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Copyright : Sylvie Léonard – Petites histoires d’artistes – 2012
CRISTO JAVACHEFF (1935- ) – JEANNE-CLAUDE (1935-2009)
Le paquet-cadeau
Paris, 1985. Quand il était arrivé autrefois de Bulgarie, Christo avait commencé par emballer des petits objets…
Par un beau matin de printemps, Christo et Jeanne-Claude se présentèrent à l’Hôtel de Ville pour rencontrer le maire
de Paris. Jacques Chirac était un homme très occupé et ils avaient dû faire jouer toutes leurs relations pour obtenir ce
rendez-vous. C’est finalement le père de Jeanne-Claude, un général à la retraite, qui leur avait ménagé cet entretien.
Jacques Chirac les accueillit chaleureusement et leur demanda l’objet de leur visite.
- Eh bien voilà, Monsieur le Maire, je voudrais emballer le Pont-Neuf.
- Pardon ?
- Je voudrais emballer le Pont-Neuf, répéta calmement Christo en posant sur la table un croquis du projet.
Jacques Chirac commençait à regretter d’avoir accepté de recevoir cet énergumène, mais, par respect pour le
Général, il continua la conversation.
- Et combien devrait-elle coûter à la ville, cette petite plaisanterie ?
- Mais rien, Monsieur le Maire. Rien du tout. Je finance toujours mes opérations en vendant mes dessins
préparatoires. Ils sont très cotés, maintenant.
Jacques Chirac allait de surprise en surprise. Le dessin était assez séduisant, mais l’idée ne l’emballait pas vraiment.
Pour lui expliquer sa démarche artistique, Christo lui montra les photographies de leurs précédentes réalisations. Ils
avaient tendu un rideau de 100 mètres de haut dans une vallée du Colorado, fait courir une barrière de 40 kilomètres
au nord de San Francisco, et ourlé de rose un chapelet d’îles au large de Miami.
Le Pont-Neuf,
Paris, XVIe siècle.
Christo :
Projet pour l’emballage
du Pont-Neuf, 1985.
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Lorsqu’il eut l’assurance que les travaux n’abimeraient pas le pont et que l’installation ne gênerait pas la circulation,
Jacques Chirac leur donna son accord, tout en se demandant s’il ne faisait pas la plus grosse bêtise de sa vie.
Habiller le plus ancien pont de Paris, avec ses arches, ses piliers, ses trottoirs, ses parapets, et ses encorbellements,
c’était de la haute couture. Pendant tout l’été, les ouvrières d’une manufacture d’Armentières assemblèrent 40 000
mètres carrés de toile. Une toile épaisse, soyeuse et ocrée qui rappelait la couleur des immeubles parisiens.
Pour maintenir la toile autour de l’édifice, il fallut 13 000 mètres de cordes et 12 tonnes de câbles d’acier.
Les Charpentiers de Paris vinrent d’abord pour faire les relevés. Puis les Guides de Chamonix commencèrent
l’enveloppement. Les Hommes-grenouilles de la Police fluviale fixèrent la toile sous les voûtes. Enfin les élagueurs,
les cordiers et les bâcheurs terminèrent l’ouvrage. En tout, 200 personnes travaillèrent sur le site.
La dernière nuit, Christo emballa lui-même les réverbères.
Les passants, amusés ou scandalisés, regardaient ce ballet aérien en se demandant à quoi tout cela pouvait bien
servir. A un homme qui lui demandait pourquoi il empaquetait le Pont-Neuf, un alpiniste répondit qu’il ne savait pas
non plus pourquoi il escaladait les montagnes…
Christo et Jeanne-Claude :
Valley curtain, 1972.
Running Fence, 1976.
Surrounded islands, 1983.
Christo et Jeanne-Claude :
L’emballage du Pont-Neuf, 1985.
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Pour fêter dignement l’inauguration, Paris avait revêtu ce jour-là des allures de vacances. Une belle lumière
d’automne dorée baignait le Pont-Neuf et les quais de la Seine. L’air était tiède et le vent était doux.
Malgré les tumultueuses discussions qui avaient agité leurs conversations, les Parisiens vinrent en masse pour
assister à l’événement. Les controverses allaient bon train et les badauds avaient du mal à croire que Christo avait
d’autres buts dans cette opération que de faire sa publicité aux frais des contribuables.
Pourtant, en posant le pied sur les trottoirs, moelleux et soyeux comme du sable, ils commencèrent à ressentir l’effet
magique de la transformation. Le silence de leurs pas, la douceur des murets, la sensualité des drapés, la luminosité
des bancs et des balcons, impressionnaient malgré eux tous leurs sens…
Aux quatre coins du pont, des étudiants répondaient aux questions, donnaient des explications, apportaient des
précisions. Il fallait se rendre à l’évidence : jamais le Pont-Neuf n’avait paru si neuf et jamais à Paris on n’avait tant
parlé d’art.
L’installation resta en place pendant deux semaines et attira des millions de visiteurs.
Elle laissa dans les mémoires le souvenir d’une expérience artistique magnifique.
Mais ce qui faisait la fierté de Christo et Jeanne-Claude, c’est que cette œuvre-là, personne ne pourrait jamais la
vendre, l’acheter, la garder, ou la posséder.
Christo et Jeanne-Claude :
Le Pont-Neuf emballé,
22 septembre - 7 octobre 1985.
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