Regard sociologique sur les indicateurs qualité et sécurité dans la

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RENCONTRE DES METIERS DE LA SANTE :
MANAGEMENT DE LA QUALITE ET GESTION DES
RISQUES
Strasbourg, Palais de la musique et des congrès
28 et 29 mai 2009
Regard sociologique sur les indicateurs qualité et
sécurité dans la santé
François Steudler
Professeur de sociologie à l’Université de Strasbourg
(UdS)
En nous proposant de porter un regard sociologique
sur les indicateurs qualité et sécurité dans la santé, nous
verrons d’abord en quoi le recours croissant à ceux-ci
traduit
un besoin en profondeur
de nos sociétés
postindustrielles ou programmées, définies par Alain
Touraine par le type d’action qu’elles exercent sur ellesmêmes, de toujours mieux connaître et mesurer ce
qu’elles font. Même si cette préoccupation apparaît avec
un certain décalage par rapport à d’autres secteurs de
l’économie, elle est tout particulièrement visible aujourd’hui
dans le système de santé, où se multiplient des
évaluations et des contrôles pour des raisons d’efficience
et où se développent les mesures de sécurité que l’on est
en droit d’attendre dans « la société du risque », comme
l’appelle le sociologue Ulrich Beck, où s’accroissent, du fait
des innovations techniques, les situations d’incertitude et
de menaces, réelles ou supposées. On ne peut qu’être
frappé par l’extension en médecine du champ de
l’approche qualité et de la gestion des risques dans des
secteurs où l’on ne pensait pas que la mesure pourrait
s’appliquer de façon si méthodique, comme en témoigne
par exemple la création de nombreuses agences qui
doivent le jour à une volonté de développer l’évaluation
(ANDEM devenue ANAES puis HAS) ou à des inquiétudes
largement liées à des crises sanitaires (AFSSAPS,
AFSSA, AFSSE transformée en AFSSET, etc.). Tout ce
qui tourne autour des indices et de leur utilisation est
l’objet
d’enjeux
divers,
socio-culturels,
politico-
économiques et technico-professionnels, comme nous
avons nous-même essayé de le montrer en analysant les
facteurs de la promotion de la qualité de vie dans le
domaine de la santé.
En second lieu on peut s’intéresser à la façon dont
sont produits, diffusés et appliqués les outils d’évaluation,
d’information et d’alerte utilisés en matière de qualité ou de
sécurité. L’indicateur est un instrument d’aide à la décision
qui a été élaboré dans un contexte donné, dans le cadre
d’une démarche répondant à un objectif, et qui est le plus
souvent
le
fruit
de
concertations
entre
plusieurs
personnes, groupes et institutions. Il est ensuite l’objet
d’une réception et d’une adoption plus ou moins fortes
selon les types de groupes concernés, les modalités
d’association au changement, les flux de communication.
Toute
une
littérature
managériale
a
montré
que
l’information ne suffisait pas à induire des changements et
que la participation des personnes concernées, loin de
freiner ceux-ci, les favorisait. De nombreux travaux
sociologiques
caractéristiques
ont
mis
des
en
groupes
évidence
le
rôle
d’appartenance
des
(type
d’autorité, existence de leaderships, etc.), des relais et des
médiations. Il faut aussi tenir compte des aspects
socioculturels
des
changements
des
structures
organisationnelles et des pratiques professionnelles requis
et induits par l’approche qualité et la gestion des risques ;
celles-ci modifient plus ou moins la nouvelle logique
institutionnelle : elles obligent à agir et à piloter autrement ;
elles peuvent bouleverser les règles du jeu, voire les
pouvoirs établis. Ces démarches doivent donc s’inscrire de
manière équilibrée dans le fonctionnement du système de
santé, notamment à l’hôpital qui est caractérisé par une
certaine spécificité de sa division du travail et de ses
tâches par rapport à l’entreprise classique. Il faut tenir
compte des contraintes existantes et envisager souvent
des
formations
pour
faciliter
les
adaptations.
La
coopération de tous ne peut être acquise que si les
personnels se sentent en confiance, ont le sentiment d’être
écoutés lorsqu’ils font des remarques et émettent des
réserves sur certains points ; ils doivent avoir le sentiment
que les mesures adoptées ne renforceront pas la rigidité
du
système
et
n’aggraveront
pas
leurs
conditions
d’exercice, mais amélioreront finalement le fonctionnement
de l’établissement et offriront des garanties de sécurité.
L’information participative des professionnels leur permet
de mieux s’approprier les protocoles et procédures qu’on
met en place, comme on peut le voir par exemple avec la
généralisation du lavage des mains avec un soluté hydroalcoolique dans le cas de la lutte contre les infections
nosocomiales.
Enfin on peut s’interroger sur les apports et les limites
de l’utilisation des indicateurs qualité et sécurité. Si l’utilité
de
ceux-ci
semble
indiscutable,
la
question
est
socialement posée de savoir jusqu’où il faut aller, pour
éviter d’en arriver à une frénésie de construction d’indices
tous azimuts pouvant se révéler contre-productive. Sans
doute convient-il de toujours vouloir perfectionner les
instruments ; mais il est tout aussi important de s’interroger
à leur sujet sur les facteurs de réussite et d’échec, où la
dimension sociologique est très importante. Assurément le
risque zéro n’existe pas en matière de sécurité, mais
chaque incident ou accident doit pouvoir faire l’objet d’une
analyse approfondie mettant notamment en relief les
facteurs sociaux, car tout ne s’explique pas par le hasard
et le manque de moyens. Il faudrait aussi dénoncer une
certaine utilisation perverse des indicateurs : la tendance
par exemple à vouloir tout expliquer par des scores
généraux, précieux assurément, mais qui ne sauraient
rendre compte de la complexité de la réalité et dont on
tend à oublier qu’ils sont l’objet de choix de pondérations
dans leur construction ; on peut citer aussi les classements
des hôpitaux et des services hospitaliers, dont la presse
hebdomadaire est friande, qui, en fonction de critères
comme le taux de mortalité des patients, défavorisent les
unités de pointe qui ont proportionnellement plus de décès
précisément parce qu’elles prennent en charge les cas les
plus difficiles.
On sait, pour reprendre une distinction bien connue
(Robert Straus), qu’à côté d’une sociologie de la médecine
qui s’applique à voir le fait médical avec la distance de
l’observateur, il existe une sociologie dans la médecine qui
participe aux activités et aux décisions dans le domaine
sanitaire. Dans cette perspective, si l’on peut regarder de
l’extérieur les indicateurs qualité et sécurité, on ne doit pas
oublier ce que peut apporter la sociologie, par ses
concepts, ses méthodes et ses outils, dans la production,
la diffusion et l’application de ces mêmes indicateurs.
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