Colloque infirmier

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Colloque infirmier La loi du 18 Janvier 1994 a confié au service public hospitalier la mission de prendre en charge la santé des personnes détenues. L’objectif principal de cette réforme est de garantir aux personnes détenues sur le territoire français une qualité de soins et une protection sociale équivalentes à celles offertes à la population générale. La loi du 4 Mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé s’applique aux personnes détenues. Pour répondre à ces missions de soins aux personnes incarcérées, les hôpitaux ont créé une structure particulière au sein des établissements pénitentiaires. La Maison d’Arrêt de la Talaudière : est un lieu d’exécution de la détention provisoire. Y sont également affectés les condamnés ayant à subir une peine dont le reliquat n’excède pas un an au moment de la condamnation. Dans les faits, certains détenus restent en maison d’arrêt beaucoup plus longtemps (temps réservé à l’appel du jugement, en attente d’une place en centre de détention). La Maison d’Arrêt a une capacité de 283 places réparties en 225 cellules. Sont répartis par quartiers distincts : ‐ les hommes ‐ les femmes ‐ les mineurs ‐ le quartier disciplinaire. Le taux d’occupation dépasse régulièrement les 100% (en moyenne 120 à 130 %). En moyenne, on note 1300 entrées / sorties par an. L’UCSA : Unité de Consultations de Soins Ambulatoires : L’UCSA fait partie intégrante du CHU. Il est un service hospitalier à part entière et est rattaché au pôle MULTI. Le service fonctionne avec des personnels de santé de statuts hospitaliers et une logistique hospitalière. C’est un service de consultations ouvert tous les jours de l’année de 7 heures à 18 h 30. Le personnel est composé de : ‐ 1.20 PH médecins généralistes ‐ 1.80 PH médecins psychiatres ‐ 0.80 PH stomatologue ‐ 0.20 PH dermatologue assurant la mission CDAG ‐ 1.50 psychologues ‐ 1 vacation mensuelle chirurgien orthopédiste ‐ 0.20 kinésithérapeute ‐ 0.80 cadre de santé ‐ 7 IDE ‐ 1.50 secrétaire médicale ‐ 0.30 Manipulateur radio ‐ 0.50 pharmacien. L’entretien des locaux est assuré par une société de nettoyage privée. 1
Les missions de l’UCSA : 1 – LES SOINS : Prise en charge somatique : Lors de toute incarcération, une visite médicale d’arrivant est obligatoire du fait de la vie en collectivité. Ce sera la seule obligation d’ordre médical pour le détenu. Cette consultation permet de faire le point avec le patient sur son état de santé, les thérapeutiques en cours… Les traitements sont initiés ou poursuivis. Les examens complémentaires nécessaires à la prise en charge sont demandés (soit en interne, soit au CHU lorsque le plateau technique l’exige, soit en UHSI (Unité Hospitalière Sécurisée Inter régionale). Le patient reste toujours libre de refuser un traitement. La prise en charge psychiatrique : Tout patient désireux d’un suivi psychiatrique ou psychologique peut en faire la demande. L’équipe soignante ainsi que l’ensemble des partenaires exerçant en prison peuvent inciter la personne à entreprendre des soins mais en aucun cas ils ne pourront lui être imposés. 2 – L’EDUCATION A LA SANTE : La seconde mission de l’UCSA est d’assurer auprès des personnes, des actions de prévention, d’information et d’éducation à la santé. ƒ Un dépistage anonyme et gratuit est systématiquement proposé à l’entrée en détention (hépatites, syphilis, HIV). L’UCSA est un des trois Centres de Dépistage Anonymes et Gratuits du CHU. Après réception des résultats, le médecin du CDAG propose une vaccination ou un traitement. ƒ Un dépistage de la tuberculose est proposé (radio pulmonaire). ƒ Un dépistage bucco dentaire est assuré par le dentiste à l’entrée. ƒ Des séances d’informations sont organisées en partenariat avec des professionnels de santé et des associations de prévention. ƒ Au quotidien, des conseils d’hygiène élémentaire sont donnés au cours des rencontres. ƒ Le suivi des patients diabétiques, cardiaques fait l’objet de conseils d’hygiène alimentaire. Un partenariat avec la cuisine de l’établissement nous permet de proposer aux patients des régimes alimentaires adaptés à leur pathologie. ƒ Les actions d’éducation à la santé au quartier mineurs sont organisées par l’UCSA et réalisées en partenariat avec les enseignants de l’Education Nationale. Le financement de l’ensemble du projet d’action de prévention est assuré par l’Agence Régionale de Santé (ARS). 2
3 – LA MEDECINE DU TRAVAIL : Le classement de détenus sur certains postes de travail nécessite une démarche préventive identique aux procédures extérieures : ‐ cuisine (coproculture, prélèvement ORL, vaccinations) ‐ service des repas (idem) ‐ ateliers (vaccinations). La démarche est la même pour les formations professionnelles proposées (espaces verts, bâtiment, peinture…) I. Pourquoi vient‐on travailler à l'UCSA ? La décision pour un soignant de postuler à l'UCSA est le fruit d'une réflexion. Venir travailler en prison est aussi bien un choix sur le plan professionnel que sur le plan personnel. Sur le plan professionnel : L'UCSA, unité du CHU, reste encore mal connue par l'ensemble du personnel soignant. Souvent elle est découverte lors d'un passage en stage ou à l'occasion d'un remplacement. On peut également en avoir eu écho par un collègue infirmier qui lui‐même y travaille ou y a travaillé. Mais le choix de venir travailler en prison est avant tout l'envie de connaître et d'apprendre une autre manière de soigner mais aussi de rencontrer une population différente, tout ceci dans un milieu atypique, clos, réputé hostile. Sur le plan personnel : La décision de venir travailler à l'UCSA ne se prend pas seul. Si effectivement le milieu carcéral suscite la curiosité, il attise également craintes et appréhensions. Nombreuses sont les idées préconçues que nous avons de la prison comme un milieu violent. Ce choix bien qu'avant tout personnel doit être aussi accepté par notre entourage familial qui, lui‐
même, a ses propres représentations. Venir travailler en prison est un choix mûrement réfléchi mais permet de vivre une expérience différente et surtout unique. II. Qu'est‐ce qu'on y découvre ? 1 – LA DECOUVERTE DE L’ENVIRONNEMENT : Lorsqu'on franchit le seuil de la maison d'arrêt, on comprend très vite que l'on pénètre sur un territoire différent où tous nos repères hospitaliers vont être bousculés. Dés l'entrée, nous sommes obligés de décliner notre identité et de passer sous un portique de sécurité après avoir laissé nos affaires personnelles dans un casier : il nous est interdit de monter nos sacs à mains et encore moins nos téléphones portables. Ensuite, nous pénétrons dans la cour d'honneur, et sur notre passage, un nombre impressionnant de portes et de grilles s'ouvrent et se ferment (une dizaine pour arriver jusqu'à l'UCSA). 3
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Nous découvrons alors le monde carcéral avec son atmosphère particulière : les bruits des clefs, des grilles, des alarmes, des détenus qui crient et tapent aux portes pour s'exprimer. Les odeurs de poubelles, de nourriture, de chauffes (petit réchaud artisanal fabriqué par les détenus avec des canettes et de l'huile, les réchauds industriels étant interdits en détention), de cigarettes voir même de cannabis. La vétusté (gardons en mémoire que la construction de la maison d'arrêt date de 1968) engendrant l’insalubrité de certains locaux. La dégradation des murs et des sols, les fenêtres cassées, les cellules petites (9 m2 pour 2 voir 3 personnes, la troisième dormant sur un matelas à même le sol) équipées d'un lavabo avec eau froide seulement et d'un WC fermé par un pare‐vue et donc manquant cruellement d'intimité. Les douches collectives. La cour de sport : terrain de foot en terre et cailloux entraînant de nombreuses blessures. La cour de promenade où les détenus prennent l’air. −
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Par mesure de sécurité, il n'y a pas d'abri dans ces cours. Elles sont surveillées par des miradors armés et des caméras et sont entourées de grillages et concertinas (barbelés) eux‐mêmes entourés d'un mur d'enceinte avec concertinas. Nous devons tout apprendre de l'organisation de l’Administration Pénitentiaire (AP), les fonctions de chacun et leur propre vocabulaire (beaucoup d'abréviations et de termes inconnus). Il faut aussi apprendre quelques notions judiciaires de base (présumé innocent = prévenu, condamné) car selon les cas ils n'ont pas les mêmes droits pendant leur détention (nombres de parloirs, téléphone, permissions, libération anticipée = provisoire ou conditionnelle...). Ceci dans le but d’apporter des réponses adaptées à la problématique de chaque patient. Nous remarquons très vite que nous sommes dépendants de l'AP. Nous ne disposons d'aucune clef (hormis celle de l'UCSA) et sommes obligés de faire appel à un surveillant pour nous ouvrir les portes et grilles et parfois le temps d'attente entre l'appel et l'ouverture de la porte est très long, il faut être patient. Nous devons accepter les règles et les respecter pour travailler en sécurité et en collaboration. La logique pénitentiaire est très différente de notre logique de soignant parce que nos missions sont différentes et parfois en opposition. Il faut donc jongler entre nos obligations, nos objectifs de soins et les obligations et les règles de sécurité de l'AP, parfois faire des compromis mais toujours dans l'intérêt du patient détenu. 2 – LA DECOUVERTE DE L’UNITE DE SOINS : L’UCSA, bien qu’un service hospitalier dépendant du CHU de Saint‐Etienne, se trouve géographiquement éloigné (environ une quinzaine de kilomètres), ce qui entraine un certain nombre de difficultés dans l’acheminement des médicaments ou des bilans sanguins et également dans le transport des patients ayant à bénéficier d’examens sur l’hôpital. 4
L'UCSA est située au 2° étage du bâtiment principal de la maison d’arrêt, en plein cœur de la détention. Dans le hall d'entrée, un surveillant affecté au service est chargé des mouvements des détenus et de la sécurité à l'UCSA. La porte d'entrée indique tout de suite notre appartenance au CHU grâce à un logo. Le personnel porte la tenue blanche du CHU pour se différencier des tenues bleues des surveillants pénitentiaires. 3 – LA DECOUVERTE DE LA POPULATION CARCERALE : Nous devons faire face à une population particulière, coupée du monde extérieur. Ces personnes ont une histoire de vie souvent difficile, un passé judiciaire parfois lourd. Leur précarité et leur détresse sont étonnantes et déroutantes surtout lorsque l'on débute. La prise en charge des personnes détenues nous oblige à prendre en compte un grand nombre de paramètres, physique, psychologique, familial, social, judiciaire et scolaire. La relation peut être rendue difficile du fait de l'illettrisme, des langues et cultures différentes. Cette prise en charge GLOBALE ne peut s'effectuer que grâce à un travail avec tous les professionnels exerçant auprès des détenus, et plus particulièrement avec le SPIP (Service Pénitentiaire d’ Insertion et de Probation). Ce service a pour mission de maintenir un contact avec la famille, de travailler à l’aménagement de peine et est le maillon indispensable dans le processus de réinsertion. Il est composé de conseillers d’insertion et de probation. Le contexte familial et social joue un rôle important sur le moral du détenu. On s'aperçoit qu'il est parfois difficile avant l'incarcération ou qu'il le devient à cause de celle‐ci (divorce, perte d'emploi ou d'appartement, rupture des liens familiaux...). Le détenu est coupé de sa famille, il ne peut pas toujours communiquer avec elle. Les courriers peuvent être bloqués par le juge, le téléphone est seulement autorisé pour les condamnés à condition qu'ils puissent le payer. La famille n'est pas toujours assez solide pour supporter l'incarcération. La vie continue sans eux à l'extérieur (naissance, mariage et décès), les événements heureux ou malheureux ne sont pas sans influence sur le patient détenu. Tous ces moments sont difficiles pour lui et sa famille. Nous devons donc faire preuve d'un maximum de vigilance et d'empathie à son égard. Nous devons être vigilants lors de certains moments forts de la détention : − le choc de l'incarcération à la suite d'une garde à vue longue et éprouvante, − l'instruction de leur affaire avec les confrontations, les audiences avec le juges, les reconstitutions (en cas de procédures criminelles), − l'approche du jugement et sa préparation, − le procès, − le verdict, − l'acceptation de la peine, − la préparation à la sortie ou le transfert en établissement pour peines. 5
La vie en prison fonctionne comme une microsociété. Le détenu ne choisit pas son co‐
cellulaire et la cohabitation peut‐être complexe. La journée est rythmée par différentes étapes : ƒ Les promenades : 1 h le matin et 1 h l'après‐midi ƒ Les repas : un repas est proposé midi et soir (repas préparé par d'autres détenus classés au travail à la cuisine), mais beaucoup le refusent et préparent eux‐mêmes leurs repas à l'aide de ce qu'ils achètent à la cantine (magasin interne à la maison d'arrêt où les détenus peuvent acheter des aliments, des ustensiles, des produits d'hygiène, des cigarettes... sur commande papier à conditions qu'ils disposent de l'argent nécessaire sur leur compte). N'ayant pas de cuisine ni de matériel de cuisson, ils élaborent des chauffes artisanales pour préparer ce qu'ils cantinent. Pour le petit déjeuner : une triplette est distribuée le soir (café soluble, sucre, lait en poudre) avec du beurre, de la confiture et une flûte par jour et par détenu. Un petit‐déjeuner chaud est proposé chaque matin aux mineurs incarcérés. ƒ Les douches : les détenus n'ont le droit qu'à 3 douches par semaine. ƒ Les activités : des cours sont dispensés par du personnel de l'éducation nationale (français, anglais, mathématique, informatique...), si le détenu souhaite y participer, il doit faire une demande écrite et sera appelé en fonction des disponibilités. Il peut également aller à la bibliothèque et emprunter des livres. La maison d'arrêt dispose également d'une salle de musculation très rudimentaire. Il faut s'inscrire pour être mis sur une liste d'attente et être appelé ensuite. ƒ Le travail : Certains détenus ont la possibilité de travailler à l'atelier, en cuisine, à la buanderie, à la bibliothèque, au service technique, au nettoyage ou comme servant d'étage. Ils doivent formuler une demande écrite et leur dossier est ensuite examiné en commission de classement en fonction de leurs aptitudes et de leur comportement en détention. ƒ Les parloirs : se déroulent au 1° étage du bâtiment central. Ils sont accordés ou pas sur demande faîte auprès du juge d'instruction pour les prévenus ou du directeur de la maison d'arrêt pour les condamnés. Il s'agit d'un petit box séparé par une table et surveillé en permanence. Les pères ou mères de famille peuvent bénéficier d'un « relai enfant‐parent », c'est un parloir ayant lieu dans une salle plus grande, plus accueillante disposant de jouets pour les enfants. Il s'effectue en présence d'un bénévole de l'association REP (relai enfant‐parent). Cette microsociété a sa propre organisation. Les détenus font preuve de beaucoup de créativité et d'ingéniosité pour améliorer leur quotidien et faciliter les échanges entre eux.... Il existe une hiérarchie entre les détenus, c'est la loi du plus fort qui règne ou celle du plus malin. Les plus faibles subissent des pressions, sont menacés voir agressés. Notre rôle est de signaler, sans trahir le secret professionnel, toutes situations ou comportements anormaux mettant en danger certains patients. Mais il arrive que nous ne soyons pas au courant de ce qui se passe ; par peur de représailles sur eux ou leurs familles, beaucoup se taisent et subissent. Il faut donc faciliter le dialogue, créer une relation de confiance et s'assurer que s'il parle il sera en sécurité et mis dans un quartier protégé. 6
La notion de temps est toujours bouleversée à l'intérieur de la prison. Ce temps est utilisé différemment selon les détenus. Il peut être perdu ou mis à profit. Certains utilisent le temps de détention pour obtenir un diplôme, d’autres passeront la détention au lit en regardant la télévision. En maison d’arrêt, la personne prévenue n’a pas toujours connaissance de la durée de sa détention ce qui génère une grande insécurité avec l’impossibilité de se projeter dans l’avenir. La modification de la perception du temps s'impose également au personnel soignant. Parce qu’en lien avec d’autres administrations (AP, justice), les rythmes nous sont parfois imposés, par exemple une hospitalisation peut être reportée si convocation au tribunal. Lors de certains mouvements et pour des raisons de sécurité aucun détenu ne peut accéder à l’UCSA ce qui impacte sur l’organisation de la consultation. 4 – LA DECOUVERTE D’UNE NOUVELLE FONCTION : Comme nous l’avons vu précédemment, une prise en charge globale est nécessaire et indispensable. Nous devons prendre en compte tous les aspects de la vie du patient. Les soins à l'UCSA sont polyvalents, nous faisons aussi bien des soins techniques que des soins psychiatriques. Les infirmiers(ères) sont seuls. En dehors des heures de consultations et donc de présence médicale, les IDE font le lien avec l'AP lors de temps de relève. A la fermeture du service, l’infirmier transmet au premier surveillant toute information dont il pourrait avoir besoin au cours de la nuit, et en retour le premier surveillant transmet à l’équipe du matin les événements qui ont pu se passer au cours de la nuit. Il ne s’agit pas d’une relève soignante, mais dans le respect de nos règles professionnelles mutuelles nous sommes amenés à communiquer autour du patient détenu. Un rapport de service est formalisé en présence des lieutenants et chef de détention tous les matins. Le cadre infirmier ou le médecin y participe. Ce dernier est nécessaire dans l’analyse de certaines situations et la transmission d’informations utiles à chacun. Parce que l’UCSA est un service accessible, nous sommes les dépositaires de nombreuses demandes, y compris celles qui ne nous sont pas destinées. Il est important pour chaque professionnel de connaitre les rôles et les missions de chacun afin de ne pas se substituer à l’autre. Les textes législatifs récents imposent à l'UCSA de participer à plusieurs réunions pluridisciplinaires qui nous obligent à travailler en concertation avec l’AP (commission suicide, commission de travail, commission d’arrivants, commission mineurs...). L’AP a du apprendre à travailler avec nous et nous sommes conscients que parfois nous représentons aussi une contrainte pour elle. L'infirmier(ère) est la première personne du service médical que le détenu rencontre, la première personne autre que judiciaire. La population accueillie est souvent issue d’un milieu précaire. Il s'agira pour certains d’une première prise en charge médicale. 7
III. Pourquoi on y reste ? 1 – LA PRISE EN CHARGE GLOBALE DU PATIENT : 1.1) L’UCSA : un service de consultation qui fonctionne comme un service d’hospitalisation. Dès son incarcération, le patient peut bénéficier, s'il le souhaite, de soins somatiques ou psychologiques grâce à la présence de multiples acteurs de soins au sein de l'UCSA. Tous les soignants médicaux et paramédicaux ont la chance de pouvoir participer aux relèves comme dans un service hospitalier « classique ». Celles‐ci se déroulent quotidiennement de 12 h 45 à 13 h 15 et nous permettent de nous entretenir à propos des patients vus en consultation. Lorsqu'un patient nous pose un problème particulier, ce dernier peut et doit nécessiter une discussion qui pourra se faire de manière informelle mais aussi de manière plus formelle lors des réunions cliniques mensuelles auxquelles sont invités tous les intervenants du service. Description du rôle IDE à l'UCSA : Les soins somatiques En raison de la diversité des demandes faîtes par les personnes détenues sur le plan somatiques, les infirmiers qui exercent en milieu pénitentiaire doivent avoir de bonnes aptitudes techniques et une bonne connaissance des gestes d'urgence (une formation aux gestes d’urgence est effectuée toutes les années dans les locaux de l’UCSA). En effet, les infirmiers assurent tous les soins prescrits lors des consultations médicales, suivent quotidiennement des patients particulièrement à risque (diabétiques, toxicomanes, grévistes de la faim...), répondent à toutes les demandes de soins formulées par les détenus au cours de la journée et assurent les urgences, en collaboration avec le médecin, ou seuls, en dehors des heures de consultations médicales. Dans ce cas c'est le médecin régulateur du SAMU qui prend la relève si l'infirmier en a besoin. Si la prise en charge est impossible à effectuer à l'UCSA, c'est‐à‐dire si elle nécessite une surveillance constante ou une hospitalisation, l'UCSA est obligée de passer le relai. Le patient est alors extrait pour aller de la prison à : ‐ L’ HMU (hospitalisation médicale urgente) Situé au CHU de Nord. Ce service dispose de 2 chambres sécurisées réservées aux personnes détenues et surveillées par une escorte de police. Il prend en charge les examens nécessitant une surveillance et les hospitalisations de moins de 48h. ‐ L’UHSI (unité hospitalière sécurisée interrégionale) Ce service prend en charge les personnes détenues pour les hospitalisations de plus de 48 h, ainsi qu'en chirurgie quand la prise en charge postopératoire nécessite une rééducation journalière. (Rappel : à l'UCSA, le kinésithérapeute n'intervient qu'une demi‐journée par semaine). Il existe 8 UHSI en France. Nous dépendons de celle de Lyon. 8
Le soin relationnel . L’écoute et l’observation L'incarcération a pour conséquence de modifier la perception de la douleur, qu'elle soit physique ou psychologique. Dans ce contexte et pour être efficace, tout soin nécessite d'être accompagné de l'écoute et du soutien au patient. Lors des consultations, nous n'accueillons jamais un individu en tant que « détenu », mais en tant qu'être humain, avec son vécu et ses difficultés actuelles. Savoir écouter pour mieux comprendre favorise le développement d'une relation de confiance indispensable dans le soin. Les maux exprimés utilisés par les patients ne sont souvent que la traduction d'un mal être. Prendre le temps d'écouter, c'est déjà traiter en partie les symptômes. Dans certains cas, l'écoute permet d'éviter le recours à un traitement médicamenteux. Il appartient cependant à l'infirmier de bien connaître ses limites, de se protéger de ses propres affects et de garder suffisamment de distance, afin que la relation soignant‐soigné reste saine et efficace. . L'entretien d’aide Les entretiens infirmiers sont réalisés en grand nombre. Ils sont effectués en réponse à une prescription médicale émanant des médecins généralistes ou des médecins psychiatres, à la demande des psychologues, de l’administration pénitentiaire, à l’initiative des infirmiers eux‐
mêmes et bien sur à la demande des patients. En aucun cas, un entretien d’aide n’est imposé mais il reste pour nous un outil essentiel en particulier dans le repérage de la crise suicidaire qui reste un des motifs les fréquents d’entretien. . L’entretien d’arrivant L'incarcération fait souvent suite à une garde‐à‐vue parfois longue (de 24 à 96 h). L'infirmier a un rôle très important dans l'accueil des détenus arrivants. Ce premier contact permet de présenter le service avec pour support un livret d’accueil, d'établir une relation de confiance et surtout de faire comprendre que nous sommes là pour nous occuper de sa santé physique mais aussi mentale. L'arrivée en détention est douloureuse moralement : rupture avec les liens familiaux et amicaux, perte du travail, promiscuité avec les autres détenus, cohabitation parfois difficile, règles strictes… L'UCSA est donc un lieu de refuge où on peut venir raconter ses problèmes, où on peut venir pleurer sans honte… C’est un lieu ou la personne peut avouer ses faiblesses, ses peines sans peur du jugement des autres détenus. Mais c’est aussi un lieu qui n’est pas « sans règles » et ou le patient doit avoir un comportement correct et respecter un cadre de soin comme il le ferait à l’extérieur (pour exemple, le contrat de soin passé avec les patients toxicomanes). 9
La gestion des traitements médicamenteux L'arrivée des UCSA dans les prisons a énormément modifié le mode de préparation et de distribution des médicaments, mission autrefois confiée aux surveillants pénitentiaires. Depuis 1994, la gestion des traitements médicamenteux est entièrement sous la responsabilité des professionnels de santé, des infirmiers en particuliers. Ces derniers sont chargés de préparer et de délivrer les traitements en piluliers de façon quotidienne ou hebdomadaire en fonction des UCSA et en fonction de l'aptitude du patient à se prendre en charge. A l'UCSA de La Talaudière, nous les distribuons à chacun dans sa cellule accompagné d’un surveillant et ceci tous les matins entre 7h et 8h. Nous avons fait le choix de les distribuer quotidiennement car ceci nous permet de passer dans les étages de la détention, d’observer les patients dans leur lieu de vie et de repérer d’éventuels problèmes d’hygiène, de cohabitation, ... Nous gérons les piluliers des personnes suicidaires (pour éviter le stockage de médicaments), des mineurs et des personnes incapables de gérer seuls leurs traitements. Ils leurs sont distribués matin et soir en cellule et les patients sont tenus de le prendre en présence de l’infirmière. Ce travail de préparation et de dispensation est long et fastidieux puisque, quotidiennement, nous préparons et distribuons environ 200 piluliers. Nous consacrons également un temps important à la distribution des traitements de substitution (Méthadone ou Buprénorphine). Cette distribution se fait à l'UCSA de manière individuelle, permettant ainsi un temps d'échange nécessaire à une bonne prise en charge. Elle s’effectue conformément au contrat de soin passé avec le patient dès son arrivée. Le dépistage, la prévention et l'éducation L’une des missions de l’UCSA est d’assurer auprès des personnes détenues, hommes, femmes, mineurs, des actions de prévention, d’information et d’éducation à la santé. Des séances d’information ainsi que des ateliers en groupe sont proposés toute l’année (prévention sur les risques liés à l’alcool, intervention d’une socio‐esthéticienne au quartier femmes...). La plupart des actions sont animées par des associations ou des intervenants extérieurs et co‐
animées par les infirmières. Ce choix a été fait car les associations sont performantes sur le contenu, de plus, les détenus peuvent les retrouver au moment de leur sortie. L’élaboration des projets ainsi que l’évaluation de l’impact des actions sur les personnes détenues est une mission qui incombe à l’UCSA. L'UCSA sert également de médecine du travail. Les personnes détenues ont la possibilité de travailler au sein de la prison. Dans ce cas, l'UCSA s'assure que l'état de santé des personnes est compatible avec le travail auquel ils postulent. 10
1.2) Les relations interdisciplinaires Longtemps l'administration pénitentiaire et l'UCSA ont été « frileuses » en ce qui concerne le partage des informations relatives au patient incarcéré. Ceci est toujours d'actualité en ce qui concerne l'UCSA contrainte au secret médical. L'AP, elle, nous délivre de plus en plus d'informations pour nous permettre une prise en charge plus adaptée aux besoins du patient. Ces informations peuvent se partager de façon informelle mais également lors de CPU (Commission Pluridisciplinaire Unique) auxquelles participent tous les interlocuteurs qui gravitent autour du patient détenu (AP, SPIP, UCSA, personne en charge du repérage de l'illettrisme), lors des commissions suicide ainsi que quotidiennement lors du rapport journalier où tous les problèmes rencontrés en détention sont abordés. L'UCSA et l'AP ont appris à grandir ensemble pour le bien‐être du patient‐détenu. 2 – UNE EQUIPE SOUDEE : L'UCSA est une équipe « jeune ». En effet, ce service a été créé suite à la loi du 14 Janvier 1994. Durant cette quinzaine d'année, il a évolué et grandi grâce à une cohésion d'équipe. Chaque personne ayant travaillé à l'UCSA a apporté sa pierre à l'édifice permettant ainsi de définir le sens du soin en prison. Une réflexion quotidienne est nécessaire afin de pouvoir remettre en question nos propres pratiques professionnelles et ainsi mieux respecter les limites de chaque partenaire. Pour nous aider dans cette démarche, un temps d'analyse de la pratique nous est proposé une fois par mois. Effectivement, les locaux de l'UCSA étant exigus, cela entraine une promiscuité avec des aspects négatifs mais également positifs. - les aspects négatifs : − Du fait du nombre limité de bureaux, il faut organiser les temps de consultations de chacun très rigoureusement. − la salle de soins, la pièce centrale et principale de l'UCSA est un lieu de passage pour accéder à la pharmacie, il est parfois difficile de réaliser certains soins ou entretiens infirmiers. − il faut s’habituer à travailler « les uns sur les autres ». - Les aspects positifs : − la promiscuité facilite les échanges d'information. La relève quotidienne est pluridisciplinaire ce qui la rend plus enrichissante. − le temps du repas est également très important à l'UCSA puisque nous mangeons tous ensemble, toutes catégories et statuts confondus (médecins, psychiatres, psychologues, cadre de santé, IDE, secrétaires, étudiants). Ce temps de pause est souvent un temps de détente mais également un temps de partage d'information, de vécu, de ressenti. Il nous permet de confronter nos émotions et de relâcher toute l’affectivité retenue pendant le soin. Ces temps de concertation informelle sont indispensables. 11
3 – UNE AUTONOME ET DES RESPONSABILITES : Les horaires, la planification des soins... font qu'à différents moments de la journée ou de la semaine, les infirmiers se retrouvent seuls à l'UCSA. Les généralistes, psychiatres ou dentiste, en effet, interviennent sur des temps définis de consultations. Les infirmiers sont donc les acteurs de soins présents sur la plus grande amplitude horaire. Durant ces moments de « solitude », les infirmiers peuvent se retrouver confrontés à des situations de soins compliquées et nécessitant un avis ou une intervention médicale. Du fait de l'isolement géographique, le seul recours est en premier lieu un contact téléphonique. Selon la disponibilité, l'appel peut‐être passé au médecin généraliste de l'UCSA. Celui‐ci connait bien souvent le patient et sait jusqu'où peut aller la prise en charge et la surveillance au sein des locaux du service. Au‐delà de cette disponibilité et en fonction de la situation, l'infirmier contacte directement le SAMU ou le psychiatre d'astreinte. Une évaluation précise de la situation aidera à la prise de décision du médecin. Cette autonomie est valorisante mais n'est pas sans risque et nécessite un investissement personnel important. 4 – UNE REFLEXION PROFESSIONNELLE : Etre soignant à l'UCSA nécessite une réflexion personnelle et professionnelle permanente. La relation à la personne détenue est complexe. Nous jouons sans cesse entre confiance et méfiance. Établir une relation de confiance est un objectif pour une prise en charge globale la plus satisfaisante possible. Mais nous devons rester vigilants car certains détenus sont tentés d'utiliser le système de santé à leur profit (par exemple : médicaments, changement de cellule, certificats de suivi en vue de RPS = remise de peine supplémentaire...). Il est important que l'équipe soignante reste soudée et adopte une attitude commune cohérente. Nous sommes conscients que si nous réussissons à travailler à l'UCSA, c'est en partie parce que nous ne connaissons pas les victimes. Tous les patients sont incriminés, dans des affaires parfois « dramatiques ». Une mise à distance des faits est donc nécessaire pour soigner sans jugement, il nous est parfois obligé de jouer un rôle pour ne pas laisser paraître nos émotions. Mais n'oublions pas que nous ne travaillons pas pour la justice, nous ne devons pas être dans le jugement mais seulement là pour les aider à ne pas récidiver et améliorer leurs conditions de détention. La connaissance du délit n’est pas essentielle dans le soin mais peut‐être nécessaire à une prise en charge efficace du patient. Par exemple, dans le cadre d’une affaire liée à l’alcool, le patient va être orienté vers un psychiatre addictologue. IV. Pourquoi veut‐on en partir ? Partir de l’UCSA peut s’effectuer de façon rapide si la peur et l’insécurité s ‘emparent de l’agent. Dans la plupart des cas heureusement, une longue période de réflexion précède le jour du départ. Le milieu enfermant, lourd et difficile sur la durée favorise la démarche. 12
On retrouve dans notre unité les mêmes raisons pour partir que dans tous les services du CHU : ‐ Départ à la retraite ou changement d’établissement, ‐ Confirmation d’un choix d’exercice professionnel dans un service somatique ou psychiatrique. Mais la difficulté repose surtout sur le fait de repartir dans un service dit classique dans un rôle attendu. Le départ est perçu comme une perte d’autonomie. En effet, rares sont les services où l’autonomie est aussi large avec en inconvénient majeur, le poids de la responsabilité sur les prises de décisions notamment les week‐end et en dehors du temps de présence des médecins. Certes, le SAMU est l’interlocuteur médical de ces moments : ‐ Mais, ai‐je suffisamment d’éléments objectifs en regard de mes connaissances pour orienter une décision d’extraction du détenu sur le CHU en connaissance de la lourdeur des moyens à mettre en place ? (pompiers et escorte de police). ‐ Ne suis‐je pas en train de me faire instrumentaliser par le détenu ? Dans tous ces choix concernant l’état de santé d’un écroué, nous sommes les seuls référents sur lesquels l’Administration Pénitentiaire se repose en terme de responsabilité. Travailler à l’UCSA nous renvoie qu’une erreur d’appréciation peut nous envoyer à dix mètres de là, de l’autre côté des grilles de l’infirmerie. La répétition de ces prises de responsabilité et la nécessité d’être toujours sur le « qui‐vive » mènent à terme à une décision de départ. Partir peut être motivé aussi par le sentiment du travail accompli, d’avoir effectué l’ensemble de ce que l’on était venu chercher, c’est à dire la participation à l’amélioration de la santé et du bien‐être d’une population qui vit en détention. Partir, c’est laisser la place à d’autres soignants qui contribueront à leur tour à l’évolution de ce jeune service. Le départ de l'infirmière est lié à une réflexion personnelle, professionnelle et citoyenne. Le constat d’échec répétitif d’éducations à la santé et de prises en charge de certains détenus épuise lentement le soignant. La recherche de bénéfices secondaires et l’instrumentalisation de l’unité par le détenu remettent en question la finalité de nos soins dans le service. Le constat d’échec du passage en prison interpelle sur les choix de société à laquelle nous appartenons. L’incarcération est une réponse mais pas un idéal. L’échec de la réinsertion se mesure par un taux élevé de récidives. Un grand nombre de détenus se chronicisent et la prison devient peu à peu leur lieu de vie. Le soin est dans une impasse. Le travail en UCSA rencontre trop de barrières et de difficultés à soigner dans les meilleures conditions (locaux exigus, difficultés à circuler dans la détention, complication des situations liées à l’éloignement du CHU). 13
La répétition du vécu de certaines situations au sein de la détention qui sont à l’opposé de nos valeurs humaines, accentuent le désir de partir. Des signes de lassitude apparaissent et sont repérables lorsque les détenus deviennent tour à tour des patients insupportables, que le soignant rencontre des difficultés à être en empathie et à garder la neutralité bienveillante. L’infirmière a alors envie de retrouver une relation « normale » qui n’est pas parasitée et qui n’est pas partagée entre confiance et méfiance. CONCLUSION Avant la création des UCSA, les organisations de santé en prison étaient différentes selon les établissements. La prise en charge était alors assurée par des infirmiers pénitentiaires, des personnels vacataires ou des associations. L’état sanitaire de la population détenue d’alors a conduit le législateur à voter la loi du 18 Janvier 1994. Aujourd’hui, les UCSA n’ont que 15 ans d’existence, c’est un service jeune où beaucoup reste à faire ! Il doit prendre en compte l’histoire des prisons et des hommes qui les composent mais aussi évoluer avec l’Administration Pénitentiaire et le droit européen. Ce service s’est construit au fil des années grâce à la volonté des professionnels qui y ont exercé. Chacun d’entre nous est animé par des valeurs de respect de la dignité humaine qui nous accompagneront dans nos vies professionnelles et personnelles. 14
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