Paradivino (2006), le metteur en scène s’intéresse à chaque fois, et dans le même temps, 
à la tragédie incestueuse, à l’horreur politique et au fantasme violent. Avec Incendies, il 
peut représenter comment la marche du désir destinal articule l’inceste et le fantasme au 
dérèglement politique mondial. Wajdi Mouawad a inventé avec ce couple androgyne 
(Jeanne/Simon) les enfants d’un Œdipe moderne, qui serait Wahab le tortionnaire, et qui 
n’est autre que le fils de l’homme passionnément aimé par Nawal, mais abandonné, 
retrouvant sa mère sans le savoir avec l’une de ses prisonnières. Laurent Sauvage, fidèle 
compagnon des mises en scène de Stanislas Nordey, interprète ici cette incarnation désolée 
de l’absent désiré, condensant les figures d’amant, de fils, et de père, et qui est devenu le 
père et le frère de ses enfants. Les pères sont aussi les frères : cette proposition, sortie du 
contexte mythique de la tragédie et prise dans la fable contemporaine de Wajdi Mouawad, 
acquiert une force confondante, notamment en évoquant le fond du fantasme incestueux. 
Elle fait vibrer de sens archaïques inquiétants les valeurs de fraternité républicaine nées 
dans le régicide, comme celles des fratries politico-religieuses objectant aux Etats nations 
un totalitarisme fraternel masculin. Le désir inconscient incestueux semble se projeter au 
cœur de la modernité politique, pour y faire régner à grande échelle l’horreur œdipienne, 
ou encore la vengeance inconsciente des fils abandonnés. Wadji Mouawad s’intéresse aux 
lendemains de la tragédie, au devenir des enfants amers qui en sont issus, pour qu’ils ne 
deviennent pas à leur tour des agents de la fatalité, et en particulier à leurs filles. De 
celles-ci Wajdi Mouawad dit qu’il leur faut désirer partir en quête de ce qu’elles sont. En 
fait, c’est leur mère qui porte ce désir et le leur transmet. 
La mère lègue deux lettres mystérieuses comportant des indices. Jeanne et Simon sont 
libres de ne pas les lire. Jeanne accepte, mais pas Simon dans un premier temps. Wajdi 
Mouawad représente là le caractère initiatique de toute quête de soi, comme la modernité 
du désir féminin. Il crée la figure de la « femme qui chante », Swada qui accompagna 
Nawal dans sa descente aux enfers, comme un double. En la faisant interpréter par la 
personnalité tumultueuse de Lamya Regragui, Stanislas Nordey surligne la force d’une 
féminité qui, dans la fable, est en première ligne, d’où qu’elle soit, portée par des actrices 
battantes : Véronique Nordey, Charline Grand, Claire Ingrid Cottanceau, Julie Moreau 
semblent en effet se battre tout à la fois pour le théâtre, pour elles-mêmes et quelque 
chose qui les dépasse, quand les interprètes masculins apparaissent plus désillusionnés 
(excepté Raoul Fernandez), et porteurs d’un désarroi infini. 
Dès le départ, les interprètes, tous en scène, jettent des regards mystérieux, tout en 
présentant les personnages qu’ils vont jouer. Raoul Fernandez, qui interprète le notaire, 
devient une sorte de maître de cérémonie quelque peu sorcier, le détenteur des sceaux. 
Puis Nordey opère dans la distribution des choix différents de ceux de Mouawad lors de la 
création, pour représenter un éternel retour, ou encore le monde dans le regard des 
enfants. La mère est diffractée entre une jeune femme, une femme et une femme mûre. 
Charline Grand, Claire Ingrid Cottanceau (créditée aussi pour sa collaboration artistique), 
Véronique Nordey figurent une trinité de l’éternel féminin. Dans Incendies, il n’y a pas de 
linéarité chronologique – les scènes du passé s’entrelacent aux contemporaines. Le passé 
est toujours présent et là. Le seul fil est celui du savoir se cherchant dans l’obscur. Frédéric 
Leidgens, par sa fragilité et sa douceur fortes de savoirs sensibles secrets, endosse à 
travers les nombreux personnages une seule et même figure, celle d’un guide, d’un Tirésias 
discret. La scénographie pose alors le plateau comme un espace-temps à traverser, 
toujours le même, celui des enfants qui, tant qu’ils n’ont pas résolu leur énigme, font du 
sur-place. Le parti pris de dépouillement adopté par Nordey n’est pas une figure de style (il 
a, dans d’autres de ses mises en scène, opté pour des décors) : par là, il fait « parler la 
parole », ou encore entendre que l’origine ne se retrouve qu’aux moyens de la parole, de 
l’enquête analytique, afin de reconstituer un récit, une narration. Si la dominante des 
lumières est la clarté, c’est aussi que Stanislas Nordey fait du théâtre l’action d’une mise à 
plat, d’une première écoute. La pièce est présentée comme une équation imaginaire, livrée 
à des spectateurs/auditeurs qui peuvent discerner l’apparition de l’obscur au travers d’une 
trame de répliques, de jeux de rôles et de lieux présentés clairement. La clarté de la mise 
en scène comme de cette diction des acteurs si particulière chez Nordey, reflétant le souci 
de s’adresser au public (à l’autre), acquiert ici une force non pas consolante, mais 
lénifiante. Les costumes sobres, en noir et blanc, et la dignité des acteurs en scène 
semblent provenir d’un au-delà de l’analyse et du récit. L’élaboration d’un espace commun, 
ici par le travail théâtral, semble suggérer la possibilité non pas de sortir de l’inceste mais 
d’en partir. Le silence qui s’empare des enfants, une fois découverte leur origine, n’est pas 
un mutisme, mais toute la profondeur d’un savoir qui sait être parti d’une ignorance. C’est 
aussi le vertige devant la question qui se pose dès lors à eux : que désirent-ils maintenant 
qu’ils savent ? Désirent-ils seulement ?  
 
Le désastre incestueux et l’effondrement de l’Amérique 
En adaptant un roman de Kathy Acker datant des années 1980, Sang et stupre au lycée, 
Patricia Allio choisit, quant à elle, de porter un regard différent sur l’inceste, quasi sadien. 
La figure de la mère est éliminée, comme souvent chez Sade. Le personnage de Janey se