Le rôle de l’investissement dans les fluctuations de la croissance des pays industrialisés Peut-on réguler la croissance en agissant sur l’investissement ? 1. L’investissement, au cœur de la croissance Dans l’analyse keynésienne, l’investissement est un moteur de la croissance à double titre : un investissement est d’abord un élément de la demande finale, mais aussi une source de revenu pour d’autres agents et donc l’initiateur d’un cercle vertueux de la croissance. En termes de demande, l’investissement est donc facteur d’une augmentation plus que proportionnelle de la demande : c’est le principe du multiplicateur. De plus, dans une logique d’offre, il permet d’améliorer les conditions de production et donc d’adapter la production globale aux variations de la demande : c’est le principe de l’accélérateur1. Clark a mis en évidence ce qu’il appelle une « relation technique » entre variations de la demande et variations de l’investissement, celui-ci étant plus volatile que la demande. On a donc : Kt = vYt Tinbergen ayant établi une contestation empirique de cette relation, on peut nuancer ce mécanisme en introduisant la notion d’accélérateur flexible que l’on doit à Koyck : l’investissement s’ajuste avec retard aux variations de la demande. Si l’on prend en compte la théorie classique, cette deuxième constatation renforce l’importance du rôle de l’investissement dans la croissance. Les classiques mettent en effet l’offre au centre de la croissance. Pour Say, « l’offre crée sa propre demande » (interprétation de Keynes) : un investissement engendre forcément de la croissance. De fait, le taux d’investissement (FBCF / VA) est souvent utilisé comme indicateur macroéconomique pour mesurer la santé d’une économie nationale (ou d’une entreprise) et anticiper le taux de croissance. P. Villieu : « la seule variable reliée de manière robuste à la croissance est le taux d’investissement, quel que soit le pays, la période et les autres variables considérées ». 2. L’instabilité de l’investissement importantes de la croissance engendre des fluctuations Dès 1908, préfigurant les travaux de Clark, Aftalion faisait de l’investissement le principal mécanisme explicatif des fluctuations de la croissance. Une réduction, aussi modérée qu’elle soit, de la demande engendrant une diminution plus que proportionnelle de l’investissement, il peut se produire un effondrement de la demande globale et donc une crise de surproduction (volatilité de l’investissement par rapport à la croissance). En 1939, Samuelson met en évidence le mécanisme de l’oscillateur2, combinaison des effets du multiplicateur et de l’accélérateur : celle-ci débouche le plus souvent sur une forte instabilité conjoncturelle du fait du défaut d’ajustement entre l’investissement réalisé par les entreprises et la proportion de leur revenu qu’épargnent les ménages. L’équilibre ex ante entre investissement et épargne n’est donc pas atteint et il n’existe aucun mécanisme capable de rééquilibrer l’économie. Elle est donc en déséquilibre structurel. En fait, c’est moins les fluctuations de l’investissement qui expliquent celles de la croissance (22 % de la croissance des Trente Glorieuses selon Carré, Dubois et Malinvaud) que celle du « résidu » exogène mis en évidence par Robert Solow, auquel on assimile le 1 Aftalion, 1908 : It = β (Yt-Yt-1) : variation plus que proportionnelle de la demande d’I. Yt = Ct+It+A = c(1+ β)Yt-1 - cβ Yt-2 + A. Il existe trois solutions selon les valeurs de c et β : oscillations amorties, oscillations explosives, oscillations auto-entretenues. 2 progrès technique (50 % de cette même croissance). Mais ce progrès technique est étroitement lié à l’investissement, principal facteur de son incorporation dans la structure économique. Ainsi, un rajeunissement d’un an des équipements accroît de 3,6 % leur productivité apparente. L’investissement peut aussi avoir des effets sur la productivité du travail. De surcroît, les théories de la croissance endogène ont remis le capital au centre des théories de la croissance. Elles éliminent une des hypothèses de Solow : le rendement décroissant des capitaux, dont la contribution à la croissance se renforce alors. Parallèlement, elles font du travail, envisagé comme « capital humain » (Gary Becker) un élément de l’investissement qui devient alors le déterminant exclusif de la croissance. On voit bien alors toute l’importance de son rôle dans les cycles de la conjoncture économique. 3. Comment favoriser l’investissement optimal ? L’investissement est reconnu par tous comme un facteur premier de la croissance, que ce soit parce qu’il stimule l’offre ou parce qu’il est un élément de la demande finale. Il peut donc permettre de réguler les fluctuations de la croissance et se trouve parfois au cœur des politiques économiques actives entreprises par l’État. Il peut en effet avoir un rôle contracyclique : stimuler l’investissement permet non seulement de relancer la demande globale, mais aussi de faire augmenter l’emploi en amont (conception et production, des machines le plus souvent) comme en aval (redistribution de revenus qui stimulent la consommation). L’État met donc en œuvre des politiques de relance de l’investissement, qu’il soit public (grandes vagues de nationalisations) ou privé (planification pendant les Trente Glorieuses). C’est aujourd’hui davantage le privé qui est concerné par ces politiques, du fait des privatisations d’une part, de la volonté de ne pas porter à bout de bras des secteurs mourants et à faible productivité d’autre part. Cependant ces politiques sont ciblées selon les branches afin de favoriser au mieux l’économie nationale. La fiscalité est un premier moyen des politiques d’investissement : réductions d’impôt, subventions à l’investissement, taux d’intérêt préférentiels, … Cependant ces mesures n’ont d’influence que sur le coût du capital, qui n’est pas le facteur déterminant de l’investissement (c’est pour Keynes la comparaison entre la rentabilité anticipée du capital et le taux d’intérêt, mais la D effective est la variable déterminante) ; leurs résultats sont donc décevants (négligeables à moyen et long terme selon Artus et Sicsic). De même, le jeu sur les taux d’intérêt est assez inefficace. Autour de Jacques Drèze et Edmond Malinvaud, des économistes se sont donc regroupés pour réclamer une politique de relance de la demande globale par un abaissement du coût du travail et un soutien à l’investissement, aussi bien public (+1 % du PIB) que privé. Cependant ces mesures seraient onéreuses à court terme et se heurtent donc au Pacte de stabilité. Enfin, l’investissement peut se traduire par une substitution du capital au travail (donc une hausse du chômage) et une exclusion croissante des travailleurs non qualifiés du marché du travail ; d’un autre côté, la stagnation de l’investissement induit un ralentissement des gains de productivité et une baisse de la compétitivité. Le remède pourrait donc être un soutien à l’investissement en capital humain comme à l’investissement « traditionnel ». Cependant il ne faut pas oublier que l’investissement doit rester mesuré, sous peine d’une part d’être fatal à la consommation, d’autre part d’engendrer des crises de surinvestissement et des goulets d’étranglement pour toute l’économie.