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Qui sont-elles ces « neuf petites filles » du texte de
Sandrine Roche?
STANISLAS NORDEY: Dans ce texte qui mêle dialogues et
commentaires, ce sont neuf petites filles réunies dans
une cour de récréation. Sandrine Roche a beaucoup
travaillé avec des enfants dans le cadre d’ateliers
théâtraux : elle a été frappée, effrayée parfois, par la
violence qui courait dans leur imaginaire. Alors
qu’elle devenait mère, son souhait était d’ausculter
ce soi-disant « âge de l’innocen ce ». De mon côté, je
me suis interrogé: qu’est-ce que c’est qu’un groupe
d’enfants ? Que reproduisent-ils du monde des
adultes et de leur dynamique d’exclusion, parce
qu’une fillette est trop grosse, ressemble à un gar-
çon, est sans parents ou vit avec un seul d’entre eux?
Comment avez-vous travaillé avec ces actrices ?
S. N.: Ce sont neuf actrices de 20 à 50 ans. Je leur ai
d’abord demandé de lire Sa majesté des mouches,
texte édifiant de William Golding sur les comporte-
ments des enfants en groupe. Puis il y a eu une part
de travail très personnel. Toutes sont, elles-mêmes,
filles, pour certaines mères, et chacune d’elles a fait
le pont avec sa vie, convoqué son enfance, réfléchi
sur la mémoire et le présent: la matière émotion-
nelle qui compose ce spectacle est forte.
Il y a de la tragédie et de la comédie dans cette
pièce…
S. N.: C’est un texte en apparence léger, acidulé, pétil-
lant comme du champagne, mais il a en effet quelque
chose de tragicomique, nous l’avons bien vu à la
création (au TNB de Rennes, en avril). Les specta-
teurs souriaient, voire riaient, et à d’autres moments
étaient absolument glacés. J’ai beaucoup joué, au ni -
veau des décors et costumes, sur des références rose
bonbon, avec ballons, petites robes peintes et
silhouettes dé coupées: un aspect très enfantin, qui
tranche avec la noirceur du propos.
À la création de Neuf petites filles, vous acheviez la
tournée de Par les villages de Peter Handke et
disiez avoir envie de sortir de cette somme pour
une forme plus légère…
S. N.: Cela n’a pas été si facile. L’écriture de Sandrine
Roche m’a désarçonné ; l’es thétique que j’ai choisie
est très différente de ce que je fais d’habitude: un
ensemble casse-gueule en somme, pas du tout une
récréation! Mais finalement quand je vais vers des
univers dont je ne suis pas coutumier, comme
Incendies ou La Puce à l’oreille, je suis plutôt content
du résultat. Cela me fait avancer dans mon travail de
metteur en scène.
Vous étiez très attaché à l’idée de réunir neuf
actrices sur scène, ce qui est rare.
S. N.: Ce n’était pas si facile, elles m’ont souvent épin-
glé en me disant : « Tu n’as rien compris à l’âme fémi-
nine » (rires). Mais j’ai depuis toujours pris soin de
trouver des rôles féminins, parce que je trouve qu’il
y a infiniment de merveilleuses actrices qui ne jouent
pas. C’est d’ailleurs un de mes grands chantiers au
Théâtre national de Strasbourg. J’aimerais qu’à la fin
de mon mandat autant d’hommes que de femmes
aient été sur le plateau. Neuf petites filles a certaine-
ment joué un rôle important dans cette réflexion…
Propos recueillis par Nedjma Van Egmond
CRUAUTÉ DE L’ENFANCE
Dans Neuf petites filles, neuf actrices mises en scène par Stanislas Nordey
disent un monde féroce, celui de l’enfance, qui porte en lui les prémices
de la violence adulte.