Le management hospitalier de demain Approche sociologique L

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N° 497 - Mars - Avril 2004
Revue hospitalière de France
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Le management hospitalier de demain: approche sociologique
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hospitalières Sur le web Droit
et jurisprudence Dossier
Le Centre européen de recherche
en sociologie de la santé
(CERESS) mène depuis de
nombreuses années des recherches sur
l’hôpital. Quelques éléments de réflexion
sur le management hospitalier sont déve-
loppés ici. On insistera plus particulière-
ment sur deux points: toute approche de
l’établissement de soins en termes
managériaux doit d’abord tenir compte
du fait que celui-ci n’est pas une orga-
nisation comme une autre et qu’il est
marqué par une certaine spécificité,
notamment au niveau de ses missions
et de ses rapports avec l’environnement;
ensuite, il est une structure complexe à
l’intérieur de laquelle interviennent des
groupes très divers, où les professionnels
jouent un rôle important mais où, sous
l’effet des transformations socio-cultu-
relles, la demande des usagers dans sa
triple dimension technico-médicale,
psychologique et sociale devra de plus
en plus être prise en considération, et
cela d’autant plus que l’institution joue
un rôle privilégié dans la lutte contre la
maladie, la souffrance et la mort.
François STEUDLER
Professeur de sociologie
Directeur du Centre européen de recherche
en sociologie de la santé (CERESS)
à l’université Marc-Bloch (Strasbourg II)
MOTS-CLÉS
hôpital
management
approche sociologique
structure externe
structure interne
L’hôpital n’est pas une organisation comme une autre. Structure
à buts et à acteurs multiples inscrite dans un environnement
spécifique, c’est une organisation que l’on peut qualifier
de «professionnelle» et qui, de ce fait, connaît des particularités
de fonctionnement. L’objectif de cet article est de prendre
en considération les enjeux de l’établissement et les rapports
de pouvoir qui le caractérisent, pour mieux comprendre les défis
auxquels il aura à faire face. Il est aussi de fournir quelques
éléments de réflexion sociologique, susceptibles d’apporter
un éclairage dans la conduite du management hospitalier
Le management
hospitalier de demain
Approche sociologique
L’hôpital face à ses missions
et aux attentes
de son environnement
Des buts et acteurs multiples
Pour reprendre la classification d’un
spécialiste du management comme
Henry Mintzberg, l’hôpital fait partie,
selon nous, des organisations dites «à
buts et à agents multiples1». Il s’agit
d’une structure complexe qui doit
répondre à des fonctions diverses (soins,
enseignement, recherche, prévention,
éducation sanitaire, etc.), ce que l’évolu-
1. Mintzberg H., Power In and Around
Organizations, Englewood Cliffs, New Jersey,
Prentice Hall, 1983. Trad. franç., Le Pouvoir
dans les organisations, Paris, Les Éditions
d’Organisation, 1986, pp. 53-55. Henry
Mintzberg est professeur de management à
l’université Mc Gill de Montréal. Il s’est fait
connaître sur le plan international par des
ouvrages qu’il a publiés dans les années 1980
sur les organisations et où il a en particulier
développé une typologie originale des organi-
sations à laquelle il est souvent fait référence.
tion n’a cessé de confirmer: la multi-
fonctionnalité, concrétisée officiellement
en ce qui concerne les soins, l’ensei-
gnement et la recherche par la création
des centres hospitaliers et universitaires
en 1958, s’étend à l’ensemble du
service public hospitalier. La pratique le
montre, ne serait-ce que de façon infor-
melle2. Divers textes juridiques l’ont
stipulé: la loi du 31 décembre 1970
portant réforme hospitalière, dans son
article 2, et celle du 31 juillet 1991, qui
apporte un certain nombre de précisions
et compléments en insistant sur la prise
en compte des aspects psychologiques
du patient, en ajoutant les soins pallia-
tifs aux soins préventifs et curatifs, en
accordant une attention particulière à
l’urgence et en introduisant l’évaluation.
Cette dernière trouvera une véritable
reconnaissance dans l’ordonnance du
24 avril 1996 portant réforme de
l’hospitalisation publique et privée qui
créera l’Agence nationale d’accrédita-
tion et d’évaluation en santé (ANAES)
et soumettra les établissements de
santé à une procédure d’accréditation.
La loi du 29 juillet 1998 d’orientation
relative à la lutte contre les exclusions
confie à l’hôpital une nouvelle mission
qui rejoint celle qu’il avait autrefois de
soutien des miséreux et des déviants:
la participation à la lutte contre les
exclusions.
Si ces buts peuvent se compléter harmo-
nieusement et être source de dyna-
misme, il leur arrive aussi d’entrer en
conflit, ce qui est à l’origine de blocages,
surtout dans les grandes institutions
comme les CHU où la triple fonction est
une réalité par opposition aux hôpitaux
non universitaires où une activité, celle
des soins, prédomine de fait.
Amitai Etzioni3a bien mis en évidence
le dynamisme spécifique mais aussi les
contradictions qui caractérisent les orga-
nisations à buts multiples. Celles-ci, par
rapport aux structures à but unique de
la même catégorie, bénéficient sur le
plan de l’efficacité de deux avantages.
L’un est lié à des facteurs extrinsèques:
les organisations à buts multiples sont
généralement situées dans des centres
urbains et elles bénéficient de cet envi-
ronnement. L’autre avantage corres-
pond à des facteurs intrinsèques: la
poursuite d’une mission fait progresser
celle des autres; la multiplicité des buts
favorise le recrutement; la combinaison
des tâches facilite le processus d’adap-
tation. Mais, revers de la médaille, des
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Réflexions hospitalières
L’hôpital, pris dans sa globalité,
est une grande entreprise,
mais n’a pas de stratégie de groupe.
limites apparaissent aussi: on observe
des pertes d’efficacité au niveau natio-
nal quand toutes les organisations du
même type poursuivent des objectifs
multiples; des conflits sont inévitables
du fait même de la diversité des
missions; des tensions surgissent au
sein des personnels parce qu’ils sont
pris entre plusieurs feux; le risque existe
qu’un but l’emporte totalement sur un
autre 4.
Dans divers travaux, nous avons essayé
de voir comment évoluaient les diffé-
rentes fonctions, lesquelles dominaient
à un moment, et pourquoi, quels
groupes tendaient à les développer ou
à les freiner, comment les personnels
essayaient de réaliser des arbitrages
entre des activités qui se cumulaient5.
Comme l’ont montré des sociologues de
l’organisation, tels que Michel Crozier6,
il n’y a pas «une» rationalité ainsi que
le pensait un ingénieur comme Taylor,
mais plusieurs. Elles coexistent et sont
représentées par des acteurs défendant
chacun des stratégies déterminées.
L’hôpital est à un véritable tournant de
la réorganisation et du financement de
ses missions. Certains pensent que la
crise actuelle «imposera une redéfini-
tion de l’ensemble des structures hospi-
talières avec, comme corollaire, une
réforme des systèmes de tarification
intégrant un financement des missions
sociales des établissements publics et
une participation, qui reste à inventer,
des médecins libéraux à l’ensemble du
système7» ; la Fédération hospitalière
de France, par exemple, défend l’idée
que le financement de la recherche et
de l’enseignement devrait se faire à
part, avec les autres missions sociales
et de service public. «Il s’agit d’isoler
deux masses financières distinctes, a
écrit Gérard Vincent: l’une, dédiée aux
missions sociales et de service public
telles que la recherche, l’enseignement,
les urgences, les statuts, ferait l’objet
d’un versement global; l’autre, consa-
crée à l’activité clinique, également
encadrée sur le plan macroécono-
mique, serait gérée par la facturation
à la pathologie 8
«Coalition externe»
de l’hôpital
Henry Mintzberg, dans Le Pouvoir dans
les organisations, distingue deux types
de détenteurs d’influence dans l’entre-
prise en général: les détenteurs
d’influence externe (la coalition externe)
et les détenteurs d’influence interne (la
coalition interne); les premiers sont
composés de cinq groupes: d’abord les
propriétaires, puis les associés, les four-
nisseurs, les clients, les partenaires et
les concurrents, ensuite les associations
ou syndicats d’employés suivis des
publics et enfin des administrateurs de
l’organisation (le conseil d’administra-
tion est situé à l’interface, mais comme
ses membres, dont un certain nombre
du reste viennent de l’extérieur, ne se
réunissent que par intermittence, il est
classé dans la coalition externe)9.
S’agissant de l’hôpital, celui-ci est en
relation étroite avec des acteurs
externes 10 tels que le maire dans les
établissements communaux (lequel,
malgré l’ordonnance du 24 avril 1996
précitée lui permettant de renoncer à la
présidence de droit du conseil d’admi-
nistration, garde le plus souvent cette
responsabilité), les directions départe-
mentales et régionales des affaires sani-
taires et sociales, le préfet, les orga-
nismes de Sécurité sociale, les fournis-
seurs, les médecins de ville, le public,
et surtout, depuis la réforme de 1996,
les agences régionales de l’hospitalisa-
tion (ARH).
Ces agences, qui ont trois missions
(mettre en place la politique régionale
d’offre de soins hospitaliers, analyser et
coordonner l’activité des établissements
de santé publics et privés, déterminer
les ressources) ont été créées pour
«instaurer une véritable instance de
planification, de régulation et de
contrôle, dont le directeur, nommé en
Conseil des ministres, pourra réaliser,
à l’abri des influences locales, les
restructurations jugées indispensables
et la répartition des moyens11 ». Par
leur rôle stratégique et leur apport
incontestable au niveau régional, elles
ont modifié le paysage hospitalier et
suscité en même temps une série de
craintes, notamment de la part des
directeurs d’hôpitaux qui, dès 1998,
dans une enquête réalisée par la
Conférence nationale des directeurs de
centre hospitalier (CNDCH), avaient
estimé, à une écrasante majorité, que
ces nouvelles structures allaient
«profondément bouleverser la fonction
de directeur d’hôpital», risquant de
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2. Ce n’est pas parce que des hôpi-
taux ne sont pas officiellement
universitaires qu’ils n’assument
pas, même si la fonction soins est
dominante, des missions, infor-
melles mais aussi parfois formelles,
d’apprentissage, de formation (des
personnels soignants, par exemple)
et de recherche (études de cas,
protocoles thérapeutiques, publi-
cations diverses, etc.).
3. Amitai Etzioni, né en 1929,
professeur à l’université Columbia
jusqu’en 1978 puis à la
Washington University en 1980,
s’est beaucoup intéressé à la
sociologie des organisations et des
professions au début de sa
carrière, dans les années 1960;
ses centres d’intérêt aujourd’hui
concernent davantage la socio-
économie (il a été l’un des fonda-
teurs de l’Association internatio-
nale de socio-économie dont il
sera le premier président en
1989-1990) et le mouvement
communautarien dont il est un
chef de file.
4. Etzioni A., Modern Organizations,
Englewood Cliffs, New Jersey,
Prentice Hall, 1964. Trad. franç.,
Les Organisations, Gembloux,
Duculot, 1971, pp. 32-36.
5. Steudler F., L’Hôpital en obser-
vation, Paris, Armand Colin,
1974 ; id., «L’arbitrage entre les
fonctions hospitalières du corps
médical», L’Hôpital à Paris, n° 61,
janvier-février 1982, pp. 225-229;
id., «Soins, enseignement et
recherche dans les structures
hospitalières», Recherches écono-
miques et sociales, n° 1,
1er trimestre 1982, pp. 39-58; id.,
Institutions de soins et professions
de santé. Soins, enseignement et
recherche dans les centres hospi-
taliers et universitaires, thèse pour
le doctorat d’État ès lettres et
sciences humaines, Paris, univer-
sité René-Descartes Paris V, 1984,
4 tomes.
6. Crozier M. et Friedberg E.,
L’Acteur et le système, Paris,
Seuil, 1977.
7. Nau J.-Y., «Hôpital public en
souffrance», Le Monde, 2 février
2000.
8. Vincent G. (propos recueillis
par Baulon S.), «Quel avenir pour
l’hospitalisation ? », Concours
médical, 19 juin 1999, p. 1970.
9. Mintzberg H., Le Pouvoir dans
les organisations,op. cit., pp. 71-
172.
10. Steudler F., «La communica-
tion à l’hôpital public; les acteurs,
les forces et les problèmes »,
Journal d’économie médicale,
t. 11, n° 6, 1993, p. 319.
11. Steudler F., « L’État et la
réforme hospitalière», Cahier du
CRESS (Centre de recherches et
d’études en sciences sociales ;
université des sciences humaines
de Strasbourg), n° 3, 1998,
p. 68.
réduire leur rôle «à un simple relais
administratif chargé de mettre en place
les décisions des ARH»; elles devraient
«être recadrées et recentrées sur les
deux missions stratégiques qui leur
sont dévolues par l’ordonnance du
24 avril 1996, à savoir la planification
et l’allocation de moyens», et en aucun
cas «devenir ni une strate supplémen-
taire de tutelle des hôpitaux publics ni
une administration de gestion12 ».
Complémentarité
et travail en réseau
L’hôpital de demain se situera dans un
réseau dont il sera un élément essen-
tiel, mais plus le seul. «Le réseau,
fondé sur la coordination de partenaires
travaillant de concert sur une aire
géographique donnée pour répondre le
mieux possible aux besoins du patient,
ne peut que renouveler un système de
soins marqué par l’isolement et l’atomi-
sation des structures, avons-nous écrit;
c’est une mise en question d’un côté
de l’hospitalo-centrisme et de l’autre de
l’éparpillement des médecins libéraux.
C’est une alternative aux entités
bureaucratisées et aux pratiques indi-
viduelles repliées sur elles-mêmes. Il
s’agit de faire le lien entre tous les
éléments de l’offre: hôpitaux, méde-
cins de ville, structures médico-sociales
grâce à une complémentarité sans
hiérarchie et sans concurrence.13 »
«L’hôpital, pris dans sa globalité, est
une grande entreprise, mais n’a pas de
stratégie de groupe», constate Gérard
Larcher, président de la Fédération
hospitalière de France, auquel répond
comme en écho le délégué général de
celle-ci, Gérard Vincent, qui déclare qu’il
doit «s’ouvrir sur le monde extérieur et
trouver, via des coopérations, des
regroupements ou des fusions, la
dimension critique lui permettant d’être
efficace14 ». La fongibilité des enve-
loppes financières devrait être le corol-
laire de la logique de réseau au niveau
régional. La coopération entre les acteurs
et les structures se traduit par l’émer-
gence, pour reprendre la terminologie
d’Émile Durkheim, d’une solidarité
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N° 497 - Mars - Avril 2004
Réflexions hospitalières
L’hôpital
et ses groupes internes
«Coalition interne»:
les pouvoirs à l’hôpital
Selon Henry Mintzberg, font partie de
la coalition interne: le PDG, les cadres
intermédiaires, les opérateurs, les
analystes de la technostructure, le
personnel de soutien logistique 19. En
ce qui concerne l’hôpital, on pourrait
montrer, dans une perspective un peu
différente, que coexistent plusieurs
groupes: l’administration, les médecins,
les personnels paramédicaux et sociaux,
les personnels techniques et ouvriers,
les usagers.
De nombreuses études sociologiques ont
essayé de cerner la particularité et
l’évolution des rapports entre les acteurs
dans l’hôpital. Charles Perrow par
exemple20, qui a publié dans les années
1960 une étude socio-historique d’un
hôpital de taille moyenne (Valley
Hospital) dans les Middleplains aux
États-Unis, a montré que l’organisation
était, à long terme, contrôlée par les
individus ou les groupes qui accom-
plissaient les tâches les plus difficiles et
les plus critiques, les premières étant
celles qui ne pouvaient pas devenir
routinières ou être confiées à une
personne n’ayant pas la compétence
suffisante, les secondes étant celles qui,
non pas entraîneraient la cessation de
fonctionnement de la structure si elles
n’étaient pas remplies, mais représen-
taient les problèmes spécifiques que
l’organisation rencontrait en raison de
son degré de développement, des condi-
tions du marché, des opérations
internes, etc. C’étaient dès lors les carac-
téristiques du ou des groupes devenus
dominants qui déterminaient les poli-
tiques et les buts organisationnels.
L’auteur montre que l’établissement
était passé par diverses phases: d’abord
«organique» selon laquelle le consen-
sus résulte de la différenciation des indi-
vidus qui sont objectivement plus
dépendants les uns des autres et qui ont
conscience de leurs différences, du fait
de la diversité des rôles sociaux15.
Les rapports qui s’établissent peuvent
être de deux types: « sociétaires »
(caractéristiques de la Gesellschaft,
c’est-à-dire de la «société» en allemand)
au sens de Ferdinand Tönnies 16, à
savoir marqués par la loi des intérêts et
de la codification des échanges par le
contrat, sens que l’on retrouve dans ce
que Max Weber appelle la «sociation»
(Vergesellschaftung), activité qui fait se
rejoindre les individus sur la base du
compromis ou de la coordination d’inté-
rêts, ou bien «communautaires» (rele-
vant de la Gemeinschaft, signifiant
«communauté » en allemand) chez
Ferdinand Tönnies selon lesquels les
membres s’identifient à la vie d’une
collectivité et sont associés par des liens
forts qui évoquent ceux d’une famille,
correspondant chez Max Weber à la
«communalisation» (Vergemeinschaftung),
c’est-à-dire l’activité unificatrice qui se
fonde sur le sentiment subjectif des
participants d’appartenir à une même
communauté17.
Cette coopération, qui ne se décrète pas
et implique beaucoup de négociations,
ne se limite pas à l’échelon purement
national, mais doit franchir les fron-
tières, comme nous avons essayé par
exemple de le montrer, dans le cas de
la coopération transfrontalière de part
et d’autre du Rhin supérieur, en mettant
en évidence l’importance que pourrait
revêtir une telle complémentarité, si elle
était analogue à celle qui existe déjà sur
le plan des échanges économiques, et
en recherchant les raisons des réussites
et des limites des expériences menées
en ce domaine18.
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celle de la domination du conseil
d’administration (1885-1929) en
raison de problèmes de financement
(notamment de lits non payants) et de
légitimation du type de prise en charge;
puis celle du pouvoir médical (1929-
1942), du fait des progrès de la science
médicale; ensuite c’était au tour de
l’administration de s’imposer (1942-
1952), en s’interposant entre les méde-
cins et les membres du conseil d’admi-
nistration, et en réalisant la centralisa-
tion des communications; enfin prenait
place un leadership multiple (1952-
1958), où un ou plusieurs groupes se
répartissaient le pouvoir21.
Le leadership partagé est bien ce qui
caractérise la nature actuelle des
pouvoirs à l’hôpital. D’une manière
générale, les observateurs ont été frap-
pés par le décalage entre l’organi-
gramme, trop inspiré du modèle tradi-
tionnel de l’entreprise, qui placerait le
conseil d’administration en haut de la
pyramide et les travailleurs hospitaliers
en bas, et la réalité; il existe, selon
l’analyse sociologique classique qui est
souvent citée en référence de Harvey
L. Smith, un double système d’autorité.
Tout semble se passer comme si les
personnels dans l’établissement étaient
pris entre deux feux: d’un côté l’impé-
ratif «financier », incarné par l’admi-
nistration, de l’autre la logique de
service représentée par les profession-
nels, notamment les médecins; en
termes weberiens, on pourrait dire qu’il
s’agit d’une sorte d’opposition entre
l’autorité «légale-rationnelle » du
bureaucrate et l’autorité «charisma-
tique» du professionnel-médecin22.
Il n’y a en fait pas d’opposition irréduc-
tible entre les deux types d’autorité, dans
la mesure où, comme nous avons
essayé de le montrer, une partie impor-
tante des professionnels est de plus en
plus impliquée dans des activités de
gestion. Ceci correspond à ce que nous
avons appelé une attitude «participa-
tionniste», opposée à celle, «traditiona-
liste», de ceux qui souhaitent rester
cantonnés dans leur activité de soins et
à celle, «hyper-professionnalisante», de
ceux qui estiment au contraire qu’il
revient aux médecins de gérer l’hôpital23.
Il nous semble qu’on assiste depuis
quelques années à la montée d’un troi-
sième pouvoir, celui des personnels
soignants. On a pu le voir à travers un
certain nombre de mouvements sociaux
infirmiers, revendiquant une véritable
reconnaissance. En témoigne la créa-
tion par la loi du 31 juillet 1991, dans
chaque établissement, d’un service de
soins infirmiers, dont la direction est
confiée à l’infirmier général24, membre
de l’équipe de direction et d’une
commission présidée par ce respon-
sable et composée des différentes caté-
gories de personnels du service de soins
infirmiers.
Se développe une attitude
«participationniste», opposée à l’attitude
«traditionaliste» de ceux qui souhaitent
rester cantonnés dans leur activité de soins.
12. « Les directeurs d’hôpitaux
critiquent les agences régionales»,
Le Quotidien du médecin,
31 mars 1998.
13. Steudler F., « De nouvelles
responsabilités relationnelles dans
le réseau : une évolution, une
révolution ? », La Lettre du
SNMG (Syndicat national des
médecins de groupe), mai 1999,
n° 100, p. 14.
14. Larcher G., Vincent G. (propos
recueillis par Gabillat C.), «Hôpital
public: définir une stratégie de
groupe», Le Quotidien du méde-
cin, 10 mars 2000.
15. Cette solidarité due à la divi-
sion du travail succède dans nos
sociétés, comme le montre Émile
Durkheim dans De la division du
travail social, à la « solidarité
mécanique » ou par similitude
faite d’« une répétition de
segments similaires et homo-
gènes». Sur l’application de cette
théorie ainsi que de celles de
Ferdinand Tönnies et de Max
Weber à l’hôpital, cf. notre article:
Steudler F., «L’opportunité de la
complémentarité hospitalière »,
Journal d’économie médicale,
1994, t. 12, n° 5, pp. 271-276.
16. Ferdinand Tönnies (1855-
1936), qu’on a pu considérer
comme un des pères de la socio-
logie allemande, est surtout connu
pour la distinction célèbre qu’il a
faite dans Communauté et société
(1887) entre les rapports
« communautaires » caractéris-
tiques des petites unités où préva-
lent l’affectivité et les liens orga-
niques et les rapports « socié-
taires » typiques de la société
moderne où prédomine la logique
de l’intérêt et du contrat.
17. Cf. Steudler F., «L’opportu-
nité de la complémentarité hospi-
talière», op. cit., pp. 272-273.
18. Steudler F., Thiry-Bour C., «La
coopération hospitalière transfron-
talière. Le cas de l’Alsace», Gestions
hospitalières, mai 1998, n° 376,
pp. 370-376.
19. Mintzberg H., Le Pouvoir
dans les organisations,op. cit.,
pp.173-206.
20. Charles Perrow, né en 1925,
professeur de sociologie dans
plusieurs universités des États-
Unis, s’est intéressé au fonction-
nement des entreprises et en parti-
culier aux buts et à la structure du
pouvoir dans les organisations.
21. Perrow Ch., «Goals and Power
Structure, A Historical Case Study »
in Freidson E. (ed), The Hospital in
Modern Society, New York, The Free
Press, 1963, pp.112-146. Voir aussi
Perrow Ch., « The Analysis of
Goals in Complex Organizations»,
American Sociological Review, 26,
December 1961, pp. 854-866.
22. Smith H.L., «Two Lines of
Authority: The Hospital’s
Dilemma», in Jaco E.G. (ed),
Patients, Physicians and Illness,
New York, The Free Press, 1958,
pp. 468-477. (Texte en partie
traduit sous le titre: Un double
système d’autorité: le dilemme de
l’hôpital,in Herzlich C., Médecine,
maladie et société, Paris Mouton,
1970, pp. 259-262).
23. Steudler F., «Hôpital, profes-
sion médicale et politique hospita-
lière», Revue française de sociolo-
gie, XIV, n° spécial 1973,
Sociologie médicale, p. 37; id.,
L’Hôpital en observation, Paris,
Armand Colin, 1974, pp. 214-
220. Sur les différentes logiques,
en particulier l’opposition entre le
modèle techno-bureaucratique
(médico-administratif) et le modèle
techno-professionnel (médico-
universitaire) et bureaucratico-
étatique (administratif et centralisé),
voir Steudler F., Institutions de
soins et professions de santé.
Soins, enseignement et recherche
dans les centres hospitaliers et
universitaires,op. cit., tome 1,
Problématique, situation actuelle et
méthodologie, p. 62. Id., «Santé,
politique et politiques de santé»,
Prospective et santé, n° 19,
automne 1981, «Enjeux de la
santé », p. 25.
24. Avec le décret du 19 avril
2002, ce responsable s’est vu
attribuer le titre de directeur des
soins, coordonnateur général des
soins, le corps de directeur des
soins étant maintenant constitué,
selon la formation d’origine, de
cadres issus de la filière infirmière,
de la filière de rééducation ou de
la filière médico-technique.
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