leur pouvoir vient, selon
L’institution n’est plus définissable
comme un centre technique
mais comme un lieu d’existence
où les dimensions médico-techniques,
psychologiques et sociales,
matérielles et spirituelles
doivent être prises en considération.
certaines caractéristiques de l’hôpital
peuvent se retrouver dans d’autres formes
(partitions de CHR en plusieurs établissements comme dans la forme divisionnalisée; structures internes très innovatrices, dans le domaine de la recherche,
évoquant l’«adhocratie», etc.).
Cette structure (comme on le voit sur le
schéma 3) se caractérise par la petitesse de sa technostructure qui
contraste avec l’ampleur du centre
opérationnel et de la fonction de
support logistique. La raison du peu
d’importance de la technostructure est
qu’il existe une standardisation des
qualifications telle que chacun sait,
comme le chirurgien et l’anesthésiste
dans le cas d’une opération à cœur
ouvert, ce qu’il peut attendre de l’autre
parce qu’il l’a acquis, au cours d’un
long apprentissage, précisément dans
ce lieu de formation et de socialisation
que sont les structures hospitalières et
universitaires.
On peut penser à ce sujet qu’il y aurait
aujourd’hui en France une tendance au
renforcement de la technostructure
dans la mesure où ne cessent de se
développer en milieu hospitalier, à
travers l’évaluation et l’accréditation
notamment, des stratégies de planification des soins, des protocoles, des
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Henry Mintzberg, de ce que le travail
qu’ils accomplissent est trop complexe
pour pouvoir être supervisé par un
supérieur hiérarchique ou standardisé
par des analystes et que leurs services
sont la plupart du temps très demandés. Au sein d’une telle structure, les
professionnels tendent du reste à s’identifier plus à leur profession qu’à l’organisation où ils la pratiquent. Ce modèle
est aussi souvent appelé « collégial »,
parce qu’il est caractérisé par un fonctionnement de type « démocratique »,
au moins pour les professionnels du
centre opérationnel: ceux-ci, non seulement contrôlent leur propre travail, mais
cherchent aussi à avoir une emprise
collective sur les décisions administratives qui les affectent. On retrouve dans
un tel système l’existence, dont nous
avons parlé plus haut, de deux hiérarchies parallèles, l’une professionnelle,
l’autre de type administratif (autour
notamment des fonctions de support
logistique).
L’organisation professionnelle connaît
trois problèmes majeurs venant précisément de l’autonomie dont jouissent
les opérateurs : d’abord la coordination des activités dans l’établissement
est toujours difficile à effectuer parce
que la standardisation des qualifica-
2 0 0 4
tions est un mécanisme peu puissant
pour l’accomplir ; ensuite le contrôle
connaît des déficiences : on est relativement impuissant face à des
professionnels qui ne sont pas
consciencieux ou sont incompétents ;
il est malaisé, fait remarquer Henry
Mintzberg, de mesurer l’activité des
professionnels et ces derniers ont une
aversion notoire à agir contre un des
leurs ; enfin l’innovation est bien plus
ardue à réaliser que dans la bureaucratie mécaniste où les dirigeants
sont capables d’imposer un changement à la hiérarchie.
Coexistence d’une logique
de service public
et d’une logique d’entreprise
Si l’on évoque souvent l’entreprise
quand on parle de l’hôpital, il n’en
demeure pas moins que celui-ci est
marqué par des missions de service
public. Il ne peut ni choisir son marché
ni être maître de ses dépenses et de ses
recettes. Il obéit à des règles administratives : le personnel est soumis par
exemple au statut de la fonction
publique hospitalière ; des lois et des
décrets divers définissent très précisément ses modalités de fonctionnement;
il est soumis à un contrôle de la tutelle,
etc. S’il est vrai qu’il jouit d’une certaine
marge d’autonomie, qu’il s’ouvre largement aux techniques de gestion qui
sont celles de l’entreprise, qu’il a de
plus en plus le souci de considérer les
patients comme de véritable « clients »,
il ne saurait pour autant être assimilable
à celle-ci pour une raison sociologique
que nous avons évoquée plus haut, à
savoir le caractère « professionnel » de
l’organisation.
L’autorité que peut avoir un directeur
sur les médecins - tout comme le président d’université ou le directeur d’UFR
sur les enseignants - est limitée par
l’autonomie que ceux-ci détiennent et
qui les amène à être, par le biais de
commissions nationales et locales, les
propres recruteurs de leurs collègues.
Même si l’administration empiète de
plus en plus sur les prérogatives des
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Dossier
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29. Dans Structure et dynamique
des
organisations,
Henry
Mintzberg distingue cinq types
d’organisation. Dans Le Pouvoir
dans les organisations, il découvre
une sixième configuration : l’organisation missionnaire, qu’il reprend
dans Mintzberg H., Mintzberg on
Management. Inside Our Strange
World of Organizations, New York,
The Free Press, 1989. Trad.
franç., Le Management, Paris, Les
Éditions d’organisation, 1990.
Cette configuration est structurée
autour d’une enveloppe sociale
appelée idéologie ou culture. C’est
le cas des entreprises qui, derrière
une structure classique, utilisent
dance de l’Agence étant cependant
garantie par celle des professionnels qui
la composent).
Il est vrai que l’accréditation est entrée
en force avec la réforme Juppé de
1996, mais il faut dire que la France
avait, sur ce plan, un retard considérable par rapport aux États-Unis ou au
Canada qui avaient développé une
culture de l’accréditation depuis
plusieurs dizaines d’années. Cette
démarche qui, rappelons-le, est spécifique au monde hospitalier, qui intro-
en fait des éléments structurels
pour mobiliser leur personnel. On
y trouve notamment les organisations réformatrices, qui ont pour
objectif de changer le monde directement (par exemple une fondation
pour la lutte contre la paralysie
infantile), celles qui ont pour but
la conversion (Les Alcooliques
anonymes, etc.) et les cloîtres. Le
mécanisme est alors la standardisation des normes (« On tire tous
ensemble et dans le même sens»)
(Mintzberg H., Le Management,
op. cit., pp. 319-339).
30. L’UER Travail et études sociales
à l’université de Paris I Panthéon-
modernes de gestion des personnels
comme n’importe quel autre type
d’entreprise, mais il se doit en même
temps de tenir compte de la spécificité
du statut et du travail des personnels.
C’est ainsi que nous avons été amenés,
au cours d’un travail d’équipe, à étudier
la question de la gestion des âges, déjà
développée dans le monde de l’entreprise, dans une structure hospitalière,
en nous intéressant plus particulièrement au vieillissement du personnel
soignant 32.
Sorbonne de 1975 à 1981.
31. Steudler F., « L’évaluation :
mode ou raison ? », Journal
d’économie médicale, t.9, n° 6-7,
1991, pp. 279-288; id., «Aspects
sociologiques de l’évaluation en
santé», in Matillon Y., Durieux P.,
L’Évaluation médicale, Paris,
Médecine-Sciences, Flammarion,
2000, pp. 69-77.
32. Steudler F. (sous la direction
de), Vieillissement des personnels
soignants et travail à l’hôpital. Le
cas des Hôpitaux universitaires de
Strasbourg, Centre européen de
recherche en sociologie de la
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-
santé (CERESS), université des
sciences humaines de Strasbourg
et Hôpitaux universitaires de
Strasbourg (HUS), 4 tomes,
1997, 1997, 1997, 1998. Un
résumé de l’étude a été publié
sous forme d’article : Bourguet J.,
Brugière A., Delarchand C.,
Igersheim J., Kessler-Resch V.,
Penot A.-M., Steudler F.,
« Vieillissement du personnel
soignant. Cas des Hôpitaux
universitaires de Strasbourg »,
Information sur les ressources
humaines à l’hôpital (Direction
des hôpitaux - Ministère de
l’Emploi et de la Solidarité), n° 17,
septembre 1999, pp. 34-43.
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Droit
et jurisprudence
Actualités
Réflexions
hospitalières
Sur le web
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Tribune
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L’hôpital est une organisation
qui est toujours marquée
par une grande distance hiérarchique
entre les diverses catégories et statuts.
Cultures
et cité
L’hôpital est amené, pour faire face au
changement, à adopter des outils
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International
Importance de la gestion
prévisionnelle
des ressources humaines
En librairie
On ne saurait parler du management
hospitalier et en particulier de la participation des professionnels sans
évoquer le développement de l’évaluation depuis un certain nombre d’années
et la mise en place, comme nous
l’avons dit plus haut, par l’ordonnance
du 24 avril 1996 de l’accréditation, à
travers la création de l’Agence nationale
d’accréditation et d’évaluation en santé
(ANAES) faisant suite à l’Agence nationale pour le développement de l’évaluation médicale (ANDEM).
L’essor de l’évaluation nous paraît être
un véritable fait social qui reflète le
souci de nos sociétés développées de
programmer et de contrôler ce qu’elles
font en assurant la maîtrise des
dépenses de santé, en offrant une aide
duit l’autoévaluation dans le processus
et qui se distingue de la certification en
ce qu’elle n’est pas une validation de
procédures mais une évaluation de la
qualité d’une prestation conduite par
une profession qui fixe les objectifs,
apporte incontestablement dans le
monde de l’hôpital une nouveauté dans
la perception de son activité et est une
source potentielle de modification des
comportements intéressante à mesurer
par des études d’impact.
Offres
d’emploi
Enjeux de l’évaluation
et de l’accréditation
pour faire face à l’inflation des connaissances médicales et en éclairant les
choix pour répondre aux aspirations
démocratiques à la transparence 31.
Il est certain que l’introduction de
l’évaluation et de l’accréditation dans
une organisation comme l’hôpital risque
de susciter des craintes de la part de
professionnels qui peuvent redouter de
voir remise en question leur indépendance professionnelle, bien qu’il ne
s’agisse pas d’un contrôle ou d’une
inspection. D’où certaines réactions
d’humeur face à l’ampleur d’une accréditation qui est obligatoire pour tous les
établissements hospitaliers et qui peut
apparaître comme un processus
étatique ou para-étatique (l’indépen-
Le management hospitalier de demain : approche sociologique
professionnels en ce qui concerne leur
pratique, néanmoins leur indépendance
- en tout cas celle des médecins car les
personnels paramédicaux sont sous la
dépendance hiérarchique du directeur reste très forte et elle est défendue au
nom de la déontologie et de l’exercice
de leur art. Il faut admettre, comme
nous-même avons pu le constater en
dirigeant une unité d’enseignement et
de recherche 30, que les organisations
professionnelles ne s’administrent pas
comme les autres et que si l’on prend
véritablement en compte leur spécificité, leur gestion peut se révéler tout
aussi intéressante, voire plus, que celle
des autres.
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Dans le cadre d’une recherche comprenant une étude sociodémographique,
une enquête statistique par questionnaires et une autre par interviews, nous
avons pu mettre en évidence le phénomène du vieillissement des personnels
soignants et analyser ses relations avec
le travail. En partant de l’idée que la
notion de travailleur vieillissant ne
concernait pas uniquement le domaine
de la physiologie, mais aussi ceux de
l’ergonomie et de l’organisation du
travail, nous avons pu constater l’importance des mesures concernant l’amélioration des tâches et l’aménagement des
postes pour prévenir l’usure des
soignants.
Nous avons aussi observé que l’avancée en âge ne s’accompagnait pas
seulement d’effets négatifs, mais aussi
de satisfactions diverses telles que
Il nous a semblé qu’on se trouvait à un
tournant où, les mécanismes d’autorégulation et les initiatives individuelles
ne suffisant plus, une véritable politique de prise en considération du
vieillissement s’imposait.
Un système qui reste
très hiérarchisé et cloisonné
L’hôpital est une organisation qui est
toujours marquée par une grande
distance hiérarchique entre les diverses
catégories et statuts, comme dans les
services médicaux où l’on trouve tous
les échelons qui vont de l’ASH jusqu’au
chef de service. Malgré un certain
nombre de transformations, les écarts
entre le sommet et la base demeurent
importants. Des coupures existent, par
exemple, entre médecins et personnels
paramédicaux, même si ces derniers
Reste à savoir si l’hôpital public,
face aux grands défis
auxquels il est confronté,
saura opérer un renouvellement
de son management.
l’acquisition d’une expérience et de
compétences qui mériteraient d’être
mieux reconnues et utilisées par l’institution. Diverses propositions ont pu être
présentées concernant la gestion prévisionnelle des ressources humaines :
stratégie d’embauches pour pallier les
départs à la retraite, les manques et les
déséquilibres, notamment dans les
âges ; meilleure utilisation du service
infirmier de compensation et de
suppléance (SICS) ; maîtrise plus efficace des effets de l’absentéisme ; incitation à la mobilité ; extension de la
formation et de la requalification; affectation d’une ou deux personnes à la
gestion des âges ou création d’une
cellule spécifique consacrée à ce sujet ;
amélioration des tâches et des
pratiques professionnelles (aménagement des conditions de travail et des
postes ; mesures pour une meilleure
adaptation du personnel plus âgé, utilisation des compétences des anciens).
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ont obtenu une place nouvelle dans
l’institution qui se traduit aussi par le
développement d’une hiérarchie
soignante de type administratif. Les
différentes réformes qui se sont succédé
ont plus contribué à un empilement de
statuts qu’à une réduction de ceux-ci.
Mais il est vrai que l’institution hospitalière est aussi un lieu où tout le
monde se côtoie dans une tâche collective, notamment lorsqu’il faut lutter
ensemble pour sauver un patient, les
barrières étant alors brisées.
L’hôpital, souvent accusé d’être une
mosaïque de services jaloux de leur
indépendance, est loin d’être devenu
cette « entreprise du troisième type »,
dont parlent Georges Archier et Hervé
Sérieyx, qui rejette l’atomisation des
tâches, développe la flexibilité, lutte
contre les cloisonnements, promeut les
structures souples à géométrie
variable 33. Les projets d’établissements
2 0 0 4
(définis notamment sur la base des
projets médicaux, des projets de soins
infirmiers, des projets sociaux, etc.), les
nouveaux découpages possibles de
l’hôpital par unités fonctionnelles,
services, départements, fédérations,
rendus possibles par la loi du 31 juillet
1991, etc., sont autant d’outils qui ont
déjà pu contribuer à instaurer une
nouvelle dynamique ; mais celle-ci ne
pourra vraiment se concrétiser que si
se réalise une mobilisation de tous
permettant la meilleure utilisation
possible de toutes les compétences et
de toutes les énergies.
A
près avoir mis en évidence les
caractéristiques de l’hôpital du
point de vue de ses missions et de ses
rapports avec son environnement, nous
avons analysé son fonctionnement
interne. Il nous est apparu que l’établissement était une organisation complexe
à buts et à acteurs multiples où les
professionnels jouaient un rôle important, ce dont il faut tout particulièrement
tenir compte dans une perspective
managériale. Si par certains côtés il est
possible de parler de l’hôpital comme
d’une entreprise, les particularités qu’il
présente nous conduisent à penser qu’il
est marqué par une certaine spécificité
et qu’on ne peut pas l’analyser exactement comme une autre organisation.
Reste à savoir si l’hôpital public, face
aux grands défis auxquels il est
confronté, en termes de démographie
médicale et soignante, d’évolution de la
clientèle et des pathologies, d’amélioration des diagnostics et des thérapeutiques, de régionalisation de la santé,
de mesure de l’activité de l’établissement et de son financement, saura
opérer un renouvellement de son management, prenant en compte les spécificités rappelées dans cet article.
■
33. Archier G., Sérieyx H., L’Entreprise
du 3e type, Paris, Seuil, 1984.
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