traduction de la nomenclature - Universitatea „1 Decembrie 1918”

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La traduction de la nomenclature des textes classiques :
la polysémie historique
Luiza SÂRBU
« Universitatea din Piteşti »
Le problème de la reconstitution de la nomenclature des textes classiques relève de tous les
aspects de la langue : vocabulaire, sons, morphologie et syntaxe. Dans notre étude nous nous
limiterons à n’envisager que les questions de lexique, nous analyserons les mots du point de vue de
leur évolution et de leurs changements de sens, et nous commencerons par les plus fréquemment
employés dans les œuvres de Molière, Racine et Corneille. Nous donnerons leurs étymons, leurs
significations au XVII e siècle, la manière dont nous devons les traduire en roumain, et, s’il y a lieu,
exemples de traductions fautives ou bonnes, extraites de divers traducteurs.
Nous proposons une classification du point de vue sémantique de la nomenclature des textes
classiques. Il s’agit d’une classification historique, et donc virtuelle, car les sens dans lesquels les
mots étaient employés au XVII e siècle n’existent plus. Nous parlons de la polysémie historique
c’est-à-dire que les mots dont il s’y agit ont des sèmes semblants dans la langue actuelle.
Polysémie historique :
Commençons par le mot amant qui a une très grande fréquence dans les œuvres des trois
écrivains. Son étymon est amans, le participe présent de amare – aimer. Au XVII e siècle ce mot
avait le sens de « personne qui aime et qui est aimée en retour » et c’est avec ce sens qu’il est très
employé. Chez Corneille on le trouve dans tout son œuvre : « Tant qu’ils ne sont qu’amants, nous
sommes souveraines » (Polyeucte, v. 133), « D’un lien conjugal joindre ces deux amants », (Le Cid,
v. 147), « Vous ne méritez pas l’amant qu’on vous destine » (Le Cid, v. 1694). Corneille fait une
distinction claire entre l’amant qui aime une femme à laquelle il déclare son amour et l’amoureux
qui aime sans être aimé. Racine l’emploie lui aussi : « Elle reçoit les vœux de son nouvel amant »
(Britannicus, v. 954), « Ce héros n’attend point qu’une amante abusée » (Phèdre, v. 21), « Il veut
entre vos bras remettre son amante » (Iphigénie, v. 1714). Sa traduction en roumain devrait être
« adorator, admirator ». Racine l’emploie aussi, mais avec le sens exceptionnel de « prétendant » :
« Que d’Hélène autrefois firent tous les amants » (Iphigénie, v. 300), « Il n’était point à Sparte entre
tous ces amants » (Iphigénie, v.619). Molière lui aussi l’emploie dans le sens de « soupirant » :
« Vous avez trop d’amants qu’on vous voit obséder » (Le Misanthrope, v. 459) que Nina Cassian
traduit par « bărbaţi » et le poète Arghezi par « cunoştinţe », ou bien de « fiancé » : « …sur ce que
son amant fit voir qu’il n’avait que cinquante-six ans… » (L’avare, l. 124) pour lequel A. Kiriţescu
emploie « cel care urma să-i fie bărbat » et le poète « pretendent ». On devrait les traduire par
« pretendent ».
Le mot ennui a comme étymon le mot latin odium qui signifie haine. Au XVII e siècle ce
mot avait un sens plus fort qu’aujourd’hui, et allait même jusqu’à designer un violent désespoir.
C’est dans ce sens que Molière l’emploie : « Et nous berce un temps notre ennui » (Le Misanthrope,
v. 314) que Arghezi traduit par « momentul dureros » ; « Pour pouvoir s’affranchir de son cuisant
ennui » (Le Misanthrope, v. 1248), dans le dernier exemple le sens est de « tourment
insupportable ». Chez Corneille nous le trouvons dans le même sens de « douleur, désespoir » :
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« Mon cœur outré d’ennuis n’ose rien espérer. », (Le Cid, v. 458), « Tu prépares mon âme à
d’étranges ennuis » (Polyeucte, v. 773). Racine l’emploie dans le sens de « haine » : « … et quel
mortel ennui / Contre tout votre sang… » (Phèdre, v. 255) que Nanu traduit par « chinuri », ou bien
dans le sens de « tourments » : « Et, sans vouloir vous-même augmenter vos ennuis » (Phèdre, v.
1091), « N’éclaircirez-vous point ce front chargé d’ennuis ? » (Iphigénie, v. 567), « Pour accabler
César d’un éternel ennui » (Britannicus, v. 1720). Nous trouvons bon de traduire le mot ennui par
« chin, suferinţă » ou bien, là où il est nécessaire, par « ură ».
Le verbe commettre, du latin committere, était employé au XVII e siècle dans le sens de
« confier, engager ». Chez Molière : « Et qu’encor vaut-il mieux s’en remettre, au besoin, / A ceux
à qui le Ciel en a commis le soin » (Le Misanthrope, v. 956), « […] ce sont des suites fâcheuses, où
je n’ai gardé de me commettre » (L’Avare, acte IV, scène III, l. 45) ; nous le trouvons aussi chez
Racine qui l’emploie dans ce sens : « Et ne peut dignement vous confier qu’au mains / A qui Rome
a commis l’empire des humains. » (Britannicus, v. 582) aussi bien que dans le sens moderne de
« (s’) exposer » : « C’est un trésor trop cher pour oser le commettre » (Phèdre, v. 905) ; Corneille
l’use dans le sens de « confier » : « J’ai son pouvoir en main ; mais s’il me l’a commis / C’est pour
le déployer contre ses ennemis. » (Polyeucte, v. 919). La traduction de commettre dépend du sens
dans lequel il est employé : « a încredinţa » ou « a expune ».
Nous pouvons être tentés d’introduire le verbe commettre dans la catégorie des homonymes
historiques parce que le sens « confier, engager » a disparu de la langue, mais nous ne devons pas
oublier que ses dérivés commis, commissaire, commission ont gardé le sème [+ mettre (qqn) dans
une charge].
La famille de mots étonner, étonnant, étonnement apparaît elle aussi assez fréquemment
dans les œuvres de Molière, Corneille et Racine, surtout dans les tragédies. Son étymon est le verbe
du latin populaire extonare employé pour le littéraire attonare signifiant « frapper par un coup de
tonnerre ». Molière l’emploie dans le sens d’« effrayant, comme un coup de tonnerre » : « … ce
péril étonnant qui commença de nous offrir … » (L’Avare, l. 48). Dans sa traduction, Arghezi se
trompe du sens de ce mot qu’il traduit par « primejdia ciudată » ; A. Kiriţescu lui aussi le traduit
fautivement, « primejdia neprevăzută ». Corneille l’emploie avec toute sa force étymologique :
« Ne me regarde plus d’un visage étonné » (Le Cid, v. 751), « Rappelle cependant tes forces
étonnées » (Polyeucte, v. 361), « Sans regret, sans murmure, et sans étonnement » (Polyeucte, v.
995). Dans l’œuvre de Racine étonner est encore plus fréquent, employé dans le sens de « frapper
de stupeur, stupéfier » : « Mais lui-même, étonné d’une fuite si prompte » (Iphigénie, v. 770), « Ma
douleur étonne son audace » (Iphigénie, v. 1053), « … et le peuple, étonné de son sort »
(Britannicus, v. 1193). Nous proposons de traduire ce mot par « a stupefia; a ului; a rămâne
înmărmurit, împietrit, încremenit ».
Le mot flatter a l’origine dans le mot du bas allemand flat qui signifie « bas ». Ce mot, qui
au XVII e siècle était employé dans les sens de « induire en erreur », « entretenir une illusion
agréable », « tromper par / bercer d’un faux espoir », « divertir, détourner d’une voie déterminée »
et même « séduire », nous le trouvons dans le Larousse du XX e siècle (1930) dans ces sens, mais le
Micro Robert (1998) et le Petit Larousse (1993) n’en témoignent plus, ce qui nous fait conclure que
flatter était encore perçu au début du XX ème siècle dans ces sens qui se sont beaucoup affaiblis au
cours du siècle. Voyons-le maintenant dans ses occurrences chez Corneille : « Au surplus, pour ne
point te flatter, / Je te donne à combattre un homme à redouter » (Le Cid, v. 275), « Et mon amour
flatteur déjà me persuade » (Le Cid, v. 537). Chez Racine : « Le vent qui nous flattait nous laissa
dans le port » (Iphigénie, v. 48), « Ai-je flatté ses vœux d’une fausse espérance ? » (Iphigénie, v.
566). Nous pouvons traduire flatter par « a amăgi, a înşela ».
Analysons aussi le mot chagrin dont l’origine semble douteuse selon le Larousse du XX e
siècle et que le Petit Larousse de 1993 donne comme provenant de chat et grigner. C’est dans le
sens de « accès de mauvaise humeur, de colère » que l’emploie Molière : « Dans vos brusques
chagrins, je ne puis vous comprendre » (Le Misanthrope, v. 6) que Arghezi traduit, dans une langue
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roumaine savoureuse, « pârţagului matale » tandis que Nina Cassian aime se tenir près du texte
original : « necazuri ». Racine l’emploie au sens de « tourment, souffrance morale très forte » :
« Crois-tu que mes chagrins doivent s’évanouir » (Iphigénie, v. 419), « Quel péril, ou plutôt quel
chagrin vous en chasse » (Phèdre, v. 33), ou bien dans le sens d’ « inquiétudes » : « Les chagrins
qu’il me cause / M’occuperont assez tout le temps … » (Britannicus, v. 7), ou dans le sens de
« ressentiments » : « Unissez vos chagrins ; liez vos intérêts » (Britannicus, v. 313). Une bonne
traduction de ce mot serait : « supliciu, chin, suferinţă ». Ce qui est assez surprenant c’est que nous
ne trouvons nulle part ce mot dans l’œuvre de Corneille, ce qui nous fait penser qu’il ne l’agréait
pas quoique ce terme fît plutôt part du vocabulaire tragique que de celui de la comédie.
Des mots comme gêne et gêner sont, pour le locuteur de langue française moderne,
synonymes d’embarras, incommodité, embarrasser, incommoder. Ces sens se sont développés aux
dépens de ceux de la langue française ancienne lorsque les mots signifiaient torture, torturer. Ils
offrent un bon exemple de la manière dont un mot perd sa force primitive. Dérivés de Gehenna, i.e.
vallée de Hinnom, près de Jérusalem, mentionnée dans la Bible dans la scène des sacrifices
humaines, et puis appliquée par extension à Hadès, les mots gêne et gêner ont eu à l’origine le sens
propre et figuratif de torture et torturer. Plus tard, cette idée s’est affaiblie et a acquis le sens de
douleur et chagrin et, encore plus tard, elle a subi un autre affaiblissement, acquérant le sens
moderne d’embarras. C’est dans les sens de torture et torturer qu’on les retrouve dans la littérature
du XVII e siècle, la période qui nous intéresse. Chez Molière : « Allons vite, des commissaires, des
archers, des prévôts, des juges, des gênes, des potences et des bourreaux. » (L’Avare, acte IV, scène
VII, l. 32). Arghezi, qui se prend comme d’habitude des libertés dans la traduction, traduit ce mot
par « hingheri » tandis que A. Kiriţescu préfère « temniceri ». Chez Corneille : « Ne t’étonne donc
plus si mon âme gênée / Avec impatience attend leur hyménée » (Le Cid, v. 105), « Dieu, que vous
vous gênez par cette défiance ! » (Polyeucte, v. 1471). Chez Racine : « Sont-ils d’accord tous deux
pour me mettre à la gêne ?» (Phèdre, v. 1454) ; Nanu traduit la dernière partie du vers par « să-mi
smulgă ceva prin silnicie » ; « Britannicus le gêne, Albine » (Britannicus, v. 13). Ces mots, gêne et
gêner ne posent pas de problèmes de traduction, il faut les traduire par « tortură, supliciu », « a
tortura ».
Le mot déplaisir, tout comme gêne et ennui, avait un sens plus fort au XVIIe siècle qu’il
n’en a maintenant et il était équivalent de « tourment, désespoir, souffrance morale profonde ».
Chez Molière : « Je serais fort fâchée de vous causer du déplaisir » (L’Avare, acte III, scène VII, l.
30), « Je sais les chagrins et les déplaisirs que sont capables de causer de pareilles traverses. »
(L’Avare, acte IV, scène I ère, l. 5). Chez Corneille : « Et de là prend son cours mon déplaisir
secret » (Le Cid, v. 116), « Ah ! cruels déplaisirs à l’esprit d’une amante ! » (Le Cid, v. 1165),
« […] et qu’un peu de soupirs / Fait un aisé remède à tous vos déplaisirs » (Polyeucte, v. 480),
« […] dans un tel déplaisir / Je ne puis que résoudre » (Polyeucte, v. 1067). Le mot déplaisir peut
être traduit par « chin, supliciu, tortură morală ».
L’adjectif aimable, qui signifie maintenant « affable, gentil, sociable », avait au XVII e
siècle le sens de « digne d’être aimé ». Nous le retrouvons chez Racine : « […] et ne daigne pas
peut-être s’informer / Si César est aimable, ou bien s’il sait aimer ? » (Britannicus, v. 426), mais
aussi chez Corneille : « […] vous serez excusable / D’avoir moins de chaleur contre un objet
aimable » (Le Cid, v. 838), « Il est toujours aimable, et je suis toujours femme » (Polyeucte, v.
346). En ce qui concerne sa traduction, on n’a pas en roumain en mot qui, par lui seul, puisse rendre
l’idée de « digne d’être aimé », c’est pourquoi nous pouvons recourir à une périphrase du type
« demn / vrednic de iubire » ou bien le traduire par « iubit, îndrăgit, drag ».
Le mot amitié était fréquemment employé au XVII e siècle pour désigner l’amour entre
parents et enfants ou entre « amants ». Son étymon est le mot latin amicitia. Il est assez
fréquemment employé dans les œuvres des trois écrivains. Chez Molière : « servez-vous de tout le
pouvoir que vous donne sur elle cette amitié » (L’Avare, acte IV, scène II, l. 96). La traduction que
Arghezi et Kiriţescu donnent à ce mot est « dragoste ». « Apprenez que le capitaine […] prit amitié
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pour moi » (L’Avare, acte V, scène V, l. 72) que, d’une part, Arghezi traduit par « m-a luat subt
ocrotire » et, d’autre part, Kiriţescu traduit par « mi-a arătat prietenie ». Molière l’emploie aussi
dans le sens de « amour » : « Mais, si son amitié pour vous se fait paraître » (Le Misanthrope, v.
238) que Arghezi traduit par « simţirea » et Nina Cassian par « prietenia ». Racine l’emploie dans le
sens d’ « affection profonde »: « […] l’aimable Iphigénie / D’une amitié sincère avec vous est
unie » (Iphigénie, v. 410), ou d’ « amour filial » : « Sa prodigue amitié ne se réserve rien »
(Britannicus, v. 81), ou d’ « affection partagée » : « Qui de notre amitié va rallumer l’ardeur »
(Britannicus, v. 1298). Chez Corneille : « Et que mon amitié se plaint de sa paresse. » (Le Cid, v.
61) où amitié signifie « amour », de même que dans les vers : « Apportez-vous ici la haine, ou
l’amitié, / Comme mon ennemie, ou ma chère moitié » (Polyeucte, v. 1165); dans le vers « Au nom
d’un père mort, ou de notre amitié » (Le Cid, v. 959) le mot a le sens d’ « affection ». La traduction
de ce mot en roumain peut être « afecţiune, dragoste».
Un autre mot dont le sens a changé au cours du temps est succès. Son étymon latin est
successus qui signifie « issue, résultat » bon ou mauvais. Au XVIIe siècle, ce mot était encore
employé dans son sens étymologique. Chez Molière : « Mais, à vous dire vrai, le succès me donne
de l’inquiétude » (L’Avare, acte I, scène I e, l. 11), que Arghezi traduit par « mă nelinişteşte
sfârşitul » et Kiriţescu par « izbânda dumitale mă nelinişteşte ». Dans les vers de Corneille
« Madame, toutefois parmi leurs bons succès / Vous montrez un chagrin qui va jusqu’à l’excès. »
(Le Cid, v. 71) ; nous le trouvons qualifié de « bon » ou de « heureux » dans : « Nos plus heureux
succès sont mêlés de tristesse » (Le Cid, v. 1002) ou encore : « Ce n’est pas le succès que mon âme
redoute » (Polyeucte, v. 354). Nous le trouvons aussi dans l’œuvre de Racine : « Dédaignez-vous
avancer le succès de mes vœux ? » (Iphigénie, v. 175). Pour sa traduction, nous pouvons employer
en roumain « rezultat, realizare, final, finalizare, încununare, înfăptuire ».
Le nom effet, du latin effectus, « influence », était au XVII e siècle employé tantôt dans son
sens moderne, « résultat », tantôt dans d’autres sens qui ont disparu. Voyons ses occurrences chez
Corneille : « Le l’attendrai sans peur. // Mais non pas sans effet » (Le Cid, v. 391) où ce mot a le
sens de « résultat, effet » de même que dans les vers « Et que j’empêche ainsi l’effet de son
courage » (Le Cid, v. 497), « L’irréparable effet d’une chaleur trop prompte / Déshonorait mon
père » (Le Cid, v. 874). Le voilà employé aussi dans ses vieux sens : « Après la mort du Comte, et
les Mores défaits, / Faudrait-il à ma gloire d’autres effets ? » (Le Cid, v. 1524) où il signifie
« action », « exploit » ; il peut signifier aussi « réalisation » comme dans les vers : « Dont le récit
fatal, […] / D’une si douce attente a ruiné l’effet » (Le Cid, v. 456), « Et suit leur vaine idée avec si
peu d’effet » (Polyeucte, v. 731) ou bien « accomplissement » : « Juste ciel […] / Rends son effet
plus prompte, ou mon âme plus forte » (Le Cid, v. 146). Racine lui aussi emploie ce mot : « Dans
les champs phrygiens les effets feront foi » (Iphigénie, v. 195) où son sens est de « acte, action », et
encore : « Quels effets voulez-vous de sa reconnaissance ? » (Britannicus, v. 87) où il signifie
« preuves effectives ». En ce qui concerne sa traduction, le mot effet doit être mis en roumain selon
les sens qu’il a dans chaque contexte : « rezultat, efect » pour le sens moderne, ou bien « acţiune,
act, ispravă » et encore « împlinire, încununare » pour son emploi ancien.
Un autre mot qui a changé de sens le long du temps est séduire qui a l’étymon dans le verbe
latin se-ducere – conduire à soi, et qui d’abord a eu le sens de « tirer à l’écart » puis « détourner de
la voie droite, égarer » et, enfin, « séduire ». Il apparaît assez fréquemment dans le sens d’ « écarter
du bon chemin, induire en erreur » dans la littérature du XVII e siècle. Chez Corneille : « Votre
espoir vous séduit, votre mal vous est doux » (Le Cid, v. 527), « Quand il verra puni celui qui l’a
séduit » (Polyeucte, v. 880), « Votre ardeur vous séduit » (Polyeucte, v. 1707). Chez Racine : « Ces
dieux qui se sont fait une gloire cruelle / De séduire le cœur d’une faible mortelle » (Phèdre, v.
682), « Je reconnais l’erreur qui nous avait séduits » (Iphigénie, v. 779), « N’avait-on que Sénèque
et moi pour le séduire ? » (Britannicus, v. 184). La traduction de ce mot devrait être « a înşela, a
amăgi ».
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Le nom manie, du grec mania, qui a maintenant le sens d’ « habitude étrange », avait au
XVII siècle le sens très fort de « folie ». Voyons-le dans ses occurrences chez Racine : « Quelle
étrange manie / Vous peut faire envier le sort d’Iphigénie ? » (Iphigénie, v. 1085) et chez Corneille :
« Maudite ambition, détestable manie / Dont les plus généreux souffrent la tyrannie » (Le Cid, v.
457), « A l’envi l’un et l’autre étalait sa manie » (Polyeucte, v. 830). Le nom manie doit être traduit
en roumain par « nebunie, demenţă, rătăcire, smintire ».
Deux autres mots de la même famille, charmer et charme étaient assez fréquents dans la
tragédie du XVII e siècle. Ils ont l’origine dans le mot latin carmina – formule magique, incantation.
Comme tous les mots déjà analysés, eux aussi ont vieilli et ont perdu leur force d’autrefois,
aujourd’hui charmer et charme sont vidés de leur sens véritable et ils n’ont plus grande valeur dans
« c’est charmant ». Nous les trouvons dans le sens d’ « enchanter, ensorceler » dans l’œuvre de
Corneille, aussi bien que dans celle de Racine. Chez Corneille ils sont fréquents : « […] après un
long temps qu’elle a su nous charmer » (Polyeucte, v. 11), « Sa présence toujours a droit de nous
charmer » (Polyeucte, v. 616), « Mais je crains des chrétiens les complots et les charmes »
(Polyeucte, v. 254), « Que tout forcé qu’il est, j’y trouverais des charmes » (Polyeucte, v. 1255),
« Et contre ma douleur j’aurais senti des charmes » (Le Cid, 921). Chez Racine aussi nous trouvons
les deux mots : « […] verra-t-il sans alarmes / Croître, loin de nos yeux, son amour et vos
charmes ? » (Britannicus, v. 544) « Tes malheurs te prêtaient encor de nouveaux charmes »
(Phèdre, v. 689), « Phèdre seule charmait tes impudiques yeux » (Phèdre, v. 1116), aussi bien que
le nom enchanteur : « D’un regard enchanteur connaît-il le poison ! » (Britannicus, v. 429) et
l’adjectif charmant : « Je me fais de sa peine une image charmante » (Britannicus, v. 751). La
traduction du verbe charmer devrait être « a vrăji, a fermeca, a fascina ».
Le nom maîtresse, du latin magister, était employé au XVII e siècle dans le sens de « jeune
fille recherchée en mariage, fiancée » ou « femme aimée ». Corneille l’utilise assez fréquemment :
« Il faut venger un père, et perdre une maîtresse » (Le Cid, v. 303), « Je dois à ma maîtresse aussi
bien qu’à mon père » (Le Cid, v. 322), « Vous trouverez à Rome d’autres maîtresses » (Polyeucte,
v. 390), « J’ai trahi mon ami, ma maîtresse, mon maître » (Cinna, v. 1689). Nous le trouvons aussi
chez Molière : « Mais cependant préparez-vous à bien recevoir ma maîtresse » (L’Avare, acte III,
scène I, l. 38). Nous proposons de traduire ce mot en roumain par « logodnică ».
Le verbe balancer (dérivé du latin bis – deux fois, et lanx, lancis – plateau) était employé au
XVII e siècle au sens de « hésiter ». Il n’est pas très fréquent mais il apparaît quand même chez les
trois écrivains dont nous analysons le lexique. Chez Molière : « Est-ce qu’elle balance ? // En
aucune façon. » (Les Femmes savantes, v. 646), « Oui, rien n’a retenu son esprit en balance » (Les
Femmes savantes, v. 1121) ; chez Racine : « Ne reconnais-tu pas un père qui balance » (Iphigénie,
v. 1118), « Qui m’a, sans balancer, reconnu pour son roi » (Phèdre, v. 479) ; chez Corneille :
« Mais à ce peu de mots je crois que sa pensée / Entre vos deux amants n’est pas trop balancée »
(Le Cid, v. 42). La traduction de ce mot ne pose aucun problème : « a ezita, a şovăi, a pregeta ».
Le verbe décevoir, du latin decipere, qui est appliqué maintenant aux espoirs et désirs, avait
la signification plus générale de « tromper » au XVII e siècle. Chez Racine : « Par quelle trahison le
cruel m’a déçue » (Iphigénie, v. 1657), « Ai-je pu résister au charme décevant ? » (Phèdre, v. 523).
Chez Corneille : « Vous verrez cette crainte heureusement déçue » (Le Cid, v. 57), « Et mon amour,
déçu par cet objet trompeur » (Le Cid, v. 1015). Nous traduisons ce verbe par « a înşela, a amăgi ».
L’adjectif impatient, du latin impatiens (de pati - endurer) était employé au XVII e siècle
dans le sens de « fougueux, qui ne supporte pas la contrainte ». Nous le trouvons chez Racine : « Et
ne craignez-vous point l’impatient Achille ? » (Iphigénie, v. 97), « L’impatient Néron cesse de se
contraindre » (Britannicus, v. 11), de même que le nom de la même famille impatience, « agitation
marquant le désir de rejeter une contrainte » : « Las de votre grandeur et de sa servitude, / Entre
l’impatience et la crainte flottant » (Britannicus, v. 441). Le mot impatient peut être traduit par
« aprig, iute, năvalnic ».
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Un autre mot dont le sens du XVII e siècle a changé est viandes qui alors se disait de toutes
sortes d’aliments, et ce que nous appelons aujourd’hui « viande » se disait alors « chair » :
« Apprenez […] que c’est un coupe-gorge qu’une table remplie de trop de viandes, que pour se bien
montrer ami […] » (Molière, L’Avare, acte III, scène I, l. 124). Nous proposons de le traduire par
« bucate » ou « feluri de bucate ».
Molière emploie les mots honnête et honnêteté pour caractériser des personnes bien élevées
qui jouissent d’une bonne éducation, distinction : « Sa physionomie ? / Toute honnête, et pleine
d’esprit. » (L’Avare, acte I, scène IV, l. 119), « Le nom que dans la cour vous avez d’honnête
homme » (Le Misanthrope, v. 370). Leur traduction peut être « distincţie, nobleţe », « distinct,
nobil ».
L’adjectif prude (de l’ancienne expression preudefemme, pour preude femme, le féminin de
prud’homme) n’avait pas de nuance défavorable à l’origine, et signifiait sage, réglé et circonspect
dans ses mœurs, dans ses paroles, dans sa conduite. C’est dans ce sens que Molière l’emploie : « La
prude Arsinoé vous voit d’un œil fort doux » (Le Misanthrope, v. 216). Nous pouvons traduire
prude par « cuminte ».
Le nom passion (du latin passio) désignait au XVII e siècle ce que nous nommons
aujourd’hui sentiment : « Mais ne voyez-vous pas que cela vaut bien mieux / […] / Et que la
passion parle là toute pure ? » (Molière, Le Misanthrope, 404), dont la traduction est « sentiment,
simţăminte ».
Au XVII e siècle, l’adjectif pompeux signifiait « majestueux, glorieux, triomphant » ;
aujourd’hui, comme le roumain pompos, il a un signification presque exclusivement défavorable.
Nous le trouvons chez Racine : « Le spectacle pompeux que ces bords vous étalent » (Iphigénie, v.
26), aussi bien que chez Corneille : « Pompeuse et triomphante elle me fait la loi » (Le Cid, v. 516),
« Comment s’est terminé ce pompeux sacrifice ? » (Polyeucte, v. 766). Sa traduction peut être
« magnific, glorios, triumfător ».
L’adjectif étrange (du latin extraneus) était employé dans les situations les plus tragiques et
signifiait « terrible, extraordinaire ». Nous le rencontrons chez Corneille : « O Dieu, l’étrange
peine ! / En cet affront mon père est l’offensé » (Le Cid, v. 298), « Gardez, pour vous punir de cet
orgueil étrange, / Que le ciel à la fin ne souffre qu’on vous venge. » (Le Cid, v. 1685), « Tu
prépares mon âme à d’étranges ennuis » (Polyeucte, v. 773). Nous traduisons ce mot par
« extraordinar, teribil, îngrozitor ».
Le nom licence (du latin licentia - permission) était employé au XVII e siècle dans un sens
assez proche de celui que nous connaissons aujourd’hui, « liberté dans le mépris des lois », « liberté
excessive ou scandaleuse ». Chez Corneille : « Sire, ne souffrez pas que sous votre puissance /
Règne devant vos yeux un telle licence » (Le Cid, v. 682), chez Molière : « Aucun n’a pris cette
licence : / Ils m’ont su révérer si fort » (Les Femmes savantes, v. 380). Chez Racine nous le
trouvons employé dans un autre sens, « déchaînement » : « Quel frein pourrait d’un peuple arrêter la
licence / Quand les dieux […] » (Iphigénie, v. 1237). Nous pouvons traduire ce mot par « libertate,
nesupunere », « răzvrătire ».
L’adverbe trop était employé au XVII e siècle pour « très ». Nous le trouvons chez
Corneille : « Sous vos commandements mon bras sera trop fort. » (Le Cid, v. 780), « Je mourrai
trop heureux, mourant d’un coup si beau » (Le Cid, v. 939), aussi bien que chez Racine : « Sa
gloire, son amour, mon père, mon devoir, / Lui donnent sur mon âme un trop juste pouvoir. »
(Iphigénie, v. 596), « De vos desseins secrets on est trop éclairci » (Iphigénie, v. 655), « Ma fille, il
est trop vrai » (Iphigénie, v. 1221). Nous le traduisons par « foarte ».
Le mot change (du bas latin, cambiare - échanger) était un terme usuel dans le langage de la
galanterie, de l’amour, « changement, infidélité, inconstance », maintenant vieux dans ce sens.
Nous le trouvons chez Corneille : « Ma perte n’est pour vous qu’un change avantageux »
(Polyeucte, v. 1561) et chez Molière : « Mon cœur court-il au change, ou si vous l’y poussez ? »
(Les Femmes savantes, v. 1187). Sa traduction peut être « infidelitate, înşelare, necredinţă ».
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L’adjectif timide (du latin timidus, de timere - craindre) était employé au XVII e siècle dans
le sens de « craintif » ou « dicté par la peur ». Nous le trouvons chez Racine : « Et la religion,
contre nous irritée, / Par les timides Grecs sera seule écoutée. » (Iphigénie, v. 138), où le sens est de
« craintif », « Et me défend surtout de vous abandonner / Aux timides conseils qu’on ose vous
donner » (Iphigénie, v. 276) où le sens est de « dicté par la peur ». Nous le traduisons par « fricos,
temător ».
Au XVII e siècle on appelait cadeau (provençal capdel – lettre capitale, latin caput) « un
divertissement, une petite fête (concert, bal, repas…) » et nous le rencontrons chez Molière : « […]
viendra tantôt ici pour le ballet et le repas, et je l’ai fait consentir enfin au cadeau que vous lui
voulez donner. » (Le Bourgeois gentilhomme, acte III, scène 6, l. 14), « […] qui après elles ont
traîné les sérénades et les cadeaux que les présents ont suivis. » (Le Bourgeois gentilhomme, acte
III, scène 16, l. 18). Nous pouvons le traduire par « petrecere, desfătare, zaiafet ».
En guise de conclusion, nous constatons qu’à côté de la force de conservation qui maintient
et sauve l’unité de la langue, agit la force révolutionnaire qui tend à la modifier, à la précipiter dans
des directions nouvelles, transformant, avec ses autres éléments, la signification des mots. Les
causes de ces changements sont multiples. L’état du lexique d’un peuple, à un moment donné,
répond nécessairement à l’état des idées qui, à ce moment-là, s’agitent dans son esprit. Pour la
polysémie historique, nous remarquons qu’il y a une trentaine de mots appartenant au lexique
classique qui ont subi des transformations dans leurs significations.
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