Donc, travail classique de psychologue.
Cependant, le milieu carcéral dans lequel nous intervenons a la particularité de mettre en jeu
trois logiques institutionnelles (sanitaire, pénitentiaire et judiciaire) dont les missions différent
et cela n’est pas sans effet sur notre pratique : de par sa situation géographique, à l’intérieur
des murs de la prison, et le public auquel ses interventions s’adressent, l’unité de soins se
retrouve en effet prise dans la réalité pénitentiaire et bousculée par la logique judiciaire.
Voici un exemple où le contexte institutionnel vient heurter le travail clinique individualisé :
il s’agit de la question de la demande.
Pour nous psychologues, évaluer une demande de rencontre et l’engagement de la personne
dans une démarche de soin est un élément essentiel du soin lui-même.
Or, en prison, la venue de notre patient à notre entretien ou à notre groupe ne dépend pas que
de lui-même et il est souvent difficile de faire la part des choses entre quelque chose qui serait
de l’ordre de son désir et la bonne volonté du surveillant d’étage.
Ainsi, un exemple extrême qui reflète cette problématique : alors que je suis en entretien avec
un patient, un collègue infirmier m’appelle au téléphone pour m’informer qu’un surveillant de
bâtiment venait de lui signaler que M. L. ne viendrait pas à mon rendez-vous parce qu’il était
allé en promenade ! (sous entendu qu’il avait préféré aller en promenade que de venir à mon
rendez-vous ; au CP de Béziers, les détenus doivent en effet choisir entre leur rendez-vous à
l’UCSA et la promenade). Or, il s’agissait du patient qui se trouvait dans mon bureau au
moment de l’appel !
D’autre part, comment évaluer avec justesse une demande qui s’origine dans une injonction
de soin judiciaire qui ne porte pas son nom ? Alors que le Code de Procédure Pénale ne
prévoit pas d’obligation de soin durant la détention, beaucoup de juges d’Application des
Peines, confortés en cela par la loi de programmation relative à l’exécution des peines du 27
Mars 2012, demandent de manière systématisée à tous les détenus d’attester d’une démarche
de soin et si ces derniers ne fournissent pas cette attestation, ils sont passibles de perdre des
remises de peine et de se voir opposer un refus à leur demande de permission ou
d’aménagement de peine. Nous nous retrouvons pris, tout comme les détenus, dans cette
injonction judiciaire, pas toujours pertinente d’un point de vue clinique, et aux limites de
notre éthique quant au libre consentement du patient et à la préservation de l’intimité de sa
démarche.
Plus généralement, travailler en milieu carcéral peut faire vaciller en nous nos repères
cliniques et éthiques et nous entraîner, si nous n’y prenons garde, à opérer certains
glissements de place.
Nous ne sommes pas des auxiliaires de l’administration pénitentiaire et n’avons donc pas des
missions de contrôle et de surveillance des personnes incarcérées même si par ailleurs nous
sommes soumis à certaines règles de sécurité.
Nous ne sommes pas non plus des auxiliaires de justice et n’avons donc pas à juger,
expertiser, protéger la société du futur comportement de nos patients.
Nous sommes des soignants qui travaillons à partir du discours du patient, dans le champ de
l’intime. Rappelons que la vérité psychique n’est pas la vérité des faits et que diagnostiquer
n’est pas pronostiquer.
En prison peut-être plus qu’ailleurs il est nécessaire d’avoir à disposition des outils cliniques
solides à remettre sans cesse sur le métier pour pouvoir penser et tisser notre pratique.
Anne Ghizzo, Octobre 2012