Revue Hématologie 2006 ; 12 (4) : 267-73 Anomalies du complexe de la télomérase en pathologie hématologique Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Telomerase complex defects in hematological diseases Delphine T. Marie-Egyptienne1,2 Chantal Autexier1,2,3 1 Centre Bloomfield de recherche sur le vieillissement, Institut Lady Davis de recherches médicales, Hôpital général juif Sir Mortimer B. Davis, 3755 chemin Côte Sainte Catherine, Montréal, Québec, Canada, H3T 1E2 2 Département d’anatomie et de biologie cellulaire, 3 Département de médicine, Université McGill, 3640 rue Université, Montréal, Québec, Canada, H3A 2B4 <[email protected]> Résumé. Les télomères, ou extrémités des chromosomes linéaires, consistent en séquences riches en G, dont la structure et l’intégrité sont maintenues par deux complexes, connus sous les noms de « shelterin » et « télomérase ». La télomérase humaine est composée d’un ARN, appelé hTR, qui sert de matrice pour la synthèse de l’ADN télomérique, et d’une protéine, appelé hTERT, qui fonctionne comme transcriptase inverse. Le complexe de la télomérase comprend aussi plusieurs protéines associées, dont la dyskérine, une protéine impliquée dans la production des ribosomes. La dyskératose congénitale et les pathologies hématologiques associées sont essentiellement des maladies causées par une perte du maintien des télomères, engendrées par des défauts dans la dyskérine, hTR ou hTERT. Cette synthèse a pour objectif de faire le point sur les éléments biologiques, fondamentaux et cliniques de la dyskératose congénitale et les pathologies hématologiques associées. Mots clés : télomérase, haploinsuffisance télomères, telomeres, Télomères et télomérase Hématologie, vol. 12, n° 4, juillet-août 2006 congénitale, dyskérine, Abstract. Telomeres, the ends of linear chromosomes, consist of G-rich sequences whose structure and integrity are maintained by two complexes, “shelterin” and “telomerase”. Human telomerase is composed of an RNA molecule, termed hTR, which serves as a template for the synthesis of telomeric sequences, and a protein component, termed hTERT, which functions as a reverse transcriptase. The telomerase complex contains a number of associated proteins, including dyskerin, which is implicated in ribosome production. Dyskeratosis congenita and related haematological pathologies are currently accepted as diseases of dysfunctional telomere maintenance, resulting from defects in dyskerin, hTR or hTERT. The objective of this review is to present the current view on the biological, fundamental and clinical aspects of dyskeratosis congenita and related haematological pathologies. Key words: telomerase, haploinsufficiency Tirés à part : C. Autexier dyskératose Les télomères sont des répétitions en tandem de courtes séquences riches en guanine (TTAGGG chez l’humain) complexées à des protéines, situés à l’extrémité des chromosomes eucaryotes linéaires. Ils protègent ces derniers dyskeratosis congenita, dyskerin, contre la recombinaison, la fusion ou leur reconnaissance comme cassure de l’ADN double brin [1, 2]. Parce que la machinerie de réplication semiconservative conventionnelle est incapable de répliquer indépendamment les télomères, ceux-ci raccourcissent de 267 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. 50 à 200 nucléotides à chaque division cellulaire. Pour contrer cette perte, de nouvelles séquences télomériques sont générées de novo par une transcriptase inverse spécifique aux télomères, la télomérase. Cette protéine est constituée de deux composantes essentielles : la sous-unité catalytique, TERT (hTERT chez l’humain) et la sous-unité ARN, TR (hTR chez l’humain) contenant une matrice de quelques nucléotides (5’-CUAACCCUAAC-3’ chez l’humain) qui sera transcrite pour générer les répétitions télomériques (figure 1) [1, 3, 4]. hTR comporte quatre régions distinctes. Le domaine matrice/pseudonoeud et le domaine conservé 4-5 ou CR4CR5, tous deux impliqués dans la liaison à hTERT, sont critiques pour l’activité catalytique et l’assemblage de l’enzyme, respectivement. La boîte H/ACA et la région conservée 7 ou CR7 sont importantes pour la stabilité et la biogénèse de l’ARN. hTERT, quant à elle, peut être divisée en trois régions (figure 2). Le domaine N-terminal (NT) inclut des motifs de liaison à l’ARN de la télomérase. Cette région, ainsi que la région C-terminale (CT) contiennent des séquences importantes pour l’activité catalytique de la télomérase et pour le maintien des télomères. Le domaine central inclut les motifs de transcriptase inverse (TI), (1, 2, A, B’, C, D, E) qui caractérisent les transcriptases inverses prototypiques et qui sont essentiels à l’activité de cette enzyme et donc au maintien des télomères. Plusieurs recherches indiquent que de multiples protéines s’associent à la télomérase et suggèrent une implication de ces dernières dans l’assemblage de l’enzyme, la modification post-traductionnelle de hTERT, la localisation et la fonction enzymatique du complexe. De manière intéressante, parmi les protéines associées à la télomérase, on retrouve la dyskérine, qui se lie à la boîte consensus H/ACA que possède la sous-unité ARN hTR dans sa région 3’ [5] (figures 1, 3). Alors que la télomérase est inactive dans la plupart des cellules somatiques du corps humain, elle est active dans les cellules à haut taux de prolifération et de renouvellement. Plus précisément, la télomérase est détectée dans des cellules où la prolifération est illimitée, telles que des cellules cancéreuses, mais aussi dans des cellules et des tissus où la prolifération est requise pour un fonctionnement normal, telles que les cellules germinales, les lymphocytes et les cellules hématopoïétiques [6, 7]. Bien que les télomères de ces dernières raccourcissent à chaque division, la télomérase est essentielle à leur fonction, puisque des cellules souches hématopoïétiques provenant de souris délétées de la télomérase sont atteintes dans leur capacité de repopulation et de prolifération [8]. Présentation clinique et génétique de la dyskératose congénitale 268 La dyskératose congénitale (DC) est une maladie humaine héréditaire d’aplasie médullaire pouvant être considérée comme une maladie de vieillissement précoce [6, 9]. La présentation clinique est très hétérogène. Les symptômes apparaissent dès l’enfance et incluent des atteintes cutanées, une dystrophie des ongles, la présence d’ulcérations buccales, et l’apparition de plaques de leucokératose. La maladie peut aussi être caractérisée par la canitie et la perte de cheveux, une ostéoporose précoce, une cirrhose hépatique, de l’hypogonadisme, un retard de développement, de la déficience mentale et des anomalies diverses (dentaires, ophtalmiques, urogénitales). Des complications pulmonaires et une susceptibilité au développement de divers cancers (de la peau, des muqueuses, de l’œsophage, lymphomes) sont des causes courantes de mort précoce. Par contre, la pancytopénie due à une défaillance médullaire est la cause principale du décès, entre 16 et 50 ans. Considérant que la maladie touche surtout les tissus à renouvellement rapide comme la peau et la moelle osseuse, il n’est peut-être pas surprenant que cette maladie soit liée à la perte de maintien des télomères, phénomène associé à la division de cellules humaines normales. D’autres maladies reliées aux syndromes du tissu médullaire comme la DC incluent le syndrome du Hoyeraal-Hreidarsson (SHH), syndrome myélodysplasique (SMD), hémoglobinurie paroxystique nocturne (HPN) et l’anémie aplastique (AA) [6, 9]. L’AA est due à une incapacité des cellules de moelle osseuse à proliférer et à produire un nombre adéquat de cellules sanguines matures. Le SHH est une forme sévère de la DC. Les signes cliniques du SHH se manifestent au cours des deux premières années suivant la naissance et incluent une ataxie cérébelleuse, une insuffisance médullaire progressive, de l’immunodépression, un retard de développement, et des anomalies intestinales suivis d’une mort précoce avant l’âge de cinq ans. Le SMD est un désordre clonal des cellules souches hématopoïétiques caractérisé par une hématopoïèse inefficace et une cytopénie périphérique. Le HPN est un désordre sanguin clonal associé à une anémie aplastique qui se caractérise par la présence d’un ou plusieurs clones de cellules sanguines ne possédant pas les protéines ancrées au glycosylphosphatidylinositol (GPI) à cause d’une mutation somatique dans le gène PIGA. Trois formes de transmission de la DC existent. La forme la plus sévère et courante est due à des mutations du chromosome X dans une région codant pour la protéine dyskérine. Chez l’humain, aussi bien que chez la levure Saccharomyces cerevisiae, la drosophile et le rat, la dyskérine est associée à des ARNs dits de type H/ACA, contenant deux éléments conservés appelés boîtes H et ACA. D’autres protéines se lient à ces ARNs et forment ainsi des complexes, dénommés snRNP H/ACA qui sont impliqués dans une étape essentielle de la maturation des ARNs ribosomiques, la conversion d’uridine en pseudo-uridine. Présentement, 39 mutations, principalement faux-sens, dans le gène codant pour la dyskérine ont été identifiées chez les patients atteints de DC et SHH [6, 9, 10] (figure 3). Deux formes de DC à transmission autosomique, dominante ou récessive ont aussi été décrites. Hématologie, vol. 12, n° 4, juillet-août 2006 Domaine CR4-CR5 Sous-unité ARN de la télomérase (hTR) 451 nucléotides G305A (AA) délétion jusqu’au nt 316 (SMD) Substitutions Délétions G322A (SMD) Délétions de quelques nucléotides Limites des domaines U A G288A (AA) C116U (AA) C204G (AA) A117C (AA) Domaine matrice/pseudonœud G450A (AA) 5' boîte H 3' G143A (AA/SMD) boîte ACA Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. nt: nucléotide CAAUCCCAAUC Domaine de la boîte H/ACA Matrice C72G (AA) U G58A (AA/SMD) A48G (DC) C408G (DC) 3’ 5’ délétion à partir du nt 377 (DC) 3’ Domaine CR7 5’ Matrice CAAUCCCAAUC GTTAGG G centromère T T G A ADN non télomérique (TTAGGG)n (CCCTAA)n GTTAGG ADN télomérique nouvellement synthétisé sous-unité ARN de la télomérase, hTR sous-unité catalytique de la télomérase, hTERT Figure 1. Structure secondaire de hTR, où sont indiquées les différentes variations de séquences hétérozygotes rapportées pour les cas de DC, AA, HPN et SMD. Les domaines de hTR (matrice/pseudonoeud, CR4-CR5, boîte H/ACA et CR7) sont signalés par des lignes pointillées (d’après [9, 10]). En encart, représentation schématique du mécanisme de synthèse des télomères par la télomérase (d’après [34]). 269 Hématologie, vol. 12, n° 4, juillet-août 2006 A202T H412Y V694M Y772C K902N P721R hTERT 127 kDa T 1 2 A NT V1090M R979W B’ C D E CT motifs TI Site actif Maintien des télomères Activité catalytique Liaison à l’ARN Maintien des télomères F1127 Activité catalytique Maintien des télomères Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Figure 2. Représentation linéaire de hTERT (127 kDa ; 1132 acides aminés). Le schéma inclut les motifs de transcriptase inverse (1, 2, A, B’, C, D, E), un motif spécifique à la télomérase (T), et les neuf mutations identifiées jusqu’à présent. La région N-terminale (NT) inclus des motifs de liaison à l’ARN de la télomérase, hTR, et la région NT ainsi que la région C-terminale (CT) incluent des séquences importantes pour l’activité catalytique de la télomérase et le maintien des télomères (d’après [11-13]). DC et télomérase niveau d’expression de hTR ainsi que l’activité catalytique de l’enzyme étaient réduits par rapport à des cellules contrôles saines, alors qu’aucune anomalie n’était détectée quant à l’accumulation ou la fonction des ARNs conventionnels H/ACA [5]. Conséquemment, les télomères des cellules de ces patients atteints de DC étaient plus courts que les télomères des cellules contrôles normales [5]. Quelques années plus tard, en 2001, la démonstration que la forme autosomale dominante de la DC (AD-DC) était causée par des mutations présentes au sein même du gène hTR a été apportée [14]. Tout comme dans l’étude de 1999, les télomères des patients atteints de la forme autosomale dominante de la DC étaient significativement plus courts que ceux des sujets normaux [14]. Il y maintenant sept ans qu’un rôle pour la télomérase dans la pathologie de la DC a été mis en évidence. En 1999, il a été démontré que dans des lymphocytes primaires de patients souffrant de la forme liée au chromosome X de la DC, le Depuis, d’autres études ont rapporté que des mutations présentes dans hTR, et plus récemment dans hTERT, les deux sous-unités essentielles de la télomérase, étaient trouvées dans la forme de DC à transmission autosomique dominante Actuellement, 21 mutations dans le gène codant pour hTR ont été décrites chez les patients atteints de la forme à transmission autosomique dominante de DC (AD-DC), AA, SMD, et HPN [6, 9, 10] (figure 1). Neuf mutations faux-sens dans le gène codant pour hTERT ont été décrites chez des patients atteints de l’AA et du SHH [11-13] (figure 2). Peu de données sont disponibles concernant la forme de DC à transmission autosomique récessive, mais récemment, deux mutations dans le gène codant pour hTERT ont été identifiées chez des patients démontrant une transmission autosomique récessive apparente [10]. Q31K Q31E F36V L37del I38T K39E R65T P40R T66A E41K T67I A2V K43E H68Q P10L T49M L72Y R158W S121G K314R L317F L321V S280R R322Q P384L P384S A386T L398P M350T G402E M350I G402R A353V T408I P409L T357A S420Y D359N 493-514del Dyskérine 57 kDa NL 270 TruB PUA NL Figure 3. Représentation linéaire de la dyskérine (57 kDa ; 514 acides aminés). Le schéma inclut les motifs de localisation nucléaires (NL) (acides aminés 11-20 et 446-458), deux domaines de pseudo-uridine synthase, TruB et PUA (acides aminés 107-247 et 296-371), et 39 mutations identifiées jusqu’à présent. del : délétion (d’après [6, 10]). Hématologie, vol. 12, n° 4, juillet-août 2006 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. [6, 9, 13, 15-17]. Mais l’AD-DC n’est pas la seule pathologie hématologique présentant des mutations dans la sous-unité ARN de la télomérase. Des études de patients présentant des formes apparemment acquises ou conventionnelles d’AA et de patients souffrant du SMD ont démontré la présence de variations de séquences hétérozygotes dans le gène codant pour hTR dans environ 10 à 15 % des patients atteints [17-20]. De plus, comme pour l’AD-DC, les cellules sanguines de ces patients présentaient des télomères significativement plus courts que ceux de cellules sanguines contrôles [17-20]. Des études subséquentes analysant des patients souffrant de l’AA ou de DC ont mises à jour des mutations dans hTERT, certaines silencieuses, d’autres vraisemblablement responsables des défauts observés au niveau de la taille des télomères de ces patients [10-13]. Les mutations dans hTR répertoriées pour l’AD-DC, l’AA et le SMD, toutes des substitutions ou des délétions, se retrouvent dans quatre régions de cet ARN : le domaine matrice/pseudonoeud, le domaine CR4-CR5, la boîte H/ACA et la région CR7 (figure 1) [3]. Les effets de ces mutations sur la fonction de l’enzyme peuvent être divisés en deux groupes. Dans le groupe I, les mutations touchent les domaines matrice/pseudonoeud et CR4-CR5, certaines se trouvant parfois directement dans la matrice (figure 1). Ces deux domaines sont critiques pour l’activité catalytique et l’assemblage de l’enzyme, respectivement. Des études de reconstitution in vitro de certaines de ces télomérases mutantes ont démontré que les mutations décroissaient l’activité catalytique de l’enzyme [3]. Par exemple, la mutation GC 107/8 → AG (figure 1) favorise la transition de la structure en pseudonoeud à une structure stable en tige-boucle [21-23]. Cette structure stable pourrait expliquer la perte d’activité de la télomérase reconstituée avec cet ARN muté, alors incapable de maintenir les télomères [24]. Dans le groupe II, les mutations touchent la boîte H/ACA et/ou la région CR7, importantes pour la stabilité et la biogénèse de l’ARN. Une des premières mutations décrites pour l’AD-DC tombe dans cette deuxième catégorie : les derniers 74 nucléotides de hTR sont délétés (figure 1), causant un défaut d’accumulation de l’ARN [14]. Quant aux mutations faux-sens touchant la transcriptase inverse de la télomérase, elles se situent dans les trois domaines de la protéine : il en a été dénombré deux dans le domaine NT, quatre dans les motifs de TI et trois dans la région CT (figure 2). Comme pour hTR, la majorité de ces télomérases mutantes ont été reconstituées in vitro, ce qui a permis de déterminer que les mutations causaient une réduction ou une inhibition totale de l’activité catalytique de l’enzyme [12, 13]. Dyskérine La DC et maladies associées semblent être principalement dues à une perte du maintien des télomères, du moins pour la forme autosomique dominante de la maladie. Pour la forme Hématologie, vol. 12, n° 4, juillet-août 2006 liée au chromosome X, les phénotypes pourraient s’expliquer par un rôle de la dyskérine au-delà de celui de protéine associée à la télomérase. Contrairement aux souris dépourvues de télomérase, qui sont viables pour plusieurs générations jusqu’à l’épuisement critique des télomères (initialement long), un manque d’expression de la dyskérine chez la souris cause la mort embryonnaire [25]. Par contre, des souris transgéniques possédant des niveaux réduits de dyskérine reproduisent dès la première génération les symptômes de la dyskératose congénitale humaine [26]. Les défauts de maturation des ARN préribosomiques, incluant la conversion d’uridine en pseudo-uridine précèdent la manifestation de la maladie chez ces souris, tandis que les effets sur le maintien des télomères, engendrés par une réduction des niveaux de la sous-unité ARN de la télomérase de la souris, mTR et de l’activité de la télomérase ne sont observés qu’après plusieurs générations. Ces résultats suggèrent qu’une dysfonction des ribosomes pourrait être la cause principale de la forme de DC liée au chromosome X. Néanmoins, quoique le modèle animal décrit ci-dessus récapitule les symptômes observés chez les patients atteints de la DC, les modifications génétiques de la dyskérine rencontrées chez les patients n’avaient pas été introduites chez des souris pour en étudier les effets. Cette lacune a été comblée depuis peu, lorsque les groupes de M. Bessler et P.J. Mason ont créé des lignées de cellules souches murines possédant des mutations ponctuelles dans le gène codant pour la dyskérine [27]. La mutation A353V, la plus fréquente chez les patients atteints de la dyskératose liée au chromosome X, se retrouve dans le domaine pseudouridine synthase (PUA), qui est aussi un motif de liaison à l’ARN (figure 3). Quant à la mutation G402E, identifiée chez une seule famille, elle est située dans une région de la dyskérine qui n’a pas été caractérisée fonctionnellement. Cette étude nous donne aussi des indices sur l’importance de la fonction ribosomale de la dyskérine pour la DC. En effet, ces auteurs ont trouvé que la mutation A353V, mais non la mutation G402E, mène à une déstabilisation de mTR, à une réduction de l’activité de la télomérase, et à une diminution de la taille des télomères. Par contre, bien que les deux mutations engendrent des défauts de modification des uridines et de maturation des ARNs préribosomiques, les snRNPs affectés diffèrent dans les deux lignées. Comment raccommoder ces derniers résultats avec ceux du groupe de K. Collins, où aucun défaut d’accumulation des snRNAs H/ACA, de pseudo-uridylation ou de maturation des ARNs préribosomiques n’ont été observés dans des cellules primaires dérivées de patients atteints de la dyskératose liée au chromosome X [5] ? Les effets des mutations étudiées par le groupe de K. Collins, qui se situent dans la région N-terminale de la dyskérine diffèrent peut-être de ceux des mutations A353V et G402E. M. Besser et P. Mason proposent que de faibles effets sur la pseudo-uridylation ou la maturation des ARNs préribosomiques pourraient être difficile à détecter, citant la nécessité d’utiliser une méthode sensible de pulse-chase pour observer des différences dans la 271 maturation des ARNs préribosomiques [27]. Il est aussi important de noter que la présentation clinique, même chez les patients ayant la même mutation, est très hétérogène, soulignant une contribution probable de facteurs génétiques ou mésologiques additionnels. Des études biochimiques plus approfondies seront certainement nécessaires pour comprendre les effets des mutations dans la dyskérine chez les patients atteints de la DC liée au chromosome X. Haploinsuffisance ? Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Toutes les mutations de hTERT et hTR rencontrées dans la forme autosomique dominante de la DC sont des variations de séquences hétérozygotes, ce qui est suffisant pour causer le phénotype de DC et de l’AA [28]. Restait à découvrir par quels mécanismes les mutations agissaient : par effet dominant négatif, où le produit du gène muté inhibe la fonction globale du gène en interférant avec le produit du gène sauvage ou par effet d’haplo-insuffisance, lorsque la moitié de la quantité normale d’un gène n’est pas suffisante pour soutenir la fonction [28, 29]. Un premier indice est venu de délétions découvertes dans hTR pour lesquelles aucun produit de l’allèle muté ne pouvait être détecté, rendant ainsi l’effet dominant négatif improbable [6, 14]. C’est par des études de reconstitution in vitro où les deux formes mutée et sauvage de hTR ou de hTERT ont été mises en présence, qu’il a été démontré que les phénotypes de ces maladies hématologiques étaient dues à un effet d’haplo-insuffisance [12, 13, 24, 29]. Cette haplo-insuffisance se traduit par un défaut de maintien des télomères, qui raccourcissent avec les divisions et les générations, conduisant à un phénomène jusqu’à présent uniquement observé dans des désordres neurauxdégénératifs : l’anticipation génétique [13, 15, 30]. Les générations acquérant les mutations se retrouvent avec des télomères de plus en plus courts et une télomérase incapable de fonctionner, ce qui conduit à une apparition plus précoce des symptômes de la maladie et à une aggravation des dits symptômes [6, 13]. Conclusion 272 La télomérase est active dans les cellules et les tissus se renouvelant souvent et rapidement, tels les kératinocytes, la couche basale de l’épiderme, les spermatogonies, les cellules de la crypte de l’intestin, les follicules pileux, et les cellules souches hématopoïétiques [6]. Un parallèle peut être fait entre ces tissus, où la télomérase est active, et les tissus affectés par la DC. Là où la télomérase est déficiente, les tissus ne peuvent se maintenir correctement et développent des pathogénèses. De même, un parallèle entre les phénotypes de DC et ceux de souris délétées des deux allèles de la sous-unité ARN de la télomérase peut être fait. Ces souris, dont les télomères sont significativement plus longs que ceux des humains, et où l’activité de la télomérase est abolie, ne présentent aucune anomalie dans les premières générations [31]. C’est lorsque leurs télomères sont devenus trop courts pour maintenir la viabilité des cellules qu’elles développent des anomalies notamment dans les tissus à haute prolifération : par exemple, leur hématopoïèse ainsi que la production de cellules intestinales et de peau sont affectées [31]. Aussi, des phénotypes similaires à ceux présents chez les patients atteints de la DC sont observés chez des souris qui héritent des télomères de plus en plus courts [32]. Il est donc possible de conclure que des pathologies hématologiques, comme l’AD-DC, l’AA, la SMD et la HPN soient dans certains cas essentiellement dues à des désordres dans le maintien des télomères. Ces études ouvrent donc la voie à de nouvelles avenues thérapeutiques pour le traitement de ces maladies. En effet, lorsque la DC a été décrite pour la première fois, rien ne laissait présager l’implication des télomères dans cette maladie. Il est maintenant reconnu que certaines formes de la DC, ainsi que certains désordres hématologiques sont des maladies génétiques, dus à des mutations dans des gènes essentiels au maintien des télomères. L’homéostasie télomérique est perturbée même pour la forme liée au chromosome X de la DC. Ainsi, pour traiter ces maladies, nous devons maintenant nous tourner vers des moyens permettant de rétablir un maintien des télomères adéquat, par exemple en utilisant une thérapie génique ciblant la télomérase [33]. ■ RÉFÉRENCES 1. Smogorzewska A, de Lange T. 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