spécial pédagogie Le stage au cœur de l’apprentissage réflexion Le stage, une coopération revisitée pour une dynamique d’apprentissage réinventée CHRISTIANE CATTIAUX MOTS CLÉS tAlternance intégrative tCompétence tCoopération tEncadrement tÉvaluation tFormation infirmière tParcours de formation tProfessionnalisation tRéférentiel d’activités tResponsabilité tStage tTuteur [ La construction professionnelle de l’étudiant en soins infirmiers passe aujourd’hui inéluctablement par une coopération tripartite entre ce dernier, le formateur et le soignant au sein d’un parcours individualisé [ Représentant la moitié du temps de formation, les stages sont les outils privilégiés de cette dernière [ Pour ce faire, ils doivent être encadrés par un parcours évaluatif rigoureux, de durée variable et menés dans différents services révélateurs du métier d’infirmier [ La “réinvention” du parcours étudiant s’établit ainsi dans le sens de l’efficacité de la formation en soins infirmiers. L a réforme de la formation infirmière et l’universitarisation des études en soins infirmiers reconfigurent notoirement la place et le rôle des soignants et des formateurs dans la mise en œuvre des stages. En effet, la formation s’appuiera sur la validation des co mpétences en situation de travail, soit le stage. En privilégiant les concepts d’alternance intégrative, cette réforme obligera les professionnels des services de soins et des instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi), mais aussi les étudiants à un partenariat et à une collaboration étroite en perspective d’une cohésion nouvelle dans le parcours formatif des futurs professionnels. Dans la validation des compétences, une place prépondérante est ainsi désormais accordée aux terrains de stage qui auront un rôle majeur à jouer. C’est dans ce cadre qu’un groupe de travail de la région Nord-Pas-de-Calais a été constitué. Cet article a pour objectif de présenter la genèse du projet et la nouvelle coopération à revisiter pour que le stage devienne réellement une dynamique d’apprentissage réinventée. Enfin, les modalités organisationnelles du stage visant l’accompagnement de l’étudiant et la construction de son identité professionnelle seront également abordées. GENÈSE DU PROJET Suite à l’envoi au 2e trimestre 2007 du premier document de travail1 de la Direction de l’hospi- S4 talisation et de l’organisation des soins (Dhos) concernant la maquette organisationnelle de la formation infirmière 2009-2012, le Comité d’entente des formations infirmières et cadres (Cefiec) a sollicité l’ensemble des régions pour réfléchir, dans le cadre de la réforme, à la problématique du stage. Le groupe régional NordPas-de-Calais s’est ainsi positionné par rapport à cette requête. En effet, quatorze Ifsi et deux instituts de formation des cadres de santé (IFCS) de la région avaient travaillé, en 2007, en partenariat avec le conseil régional et le laboratoire trigone de l’université de Lille I sur la notion d’alternance des études en formation en soins infirmiers. De ce fait, un groupe de travail s’est rapidement constitué, conscient que la dynamique déjà engagée pouvait permettre d’enrichir la réflexion. Le groupe se compose de directeurs et cadres formateurs d’IFCS et IFSI, de directeurs de soins, de cadres supérieurs et cadres de santé issus d’institutions privées et publiques, et de disciplines variées (santé mentale, pôle urgences réanimation, médecine, chirurgie...) (encadré en fin d’article). Tous les participants, volontaires, sont motivés pour élaborer ensemble les propositions à apporter quant à la place du stage dans la réforme, à son organisation et au rôle de chacun des acteurs de la formation. Le groupe s’est appuyé sur l’expérience non seulement des formateurs en soins infirmiers mais aussi sur celle des cadres de terrain pour SOiNS CADRES - Supplément au n° 70 spécial pédagogie Le stage, une coopération revisitée pour une dynamique d’apprentissage réinventée d’abord clarifier les mots clés et concepts à développer. Grâce à des recherches bibliographiques et législatives, à des travaux réalisés par d’autres régions (notamment la charte des stages étudiants paramédicaux en établissement de santé de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca), un cadre de références a été réalisé. La production du groupe a ainsi évolué en fonction des remarques constructives et de l’enrichissement apporté par les professionnels tant au niveau régional que national 2. Ces multiples échanges lui ont permis de s’arrêter et de se positionner sur des données, principes et lignes directrices “incontournables”. D’ACTEUR À AUTEUR SOiNS CADRES - Supplément au n° 70 NOTES 1. Dhos. Document de travail concernant la maquette organisationnelle de la formation infirmière 2009-2012. 2. Présentation du travail lors de l’assemblée générale du Cefiec en mai 2008 à Angers. 3. Houssaye J. Théorie et pratiques de l’éducation scolaire : le triangle pédagogique. Éditions Peter Lang, 3e édition, 2000. T La professionnalisation et la construction de l’identité professionnelle de l’étudiant doivent être notre préoccupation première. Au travers d’un parcours individualisé, l’enjeu de la réforme consiste à accompagner la construction du parcours professionnel de l’étudiant. De fait, la formation en alternance prend tout son sens dans le changement actuel de paradigme. L’alternance intégrative n’est plus uniquement un projet visé mais devient alors un projet construit. Ce changement implique de revisiter la posture de chaque acteur. En effet, nous passerions d’une construction fondée sur la complémentarité à une co-construction du projet pédagogique. Durant la formation, le stage permettra à chaque acteur concerné de devenir un auteur impliqué. Ainsi, s’appuyant sur le triangle d’apprentissage de Jean Houssaye3, nous positionnons les trois auteurs (étudiant, tuteur et formateur) de la façon suivante (figure 1). [Une coopération revisitée... La co-responsabilité, la co-construction et la co-évaluation représentent les vecteurs permanents de toute nouvelle collaboration inscrite dans l’alternance. Formateurs, étudiants, tuteurs, professionnels de proximité ou maîtres de stage interagissent en permanence dans une dynamique constructive. Chacun détient sa part de responsabilité, de construction et d’évaluation. Cette dynamique doit entraîner une concertation permanente entre les différents lieux d’apprentissage qui pourrait se traduire par une volonté affirmée commune dans la cohésion des projets de soins institutionnels et des projets pédagogiques des Ifsi. Les instituts de formation et les sites qualifiants élaboreront ensemble et de manière coordonnée, les parcours de stages, lieux de l’apprentissage et de l’émergence de l’identité professionnelle. Les stages plus longs (allant jusqu’à quinze semaines) permettraient sans doute d’envisager de nouvelles configurations d’organisation, centrées sur la polyvalence, fondées, par exemple, sur une logique de services, de pôles ou de réseaux extra-hospitaliers. Les stages développeraient la coopération de l’étudiant dans sa participation à l’élaboration d’un projet. Cette initiative présenterait l’opportunité de s’initier à une recherche/action. Construire le temps de stage réside, tout d’abord, pour le formateur, dans l’accompagnement personnalisé de l’étudiant dans son parcours professionnel. Ensuite, ce dernier détient le fil conducteur de sa construction identitaire par une confrontation aux terrains (choix pertinents dans sa logique de stage). Enfin, le maître de stage, le tuteur et les professionnels de proximité, dans une dynamique d’équipe, auront à construire chaque stage selon les situations cliniques clés rencontrées, et ce, sur la base de l’évolution individuelle de l’étudiant (port-folio : outil qui sert à mesurer la progression de l’étudiant en stage, centré Figure 1 : Vers une dynamique à inventer. Extrait du triangle de Houssaye et de la roue de la qualité de Deming. S5 spécial pédagogie Le stage au cœur de l’apprentissage T sur l’acquisition des compétences, des conservant un espace d’autonomie, riche pour activités et des actes infirmiers)... chacun en créativité. Elle formalisera les enga[Un processus de professionnalisation. Force gements des deux parties dans l’encadrement est de constater que le stage participe à l’identi- des étudiants et sera portée à la connaissance de fication et à l’émergence de valeurs profession- ces derniers. nelles. Il est également le lieu d’acquisition des À l’heure des évaluations certificatives et des connaissances propices à l’élaboration des com- évaluations des pratiques professionnelles pétences. Ainsi, il s’impose comme une des (EPP), la notion de “site qualifiant” reconnaît étapes incontournables à l’évaluation des capa- chaque lieu de stage et chaque équipe dans son cités professionnelles dans une démarche identité, ses ressources professionnelles et pédad’autonomie-responsabilité. À charge de chacun gogiques. Une “labellisation” permettrait-elle des acteurs de saisir l’opportunité de ces temps leur reconnaissance ? Par ailleurs, faut-il réfléprivilégiés, fondés sur une démarche coopéra- chir à un système de “veille” par certaines instantive significative de sens. ces afin de garantir à chacun une formation de Le référentiel se détache de la dimension quanti- qualité, souci permanent des différents acteurstative et de la phase de contrôle. La co-évaluation auteurs ? change les postures de chaque acteur. Elle s’oriente vers une évaluation tripartite (entre les DEMAIN, QUELLE ORGANISATION trois acteurs) pour développer et valider une ou ET QUELLE ORCHESTRATION ? plusieurs compétences. Il s’agit maintenant de trouver l’organisation opti[Vers un nouveau paradigme de l’évaluation. male pour la mise en place de cette alternance, à L’évaluation pourrait se décliner sous différentes partir des directives de la Dhos. À l’heure où nous formes, à différents moments du stage. Nous réfléchissons à la déclinaison concrète du noupourrions distinguer trois temps propices : veau référentiel relatif aux stages, une question s¬LE¬TEMPS¬DUNE¬ÏVALUATION¬INITIALE à l’arrivée de essentielle se pose : celle de la faisabilité organisachaque étudiant entre tionnelle de la réingéniecelui-ci et le tuteur ou le Le stage s’impose comme rie de la formation, tant maître de stage. Ce temps pour les Ifsi que pour les permet d’interroger l’étu- une des étapes incontournables établissements d’accueil diant dans ses représentades étudiants en stage. tions, dans son parcours, à l’évaluation des capacités [Le parcours de stage. dans ses acquis (port-foSix stages, dont un par lio...) ; semestre, doivent être professionnelles s¬LE¬TEMPS¬DUNE¬ÏVALUATION¬ mis en place au cours de NORMATIVE afin de valider dans une démarche la formation. De lonl’acquisition des compégueur différente et protences, sur la base d’un d’autonomie-responsabilité gressive (cinq à quinze référentiel à partir de semaines, figure 2), il ne situations cliniques clés ; s’agira plus d’attribuer s¬LE¬TEMPS¬DUNE¬ÏVALUATION¬FORMATRICE rencontre un nombre de semaines de stages par discipédagogique dans une dynamique de progres- pline mais d’organiser le parcours de l’étusion individuelle de l’étudiant (entre le forma- diant autour de quatre types de stage : soins teur, le tuteur et l’étudiant). de courte durée, soins en psychiatrie et santé La co-responsabilité, la co-construction, la co- mentale, soins de longue durée et soins de évaluation posent le partenariat et l’alternance suite et de réadaptation (SSR), soins individans une temporalité nouvelle. Il y a “avant, pen- duels ou collectifs sur des lieux de vie. dant et après le stage” : cette vision linéaire des En plus du parcours imposé, l’étudiant pourra différents moments de formation devient alors aussi choisir de renforcer l’un des domaines d’apune vision circulaire. Chaque étape alimente la prentissage sur l’un des stages en fonction de son suivante, sans pour cela répondre à un seul sens projet professionnel. immuable. Tout est alors boucles de régulation. La durée des stages étant plus longue, nous pouCette dynamique demandera néanmoins que vons imaginer le parcours de l’étudiant dans un différents niveaux de contrôle puissent être réfé- stage autour des différentes activités du pôle ou rencés. Une charte concernant le rôle de chaque en lien avec le parcours du patient. Par exemple, auteur permettra de poser le cadre tout en en santé mentale, le stage pourrait s’articuler S6 SOiNS CADRES - Supplément au n° 70 spécial pédagogie Le stage, une coopération revisitée pour une dynamique d’apprentissage réinventée S1 S2 S3 S4 S5 S6 15 semaines 10 semaines 10 semaines 10 semaines 10 semaines 5 semaines 5 semaines 10 semaines 10 semaines 10 semaines 10 semaines 15 semaines Unités d’enseignement (cours magistraux, travaux dirigés, temps personnel) Stages Figure 2 : Le parcours de stage autour d’un secteur de psychiatrie, à la découverte des activités soignantes hospitalières et ambulatoires. Face à l’évolution du ratio terrains de stage et quotas d’étudiants, il serait intéressant de réfléchir à une coopération inter-Ifsi avec les établissements d’accueil, l’objectif étant de proposer un calendrier de stages équilibré au cours des semestres et d’harmoniser les outils d’encadrement mis en place. [L’encadrement en stage. À partir des directives de la Dhos relatives au rôle de chacun (maître de stage, tuteur, référent et formateur), nous allons devoir mettre en œuvre l’accompagnement de l’étudiant dans le stage. À nous d’identifier, au regard du référentiel d’activités, quelles sont les ressources de ce stage. À partir de ce constat, il nous appartient de proposer une offre en termes d’activités, à mener au cours du stage, permettant l’acquisition de compétences spécifiques (coconstruction du stage). Le tuteur, dans son rôle d’accompagnant, de facilitateur d’accès aux moyens mis à disposition et de trait d’union entre l’étudiant et ses référents semble être un pivot. Il aura aussi à évaluer avec MEMBRES DU GROUPE DE TRAVAIL Éliane Bourgeois, directrice des soins, EPSM Lille Métropole, Armentières (59), Solange Brisbout, cadre de santé formateur, Ifsi, Daumezon-St-André-lez-Lille (59), Nathalie Dequidt, cadre de santé formateur, Ifsi IFsanté La Catho, Lille (59), Anne Hanquier, adjointe de direction, Santélys Formation Loos (59), Catherine Lefebvre, cadre de santé formateur, IFCS IFsanté La Catho, Lille (59), Yvon Lemarquand, cadre supérieur de santé, Secteur 59 G 07, EPSM Lille Métropole, Armentières (59), Ludovic Lesage, cadre de santé, CH d’Armentières (59), Jean-Pierre Palka, directeur, Ifsi Valentine Labbé, La Madeleine (59), Claudine Rakotomalala, cadre supérieur de santé, Ifsi, CH de Valenciennes (59), Dominique Sandra-Morelle, cadre supérieur de santé, Groupe hospitalier de l’Institut catholique de Lille (GHICL, 59). SOiNS CADRES - Supplément au n° 70 celui-ci, sa progression à l’aide du port-folio. Mais quels moyens lui seront donnés pour qu’il puisse mener à bien sa fonction : un temps dédié, une reconnaissance de son expertise (trois ans minimum ?), un accès à une formation de tuteur, une participation aux séquences de pédagogie intégrative au sein des instituts de formation ? Des réponses restent à construire. Lors de nos échanges entre cadres formateurs et cadres de terrain, la question du temps imparti à l’encadrement est souvent revenue. Le temps alors dédié aux mises en situation professionnelle ne peut-il être converti en temps de tutorat et de rencontre entre étudiant, tuteur et formateur sur le terrain ? Dans tous les cas, le formateur reste garant du parcours de formation. Il propose un choix pertinent de stages pour la validation des compétences eu égard au projet individuel de l’étudiant. CONCLUSION La réforme des études infirmières représente une belle opportunité : la formation universitaire pour les infirmières et une opérationnalité de la formation par la place nouvelle et importante accordée au stage. Elle imposera donc une complémentarité plus soutenue entre les directions des soins et les directions d’Ifsi, car il ne s’agit plus uniquement de trouver des places de stage, mais bien de construire un parcours formatif visant l’acquisition et la validation de compétences. La mise en place des sites qualifiants offre un gage de qualité et une perspective de certification qui présenteront une garantie pour les étudiants et les Ifsi, mais aussi pour la reconnaissance de l’expertise professionnelle des équipes soignantes responsables de la construction des savoirs en situation de travail. La formation et la professionnalisation des étudiants en soins infirmiers constituent un défi à relever pour faire face aux enjeux de santé publique, aux réformes des établissements de santé, pour un exercice professionnel en pleine mutation au plus près des usagers dans le maillage sanitaire que constitue le territoire de santé. O LES AUTEURS Christiane Cattiaux, directeur des soins, Ifsi, CH d’Arras (62) et les membres du groupe de travail christiane.cattiaux @ch-arras.fr S7