17-Journal-juin-2014_Mise en page 1 22/05/14 11:31 Page128 Journal marathon de Boston en 2013) qui, à notre sens, ne relèvent d’aucune de ces catégories. On pourrait les qualifier d’hyperterroristes ou d’infraterroristes. Ils voudraient en effet être des terroristes, mais ne le sont pas car ils sont incapables de se fondre dans un groupe, dans une communauté d’appartenance. Ils ne sont ni d’AlQaida, ni de la bande à Bader, ni d’aucun groupuscule terroriste. Ils sont une forme hybride des deux premiers cas. Ce sont des êtres de l’excès. Dégoûtés par une société dévoyée, ils cherchent à recréer de l’éthique par des procédés immoraux et transgressifs. Ils se veulent responsables et d’un autre côté sont totalement irresponsables. Ils sont individualistes, incapables de se fondre dans un groupe de pairs, mais en même temps aimeraient être reconnus par une organisation terroriste. En ce sens, comme l’écrit Philippe Baumard11, chaque citoyen du monde est devenu une petite manufacture à publicité, dont il est le producteur, le stratégiste média, le propagandiste et le client. « Ni Dieu ni maître », chacun peut piocher un morceau d’idéologie ici ou là, peu importe. Les traces qu’ils laissent sur les réseaux sociaux démontrent que ces « hyper » ou « infra » terroristes sont ancrés dans l’hypermodernité, mélangeant des principes religieux et l’assouvissement de désirs personnels. Dans cette stratégie « touche-à-tout », ces individus ont certes pu entrer en contact avec des cellules terroristes, mais cela n’en fait pas des terroristes professionnels. Ce sont des sujets marginaux, non sociaux, non politiques, et pas davantage culturels, dangereux car à la recherche d’une identité, d’une reconnaissance par le fait de tuer. Ils pensent, à la différence du tueur de masse ou du terroriste, qu’une fois commis leur acte, ils seront intégrés à titre posthume à un groupe, à une communauté, quand bien même cette communauté est mise au ban de la communauté internationale. Olivier Hassid SAUTER DANS LE VIDE Dans une photographie en noir et blanc, Leap Into the Void. After Three Seconds (« Saut dans le vide. Trois secondes après », 2004), l’artiste roumain Ciprian Muresan présente la scène qui aurait eu lieu trois secondes après le Saut dans le vide d’Yves Klein. Cette œuvre de 1960, qui annonçait ce qu’on allait appeler la « performance », résulte du montage de deux clichés, l’un de la rue photographiée avant ou après le saut, l’autre pendant que l’artiste prend son envol au-dessus de la bâche tendue à bout de bras par des judokas – rappelons qu’Yves Klein était aussi champion de judo – prêts à le réceptionner afin qu’il ne s’écrase pas au sol1. Célébration et mise en danger 1. Klein réalise ce saut à la suite d’un entraînement de judo dans le dojo qui se trouve en face du pavillon d’où il s’est élancé. 11. Philippe Baumard, le Vide stratégique, Paris, CNRS Éditions, 2012. 128