la production effective, égale à la demande.
Le document 1 présente un exemple de calcul de cet écart, réalisé par le FMI. Comme on le voit, l’écart de production peut être élevé dans
un sens comme dans l’autre, l’équilibre étant l’exception. Lors de la grande crise de 2008, la production est même inférieure de près de 5%
à son potentiel. L’instabilité de la demande est donc à l’origine de fluctuation considérables par rapport à la tendance de long terme que
représente la production potentielle.
2. L’instabilité est renforcée par le cycle du crédit
Le cycle des affaires lié à la demande est amplifié par le cycle du crédit. Dans les périodes de croissance, les incidents de crédit sont rares,
les banques se refinancent aisément sur les marchés monétaire et obligataire, si bien que les conditions d’octroi des crédits sont souples :
crédit accordé par un simple coup de fil, sans passer par le comité de crédit, faibles demandes de garanties, etc… Inversement, lorsque la
croissance ralentit, les banques craignent à la fois les défauts de paiement de leurs clients et les difficultés de refinancement qu’elles
pourraient rencontrer. Elles durcissent donc les conditions de crédit. Notons que le climat des affaires et l’incertitude, là encore, jouent un
rôle important, cette fois dans les décisions des banques.
Le document 2 illustre ce mécanisme : en 2004-2005, l’assouplissement des conditions de crédit accompagne une période de croissance
relativement soutenue (0,5% à 0,7% par trimestre, donc entre 2% et 3% par an). Inversement, lorsque la croissance commence à faiblir, à
la fin de l’année 2006, les conditions d’octroi des crédits bancaires se durcissent fortement. Malgré le considérable assouplissement de la
politique monétaire de la BCE sitôt la crise de 2008 déclenchée, le durcissement se poursuit pendant toute la période.
La conséquence de ce mécanisme est évidente : les entreprises dont la trésorerie devient tendue du fait de l’affaiblissement des ventes ne
trouvent pas les relais de crédit qui leur permettraient de payer les salaires et les consommations intermédiaires en attendant que leurs
commandes produisent des rentrées financières et sont contraintes, même lorsque la demande existe, de renoncer à produire. D’autres,
touchées par une crise de liquidité, sont en cessation de paiement. La récession en est aggravée. Inversement, en période de croissance, le
crédit facile mène aisément à la surchauffe de l’économie.
Il n’est donc pas étonnant de constater de fortes fluctuations autour de la tendance de long terme de l’activité.
* *
C. La finance à l’origine des crises les plus graves
1. Les dernières décennies sont en effet marquées par une série ininterrompue de bulles spéculatives
Les marchés financiers sont des "marchés de promesses": nul ne sait ce que sera demain le "bon niveau" d'un taux d'intérêt, d'un taux de
change ou du cours d'une action. Cette incertitude engendre une grande variabilité des paris effectués par les intervenants des marchés
financiers qui préfèrent généralement suivre la tendance générale et avoir tort avec les autres plutôt que raison tout seul, comme il est
rappelé à la fin du document 3 à propos de la bulle japonaise. Ces anticipations font quelquefois l'objet de réajustements brutaux.
Un second mécanisme propage d'un marché à l'autre les déséquilibres apparus sur l'un d'entre eux. Ses effets dépendant de la plus ou moins
grande facilité d'accès au crédit donnée à ceux qui achètent des actifs. Si, par exemple, les ménages peuvent emprunter aisément pour
acheter leur maison ou des actions, ils contribuent à faire monter le prix de l'immobilier ou de la Bourse, une hausse dont ils peuvent se
targuer auprès de leur banquier pour emprunter plus et de nouveau investir, etc. Les différents marchés se trouvent ainsi liés. Ce processus
de contagion prend désormais une dimension internationale.
Enfin, ces emballements spéculatifs sont aggravés par le comportement mimétique des acteurs financiers, la perte de mémoire des
précédents épisodes de crise, ou encore une excessive confiance en ses propres choix par rapport à ceux des autres acteurs du marché, sans
oublier l'aveuglement face au désastre à venir qui marque les périodes spéculatives qui précèdent les crises.
Une bulle accélère artificiellement la croissance par un « effet de richesse » : la hausse de la valorisation du patrimoine rend l’épargne
inutile, ce qui libère du pouvoir d’achat pour la consommation. Dans les pays où l’immobilier sert de collatéral pour garantir les emprunts,
la hausse de l’immobilier accroît également la capacité d’emprunt, ce qui renforce la demande.
2. L’éclatement des bulles entraîne de graves crises
Les bulles ne peuvent qu’éclater, puisque les prix sont de plus en plus élevés, si bien qu’il finit par y avoir pénurie d’acheteurs. Les
mécanismes qui avaient entraîné la hausse se retournent alors brutalement et les spéculateurs cherchent à sortir du marché le plus vite
possible, entraînant des effets de panique.
Plus les cours sont montés haut et plus l’atterrissage est brutal. Les effets de la crise sur l'économie peuvent être gravissimes, comme l’a
montré la crise de 2008 après celle de 1929. La diminution de la valeur des actions ou des logements réduit la valeur des patrimoines, ce
qui incite les ménages à épargner pour reconstituer leur fortune. La consommation baisse fortement, et la croissance avec.
Ensuite, l'explosion de la bulle s'accompagne de besoins de liquidités importants, notamment du côté des spéculateurs qui s'étaient endettés
pour acheter des actifs et qui ne peuvent plus compter sur des plus-values pour rembourser leurs dettes. Le risque est alors l'enchaînement
de la debt-deflation (la déflation par la dette), analysée par Irving Fisher : les revenus ne couvrent plus le service de la dette et les
spéculateurs doivent vendre pour rembourser. Ces ventes de panique accélèrent la chute des cours.
Lors de la crise de 2008, la multiplication des défauts a mis en péril les banques les plus endettées (banques d’affaires américaines,
banques irlandaises, notamment), ce qui a contraint les Etats à venir à leur secours. Ils se sont alors eux-mêmes trouvés confrontés à une
dette publique élevée et ont lancé des politiques de rigueur accentuant la crise.
Enfin, chaque crise récente (crise mexicaine en 1995, asiatique en 1997, russe en 1998, de la nouvelle économie en 2001, avant la crise des
subprime en 2008) est résolue en émettant des liquidités supplémentaires… qui nourrissent la bulle suivante. L’amplification des
fluctuations par les bulles financières est donc la principale menace pesant actuellement sur la stabilité des économies de marché.
* *
Conclusion
Nous avons donc mis en évidence la présence au cœur de l’économie de marché de mécanismes menant à son instabilité fondamentale. Ils
expliquent l’essentiel des fluctuations de l’activité économique, autres que les catastrophes politiques ou, peut-être, demain,
environnementales. Bien entendu, il est possible de lutter contre ces phénomènes, en menant des politiques économiques actives ou en
mettant en place des institutions régulant la finance. Mais il est difficile d’envisager d’éliminer les fluctuations.
Un regard sur l’histoire économique nous rappelle que les fluctuations de l’activité ont été les plus faibles lorsque les économies ont été
régulées, entre 1933 (premières lois Roosevelt) et la fin des années 1970. La libéralisation actuelle a entraîné, inséparablement, un surplus
de dynamisme et d’instabilité. Et il est très difficile de revenir en arrière ; car la mondialisation a retiré aux Etats une bonne partie de leur
pouvoir.
La question des fluctuations économiques et des crises va donc rester au cœur du fonctionnement des économies de marché pour l’avenir
prévisible.