Anomalies du complexe de la télomérase en pathologie

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Revue
Hématologie 2006 ; 12 (4) : 267-73
Anomalies du complexe
de la télomérase
en pathologie hématologique
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017.
Telomerase complex defects in hematological diseases
Delphine T. Marie-Egyptienne1,2
Chantal Autexier1,2,3
1
Centre Bloomfield de recherche
sur le vieillissement,
Institut Lady Davis
de recherches médicales,
Hôpital général juif
Sir Mortimer B. Davis,
3755 chemin Côte Sainte Catherine,
Montréal, Québec, Canada, H3T 1E2
2
Département d’anatomie
et de biologie cellulaire,
3
Département de médicine,
Université McGill, 3640 rue Université,
Montréal, Québec, Canada, H3A 2B4
<[email protected]>
Résumé. Les télomères, ou extrémités des chromosomes linéaires, consistent en
séquences riches en G, dont la structure et l’intégrité sont maintenues par deux
complexes, connus sous les noms de « shelterin » et « télomérase ». La télomérase
humaine est composée d’un ARN, appelé hTR, qui sert de matrice pour la synthèse
de l’ADN télomérique, et d’une protéine, appelé hTERT, qui fonctionne comme
transcriptase inverse. Le complexe de la télomérase comprend aussi plusieurs
protéines associées, dont la dyskérine, une protéine impliquée dans la production
des ribosomes. La dyskératose congénitale et les pathologies hématologiques
associées sont essentiellement des maladies causées par une perte du maintien des
télomères, engendrées par des défauts dans la dyskérine, hTR ou hTERT. Cette
synthèse a pour objectif de faire le point sur les éléments biologiques, fondamentaux et cliniques de la dyskératose congénitale et les pathologies hématologiques
associées.
Mots clés : télomérase,
haploinsuffisance
télomères,
telomeres,
Télomères et télomérase
Hématologie, vol. 12, n° 4, juillet-août 2006
congénitale,
dyskérine,
Abstract. Telomeres, the ends of linear chromosomes, consist of G-rich sequences
whose structure and integrity are maintained by two complexes, “shelterin” and
“telomerase”. Human telomerase is composed of an RNA molecule, termed hTR,
which serves as a template for the synthesis of telomeric sequences, and a protein
component, termed hTERT, which functions as a reverse transcriptase. The telomerase complex contains a number of associated proteins, including dyskerin, which
is implicated in ribosome production. Dyskeratosis congenita and related haematological pathologies are currently accepted as diseases of dysfunctional telomere
maintenance, resulting from defects in dyskerin, hTR or hTERT. The objective of this
review is to present the current view on the biological, fundamental and clinical
aspects of dyskeratosis congenita and related haematological pathologies.
Key words: telomerase,
haploinsufficiency
Tirés à part :
C. Autexier
dyskératose
Les télomères sont des répétitions en
tandem de courtes séquences riches en
guanine (TTAGGG chez l’humain) complexées à des protéines, situés à l’extrémité des chromosomes eucaryotes
linéaires. Ils protègent ces derniers
dyskeratosis
congenita,
dyskerin,
contre la recombinaison, la fusion ou
leur reconnaissance comme cassure de
l’ADN double brin [1, 2]. Parce que la
machinerie de réplication semiconservative conventionnelle est incapable de répliquer indépendamment les
télomères, ceux-ci raccourcissent de
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50 à 200 nucléotides à chaque division cellulaire. Pour
contrer cette perte, de nouvelles séquences télomériques sont
générées de novo par une transcriptase inverse spécifique
aux télomères, la télomérase. Cette protéine est constituée de
deux composantes essentielles : la sous-unité catalytique,
TERT (hTERT chez l’humain) et la sous-unité ARN, TR (hTR chez
l’humain) contenant une matrice de quelques nucléotides
(5’-CUAACCCUAAC-3’ chez l’humain) qui sera transcrite
pour générer les répétitions télomériques (figure 1) [1, 3, 4].
hTR comporte quatre régions distinctes. Le domaine
matrice/pseudonoeud et le domaine conservé 4-5 ou CR4CR5, tous deux impliqués dans la liaison à hTERT, sont
critiques pour l’activité catalytique et l’assemblage de
l’enzyme, respectivement. La boîte H/ACA et la région
conservée 7 ou CR7 sont importantes pour la stabilité et la
biogénèse de l’ARN. hTERT, quant à elle, peut être divisée en
trois régions (figure 2). Le domaine N-terminal (NT) inclut des
motifs de liaison à l’ARN de la télomérase. Cette région, ainsi
que la région C-terminale (CT) contiennent des séquences
importantes pour l’activité catalytique de la télomérase et
pour le maintien des télomères. Le domaine central inclut les
motifs de transcriptase inverse (TI), (1, 2, A, B’, C, D, E) qui
caractérisent les transcriptases inverses prototypiques et qui
sont essentiels à l’activité de cette enzyme et donc au maintien des télomères. Plusieurs recherches indiquent que de
multiples protéines s’associent à la télomérase et suggèrent
une implication de ces dernières dans l’assemblage de
l’enzyme, la modification post-traductionnelle de hTERT, la
localisation et la fonction enzymatique du complexe. De
manière intéressante, parmi les protéines associées à la
télomérase, on retrouve la dyskérine, qui se lie à la boîte
consensus H/ACA que possède la sous-unité ARN hTR dans
sa région 3’ [5] (figures 1, 3).
Alors que la télomérase est inactive dans la plupart des
cellules somatiques du corps humain, elle est active dans les
cellules à haut taux de prolifération et de renouvellement. Plus
précisément, la télomérase est détectée dans des cellules où
la prolifération est illimitée, telles que des cellules cancéreuses, mais aussi dans des cellules et des tissus où la prolifération est requise pour un fonctionnement normal, telles que les
cellules germinales, les lymphocytes et les cellules hématopoïétiques [6, 7]. Bien que les télomères de ces dernières
raccourcissent à chaque division, la télomérase est essentielle
à leur fonction, puisque des cellules souches hématopoïétiques provenant de souris délétées de la télomérase sont
atteintes dans leur capacité de repopulation et de prolifération [8].
Présentation clinique et génétique
de la dyskératose congénitale
268
La dyskératose congénitale (DC) est une maladie humaine
héréditaire d’aplasie médullaire pouvant être considérée
comme une maladie de vieillissement précoce [6, 9].
La présentation clinique est très hétérogène. Les symptômes
apparaissent dès l’enfance et incluent des atteintes cutanées,
une dystrophie des ongles, la présence d’ulcérations buccales, et l’apparition de plaques de leucokératose. La maladie
peut aussi être caractérisée par la canitie et la perte de
cheveux, une ostéoporose précoce, une cirrhose hépatique,
de l’hypogonadisme, un retard de développement, de la
déficience mentale et des anomalies diverses (dentaires, ophtalmiques, urogénitales). Des complications pulmonaires et
une susceptibilité au développement de divers cancers (de la
peau, des muqueuses, de l’œsophage, lymphomes) sont des
causes courantes de mort précoce. Par contre, la pancytopénie due à une défaillance médullaire est la cause principale
du décès, entre 16 et 50 ans. Considérant que la maladie
touche surtout les tissus à renouvellement rapide comme la
peau et la moelle osseuse, il n’est peut-être pas surprenant
que cette maladie soit liée à la perte de maintien des
télomères, phénomène associé à la division de cellules
humaines normales.
D’autres maladies reliées aux syndromes du tissu médullaire
comme la DC incluent le syndrome du Hoyeraal-Hreidarsson
(SHH), syndrome myélodysplasique (SMD), hémoglobinurie
paroxystique nocturne (HPN) et l’anémie aplastique (AA) [6,
9]. L’AA est due à une incapacité des cellules de moelle
osseuse à proliférer et à produire un nombre adéquat de
cellules sanguines matures. Le SHH est une forme sévère de la
DC. Les signes cliniques du SHH se manifestent au cours des
deux premières années suivant la naissance et incluent une
ataxie cérébelleuse, une insuffisance médullaire progressive,
de l’immunodépression, un retard de développement, et des
anomalies intestinales suivis d’une mort précoce avant l’âge
de cinq ans. Le SMD est un désordre clonal des cellules
souches hématopoïétiques caractérisé par une hématopoïèse
inefficace et une cytopénie périphérique. Le HPN est un
désordre sanguin clonal associé à une anémie aplastique qui
se caractérise par la présence d’un ou plusieurs clones de
cellules sanguines ne possédant pas les protéines ancrées au
glycosylphosphatidylinositol (GPI) à cause d’une mutation
somatique dans le gène PIGA.
Trois formes de transmission de la DC existent. La forme la
plus sévère et courante est due à des mutations du chromosome X dans une région codant pour la protéine dyskérine.
Chez l’humain, aussi bien que chez la levure Saccharomyces
cerevisiae, la drosophile et le rat, la dyskérine est associée à
des ARNs dits de type H/ACA, contenant deux éléments
conservés appelés boîtes H et ACA. D’autres protéines se
lient à ces ARNs et forment ainsi des complexes, dénommés
snRNP H/ACA qui sont impliqués dans une étape essentielle
de la maturation des ARNs ribosomiques, la conversion
d’uridine en pseudo-uridine. Présentement, 39 mutations,
principalement faux-sens, dans le gène codant pour la dyskérine ont été identifiées chez les patients atteints de DC et SHH
[6, 9, 10] (figure 3). Deux formes de DC à transmission
autosomique, dominante ou récessive ont aussi été décrites.
Hématologie, vol. 12, n° 4, juillet-août 2006
Domaine CR4-CR5
Sous-unité ARN de la télomérase (hTR)
451 nucléotides
G305A
(AA)
délétion jusqu’au nt
316 (SMD)
Substitutions
Délétions
G322A
(SMD)
Délétions de quelques nucléotides
Limites des domaines
U
A
G288A
(AA)
C116U (AA)
C204G
(AA)
A117C (AA)
Domaine matrice/pseudonœud
G450A (AA)
5'
boîte H
3'
G143A
(AA/SMD)
boîte ACA
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nt: nucléotide
CAAUCCCAAUC
Domaine de la boîte
H/ACA
Matrice
C72G
(AA)
U
G58A
(AA/SMD)
A48G
(DC)
C408G
(DC)
3’
5’
délétion à partir
du nt 377 (DC)
3’
Domaine CR7
5’
Matrice
CAAUCCCAAUC
GTTAGG G
centromère
T
T
G
A
ADN non télomérique
(TTAGGG)n
(CCCTAA)n
GTTAGG ADN télomérique nouvellement synthétisé
sous-unité ARN de la télomérase, hTR
sous-unité catalytique de la télomérase, hTERT
Figure 1. Structure secondaire de hTR, où sont indiquées les différentes variations de séquences hétérozygotes rapportées pour les cas
de DC, AA, HPN et SMD. Les domaines de hTR (matrice/pseudonoeud, CR4-CR5, boîte H/ACA et CR7) sont signalés par des lignes
pointillées (d’après [9, 10]). En encart, représentation schématique du mécanisme de synthèse des télomères par la télomérase (d’après
[34]).
269
Hématologie, vol. 12, n° 4, juillet-août 2006
A202T
H412Y
V694M Y772C
K902N
P721R
hTERT 127 kDa
T
1 2
A
NT
V1090M
R979W
B’ C D
E
CT
motifs TI
Site actif
Maintien des télomères
Activité catalytique
Liaison à l’ARN
Maintien des télomères
F1127
Activité catalytique
Maintien des télomères
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Figure 2. Représentation linéaire de hTERT (127 kDa ; 1132 acides aminés). Le schéma inclut les motifs de transcriptase inverse (1, 2, A,
B’, C, D, E), un motif spécifique à la télomérase (T), et les neuf mutations identifiées jusqu’à présent. La région N-terminale (NT) inclus des
motifs de liaison à l’ARN de la télomérase, hTR, et la région NT ainsi que la région C-terminale (CT) incluent des séquences importantes
pour l’activité catalytique de la télomérase et le maintien des télomères (d’après [11-13]).
DC et télomérase
niveau d’expression de hTR ainsi que l’activité catalytique de
l’enzyme étaient réduits par rapport à des cellules contrôles
saines, alors qu’aucune anomalie n’était détectée quant à
l’accumulation ou la fonction des ARNs conventionnels
H/ACA [5]. Conséquemment, les télomères des cellules de
ces patients atteints de DC étaient plus courts que les télomères des cellules contrôles normales [5]. Quelques années plus
tard, en 2001, la démonstration que la forme autosomale
dominante de la DC (AD-DC) était causée par des mutations
présentes au sein même du gène hTR a été apportée [14].
Tout comme dans l’étude de 1999, les télomères des patients
atteints de la forme autosomale dominante de la DC étaient
significativement plus courts que ceux des sujets normaux
[14].
Il y maintenant sept ans qu’un rôle pour la télomérase dans la
pathologie de la DC a été mis en évidence. En 1999, il a été
démontré que dans des lymphocytes primaires de patients
souffrant de la forme liée au chromosome X de la DC, le
Depuis, d’autres études ont rapporté que des mutations
présentes dans hTR, et plus récemment dans hTERT, les deux
sous-unités essentielles de la télomérase, étaient trouvées
dans la forme de DC à transmission autosomique dominante
Actuellement, 21 mutations dans le gène codant pour hTR ont
été décrites chez les patients atteints de la forme à transmission autosomique dominante de DC (AD-DC), AA, SMD, et
HPN [6, 9, 10] (figure 1). Neuf mutations faux-sens dans le
gène codant pour hTERT ont été décrites chez des patients
atteints de l’AA et du SHH [11-13] (figure 2). Peu de données
sont disponibles concernant la forme de DC à transmission
autosomique récessive, mais récemment, deux mutations
dans le gène codant pour hTERT ont été identifiées chez des
patients démontrant une transmission autosomique récessive
apparente [10].
Q31K
Q31E
F36V
L37del
I38T
K39E R65T
P40R T66A
E41K T67I
A2V K43E H68Q
P10L T49M L72Y
R158W
S121G
K314R
L317F
L321V
S280R R322Q
P384L
P384S
A386T
L398P
M350T
G402E
M350I
G402R
A353V
T408I
P409L
T357A
S420Y
D359N
493-514del
Dyskérine 57 kDa
NL
270
TruB
PUA
NL
Figure 3. Représentation linéaire de la dyskérine (57 kDa ; 514 acides aminés). Le schéma inclut les motifs de localisation nucléaires (NL)
(acides aminés 11-20 et 446-458), deux domaines de pseudo-uridine synthase, TruB et PUA (acides aminés 107-247 et 296-371), et 39
mutations identifiées jusqu’à présent. del : délétion (d’après [6, 10]).
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[6, 9, 13, 15-17]. Mais l’AD-DC n’est pas la seule pathologie
hématologique présentant des mutations dans la sous-unité
ARN de la télomérase. Des études de patients présentant des
formes apparemment acquises ou conventionnelles d’AA et
de patients souffrant du SMD ont démontré la présence de
variations de séquences hétérozygotes dans le gène codant
pour hTR dans environ 10 à 15 % des patients atteints
[17-20]. De plus, comme pour l’AD-DC, les cellules sanguines
de ces patients présentaient des télomères significativement
plus courts que ceux de cellules sanguines contrôles [17-20].
Des études subséquentes analysant des patients souffrant de
l’AA ou de DC ont mises à jour des mutations dans hTERT,
certaines silencieuses, d’autres vraisemblablement responsables des défauts observés au niveau de la taille des télomères
de ces patients [10-13].
Les mutations dans hTR répertoriées pour l’AD-DC, l’AA et le
SMD, toutes des substitutions ou des délétions, se retrouvent
dans quatre régions de cet ARN : le domaine
matrice/pseudonoeud, le domaine CR4-CR5, la boîte
H/ACA et la région CR7 (figure 1) [3]. Les effets de ces
mutations sur la fonction de l’enzyme peuvent être divisés en
deux groupes. Dans le groupe I, les mutations touchent les
domaines matrice/pseudonoeud et CR4-CR5, certaines se
trouvant parfois directement dans la matrice (figure 1). Ces
deux domaines sont critiques pour l’activité catalytique et
l’assemblage de l’enzyme, respectivement. Des études de
reconstitution in vitro de certaines de ces télomérases mutantes ont démontré que les mutations décroissaient l’activité
catalytique de l’enzyme [3]. Par exemple, la mutation GC
107/8 → AG (figure 1) favorise la transition de la structure
en pseudonoeud à une structure stable en tige-boucle
[21-23]. Cette structure stable pourrait expliquer la perte
d’activité de la télomérase reconstituée avec cet ARN muté,
alors incapable de maintenir les télomères [24]. Dans le
groupe II, les mutations touchent la boîte H/ACA et/ou la
région CR7, importantes pour la stabilité et la biogénèse de
l’ARN. Une des premières mutations décrites pour l’AD-DC
tombe dans cette deuxième catégorie : les derniers 74
nucléotides de hTR sont délétés (figure 1), causant un défaut
d’accumulation de l’ARN [14].
Quant aux mutations faux-sens touchant la transcriptase
inverse de la télomérase, elles se situent dans les trois
domaines de la protéine : il en a été dénombré deux dans le
domaine NT, quatre dans les motifs de TI et trois dans la
région CT (figure 2). Comme pour hTR, la majorité de ces
télomérases mutantes ont été reconstituées in vitro, ce qui a
permis de déterminer que les mutations causaient une réduction ou une inhibition totale de l’activité catalytique de
l’enzyme [12, 13].
Dyskérine
La DC et maladies associées semblent être principalement
dues à une perte du maintien des télomères, du moins pour la
forme autosomique dominante de la maladie. Pour la forme
Hématologie, vol. 12, n° 4, juillet-août 2006
liée au chromosome X, les phénotypes pourraient s’expliquer
par un rôle de la dyskérine au-delà de celui de protéine
associée à la télomérase. Contrairement aux souris dépourvues de télomérase, qui sont viables pour plusieurs générations jusqu’à l’épuisement critique des télomères (initialement
long), un manque d’expression de la dyskérine chez la souris
cause la mort embryonnaire [25]. Par contre, des souris
transgéniques possédant des niveaux réduits de dyskérine
reproduisent dès la première génération les symptômes de la
dyskératose congénitale humaine [26]. Les défauts de maturation des ARN préribosomiques, incluant la conversion
d’uridine en pseudo-uridine précèdent la manifestation de la
maladie chez ces souris, tandis que les effets sur le maintien
des télomères, engendrés par une réduction des niveaux de
la sous-unité ARN de la télomérase de la souris, mTR et de
l’activité de la télomérase ne sont observés qu’après plusieurs
générations. Ces résultats suggèrent qu’une dysfonction des
ribosomes pourrait être la cause principale de la forme de
DC liée au chromosome X. Néanmoins, quoique le modèle
animal décrit ci-dessus récapitule les symptômes observés
chez les patients atteints de la DC, les modifications génétiques de la dyskérine rencontrées chez les patients n’avaient
pas été introduites chez des souris pour en étudier les effets.
Cette lacune a été comblée depuis peu, lorsque les groupes
de M. Bessler et P.J. Mason ont créé des lignées de cellules
souches murines possédant des mutations ponctuelles dans le
gène codant pour la dyskérine [27]. La mutation A353V, la
plus fréquente chez les patients atteints de la dyskératose liée
au chromosome X, se retrouve dans le domaine pseudouridine synthase (PUA), qui est aussi un motif de liaison à
l’ARN (figure 3). Quant à la mutation G402E, identifiée chez
une seule famille, elle est située dans une région de la
dyskérine qui n’a pas été caractérisée fonctionnellement.
Cette étude nous donne aussi des indices sur l’importance de
la fonction ribosomale de la dyskérine pour la DC. En effet,
ces auteurs ont trouvé que la mutation A353V, mais non la
mutation G402E, mène à une déstabilisation de mTR, à une
réduction de l’activité de la télomérase, et à une diminution
de la taille des télomères. Par contre, bien que les deux
mutations engendrent des défauts de modification des uridines et de maturation des ARNs préribosomiques, les snRNPs
affectés diffèrent dans les deux lignées.
Comment raccommoder ces derniers résultats avec ceux du
groupe de K. Collins, où aucun défaut d’accumulation des
snRNAs H/ACA, de pseudo-uridylation ou de maturation des
ARNs préribosomiques n’ont été observés dans des cellules
primaires dérivées de patients atteints de la dyskératose liée
au chromosome X [5] ? Les effets des mutations étudiées par
le groupe de K. Collins, qui se situent dans la région
N-terminale de la dyskérine diffèrent peut-être de ceux des
mutations A353V et G402E. M. Besser et P. Mason proposent que de faibles effets sur la pseudo-uridylation ou la
maturation des ARNs préribosomiques pourraient être difficile à détecter, citant la nécessité d’utiliser une méthode
sensible de pulse-chase pour observer des différences dans la
271
maturation des ARNs préribosomiques [27]. Il est aussi
important de noter que la présentation clinique, même chez
les patients ayant la même mutation, est très hétérogène,
soulignant une contribution probable de facteurs génétiques
ou mésologiques additionnels. Des études biochimiques plus
approfondies seront certainement nécessaires pour comprendre les effets des mutations dans la dyskérine chez les
patients atteints de la DC liée au chromosome X.
Haploinsuffisance ?
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Toutes les mutations de hTERT et hTR rencontrées dans la
forme autosomique dominante de la DC sont des variations
de séquences hétérozygotes, ce qui est suffisant pour causer
le phénotype de DC et de l’AA [28]. Restait à découvrir par
quels mécanismes les mutations agissaient : par effet dominant négatif, où le produit du gène muté inhibe la fonction
globale du gène en interférant avec le produit du gène
sauvage ou par effet d’haplo-insuffisance, lorsque la moitié
de la quantité normale d’un gène n’est pas suffisante pour
soutenir la fonction [28, 29]. Un premier indice est venu de
délétions découvertes dans hTR pour lesquelles aucun produit
de l’allèle muté ne pouvait être détecté, rendant ainsi l’effet
dominant négatif improbable [6, 14]. C’est par des études
de reconstitution in vitro où les deux formes mutée et sauvage
de hTR ou de hTERT ont été mises en présence, qu’il a été
démontré que les phénotypes de ces maladies hématologiques étaient dues à un effet d’haplo-insuffisance [12, 13, 24,
29]. Cette haplo-insuffisance se traduit par un défaut de
maintien des télomères, qui raccourcissent avec les divisions
et les générations, conduisant à un phénomène jusqu’à
présent uniquement observé dans des désordres neurauxdégénératifs : l’anticipation génétique [13, 15, 30]. Les
générations acquérant les mutations se retrouvent avec des
télomères de plus en plus courts et une télomérase incapable
de fonctionner, ce qui conduit à une apparition plus précoce
des symptômes de la maladie et à une aggravation des dits
symptômes [6, 13].
Conclusion
272
La télomérase est active dans les cellules et les tissus se
renouvelant souvent et rapidement, tels les kératinocytes, la
couche basale de l’épiderme, les spermatogonies, les cellules de la crypte de l’intestin, les follicules pileux, et les cellules
souches hématopoïétiques [6]. Un parallèle peut être fait
entre ces tissus, où la télomérase est active, et les tissus
affectés par la DC. Là où la télomérase est déficiente, les
tissus ne peuvent se maintenir correctement et développent
des pathogénèses. De même, un parallèle entre les phénotypes de DC et ceux de souris délétées des deux allèles de la
sous-unité ARN de la télomérase peut être fait. Ces souris,
dont les télomères sont significativement plus longs que ceux
des humains, et où l’activité de la télomérase est abolie, ne
présentent aucune anomalie dans les premières générations
[31]. C’est lorsque leurs télomères sont devenus trop courts
pour maintenir la viabilité des cellules qu’elles développent
des anomalies notamment dans les tissus à haute prolifération : par exemple, leur hématopoïèse ainsi que la production de cellules intestinales et de peau sont affectées [31].
Aussi, des phénotypes similaires à ceux présents chez les
patients atteints de la DC sont observés chez des souris qui
héritent des télomères de plus en plus courts [32]. Il est donc
possible de conclure que des pathologies hématologiques,
comme l’AD-DC, l’AA, la SMD et la HPN soient dans certains
cas essentiellement dues à des désordres dans le maintien
des télomères.
Ces études ouvrent donc la voie à de nouvelles avenues
thérapeutiques pour le traitement de ces maladies. En effet,
lorsque la DC a été décrite pour la première fois, rien ne
laissait présager l’implication des télomères dans cette maladie. Il est maintenant reconnu que certaines formes de la DC,
ainsi que certains désordres hématologiques sont des maladies génétiques, dus à des mutations dans des gènes essentiels au maintien des télomères. L’homéostasie télomérique
est perturbée même pour la forme liée au chromosome X de
la DC. Ainsi, pour traiter ces maladies, nous devons maintenant nous tourner vers des moyens permettant de rétablir un
maintien des télomères adéquat, par exemple en utilisant une
thérapie génique ciblant la télomérase [33]. ■
RÉFÉRENCES
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