Ödipus der Tyrann - Theatre de la Ville

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SCHAUBÜHNE BERLIN
ROMEO CASTELLUCCI
FRIEDRICH HÖLDERLIN
D’APRES SOPHOCLE
CRÉATION
Ödipus
der
Tyrann
EN ALLEMAND SURTITRÉ EN FRANÇAIS
20 < 24 NOVEMBRE 2015
찞 émilie paillot graphiste - © Arno Declair -
RC BOBIGNY 562 128 397
-
LICENCES 1-1051016/2-1051017/3-1051015
- impression Stipa
{ AU THÉÂTRE DE LA VILLE }
Dossier theatredelaville-paris.com
pédagogique saison 2016 i 2017
par la compagnie
panDora
2 PLACEétabli
DU CHÂTELET
PARIS 4 • 01
42 74 22 77
CORNEILLE
BRIGITTE JAQUES-WAJEMAN
Polyeucte
création
brigitte Jaques-Wajeman
François regnault & clément camar-mercier
SCÉNOGRAPHIE & COSTUMES emmanuel peduzzi
ACCESSOIRES Franck lagaroje
LUMIÈRES nicolas Faucheux
MAQUILLAGES ET COIFFURES catherine saint-sever
ADMINISTRATION & PRODUCTION Dorothée cabrol
MISE EN SCÈNE
CONSEILLERS ARTISTIQUES
POLYEUCTE
SEIGNEUR D’ARMÉNIE, GENDRE DE FÉLIX
NÉARQUE
SEIGNEUR D’ARMÉNIE, AMI DE POLYEUCTE
PAULINE
FILLE DE FÉLIX, FEMME DE POLYEUCTE
STRATONICE
CONFIDENTE DE PAULINE
FÉLIX
SÉNATEUR ROMAIN, GOUVERNEUR D’ARMÉNIE
ALBIN
CONSEILLER DE FÉLIX
FABIAN
DOMESTIQUE DE SÉVÈRE
SÉVÈRE
CHEVALIER ROMAIN, FAVORI DE L’EMPEREUR
coproDUction
clément bresson
pascal bekkar
aurore paris
pauline bolcatto
marc siemiatycki
timothée lepeltier
timothée lepeltier
bertrand suarez-pazos
Théâtre de la Ville-Paris et Compagnie Pandora.
du JTN et le soUtien Financier de la DRAC Île-de-France.
avec la participation artistiqUe
DURÉE
2H
© COSIMO MIRCO MAGLIOCCA
DÉSIRS D’EXCÈS
Une tragédie de la passion religieuse, dont la violence iconoclaste angoisse
autant qu’elle fascine !
La splendide tragédie de corneille où l’on voit des luttes magnifiques entre le désir amoureux et le désir du
martyre, entre le goût de la vie et l’attraction de la mort, peut nous aider aujourd’hui à nous approcher de
cette passion religieuse qui nous angoisse autant qu’elle nous fascine. Désir d’excès, désir de mort où des
jeunes gens se découvrent eux-mêmes capables d’actes effrayants contre les forces de l’amour, quitte à les
sacrifier. Désir d’excès, de briser les « idoles », qui aliène beaucoup plus qu’il ne libère.
Car nous sommes aujourd’hui, dans un temps de ténèbres, et ici et là, exposés à la terreur. Corneille, dans
Polyeucte, s’approche d’un gouffre.
Le poète est en avance, toujours, et la tragédie assez riche pour qu’aucune réponse univoque ne soit satisfaisante. Mais la mise en scène de ce « mystère » peut nous faire mieux comprendre ce qu’il en est de cette passion effrayante !
brigitte Jaques-Wajeman
2
SOMMAIRE
« ce zèle est trop ardent… »
p. 4
pourquoi monter polyeucte ?
p. 5
polyeucte, saint ou Héros ?
p. 6
polyeucte et Jésus
p. 7
le résumé scène par scène
p. 8
les personnages dans polyeucte
p. 11
extrait
p. 13
mémento sur l’alexandrin
p. 15
article de presse aFp ...
la destruction des statues ...
p. 17
Dramaturgie
p. 18
corneille
p. 23
les comédiens i le metteur en scène p. 24
tournée i À lire i
Le Voyage de Benjamin
3
p. 26
« CE zÈlE ESt tRop aRDEnt… »
Destructeur d’idoles, martyr prêt au sacrifice pour faire triompher le seul vrai
Dieu à ses yeux : pour brigitte Jaques-Wajeman, le Polyeucte de corneille
est d’une « grande actualité ».
« Je ne crois que les histoires dont les témoins se feraient égorger. » pascal
« Les martyrs furent un grand malheur dans l’Histoire : ils séduisirent. » nietzsche
POURQUOI CORNEILLE A-T-IL INVENTÉ LE PERSONNAGE DE SÉVÈRE ?
Avec Sévère, Corneille introduit le désir, la
chair, l’amour contrarié, qui deviennent des ingrédients essentiels de la pièce. Sévère est un héros
mélancolique. Ancien amant de Pauline, toujours
ardemment aimé, et toujours insatisfait. Il est le seul
protagoniste mesuré de la pièce, bienveillant avec les
religions, quelles qu’elles soient. Il offre un contraste
poignant avec l’excès et la radicalité de Polyeucte.
b. J.-W. :
ET PAULINE ?
Pauline est une fille trop obéissante. Elle a
aimé Sévère de toute son âme ; son père Félix, une
canaille, a exigé qu’elle renonce à cet immense
amour. Par devoir, pour lui obéir, elle a épousé
Polyeucte, qu’elle aime désormais, mais sans oublier
l’autre, on le verra ! Déchirée entre ces deux
hommes, sa soumission au père, au devoir qu’elle dit
« inexorable », est un mystère. Cela crée chez elle
des abîmes de souffrance et de renoncement.
b. J.-W. :
propos recueillis par François regnault
SOUVENT, QUAND JE DIS À QUELQU’UN QUE TU VAS MONTER POLYEUCTE, MON INTERLOCUTEUR LÈVE LES YEUX AU CIEL AVEC UN AIR
PIEUX ET MURMURE : « AH, POLYEUCTE ! » POURQUOI ?
brigitte JaqUes-WaJeman : C’est l’histoire d’un martyr
chrétien, jeune marié comblé, qui, à peine baptisé, se
rend au temple pour y briser les idoles païennes et
faire triompher le seul vrai Dieu, l’unique, à ses yeux.
Pressé de le rejoindre, il n’a désormais qu’une hâte :
celle du sacrifice, du renoncement à l’amour terrestre et un goût pressant de la mort. « Vous voulez donc
mourir ? » lui demande son ami Néarque, effrayé, lui
qui pourtant l’avait initié. « Vous aimez donc à
vivre ? » lui rétorque Polyeucte. La messe est dite !
DE QUI CORNEILLE FAIT-IL LE PORTRAIT : D’UN SAINT ? D’UN FANATIQUE (COMME LE DIT VOLTAIRE, QUI ADMIRE LA PIÈCE) ? D’UN
HÉROS ?
b. J.-W. : Ce martyre inconnu que corneille est allé
chercher dans les débuts du christianisme ressemble
plus à un « héros » tel qu’ Horace, qu’à Saint Jean de
la Croix ! On cherche en vain un peu de douceur évangélique ! Le martyr est pour Polyeucte l’occasion de
se donner une destinée hors série.
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poURQUoI MontER polYEUCtE ?
Après les créations des pièces du « Théâtre colonial »
de corneille dont l’actualité et la pertinence politique
nous avaient éclairés, voici un chef-d’œuvre qu’il m’a
paru urgent de monter.
son mentor et ami, qui l’a fait chrétien, le sermonne
et lui enjoint de ne se préoccuper que de Dieu désormais.
Ayant entendu et intériorisé la prescription de Néarque, son mentor de négliger, pour plaire à ce Dieu
unique, « et femme et biens et rang », et d’être prêt pour
lui « à verser tout son sang », Polyeucte revient de son
baptême, plus radical que son maître, et annonce sa
décision de fracasser les statues des dieux romains, au
cours d’une cérémonie officielle afin d’instaurer le
triomphe de son Dieu unique.
Avec Polyeucte, Corneille met en scène un jeune
converti chrétien dont l’ardeur iconoclaste et le désir
de mort peuvent éclairer ici et maintenant notre plus
proche actualité.
En effet, la pièce nous conte l’histoire d’un jeune homme charmant qui, à peine baptisé, cherche le martyre
et décide de s’attaquer, au nom du Dieu unique qui
lui a été révélé, aux statues des dieux romains qu’il considère comme des idoles païennes qu’il faut détruire.
Arrêté, il se voue à la mort avec allégresse.
Il n’a qu’une hâte, celle d’échanger la volupté heureuse
qu’il goûtait auprès de sa jeune femme contre une
jouissance plus intense qu’il vient de découvrir : celle
du sacrifice, du renoncement, d’un goût pressant de
la mort. Il dit à Pauline, qu’il aimerait convertir :
« Si vous pouviez comprendre et le peu qu’est la vie
Et de quelles douceurs cette mort est suivie ! »
La destruction des bouddhas de Bâmyan en Afghanistan, celle plus récente des statues antiques du musée
de Mossoul en Irak, enfin, la destruction des temples
de la cité antique de Palmyre en Syrie, offre une analogie frappante, avec les actes de Polyeucte qui veut
faire triompher son Dieu, et éradiquer toutes traces
d’autres croyances :
« Allons briser ces dieux de pierre ou de métal,
Faisons triompher Dieu, qu’il dispose du reste. »
Il ne fait plus couple avec elle, il fait couple avec Dieu !
La mort est désirée ! Il s’agit d’une certitude : Dieu
l’attend impatiemment pour lui décerner la palme
des martyrs :
« Du premier coup de vent il me conduit au port
Et sortant du baptême il m’envoie à la mort. »
Les déclarations des Talibans qui tendaient à justifier leurs destructions, semblent tout droit sorties de
la pièce de Corneille :
« Ces statues ont été utilisées auparavant comme des
idoles et des divinités par les incroyants qui leur rendaient
un culte…. Seul Dieu, le tout puissant, doit être vénéré
et toutes les fausses divinités doivent être annihilées. »
Au regard de ces événements, la tragédie de Corneille
prend une actualité exceptionnelle.
La soudaineté de ce désir qui le pousse à s’arracher
brutalement à sa femme aimée, à se livrer à une violence iconoclaste digne d’un fanatique et à souhaiter
le plus tôt possible la mort, comme promesse d’éternité, surprend même et inquiète Néarque :
« Ce zèle est trop ardent, souffrez qu’il se modère. »
Il y a une telle radicalité dans ce saut à corps perdu
dans la religion, un tel excès !
Quand la pièce commence, on voit littéralement Polyeucte sortir du lit conjugal, heureux, épanoui, et déclarer à son ami chrétien Néarque, qui le presse d’aller se faire baptiser :
« Mais vous ne savez pas ce que c’est qu’une femme !
Vous ignorez quels droits elle a sur toute l’âme
Quand après un long temps qu’elle a su nous charmer
Les flambeaux de l’Hymen viennent de s’allumer. »
Que s’est-il passé pour que ce doux et paisible prince
devienne brutalement un fanatique ? Pourquoi cette
promesse de mort lui apporte-t-elle tant de joie? Qu’estce qui est à l’œuvre dans cette métamorphose ? Le goût
du sacrifice ? Le sacrifice de quoi ? De soi ? De l’autre ?
La violence d’un tel sacrifice est-t-elle salutaire ? Pourquoi est-il plus fort que l’amour ?
Durant la nuit, Pauline, sa jeune femme – ils se sont
mariés il y a quinze jours – a vu la mort de Polyeucte
dans un mauvais rêve et lui demande instamment de
rester auprès d’elle. Polyeucte y consentirait volontiers, mais c’est le jour de son baptême, et Néarque,
La splendide tragédie de Corneille met en scène une
lutte sans merci entre le désir amoureux et le désir du
martyre, entre le goût de la vie et l’attraction de la mort.
Corneille, dans Polyeucte, s’approche d’un gouffre.
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polYEUCtE, SaInt oU HÉRoS ?
Polyeucte est joué en 1643 quelques mois après Cinna. Malgré l’admiration que la pièce suscite, elle dé-
clenche dès sa création une querelle qui continuera longtemps, concernant les choix du sujet et du personnage. En effet, beaucoup de contemporains estiment que les questions religieuses sont trop graves pour que
des profanes s’en emparent, surtout par le moyen du théâtre, considéré comme un danger pour les esprits.
Il faut orienter la littérature vers des sujets qui ne blessent pas les susceptibilités religieuses !
Mais comme toujours, à sa façon, Corneille défend la liberté de l’auteur dont le secret consiste dans « l’ingénieuse tissure des fictions avec la vérité ». Il s’est saisi de l’histoire d’un martyr inconnu, qui apparaît dans les
débuts du christianisme et dont beaucoup, nous dit-il, avec humour, « ont plutôt appris le nom à la Comédie
qu’à l’Église. »
Beaucoup considère que ce martyr ressemble plus à un héros, un chef de guerre tel qu’Horace, qu’à un saint,
tel que Jean de La Croix, par exemple. Son baptême, qui a lieu hors de la scène a fait de Polyeucte un combattant radical, qui dissimule à sa femme sa conversion et sa décision de briser les idoles romaines afin
d’imposer de manière éclatante le dieu unique des chrétiens. Plus qu’un chrétien qui se prépare à son martyre, Polyeucte se comporte comme un héros qui cherche, au prix de sa vie, une gloire à nulle autre pareille !
Il y a peu de différence entre les discours d’Horace et celui de Polyeucte :
Horace « Mourir pour son pays est un si digne sort
Qu’on briguerait en foule une si belle mort »
polyeUcte
« Si mourir pour son prince est un illustre sort,
Quand on meurt pour son Dieu, quelle sera la mort ! »
Pour l’un et l’autre, le désir de faire un exemple indépassable par leur sacrifice est le même. Un même narcissisme les caractérise : La religion a remplacé le patriotisme d’Horace.
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polYEUCtE Et JÉSUS
Un chrétien, comme tout homme raisonnable, serait
en droit de demander compte à Polyeucte de sa certitude de parvenir au Royaume des Cieux à cette
vitesse grand V, et sans la moindre humilité.
En effet, on lit dans l’Évangile (par exemple saint
Matthieu, XXVI, 39 et sq.), sur l’agonie de
Gethsémani :
« Alors Jésus arrive avec eux [ses disciples] dans un
domaine appelé Gethsémani* et il dit aux disciples :
“Tenez-vous ici même, tandis que je m’en vais là-bas
pour prier.” Puis, prenant avec lui Pierre et les deux fils
de Zébédée, il commença à ressentir tristesse et angoisse.
Alors il leur dit : “Mon âme est triste à en mourir ;
demeurez ici et veillez avec moi.” »
À quelques pas de là, il tomba la face contre terre,
priant en ces termes : « Mon Père, s’il est possible, que
ce calice s’éloigne loin de moi ! Cependant non pas
comme je veux, mais comme tu veux. »
On a l’impression que Polyeucte, s’il s’adressait à
Dieu pour lui-même (il ne le fera que pour Pauline),
lui dirait plutôt : « Mon Dieu, surtout n’éloigne pas ce
martyre loin de moi ! Au contraire, non pas comme tu
veux, mais comme je veux ! »
Aussi bien son âme n’est-elle guère triste, mais
constamment fringante, déjà triomphante, et c’est ce
qui nous le rend alors peut-être étranger à nousmêmes.
Sauf à penser que tout de même, au moment des Stances, il éprouve « tristesse et angoisse ». Et on a intérêt
à le supposer, comme lorsqu’il nous montre des larmes, sans grande charité d’ailleurs.
Corneille traduira en vers dans la suite toute l’Imitation de Jésus-Christ. Comment ne pas penser que c’est
délibérément que Corneille nous dépeint un héros qui, loin d’imiter Jésus-Christ, en arrive à instrumentaliser Dieu lui-même pour en faire en quelque sorte le support de son triomphe et de sa gloire ?
Ce n’est évidemment pas sans grandeur, même si cela fait froid dans le dos, et c’est ce qui cause l’enthousiasme sans limite de Péguy. On imagine mal, par exemple, Racine peindre un semblable orgueil, lui qui
nous montre Esther au contraire, au moment où elle va elle aussi risquer la mort, mais pour sauver son peuple, se présenter ainsi devant le Dieu d’Israël :
« Ô mon souverain Roi !
Me voici donc tremblante et seule devant toi. » [I, 4]
Aussi faut-il accorder, chez Corneille, une certaine importance à la réplique de Néarque : « Dieu même a
craint la mort » [II, 6], seule allusion directe à Jésus-Christ dans Polyeucte, et qui renvoie précisément à
l’agonie de Gethsémani.
F. R.
* Ce mot signifie « pressoir d’huile ». C’était sans doute un petit champ planté d’oliviers avec un pressoir.
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polYEUCtE ...
... lE RÉSUME SCÈnE paR SCÈnE
« Sévère n’est point mort » ; Devenu un personnage important auprès de l’Empereur, il vient en Arménie
célébrer la victoire de sa dernière bataille. Un sacrifice en son honneur aura lieu dans le temple consacré à Jupiter. Mais la cérémonie n’est qu’un prétexte ;
Félix sait que Sévère vient en Arménie pour Pauline.
Il regrette de lui avoir refusé sa fille et redoute sa vengeance. Il enjoint Pauline de revoir Sévère. Elle obéit,
malgré elle, mais craint ses propres sentiments…
acte i scène 1
polyeUcte, néarqUe…
Pauline s’est endormie au petit matin après une nuit
d’insomnie provoquée par un cauchemar où elle a vu
Polyeucte assassiné ce jour même.
La pièce s’ouvre sur une conversation essentielle
entre Polyeucte et Néarque. On apprend que Polyeucte
doit se faire baptiser secrètement aujourd’hui mais
depuis son rêve, sa femme le supplie de rester auprès
d’elle au Palais. Il aimerait rester et la rassurer ; cela
fait à peine quinze jours qu’ils se sont mariés mais
Néarque, artisan de sa conversion, le presse vivement
de se rendre à son baptême et lui explique comment
l’amour de Dieu doit dominer toutes ses affections.
acte ii scène 1
sévère, Fabian…
Sévère arrive, impatient de voir Pauline. Fabian lui révèle que Pauline est mariée à Polyeucte. Sévère voudrait mourir, mais veut la revoir une fois encore.
acte i scène 2
polyeUcte, néarqUe, paUline, stratonice
acte ii scène 2
sévère, paUline, Fabian, stratonice
Polyeucte s’apprête à sortir, Pauline tente de l’arrêter,
suppliante, et lui demande ce qui le presse de partir.
Il répond à mots couverts, indéchiffrables pour elle.
Elle lui demande, elle se demande, s’il l’aime.
Pauline apparaît, Sévère lui reproche son indifférence.
La vérité est tout autre, elle est déchirée entre son
amour pour Polyeucte et les restes de sa passion pour
lui. Les adieux sont cruels, elle lui interdit de la revoir.
acte i scène 3
paUline, stratonice
acte ii scène 3
paUline, stratonice
Les hommes sont partis, restent en scène Pauline et
sa suivante, Stratonice. Pauline décide de raconter
son rêve à Stratonice pour expliquer sa frayeur. C’est
alors qu’elle lui parle de son premier amour à Rome :
Sévère, mort dans une bataille mémorable après
avoir sauvé l’Empereur, mais dont on a jamais
retrouvé le corps.
Dans ce rêve, Pauline a vu paraître Sévère triomphant,
et menaçant de mort son rival Polyeucte. Elle a vu
également des chrétiens livrer Polyeucte à Sévère et
son père même, sur qui elle comptait pour le sauver,
a surgi un poignard à la main.
Puis Pauline révèle que Sévère, trop peu fortuné, n’a
pas trouvé grâce aux yeux de son père, Félix.
Soumise, elle a dû le quitter.
Stratonice a écouté toute la scène. Elle vient dire à
Pauline qu’au moins, elle n’a plus à craindre son rêve :
Sévère ne vient pas la vengeance à la main! Pauline reste angoissée par ces images qui ne la quittent pas. Elle
se méfie de Sévère, aussi généreux semble-t-il. Courte scène qui relance le suspens.
acte ii scène 4
paUline, stratonice, polyeUcte, néarqUe
Polyeucte revient du baptême. Il est au courant de la
visite de Sévère. Elle lui dit qu’en effet, ce dernier est
reparti « triste et confus », et qu’elle lui a demandé de
ne plus la revoir : elle craint d’être séduite à nouveau.
Polyeucte ne semble pas jaloux. Il admire le combat
de sa femme et se réjouit de son mariage.
acte i scène 4
Félix, albin, paUline, stratonice
acte ii scène 5
les mêmes et albin (qUi remplace cléon)
Félix, le père de Pauline, surgit brusquement, accompagné de son conseiller Albin. Le songe que sa fille lui
avait raconté, semble se réaliser : il lui annonce que
Albin invite Polyeucte et Néarque à se rendre au plus
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mort de Polyeucte l’arrangerait ; Sévère, favori de l’Empereur épouserait Pauline et lui-même gagnerait en
puissance.
Albin le prévient que le peuple soutient Polyeucte. Il
est prêt à se soulever, la prison n’est plus sûre.
Félix décide de le sortir de prison et le ramener sous
bonne garde au palais.
vite à la cérémonie en l’honneur de Sévère. On n’attend plus qu’eux. Pauline décide de ne pas s’y rendre.
acte ii scène 6
polyeUcte, néarqUe
Néarque reproche à Polyeucte de participer à cette cérémonie païenne alors qu’il vient d’être baptisé. Polyeucte lui rétorque que bien au contraire, il y va pour
détruire les idoles romaines et proclamer le triomphe
du Dieu unique, le Dieu des chrétiens. Néarque tente
en vain de le modérer puis décide de se joindre à lui
pour accomplir cet acte terroriste au péril de leurs
vies.
acte iv scène 1
polyeUcte, albin (À la place De cléon et Des garDes)…
Polyeucte est prisonnier. Albin survient (à la place des
gardes) et annonce l’arrivée de Pauline. Polyeucte demande qu’on aille chercher Sévère, il a un secret à lui
dire. L’entrevue avec Pauline l’inquiète.
acte iii scène 1
paUline…
acte iv scène 2
polyeUcte
Pauline attend Stratonice qui s’est rendue à la cérémonie. Elle craint la rivalité des deux hommes et l’affrontement qui risque d’en résulter. Elle est à cent lieux
d’envisager la réalité.
Polyeucte seul, prie et se fortifie contre Pauline. Sa
prière sous forme de stances, dénonce les « honteux
attachements de la chair et du monde ».
acte iii scène 2
paUline, stratonice
acte iv scène 3
polyeUcte, paUline
Stratonice arrive, défaite. Elle vient d’assister à la destruction des statues du temple romain par Polyeucte
et Néarque, précédée d’insultes et de blasphèmes proférés au nom du Dieu des chrétiens. Ils ont été arrêtés.
Félix a condamné Néarque à un supplice immédiat.
Voyant sa femme, Polyeucte constate, satisfait, qu’il
n’éprouve plus d’attirance pour elle. Pauline fait appel
à sa raison pour l’arracher à son fanatisme. Polyeucte,
exalté, voudrait la convertir. Elle le quitte furieuse, le
laissant à sa manie.
acte iii scène 3
Félix, paUline, stratonice
acte iv scène 4
polyeUcte, paUline, sévère, Fabian
Félix surgit hors de lui. Pauline le supplie d’épargner
Polyeucte. Mais Félix y met une condition : que Polyeucte assiste au supplice de Néarque, et qu’il regrette
ses actes. Connaissant Polyeucte, Pauline n’y croit pas.
L’arrivée de Sévère surprend Pauline. Polyeucte l’a fait
venir pour lui donner sa femme, sans la prévenir, sans la
consulter. Polyeucte sort rapidement et les laisse face à face.
acte iv scène 5
sévère, paUline, Fabian
acte iii scène 4 Albin revient du lieu du supplice. Au lieu de le dissuader, la mort de Néarque a renforcé la détermination de
Polyeucte. Fou de rage, Félix est prêt à le sacrifier pour
conserver son poste de gouverneur et éviter que Sévère
ne le dénonce à l’Empereur persécuteur. Pauline se révolte: elle lui a toujours obéi, mais maintenant elle exige
la vie de son mari. Félix la congédie et lui conseille
froidement de le ramener à la raison.
Pauline anéantit tous les espoirs de Sévère, et ne cherche qu’à sauver son mari : Elle lui demande de défendre Polyeucte auprès de Félix, au nom de l’honneur
et de l’amour qu’il lui a porté.
acte iv scène 6
sévère, Fabian
Sévère, touché par le défi que lui a lancé Pauline, décide de le relever : il est prêt à défendre Polyeucte auprès de Félix et s’interroge sur le bien-fondé des persécutions des chrétiens.
acte iii scène 5
Félix confie à Albin ses pensées les plus abjectes : la
9
acte v scène 1
Félix, albin…
acte v scène 5
Félix, paUline, albin
Félix sort de son entrevue avec Sévère, persuadé que
celui-ci, en défendant Polyeucte, lui tend un piège.
Félix est plus pressé que jamais d’envoyer Polyeucte
à la mort et demande qu’on le convoque afin de lui
donner une dernière chance.
… Pauline apparaît soudain, couverte de sang. Elle
proclame qu’elle est chrétienne et que le sang de Polyeucte l’a baptisée. Son égarement est total, mais elle
se dresse enfin contre son père.
acte v scène 6
Félix, paUline, albin, sévère, stratonice
acte v scène 2 Félix, polyeUcte, albin
Sévère apparaît, sombre et déterminé. Il admoneste
violemment Félix. Il lui reproche l’assassinat de Polyeucte et lui promet la ruine de sa carrière. Félix s’effondre et se révèle tout d’un coup « chrétien », prêt à
se défaire de tous ces pouvoirs. Est-il sincère ? On en
doute…
Polyeucte arrive. Félix prétend qu’il veut devenir chrétien et lui demande de l’instruire. Polyeucte n’est pas
dupe de Félix, et lui tient tête avec insolence. Félix révèle alors que son mensonge était une dernière tentative, pour lui sauver la vie jusqu’au départ de Sévère.
Félix le menace et lui ordonne de faire son choix entre
les croyances romaines et son Dieu.
Une Fin retravaillée :
acte v scène 3
Félix, polyeUcte, paUline, albin,
Dans cette ambiance délétère, où Pauline et Félix semblent avoir perdu la raison, Sévère prend ses distances.
Nous avons choisi de finir le spectacle avec lui, qui
achève la pièce en invitant chacun à la tolérance, « j’approuve cependant que chacun ait ses Dieux » et se demande si les religions, finalement, ne servent pas aux
politiques, à contenir les peuples et à les asservir.
Pauline surgit et tente une dernière fois d’attendrir son
mari et son père, de les détourner de leur dessein funeste.
S’en suit un échange violent entre Félix et Polyeucte.
Fou de rage, Félix ordonne sa mort. Pauline éperdue,
décide de suivre Polyeucte jusqu’au lieu d’exécution.
acte v scène 4
Félix, albin
Félix tente de justifier sa décision auprès d’Albin, indigné. Félix se souvient que sa fille a suivi Polyeucte
et craint qu’elle ne trouble l’exécution. Il presse Albin
de se rendre sur les lieux du supplice quand…
10
lES pERSonnaGES DanS polYEUCtE
polyeUcte
paUline
… Polyeucte, jeune seigneur arménien vient d’épouser
Pauline, la fille du gouverneur romain. Heureux, il est
sensible au charme de sa femme et découvre les plaisirs du mariage.
Converti secrètement au christianisme par son ami
Néarque, son baptême transforme le jeune homme en
un fanatique, dont le comportement radical et les discours exaltés laissent ses proches désarmés. Son désir
de martyr relève davantage de l’orgueil que du don
de soi. Mais aussi il n’a de cesse que de se séparer de
sa femme et de faire couple avec Dieu seul.
Polyeucte se croit investi d’une mission : celle d’imposer au monde le Dieu des chrétiens, le seul qui doit
compter. Il décide de briser « les idoles » romaines lors
d’un sacrifice aux dieux païens et entraîne Néarque
dans sa frénésie. Arrêté, Polyeucte assiste au supplice
de son ami, et ne rêve que de le rejoindre. Cherchant
le martyre à tout prix, il trouvera la mort après avoir
offert sa femme à son rival, Sévère.
… Pauline est une fille obéissante, elle obéit à toutes
les volontés de son père, Félix. Elle a accepté de se séparer de Sévère, son amour de jeunesse pour épouser Polyeucte, dont la fortune et le rang social semblaient plus conformes aux ambitions de son père.
Pauline aime son jeune époux, mais le retour de Sévère,
qu’elle croyait mort, la trouble douloureusement ; d’autant qu’il est devenu un personnage important, le favori de l’empereur. Quand elle le revoit, elle sent son
amour renaître et perd sa maîtrise d’elle-même. Déchirée entre ces deux hommes, elle les aime chacun
différemment. Elle découvre que Polyeucte devenu
chrétien, cherche à mourir et veut la converti presqu’à son insu. Elle mène un combat formidable contre
lui et tente de l’arracher à son addiction religieuse.
Elle le défendra cependant de toutes ses forces contre
son père, Félix, le gouverneur romain chargé de la
persécution des chrétiens et tentera en vain de l’arracher à la mort! Elle assiste à l’exécution de Polyeucte.
Couverte de son sang, qui l’a baptisée, dit-elle, Pauline
vient provoquer son père et proclame sa conversion.
néarqUe
stratonice
… Néarque est l’ami de Polyeucte et son instructeur.
C’est lui qui lui enseigne la doctrine chrétienne et le
pousse à la conversion. Chrétien originel de la pièce,
il est, selon les mots de Pauline, « l’agent fatal ». Dès
la première scène, Néarque presse Polyeucte de se faire
baptiser en alternant chantage et menaces. Polyeucte
dit son bonheur de jeune marié, Néarque tente de le
culpabiliser, il semble jaloux de Pauline ; on voit son
travail d’endoctrinement alors qu’il explique à Polyeucte, encore ignorant, comment l’amour de Dieu doit
se substituer à celui de sa femme ou du moins dominer toutes ses affections. Les larmes de sa femme, son
attachement pour elle, sont selon Néarque, le plus
grand ennemi de Polyeucte. Tel un gourou, il utilise
la répression des chrétiens pour mieux l’embrigader.
Ainsi, après le baptême, Polyeucte, le disciple, deviendra plus radical et fanatique que son maître : il voudra aller plus loin. Néarque devient alors le chrétien
raisonnable qui tente de contrer le déchaînement extrémiste de Polyeucte. Malgré tout, Polyeucte réussira à
le convaincre de briser avec lui « les idoles païennes »
et d’affronter la mort. Enfin, Félix, le gouverneur, choisit d’exécuter Néarque devant les yeux de son gendre
pour lui faire abandonner le christianisme, mais rien
n’y fait : le martyre du maître ne fait qu’accroître le
désir de l’élève.
… Stratonice, est la suivante arménienne de Pauline.
Elle n’est pas dans la flatterie et n’hésite pas à donner
un avis sincère à Pauline: que ce soit à propos des rêves
qui, contrairement aux Romains, ne revêtent aucune
signification pour les Arméniens ; ou à propos de la
chrétienté qu’elle a en horreur. Traumatisée par la violence des actes de Polyeucte dans le temple romain, elle
tentera de dissuader Pauline de défendre son mari.
Félix
… Félix, est le gouverneur romain d’Arménie. Avec
lui la politique coloniale de Rome entre en scène. Il est
chargé de la persécution des chrétiens. C’est un médiocre, un courtisan, et un tyran, qui a refusé sa fille
Pauline à Sévère, sous prétexte qu’il n’était pas assez
fortuné pour satisfaire ses ambitions. Sévère, revenu
glorieux et proche de l’Empereur, Félix regrette maintenant sa décision et reproche à sa fille de lui avoir trop
bien obéi. Il craint la vengeance de Sévère et oblige
Pauline à le revoir ; espérant que ses sentiments en
seront adoucis. Elle obéit à regret. Sa relation avec sa
fille est autoritaire, voire despotique. Après l’arrestation de Polyeucte, Félix confie à Albin, son conseiller,
11
ses pensées les plus abjectes : la mort de Polyeucte
l’arrangerait ; Sévère, épouserait Pauline et lui-même
gagnerait du galon. Sa décision de le faire exécuter,
malgré les conseils d’Albin, malgré les supplications de
Sévère et Pauline, est un acte indigne. La conversion
de sa fille ou les menaces de Sévère le mettent à genoux. Il se convertit à son tour. On doute de sa sincérité…
… Albin, est le conseiller politique de Félix. Secrétaire, attaché de presse, porte-parole du gouvernement,
jeune énarque raisonnable, rationnel, Albin va tenter
en vain au long de la pièce de tempérer les agissements
déraisonnables de Félix. Il sera indigné de la décision
finale de Félix qui envoie Polyeucte à la mort.
mariage récent de Pauline, il vient en Arménie lui
déclarer son amour, espérant qu’elle est toujours dans
les mêmes sentiments. Fabian, son aide de camp et
confident, lui révèle qu’elle est mariée à Polyeucte.
Sévère désespère. Il comprend cependant que si elle
aime à sa façon Polyeucte, elle n’a jamais cessé de
penser à lui. Renonçant l’un à l’autre, après des scènes
bouleversantes, Sévère va même plaider la cause de
Polyeucte auprès de Félix et risquer sa position de
favori par amour pour cette femme. Sévère, en tant
que favori de l’empereur, devrait incarner et faire respecter la politique de persécution des chrétiens instaurée par celui-ci, et conduite avec zèle par le gouverneur Félix. En réalité, Sévère est bienveillant, envers
toutes les croyances. Il a autant horreur des persécutions que de l’intolérance dogmatique. Il est une certaine incarnation de la laïcité.
sévère
Fabian
… Sévère, c’est d’abord son amour passionné pour
Pauline qui le caractérise. Refusé par Félix, le père de
Pauline, au prétexte qu’il était peu fortuné, il s’est engagé dans l’armée où il a réalisé des prouesses. Après
avoir sauvé l’empereur lors d’une bataille mémorable, on
l’a cru longtemps mort, mais il vient de réapparaître,
auréolé de gloire et favori du monarque. Ignorant le
… Fabian, est l’ami et le confident de Sévère. C’est lui
qui lui apprend que Pauline est mariée. Il soutient
Sévère dans sa douleur mais considère que cet amour
n’est pas raisonnable de sa part, et lui conseille à maintes reprises de s’éloigner de cette famille et de cette
femme, et de regagner Rome.
albin
12
EXtRaIt polYEUCtE ... aCtE II SCÈnE 6
Du vers 636 à 720 entre polyeucte et néarque ...
néarqUe
polyeUcte
Où pensez-vous aller ?
Je la cherche pour lui.
polyeUcte
néarqUe
Au temple, où l’on m’appelle.
Et si ce cœur s’ébranle ?
néarqUe
polyeUcte
Quoi ? Vous mêler aux vœux d’une troupe infidèle !
Oubliez-vous déjà que vous êtes chrétien ?
Il sera mon appui.
néarqUe
polyeUcte
Il ne commande point que l’on s’y précipite.
Vous par qui je le suis, vous en souvient-il bien ?
polyeUcte
néarqUe
Plus elle est volontaire, et plus elle mérite.
J’abhorre les faux dieux.
néarqUe
polyeUcte
Il suffit, sans chercher, d’attendre et de souffrir.
Et moi, je les déteste.
polyeUcte
néarqUe
On souffre avec regret quand on n’ose s’offrir.
Je tiens leur culte impie.
néarqUe
polyeUcte
Mais dans ce temple enfin la mort est assurée.
Et je le tiens funeste
polyeUcte
néarqUe
Mais dans le ciel déjà la palme est préparée.
Fuyez donc leurs autels.
néarqUe
polyeUcte
Par une sainte vie il faut la mériter.
Je les veux renverser,
Et mourir dans leur temple, ou les y terrasser.
Allons, mon cher Néarque, allons aux yeux des hommes
Braver l’idolâtrie, et montrer qui nous sommes :
C’est l’attente du ciel, il nous la faut remplir ;
Je viens de le promettre, et je vais l’accomplir.
Je rends grâce au dieu que tu m’as fait connaître
De cette occasion qu’il a sitôt fait naître,
Où déjà sa bonté, prête à me couronner,
Daigne éprouver la foi qu’il vient de me donner.
polyeUcte
Mes crimes, en vivant, me la pourraient ôter.
Pourquoi mettre au hasard ce que la mort assure ?
Quand elle ouvre le ciel, peut-elle sembler dure ?
Je suis chrétien, Néarque, et le suis tout à fait ;
La foi que j’ai reçue aspire à son effet.
Qui fuit croit lâchement, et n’a qu’une foi morte.
néarqUe
Ménagez votre vie, à Dieu même elle importe :
Vivez pour protéger les chrétiens en ces lieux.
néarqUe
Ce zèle est trop ardent, souffrez qu’il se modère.
polyeUcte
polyeUcte
L’exemple de ma mort les fortifiera mieux.
On n’en peut avoir trop pour le dieu qu’on révère.
néarqUe
néarqUe
Vous voulez donc mourir ?
Vous trouverez la mort.
13
polyeUcte
néarqUe
Vous aimez donc à vivre ?
Vous sortez du baptême, et ce qui vous anime,
C’est sa grâce qu’en vous n’affaiblit aucun crime ;
Comme encore toute entière, elle agit pleinement,
Et tout semble possible à son feu véhément ;
Mais cette même grâce, en moi diminuée,
Et par mille péchés sans cesse exténuée,
Agit aux grands effets avec tant de langueur,
Que tout semble impossible à son peu de vigueur.
Cette indigne mollesse et ces lâches défenses
Sont des punitions qu’attirent mes offenses ;
Mais Dieu, dont on ne doit jamais se défier,
Me donne votre exemple à me fortifier.
Allons, cher Polyeucte, allons aux yeux des hommes
Braver l’idolâtrie, et montrer qui nous sommes ;
Puissai-je vous donner l’exemple de souffrir,
Comme vous me donnez celui de vous offrir !
néarqUe
Je ne puis déguiser que j’ai peine à vous suivre :
Sous l’horreur des tourments je crains de succomber.
polyeUcte
Qui marche assurément n’a point peur de tomber :
Dieu fait part, au besoin, de sa force infinie.
Qui craint de le nier, dans son âme le nie :
Il croit le pouvoir faire, et doute de sa foi.
néarqUe
Qui n’appréhende rien présume trop de soi.
polyeUcte
J’attends tout de sa grâce, et rien de ma faiblesse.
Mais loin de me presser, il faut que je vous presse !
D’où vient cette froideur ?
polyeUcte
À cet heureux transport que le ciel vous envoie,
Je reconnais Néarque, et j’en pleure de joie.
Ne perdons plus de temps : le sacrifice est prêt ;
Allons-y du vrai Dieu soutenir l’intérêt ;
Allons fouler aux pieds ce foudre ridicule
Dont arme un bois pourri ce peuple trop crédule ;
Allons en éclairer l’aveuglement fatal ;
Allons briser ces dieux de pierre et de métal :
Abandonnons nos jours à cette ardeur céleste ;
Faisons triompher Dieu : qu’il dispose du reste !
néarqUe
Dieu même a craint la mort.
polyeUcte
Il s’est offert pourtant : suivons ce saint effort ;
Dressons-lui des autels sur des monceaux d’idoles.
Il faut, je me souviens encore de vos paroles,
Négliger, pour lui plaire, et femme, et biens, et rang,
Exposer pour sa gloire et verser tout son sang.
Hélas ! Qu’avez-vous fait de cette amour parfaite
Que vous me souhaitiez, et que je vous souhaite ?
S’il vous en reste encore, n’êtes-vous point jaloux
Qu’à grand’peine chrétien, j’en montre plus que vous ?
néarqUe
Allons faire éclater sa gloire aux yeux de tous,
Et répondre avec zèle à ce qu’il veut de nous.
14
MÉMEnto SUR l’alEXanDRIn
L’alexandrin n’est pas un problème de race, ni de
classe, ni de mode, ni de musée. Il est la solution qu’a
trouvée la langue française depuis le XIIe siècle, et le
vers par excellence du théâtre à partir du XVIe siècle
jusqu’à Victor Hugo et même Rostand, pour émettre
dans l’espace assez large de douze syllabes le plus grand
nombre possible de groupes de mots conformes à la
grammaire française.
L’étendue de l’alexandrin permet de combiner de bien
des façons possibles le nombre de groupes de mots
de la langue (groupes syntaxiques) et le nombre de
mots simples (mots lexicaux). Ainsi :
« Mais vous ne savez pas ce que c’est qu’une femme. »
[Corneille, Polyeucte : 12 mots]
« La prostitution, l’adultère, l’inceste. » [Corneille,
Polyeucte : 6 mots]
En principe, à l’intérieur du vers, les liaisons se font,
comme elles se font dans les groupes de mots de la
langue, parce que le vers est comme une unité de
langue à lui seul. De même que dans la langue courante on lit et on écrit : « les animaux » et qu’on
entend « lé-za-ni-mo », de même, dans le vers :
« Vous ignorez quels droits/elle a sur toute l’âme
Quand après un long temps/qu’elle a su nous charmer… »
[Polyeucte]
Mais on distinguera les liaisons directes (« après un
long temps » : on entend « zun »), de la liaison indirecte (ici « quels droits/elle » on entend un léger « z »
relié à « droits » plutôt qu’à « elle ») car il n’y a pas
lieu d’éviter la liaison à l’hémistiche. La ponctuation,
souvent incertaine, ne fait pas la loi.
Tout l’art de la liaison réside dans cette distinction,
et évite la question angoissée : « Dois-je faire la liaison, ou ne pas la faire ? »
L’alexandrin traite et résout un problème qui se pose
toujours dans la langue française vivante. La diction
présentement effectuée par les acteurs de Polyeucte
prétend rencontrer cette modernité et y contribuer.
Faire la liaison, c’est du même coup éviter l’hiatus (un
mot se terminant par une voyelle prononcée suivie
d’un mot commençant par une voyelle) interdit depuis
Malherbe jusqu’aux poèmes réguliers de Rimbaud :
ce qui interdit qu’on puisse dire par exemple « tu/es »,
ou « il y/a » dans le vers français, de poésie ou de
théâtre.
Enfin, on admettra volontiers que l’alexandrin comporte quatre syllabes accentuées, accents de vers qui
obéissent aux accents de la langue : les syllabes N° 6
et 12, accents fixes, et l’une de celles qui restent accentuables dans chaque hémistiche : soit 1, 2, 3, 4 ou
5, et 6, 7, 8, 9, 10 ou 11 : accents mobiles.
« Quoi ? Vous vous arrêtez/aux songes d’une femme(e). »
[Polyeucte vers 1] [syllabes 1, 6, 8 et 12].
« Mais vous ne savez pas/ce que c’est qu’une femme. »
[Polyeucte vers 9] [syllabes 4, 6, 9 et 12] Ici, on recourt
au contre-accent, les mots précédents étant atones
(sauf à accentuer « mais », ce qui est toujours assez
artificiel.)
« L’occasi-on, Néarqu(e),/est-elle si pressant(e). »
[Polyeucte vers 21] [syllabes 4, 6, 8 et 12]
rappelons qUelqUes propriétés DU vers
Français en général et De l’alexanDrin
en particUlier
L’alexandrin a douze pieds, mieux appelés syllabes,
car dans la langue française : un pied = une syllabe
(différence d’avec le latin, le grec, l’anglais, l’allemand, etc.).
Il est en général divisé en deux parties appelées hémistiches, séparés par une césure :
« Je sais ce qu’est un songe,//et le peu de croyance. »
[Polyeucte]
Rare est l’exception du trimètre (trois groupes de
quatre syllabes). Le trimètre le plus connu du théâtre classique est justement dans Suréna :
« Toujours aimer, // toujours souffrir, // toujours mourir ».
[Suréna]
Le e muet en français, qui est tantôt prononcé et tantôt
non, selon qu’il est devant consonne, devant voyelle,
ou en fin de groupe de mots, est toujours prononcé dans
le vers, dès qu’il n’est pas devant une voyelle :
« Mais vous ne savez pas ce que c’est qu’une femm(e). »
[Polyeucte]
On rappelle en outre, contre une opinion infondée propagée par quelques étourdis, que la langue française
a un accent tonique. Simplement, à la différence de
quelques autres langues (anglais, allemand, italien,
15
espagnol, portugais, par exemple), cet accent n’est
pas attaché au mot du dictionnaire, mais au groupe
de mots tel qu’il est combiné dans la phrase. Ainsi,
« elephant » en anglais a un accent tonique fixe sur
la première syllabe, « Elephant » en allemand, sur la
dernière ; mais en français, dans « voici l’éléphant »,
l’accent tonique (mobile) est sur « phant », tandis
que dans « l’éléphant du cirqu(e) », il tombe sur
« cir- ». Presque tout le reste s’ensuit !
Il s’agit donc, dans la diction proposée, de souligner
ce qu’il y a de linguistiquement vivant dans le vers,
et qui est audible, démontrable et vérifiable * ; non
de faire entendre ce qui se disait au temps de
Corneille, mais de faire entendre dans la langue parlée aujourd’hui l’écho de ce qu’il pouvait aussi faire
entendre dans la langue de son temps.
En disant le vers de façon attentive, on fait résonner
des sonorités – des consonnes de liaison et des e
muets – et l’on produit des courbes accentuelles qui
concourent à la beauté acoustique.
F. r.
* Jean-Claude Milner et François Regnault, Dire le vers (Seuil,
1987. Verdier, 2008).
16
aRtIClE pRESSE aFp
la destruction des statues du musée de mossoul ...
mossoul, 26 février 2015
Les images de djihadistes s’acharnant à réduire en miettes des statues assyriennes du musée de Mossoul
bouleversent. Cette fois, ce n’est pas la vue du sang,
ni la captation sadique de la souffrance physique qui
épouvante mais la fureur d’arracher les racines.
Le décor apocalyptique du Moyen-Orient nous a
habitués aux pires images. Mais celles qui montrent
la destruction joyeuse des statues du musée de
Mossoul (Irak), héritées de la civilisation de Ninive,
dépassent tous les équivalents du genre. Il y a dans
cette mise en scène une forme de pornographie politique qui agresse les consciences d’une manière aussi
choquante qu’un massacre de masse. Cette fois, ce n’est pas la vue du sang, ni la captation sadique de la
souffrance physique qui épouvante ; c’est la fureur d’arracher les racines, d’anéantir la connaissance, d’abolir la vérité, qui perfore les têtes. Aussi vrai qu’un être humain n’est pas fait que de chair, la mémoire
humaine peut être violée et le corps psychique mutilé.
Une décapitation filmée exhibe un individu atrocement assassiné, afin que chacun puisse s’identifier à lui ;
le saccage du patrimoine universel réduit en poussière la mémoire de l’humanité, pour que tous les peuples
en restent frappés. Le fait que la plupart des œuvres détruites soient des copies n’enlève rien à l’intention.
Par leur stupidité, les terroristes justifient les pillages archéologiques effectués, au XIXe siècle, par les explorateurs européens, auxquels on doit aujourd’hui la présence de la porte d’Ishtar à Berlin, du code
d’Hammourabi au Louvre, ou des taureaux de Khorsabad au British Museum.
le soUvenir De ninive, sacré poUr la bible et le coran
Ce crime a des résonances très profondes. Dans la Bible, dont l’islam respecte les grandes figures prophétiques, Dieu donne un ordre à Jonas. « Lève-toi, va à Ninive, la grande ville » (Jonas 3, 1-10). Suit l’annonce
d’une terrible punition : « Dans 40 jours, Ninive sera détruite ». Sauf que les habitants de la cité viennent à
résipiscence, ils entrent en pénitence et confessent les « actes de violence dont leurs mains sont coupables ! ».
L’épisode se termine par une leçon de mansuétude célèbre : « Dieu vit… qu’ils renonçaient à leur mauvaise
conduite. Alors Dieu regretta le mal dont il les avait menacés et ne le fit pas ». La soumission de Ninive trouve
un écho stupéfiant de conformité dans le Coran : « Lorsqu’ils eurent cru, Nous leur enlevâmes le châtiment
d’ignominie dans la vie présente… » (sourate 10, 98). C’est ainsi que, pour tout musulman observant et lettré,
le souvenir de Ninive demeure sacré, d’autant plus que Jonas est mentionné près d’une dizaine de fois dans
le Coran (y compris son séjour dans le ventre d’un « poisson »).
La mosquée censée abriter le tombeau du prophète Jonas a été dynamitée par les sbires de Daech (de même
qu’ils ont incendié la bibliothèque de Mossoul). Car ils ne voient dans toute statue – même si elle est antérieure à l’islam et si elle ne fait l’objet d’aucun culte – qu’une forme d’idolâtrie à abattre. Dans une sorte de
compétition de sauvagerie, ils cherchent à surpasser la « prouesse » des talibans qui avaient fait sauter les
bouddhas géants de Bamian, perdus dans une vallée inaccessible d’Afghanistan, en mars 2001.
17
DRaMatURGIE
polyeUcte : le coUpable innocent,
oU le « zèle téméraire »
l’avoir fait au nom du Dieu des chrétiens. Comme
Horace, c’est sa vertu même qui l’a conduit à accomplir l’acte instaurateur de la « faute » qui provoque
le passage du bonheur au malheur ; mais cette faute
n’en est pas une, ce passage du bonheur au malheur
n’en est un que pour ceux qui se situent en dehors de
la perspective chrétienne ; de là cette pitié que le héros
suscite aussi bien sur son entourage que sur les spectateurs – et Corneille revient à plusieurs reprises sur
la pitié provoquée par Polyeucte dans son Discours de
la tragédie – jusqu’à la conversion finale.
Faire commettre au héros une faute, tout en sauvegardant non seulement sa vertu, mais son innocence : c’est à quoi Corneille s’emploie au lendemain
d’Horace, avec Cinna et Polyeucte.
[…]
Le principe de la distinction entre les plans sera employé de façon plus nette encore dans Polyeucte, où le
héros est à la fois radicalement innocent et radicalement coupable. Nous pensons même que c’est cette caractéristique fondamentale, que Corneille avait trouvée toute formulée déjà dans les récits hagiographiques dont il s’est inspiré, qui a déterminé le choix d’un
sujet aussi rare parmi tant de vies de saints. Car dans
le gros dossier qu’il a consacré à la question du zèle
téméraire, dans sa notice de Polyeucte [Corneille, Œuvres
complètes, Pléiade tome I, p. 1648-1647], G. Couton a
souligné combien étaient réservées, pour le moins,
les autorités de l’Église envers le chrétien qui provoque
la persécution. Non seulement l’Évangile invite à fuir
la persécution, mais les Pères de l’Église s’opposaient
formellement à tout ce qui pouvait être interprété
comme acte de provocation. À la suite de plusieurs
érudits, G. Couton cite des formules sans ambiguïté de
saint Grégoire de Nazianze, de saint Cyprien, d’Origène
(« Il n’est pas permis d’insulter, de souffleter les statues
de Dieux »), et rappelle pour finir « le décret N°60 du
concile d’Elvire qui s’est tenu après la persécution de
Décius et avant celle de Dioclétien », c’est-à-dire peu
après le martyre de Polyeucte : « Si quelqu’un brise
les idoles et est tué pour ce fait, il ne sera pas inscrit au
nombre des martyrs, car nous ne voyons pas dans l’Évangile que les apôtres aient rien fait de semblable. »
Si nous n’acceptons pas la conclusion du critique (le
« sujet véritable de la tragédie » serait le problème religieux du zèle téméraire), c’est qu’il nous semble que
le zèle téméraire, loin de constituer le lieu d’aboutissement de la signification ultime de la tragédie, a fourni au contraire à Corneille le point de départ de sa
pièce. Dans le martyre de Polyeucte, il a découvert l’un
des rares cas dans lesquels un provocateur de la persécution avait été accepté comme un saint. Il disposait ainsi de l’histoire d’un héros qui, selon les points
de vue envisagés, était coupable d’avoir brisé les idoles
païennes et d’avoir ainsi attenté à la majesté romaine
en blasphémant contre ses dieux, et innocent pour
georges Forestier, Essai de génétique théâtrale/
Corneille à l’œuvre, Klincksieck esthétique, paris 1996, p.229-230
la séDUction Des martyrs selon nietzscHe
Que des martyrs prouvent quelque chose quant à la
vérité d’une cause, cela est si peu vrai que je voudrais nier qu’un martyr eut jamais le moindre rapport avec la vérité. Dans le ton avec lequel un martyr
jette à la tête du monde se certitude s’exprime déjà
un si bas degré de rectitude intellectuelle, une telle
stupidité devant le problème « vérité », qu’un martyr
ne vaut jamais la peine qu’on le réfute.
La vérité n’a rien d’une chose qu’on aurait et que l’autre n’aurait pas […] « Vérité », le mot tel que l’entend
tout prophète, tout sectaire, tout libéral, tout socialiste, tout homme d’église, est la preuve édifiante que
nous n’en sommes même pas au commencement de
cette discipline de l’esprit, de cette méthode de soi
sans laquelle on ne peut trouver la moindre vérité, si
petite qu’elle soit.
Les martyres soit dit en passant, furent un grand malheur dans l’histoire : ils séduisirent… Déduire comme
font tous les idiots, femme et peuple compris, qu’une
cause pour laquelle un homme accepte la mort (ou
même, comme le premier christianisme, qui provoque
des épidémies d’envie de mort) doit bien avoir quelque
chose pour elle – cette logique fut un frein inouï pour
l’examen, pour l’esprit d’examen et la prudence. Les
martyrs portèrent atteinte à la vérité… Il suffit encore aujourd’hui d’une certaine crudité de persécution pour donner à la secte en soi la plus indifférente
un bon renom. – Comment, que l’on donne sa vie pour
une cause, est-ce que cela change quelque chose à sa
valeur ? – Une erreur qui devient honorable est une
erreur qui possède un appât de plus : croyez-vous,
18
Messieurs les théologiens, que nous vous donnerions
l’occasion de jouer les martyrs pour votre mensonge ?
– Pour réfuter une cause, on la prend et on la met
respectueusement de côté – voilà comment on réfute
aussi des théologiens… Ce fut précisément la stupidité historique-universelle de tous les persécuteurs
qu’ils donnèrent à la cause adverse l’apparence de
l’honorable – qu’ils lui firent cadeau de la fascination du martyre… Aujourd’hui la femme est encore à
genoux devant une erreur parce qu’on lui a dit que
pour elle quelqu’un est mort sur la croix. Est-ce que
la croix serait un argument ? – Mais sur toutes ces
choses un seul a dit le mot dont depuis des millénaires on aurait eu besoin – – Zarathoustra.
Ils tracèrent sur le chemin qu’il suivaient des signes de
sang et leur folie enseignait que la vérité se prouve
avec du sang.
Mais le sang est le plus mauvais témoin de la vérité ;
le sang est un poison qui change la doctrine la plus
pure en délire, en haine des cœurs.
Et quand on irait traverser le feu pour sa doctrine –
qu’est-ce que cela prouve ! Il est mieux en vérité que
notre propre doctrine soit sortie de notre propre brasier.
pose à midi, au « moment de l’ombre la plus courte »,
qui serait, en quelque sorte, notre sortie de la caverne, le « point culminant de l’humanité » (Ainsi parlait
Zarathoustra, incipit). Et donc, pourquoi pas : sortie
de l’illusion, de l’aveuglement et des radicalisations.
Que l’actualité révèle bien que nous y sommes guère.
Ainsi, en sortant de cette ombre que nous croyons
lumière, l’heure pourrait être à l’avènement du surhumain et au retour de la tragédie. Et au théâtre de
devenir alors un aperçu du possible monde nouveau,
de ce que serait ce « grand midi ».
Ces liens essentiels que tissent la tragédie avec les martyrs sont sûrement les raisons qui poussent Corneille
à affirmer dans l’Examen de la pièce qu’il n’a « point
fait de pièce où l’ordre du théâtre soit plus beau, et l’enchaînement des scènes mieux ménagé. » Les représentations des martyrs baignent dans ces notions d’illumination, de lumière et de recherche de la vérité mais
sont aussi l’ossature même de la tragédie. En plus
d’embrasser un brûlant sujet d’actualité, Polyeucte serait donc la quintessence de la tragédie : son soleil.
Corneille affirme aussi, dans son Discours de la Tragédie, que « c’est un soin que nous devons prendre de
préserver nos héros du crime tant qu’il se peut » alors
qu’on sait bien, depuis Aristote, que le héros tragique
doit avoir commis une faute ou un crime pour justifier la catastrophe qui l’accable. Se pose alors, outre
les ténèbres absolues qui suivent une recherche de la
vérité, la question de la faute de Polyeucte. Cinquante
ans après le geste du véritable martyr, le concile d’Elvire
juge l’exécution pour destructions d’idoles impropre
à la martyrologie car « on ne voit pas dans l’Évangile
que les apôtres aient agi de la sorte » (Décret LX).
La destruction des idoles, voilà donc la faute de
Polyeucte : héros mort pour rien, dans l’illusion la
plus totale, dans l’ombre la plus noire, abandonnant,
comme aujourd’hui, amour, passion et famille pour
l’extrémisme religieux.
D’un autre côté, Polyeucte, pour accéder au martyr,
reproduit le geste d’Abram (Genèse 12) qui saccage la
boutique d’idoles de son père avant de faire la première alliance avec Dieu. Ce crépuscule des idoles
annonce alors l’aurore de nos religions.
Ainsi, la faute de notre héros tragique serait le geste
fondateur de tout monothéisme…
nietzsche, L’Antéchrist, § 53, trad. Dominique tassel, 10/18
À l’HeUre Des martyrs,
aU soleil De la tragéDie
Prêts à abandonner et l’amour et la vie, comme ces
centaines d’hommes et de femmes qui partent mourir aujourd’hui, au nom d’une vérité, Polyeucte se
sacrifie. Outrepassant la question religieuse, c’est
bien cette notion de vérité, et donc de croyance, qui
guide les guerres saintes. Nietzsche s’interroge sur
cette « volonté de vérité » qui pourrait cacher « la volonté de mort » (Par-delà bien et mal, 8). Si la volonté
de vérité induit une volonté de mort, c’est qu’elle est
aussi volonté d’éternité. Toute l’essence de la tragédie est là, nichée dans la notion de martyr, sujet pleinement contemporain pour un brûlant théâtre.
Si la notion de vérité s’oppose à celle de la connaissance alors, en croyant atteindre la lumière, le martyr
ne serait que plongé dans l’obscurité et l’ignorance.
Et à Foucault de dire que « la vérité que l’homme détient
aujourd’hui devient destruction du sujet de connaissance » (Lecture de Nietzsche). La violence des images
et des récits de nos jeunes martyrs contemporains dévoilerait une violence encore plus forte que leurs cruelles morts : la fin de l’homme pensant.
Ainsi, en voulant atteindre la sainte illumination, nous
sommes dans ce que Nietzsche appelle « l’erreur la plus
longue ». Moment ténébreux de l’histoire qui s’op-
clément camar-mercier
… la qUestion De polyeUcte aUJoUrD’HUi
Quelques questions préalables à la représentation de
Polyeucte en ce XXIe siècle supposé marqué par le
« retour du religieux »1.
19
1. Polyeucte est une tragédie de Corneille qui raconte
4. Reste que la France scolaire, même éprise de laïcité,
la conversion et la mort d’un martyr chrétien. On en
conclurait vite qu’elle est une tragédie chrétienne (bien
que Corneille ne lui donne pas cette dénomination,
et l’appelle seulement Polyeucte martyr), qu’elle ne concerne donc que les Chrétiens, et qu’elle relève plutôt
de la paroisse ou du patronage. Corneille ne l’entend
nullement ainsi.
mettra longtemps plus tard Polyeucte à ses programmes
d’enseignement, non dans une perspective apologétique (convertir ou ramener le spectateur à la religion),
mais plutôt dans une perspective morale : enseigner
l’esprit de renoncement ou de sacrifice aux jeunes gens
(essentiellement les garçons), et tenter de trouver des
vertus profanes qui imitent les vertus chrétiennes.
2. Même en cette année 1643 où la pièce est jouée
(Louis XIV accède au trône, il a cinq ans, mais la pièce devait être connue dès 1642, puisque Richelieu
se serait insurgé contre les exécrations que Stratonice,
la confidente de Pauline, lâche contre le christianisme à la scène 2 de l’acte III !), en une période où
l’Église semble mieux supporter le théâtre que par le
passé, et mieux qu’à l’époque qui marquera la fin du
règne de Louis XIV ; depuis notamment l’installation,
par Richelieu, en même temps que l’Académie française, d’un grand théâtre français, rival du théâtre
italien, et s’adressant aux « honnêtes gens », on n’attend pas du théâtre qu’il montre des tragédies édifiantes, ni qu’il fasse l’apologie de la religion. Certes,
il y avait tout un théâtre religieux populaire avant
Polyeucte, et on jouait des mystères, en province notamment, comme il y avait un théâtre religieux joué
dans les collèges de Jésuites pour l’édification des
élèves ; mais à partir de l’Académie française et de la
fondation d’un grand théâtre français public, on préfère de beaucoup les sujets antiques ! Aussi bien n’y
a-t-il dès lors que très peu de pièces proprement « chrétiennes », et après deux tentatives de toucher à la question de la religion (Polyeucte martyr, Théodore vierge
et martyre), Corneille y renonce. On laissera de côté
le cas de Racine « revenant » au théâtre avec Esther et
Athalie (tragédies plutôt « juives », d’ailleurs), mais
écrites pour les Demoiselles de Saint-Cyr.
5. Ce n’est pas dans cette perspective que Brigitte
Jaques-Wajeman, comme on le voit, se propose de
monter Polyeucte, et ce ne fut vraisemblablement pas
non plus le dessein de Corneille. Car il écrira en 1660
dans son Discours sur la tragédie : « L’exclusion des
personnes tout à fait vertueuses qui tombent dans le
malheur, bannit les martyrs de notre théâtre. Polyeucte
y a réussi contre cette maxime. » [Corneille, « Discours
sur la tragédie », Œuvres complètes, Bibliothèque de
la Pléiade, tome III, Discours… Œuvres, II, p. 147] Il
s’amuse même à se vanter que le nom de Polyeucte
aura, grâce à lui, été davantage entendu au théâtre
qu’à l’Église ! Il sait donc pertinemment que la vie et
la mort d’un martyr, voire d’un saint, ne sont plus
destinés au théâtre moderne, et que désormais, comme
l’écrivit l’Évêque Godeau :
« […] pour changer leurs mœurs et régler leur raison
Les chrétiens ont l’Église et non pas le théâtre. »
6. Qu’entend-il faire lors ? Sans doute ceci : forcer la
dramaturgie qu’il expérimente à chaque pièce nouvelle à affronter cette situation singulière, unique dans
l’histoire de Rome : l’avènement du Christianisme, qui
commence à triompher et qui met en question toutes
les valeurs de l’Empire. Car la pièce se situe en effet
entre les débuts du Christianisme et la période dite
constantinienne, où, à la suite de la conversion de
l’Empereur Constantin, le christianisme devient religion officielle de l’Empire.
Polyeucte se situe donc en 250 ap. J.-C. on est donc
entre les deux, sous l’Empereur Decius (que Corneille,
modernisant les noms latins, nomme Décie), au cœur
de cette révolution culturelle que constitue l’avènement du christianisme.
3. Bien plus, lorsque Corneille lut sa pièce un beau soir
à l’Hôtel de Rambouillet, avant les représentations,
chez la Marquise de Rambouillet, dans ce cercle de
« Précieuses », « La pièce y fut applaudie autant que
le demandaient la bienséance et la réputation que l’auteur avait déjà, mais quelques jours après, M. de
Voiture vint trouver Corneille et prit des tours fort délicats pour lui dire que Polyeucte n’avait pas réussi comme
il pensait, que surtout le christianisme avait extrêmement déplu. » (Corneille, Œuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, tome 1, p.1622). Aussi bien sa portée, son sens, avant une consécration scolaire tardive, embarrassèrent-ils souvent les interprètes et les
commentateurs, sans parler de Voltaire qui admire
la pièce, mais répute Polyeucte un vrai « fanatique ».
7. Or pourquoi Corneille est-il fier d’avoir mis sur le
théâtre un martyr qui réussit, c’est-à-dire dans une
pièce qui a du succès, et donc, qui plaît ? Il ne faut pas
en douter : parce que le principes de la tragédie que,
suivant à la lettre Aristote (il s’en expliquera en 1660
dans ses Discours – soit dix-sept ans plus tard), il a
réussi une tragédie combinant l’ancien et le nouveau.
Ce que je résumerais volontiers de la façon suivante :
20
• ce qui est nouveau: une tragédie où agit la pitié (pour
Polyeucte), mais non pas la crainte (de subir son sort).
• ce qui est ancien, et vient d’Aristote : un héros qui
n’est pas parfait. Mais en quoi ce saint n’est-il pas
parfait ?
Polyeucte est joué avant le carême de 1643, donc avant
la mort du roi [Louis XIII] qui survient le 14 mai. Il
faudra que la dédicace, lors de la publication qui arrive en octobre, soit adressée à la Régente, Anne d’Autriche. Soutenu par ce succès, Corneille reviendra,
trois ans plus tard, durant l’hiver 1645-1646, à la tragédie religieuse, avec moins de bonheur [à Paris en
tout cas], en représentant l’histoire de Théodore, vierge
et martyre. Devant cet échec, il abandonnera la tragédie religieuse pour mieux sauver la tragédie moderne
et politique, et la comédie honnête.
DeUx issUes aU problème :
La première concerne cette action iconoclaste, que
personne ne lui demande ! Corneille est en effet allé
chercher un saint qui avait outrepassé ses devoirs en
allant fracasser des idoles en plein milieu d’une cérémonie païenne, agissement considéré plus tard comme
condamnable par le Concile dit d’Elvire, tenu à Alarife,
quartier de Grenade en Espagne, en 305 ou 306 ap.
J.-C., au nom de ce que les Apôtres ne se livrèrent jamais à ce genre de numéro ! (Voir plus loin les considérations de Georges Forestier sur « Polyeucte, le coupable innocent », dans son Essai de génétique théâtrale/Corneille à l’œuvre, Kincksieck, 1996, page 229).
La seconde consiste, à partir de cette hybris (démesure)
destructrice, à se risquer à des interprétations plus
intéressantes du personnage, et par conséquent de la
pièce, que les interprétations purement édifiantes
(sainteté, désir du sacrifice), et, par exemple, à soupçonner (après Nietzsche, après Freud) le zèle religieux
de Polyeucte de relever de passions funestes dirigées
contre la vie, contre l’amour même de sa femme aimante et aimée. En somme, de manquer au plus élémentaire amour du prochain !
C’est ce que se propose, en principe, la présente mise
en scène.
F. R.
christian biet, Moi, Pierre Corneille, « Découvertes
gallimard/littérature », 2005 p.54-5.
paroles De tHérèse D’avila, FonDatrice
DU carmel, morte en 1582, canonisée
en 1622
Nous étions trois sœurs et neuf frères ; par la grâce
de Dieu, ils furent tous vertueux comme leurs parents,
sauf moi, qui était pourtant la préférée de mon père.
[…] L’un d’eux avait à peu près mon âge. Nous nous
réunissions, lui et moi, pour lire des vies de saints ; il
était mon préféré, bien que j’eusse beaucoup d’amour
pour eux tous, et eux pour moi. Voyant le martyre
que les saintes subissaient pour Dieu, il me semblait
qu’elles achetaient bien bon marché le bonheur d’aller jouir de Dieu, et je désirais vivement mourir ainsi ;
non qu’il me semblât avoir de l’amour pour Lui, mais
pour jouir au plus vite des grands biens du ciel que
les livres m’avaient décrits ; et je recherchais mon
frère pour parler avec lui des moyens d’y parvenir.
Nous formions le projet d’aller au pays des Maures
en mendiant pour l’amour de Dieu, afin qu’on nous
décapite là-bas ; le Seigneur, me semble-t-il, me donnait du courage ; à un âge si tendre, restait à trouver
le moyen de partir, mais le fait d’avoir des parents
nous semblait un obstacle majeur. Nous nous émerveillons de lire dans nos livres que la peine et la gloire
étaient pour toujours. Ils nous arrivaient de passer
de longs moments à en parler, et nous aimions à répéter bien des fois : « Pour toujours, toujours ! » Alors
que je prononçais longuement ces mots, le Seigneur
me faisait la grâce de marquer en moi, dès l’enfance,
le chemin de la vérité.
Dès que je vis l’impossibilité d’aller là où me faire tuer
pour Dieu, nous décidâmes de devenir ermites, et, dans
le verger de la maison, nous nous appliquions, du
mieux que nous le pouvions, à construire des ermitages
avec des petites pierres qui s’écroulaient aussitôt ; nous
ne trouvions donc pas le moyen de réaliser notre désir.
On a souvent attribué à André Malraux la phrase: « Le siècle prochain sera religieux ou ne sera pas ». Il semble avoir plutôt dit (selon
André Frossard) : « Le XXIe siècle sera mystique ou ne sera
pas ». En tout cas, il a écrit : « Je pense que la tâche du prochain
siècle, en face de la plus terrible menace qu’ait connue l’humanité, va être d’y réintégrer les dieux. » Dans un texte : « L’homme et le fantôme », paru dans L’Express du 21 mai 1955.
1
les tragéDies religieUses De corneille
D’autres protecteurs ou mécènes et préfère composer,
pour le roi très dévot, une tragédie chrétienne. Prudence et dévotion, mais aussi ferveur et zèle. Polyeucte
montre comment les héros de la foi brisent les idoles
païennes au détriment de l’amour charnel et au péril
de leur vie et comment, par leur martyre éclatant, ils
convertissent les tyrans les plus terribles. La volonté
d’un homme se même à la Grâce, au sacrifice et à la
Providence, au point que l’obstination chrétienne, perçue comme une folie du côté des païens, en devient
grandiose, admirable, tandis que la religion devient
un problème théâtral.
thérès d’avila autobiographie, La Vie de Sainte Mère
Thérèse de Jésus Œuvres complètes chap. 1 § 3 à 5.
21
la soUrce De corneille :
abrégé DU martyre De saint polyeUcte
par siméon métapHratse et rapporté
par sUriUs
Son beau-père Félix qui avait commission pour persécuter les Chrétiens, ayant vu lui-même ce qu’avait fait
son gendre, saisi de douleur de voir l’espoir et l’appui de
sa famille perdus, tâche d’ébranler sa constance, premièrement par de belles paroles, ensuite par des
menaces, enfin par des coups qu’il lui fait donner par
ses bourreaux sur tout le visage ; mais n’en ayant pu
venir à bout, pour dernier effort il envoie sa fille
Pauline, afin de voir si ses larmes n’auraient point plus
de pouvoir sur l’esprit d’un mari, que n’avaient eu ses
artifices et ses rigueurs. Il n’avance rien davantage par
là, au contraire, voyant que sa fermeté convertissait
beaucoup de Païens, il le condamne à perdre la tête. Cet
Arrêt fut exécuté sur l’heure, et le saint Martyr, sans
autre Baptême que de son sang, s’en alla prendre possession de la gloire que Dieu a promise à ceux qui
renonçaient à eux-mêmes pour l’amour de lui.
Voilà en peu de mots ce qu’en dit Surius. Le songe de
Pauline, l’amour de Sévère, le Baptême effectif de
Polyeucte, le sacrifice pour le victoire de l’Empereur, la
dignité de Félix que je fais Gouverneur d’Arménie, la
mort de Néarque, la conversion de Félix et de Pauline,
sont des inventions et des embellissements de Théâtre.
La seule victoire de l’Empereur contre les Perses a
quelques fondements dans l’Histoire, et sans chercher
d’autres Auteurs, elle est rapportée par M. Coëffeteau
dans son Histoire Romaine, mais il ne dit pas, ni qu’il
leur imposa tribut, ni qu’il envoya faire des Sacrifices
de remerciement en Arménie.
Si j’ai ajouté ces incidents et ces particularités selon
l’Art ou non, les savants en jugeront ; mon but ici n’est
pas de la justifier, mais seulement d’avertir le Lecteur
de ce qu’il peut en croire. »
Voici la manière dont Corneille a découvert son personnage Polyeucte et qui l’a inspiré. Corneille raconte :
« Polyeucte et Néarque étaient deux Cavaliers étroitement liés ensemble d’amitié. Ils vivaient en l’an 250
sous l’Empire de Decius ; leur demeure était dans
Mélitène capitale d’Arménie, leur Religion différente :
Néarque étant chrétien, et Polyeucte suivant encore la
secte des gentils [ce mot désigne d’abord les non-juifs,
ensuite les non-chrétiens, ici : les païens], mais ayant
toutes les qualités d’un chrétien, et une grande inclination à le devenir. L’Empereur ayant fait publier un Édit
très rigoureux contre les Chrétiens, cette publication
donna un grand trouble à Néarque, non pour la crainte
des supplices dont il était menacé, mais pour l’appréhension qu’il eut que leur amitié ne souffrît quelque
séparation ou refroidissement par cet Édit, vu les peines
qui y étaient proposées à ceux de sa Religion, et les honneurs promis à ceux du parti contraire. Il en conçut un
si profond déplaisir, que son ami s’en aperçut, et l’ayant
obligé de lui en dire la cause, il prit l’occasion de lui
ouvrir son cœur : “Ne craignez point, lui dit-il, que
l’Édit de l’Empereur nous désunisse, j’ai vu cette nuit le
Christ que vous adorez, il m’a dépouillé d’une robe sale
pour me revêtir d’une autre toute lumineuse, et m’a fait
monter sur un cheval ailé pour le suivre. Cette vision
m’a résolu entièrement à faire ce qu’il y a longtemps
que je médite, le seul nom de Chrétien me manque, et
vous-même, toutes les fois que vous m’avez parlé de
votre grand Messie, vous avez pu remarquer que je vous
ai toujours écouté avec respect, et quand vous m’avez lu
sa vie et ses enseignements, j’ai toujours admiré la sainteté de ses actions et de ses discours. Ô Néarque, si je ne
me croyais pas indigne d’aller à lui sans être initié de
ses mystères, et avoir reçu la grâce de ses Sacrements,
que vous verriez éclater l’ardeur que j’ai de mourir pour
sa gloire et le soutien de ses éternelles vérités !” Néarque
l’ayant éclairci sur l’illusion du scrupule où il était par
l’exemple du bon Larron [crucifié avec le Christ sur la
croix], qui en un moment mérita le Ciel, bien qu’il n’eût
pas reçu le Baptême, aussitôt notre Martyr pleine d’une
sainte ferveur, prend l’Édit de l’Empereur, crache dessus et le déchire en morceaux qu’il jette aux vents, et
voyant des Idoles que le peuple portait sur les Autels
pour les adorer, il les arrache à ceux qui les portaient,
les brise contre terre, et les foule aux pieds, étonnant
tout le monde et son ami même, par la chaleur de ce
zèle qu’il n’avait pas espéré.
22
CoRnEIllE
pierre corneille, né à Rouen le 6 juin 1606 et mort à
« pièce à machines », c’est-à-dire privilégiant la mise
en scène et les « effets spéciaux » (La Toison d’or), et
en s’essayant au théâtre musical (Agésilas, Psyché).
Il aborde aussi le thème du renoncement, à travers
l’incompatibilité de la charge royale avec le droit au
bonheur (Sertorius, Suréna).
À partir des années 1660, l’étoile montante du théâtre
français s’appelle Jean Racine, dont les intrigues misent davantage sur le sentiment et apparaissent moins
héroïques et plus humaines. La comparaison avec
Racine tournera au désavantage de Corneille lorsque
les deux auteurs produiront presque simultanément,
sur le même sujet, Bérénice (Racine) et Tite et Bérénice
(Corneille). À la fin de sa vie, la situation de Corneille
est telle que Boileau demande pour lui une pension
royale qu’il obtient de Louis XIV.
Paris le 1er octobre 1684, est un dramaturge français,
frère de Thomas Corneille. Ses pièces les plus célèbres sont Le Cid, Cinna, Polyeucte et Horace. La
richesse et la diversité de son œuvre reflètent les
valeurs et les grandes interrogations de son époque.
Aîné des six enfants d’une famille aisée de magistrats rouennais, Pierre Corneille entame en 1624 une
carrière d’avocat à Rouen. C’est alors qu’en 1628
son père lui achète deux offices d’avocat du roi au
siège des Eaux et Forêts et à l’amirauté de France.
Il prend ses fonctions le 16 février 1629. En 1629, un
chagrin amoureux le conduit à écrire ses premiers
vers, puis sa première comédie, Mélite. Avec les
pièces qui suivront : Clitandre, La Veuve, La Galerie
du Palais, La Suivante, La Place Royale, Médée et
L’Illusion comique, apparaît un nouveau style de
théâtre où les sentiments comiques ou tragiques sont
mis en scène pour la première fois dans un univers
plausible, celui de la société contemporaine.
En 1641, il épouse Marie de Lampérière, fille du lieutenant particulier des Andelys, avec qui il aura sept
enfants dont un mort une semaine après sa naissance.
Corneille, auteur officiel nommé par Richelieu, rompt
avec ce statut de poète du régime et avec la politique
contestée du cardinal, pour écrire des pièces exaltant
la haute noblesse (Le Cid, œuvre aujourd’hui universellement connue), rappelant que les hommes politiques ne sont pas au-dessus des lois (Horace), ou
montrant un monarque cherchant à reprendre le
pouvoir autrement que par des représailles (Cinna).
En 1647, il est élu à l’Académie française au fauteuil
14 qu’occupera son frère et collaborateur occasionnel Thomas après sa mort.
De 1643 à 1651, après la mort de Richelieu, et durant
la période de la Fronde, la crise d’identité que traverse la France se retrouve dans l’œuvre de Corneille :
il règle ses comptes avec Richelieu dans La Mort de
Pompée, donne une tragédie de la guerre civile avec
Rodogune et développe le thème du roi caché dans
Héraclius, Don Sanche et Andromède, s’interrogeant
sur la nature même du roi, subordonné aux vicissitudes
de l’histoire, en lui faisant ainsi gagner en humanité.
À partir de 1650, ses pièces connaissent un succès
moindre, et il cesse d’écrire pendant plusieurs années
après l’échec de Pertharite. Ce n’est qu’à la toute fin
des années 1650 que le vieux poète renoue avec la
scène avec la tragédie Œdipe.
Corneille continue à innover en matière de théâtre
jusqu’à la fin de sa vie, en montant ce qu’il appelle une
ŒUvres tHéÂtre
• Mélite (première œuvre)
• Clitandre ou l’Innocence persécutée (1631)
• La Veuve (1632)
• La Galerie du Palais (1633)
• La Suivante (1634)
• La Place Royale (1634)
• Médée (1635)
• L’Illusion comique (1636)
• Le Cid (1637)
• Horace (1640)
• Cinna ou la Clémence d’Auguste (1641)
• Polyeucte (1642)
• La Mort de Pompée (1644)
• Le Menteur (1644)
• Rodogune (1644)
• Théodore (1646)
• Héraclius (1647)
• Andromède (1650)
• Don Sanche d’Aragon (1650)
• Nicomède (1651)
• Pertharite (1652)
• Œdipe (1659)
• La Toison d’or (1660)
• Sertorius (1662)
• Sophonisbe (1663)
• Othon (1664)
• Agésilas (1666)
• Attila (1667)
• Tite et Bérénice (1670)
• Psyché (1671)
• Pulchérie (1672)
• Suréna (1674)
23
lES CoMÉDIEnS & lE MEttEUR En SCEnE
PASCAL BEKKAR
Formé auprès de Jacques Fontaine, Pierre Debauche, il travaille sous la direction de J.-L. Thamin dans Les Nègres et les Bonnes de J. Genet, de V. Colin dans
une adaptation de Candide de Voltaire et des Mariés de la Tour Eiffel de J.
Cocteau. Il rencontre Brigitte Jaques-Wajeman sur la création du Don Juan de
Molière et depuis participe et collabore à de nombreuses créations de la
Compagnie Pandora.
PAULINE BOLCATTO
Formée au Conservatoire national (2013), elle y travaille avec D. Mesguich,
S.Ouvrier, C.Maltot, J-P Wenzel. Au théâtre, elle joue notamment sous la direction de L. Herson-Macarel, J. Falguières, L. Cohen-Paperman, C. Bondu, S.
Todorov, O. Cohen, A. Magnier, F. Jessua. Co-fondatrice du Festival du
Nouveau Théâtre Populaire (NTP), elle participe à une vingtaine de créations
comme actrice, auteure, ou metteure en scène.
CLÉMENT BRESSON
ll suit la formation de l’école du TNS (2007). En 2009, il interprète le rôle de Tartuffe
dans le Tartuffe de S. Braunschweig. Par la suite, il travaille sous les directions
d’A. Françon, N. Bigards, R. Loyon, Jean-Philippe Vidal, S.Vittoz, R.Vontobel, Marine
Mann, et les O’Brothers. Puis avec Sébastien Pouderoux et Marie Rémond, il coécrit les spectacle André et Vers Wanda. En 2014 au palais des Papes à
Avignon, il joue dans Le Prince de Hombourg de Giorgio B. Corseti, et Forest de
V. Serre. Au cinéma, il tourne dans Ni le Ciel ni la Terre de Clément Cogitore.
TIMOTHÉE LEPELTIER
Sorti du Conservatoire national en 2014, il travaille avec G. Lavaudant, N.
Strancar, R. Renucci, Y. Mentes, S. Ouvrier, D. Mesguish… Il participe à de
jeunes créations comme Naissance de Julien Guyommard au festival de
Villeréal ou encore Berliner Mauer : Vestiges de Jade Herbulot et Julie Bertin au
théâtre Gérard Philipe en 2015 qui est repris en mars 2016 au théâtre des
Quartiers d’Ivry. C’est sa première collaboration avec Brigitte Jaques-Wajeman.
24
AURORE PARIS
Sortie du Conservatoire national en 2008, elle travaille au théâtre sous la direction d’E. Lacascade, L. Pogrebnitchko, B. Sobel, P. Bureau, M. Kerzanet et enfin
B. Jaques-Wajeman. Elle tourne dans des téléfilms, notamment L’Amour dans le
sang, dans lequel elle interprète le rôle de Charlotte Valandrey. Parallèlement,
Aurore écrit roman, poésie, pièces de théâtre, scénarii et réalise son premier
court-métrage en 2012 : Ad Nauseam.
MARC SIEMIATYCKI
Ancien élève de l’École supérieure d’art dramatique du Théâtre national de
Strasbourg (groupe 26), Marc Siemiatycki a travaillé avec de nombreux metteurs
en scène tels que Jean-Marie Villégier, Stuart Seide et Gilles Bouillon. Il participe
pour la troisième fois à une création de la compagnie Pandora après avoir joué
dans Nicomède en 2007 et Tartuffe en 2009. Il est également enseignant en art
dramatique et occupe le poste de professeur au CRR de Rueil-Malmaison.
BERTRAND SUAREZ-PAZOS
Il a travaillé avec Coline Serreau, Nino d’Introna, Jean Lacornerie, Richard Brunel,
Stéphanie Loïk, Elisabeth Chailloux, Jean-Pierre Berthomier, Michel Belletante…
Voix familière des dramatiques de France Culture et France Inter. Il a écrit et mis
en scène Derrière les murs. Prix Arthur Rimbaud pour Vers des espoirs publié à
La Maison de Poésie en 1999. Il travaille depuis de nombreuses années avec
Brigitte Jaques-Wajeman.
BRIGITTE
JAQUES-WAJEMAN
Formée dans les classes d’Antoine Vitez, elle travaille en
tant que comédienne dans plusieurs de ses spectacles de
1969 à 1974. En 1974, dans le cadre du Festival d’Automne,
elle réalise sa première mise en scène en créant, pour la
première fois en France, la version intégrale de L’Éveil du
printemps, de Frank Wedekind, dans une nouvelle traduction de François Regnault.
En 1976, elle fonde, avec François Regnault, la Compagnie Pandora, qui devient le Théâtre de la CommunePandora au Centre dramatique national d’Aubervilliers lors de sa nomination à la direction en 1991 jusqu’en
1997.
Puisant dans les répertoires classiques et modernes, elle a mis en scène plus d’une trentaine de pièces
présentées lors de festivals et dans de nombreux théâtres, en France et à l’étranger (Comédie-Française,
Chaillot, Odéon, Athénée, Théâtre de la Ville,…). Ayant le souci de la langue et, particulièrement, de la
langue versifiée, Brigitte Jaques-Wajeman s’emploie à révéler la dimension charnelle, sensuelle, des mots.
Pierre Corneille étant son auteur de prédilection, elle monte neuf de ses textes.
25
TOURNÉE 2017
24 jan.
TAP/ATP à poitiers
2 fév.
Ma Scène Nationale à montbéliard
11 & 12 mai
Théâtre du beauvaisis
23 & 24 mai
L'Apostrophe à cergy-pontoise
À LIRE
• Le texte de Racine est édité chez Gallimard (collection Folio-Théâtre).
• Dire le vers, Jean-Claude Milner, François Regnault (Verdier)
• Théâtre-solstices, François Regnault (Actes Sud)
• Trois discours sur le poème dramatique, Corneille (Flammarion)
& AUSSI
les lUn. 16, mar. 17 & JeU. 19 Janvier 14 H 30 AU tHéÂtre Des abbesses
gérarD WaJcman
brigitte JaqUes-WaJeman
+7
)
le Voyage de Benjamin
26
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