Août 2014
www.macsa.com.tn Billet Economique
DÉPARTEMENT RECHERCHES ET ANALYSES
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N° 16
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Menaces terroristes et performance économique
Quelles interactions?
Le terrorisme et ses implications macroéconomiques
La menace terroriste n’est plus une simple fiction. La multiplication
des actes terroristes a transformé le quotidien des tunisiens, et sur-
tout ceux qui habitent les zones frontalières. Aujourd’hui, les implica-
tions économiques de ces actes occupent le devant de la scène, dans
un pays déjà piégé par une croissance embryonnaire.
Les retombées des actes terroristes impactent l’économie d’un pays {
plusieurs niveaux : tourisme, transport, assurance, investissements
domestique et étranger, Pour le cas tunisien, les canaux de trans-
mission les plus frappants semblent être les suivants [Figure 1].
Le secteur le plus exposé aux actes terroristes demeure celui du tou-
risme. Il est fréquemment la cible privilégiée des terroristes. Ce sec-
teur est souvent impacté via deux effets.
Les attentats organisés dans un pays touristique, comme la Tunisie,
auront un fort retentissement médiatique international du fait de
l’arrivée de touristes originaires de plusieurs nationalités.
D’une part, la multiplication des actes terroristes se traduit par
une baisse des réservations, voir même des annulations, engen-
drant la chute des recettes touristiques (Effet revenu).
D’autre part, le climat d’insécurité, généré par la menace terroris-
te, empêche la modernisation du secteur, le cimentant dans un
tourisme bas de gamme les visiteurs étrangers campent dans
leurs hôtels jusqu’{ la fin de leurs séjours (All inclusive model). Du
coup, les autres secteurs de l’économie ne peuvent en profiter
(restaurants, taxis, location de voitures, artisanats, sites archéolo-
giques, musées, ….) (Effet qualité).
L’impact négatif pourrait devenir plus déstabilisant pour le secteur si
les terroristes désertent la réserve du Mont Chaâmbi et ses 260 grot-
tes et débarquent dans les grandes villes côtières et les principaux
complexes touristiques.
Sur l’investissement étranger, le terrorisme aurait aussi des effets
négatifs. Les attentats de l’ETA perpétrés en Espagne entre 1975 et
1991, ont baissé de 14% le volume des investissements directs étran-
gers.
Le plus souvent, c’est l’investissement de portefeuille qui encaisse le
coup le plus dur. Les détenteurs d’actifs se précipitent pour liquider
leurs positions et rapatrier leurs avoirs vers les actifs financiers les
plus sûres, le plus souvent les titres du Trésor des pays veloppés
(Flight to quality). Ajoutons que le renforcement du dispositif sécuri-
taire, suites aux actions terroristes, pourrait générer des coûts indi-
rects (renchérissement des transactions) pénalisants pour les échan-
ges avec l’extérieur (biens, services et capitaux).
La Tunisie post-révolution croupit depuis deux ans sous les menaces terroristes. Frappée par une série d’attaques terroristes sans
précédents, l’économie tunisienne, déjà en convalescence prolongée, commence à sentir les retombées macro-économiques de tels
actes barbares.
La menace terroriste, est une autre variable qui débarque pour compliquer, d’un cran, l’équation de la relance économique, lar-
gement brouillée par le manque de visibilité électoral, la crise européenne, le blocage répétitif de l’appareil productif, l’hésitation po-
litique et la fièvre revendicative. Cerise sur le gâteau, l’avalanche de réfugiés libyens complique davantage aussi bien la donne écono-
mique que sécuritaire.
Le présent billet a pour objectif d’apporter un éclairage sur les interactions entre la montée de la menace terroriste et la performance
économique.
Nous allons d’abord repérer les implications macroéconomiques du terrorisme, aussi bien sur le plan sectoriel qu’au niveau des com-
portements des agents (investisseurs et consommateurs).
Ensuite, nous reviendrons sur la causalité inverse : comment la chute de la croissance nourrit à son tour la menace terroriste.
Enfin, nous rappellerons les grandes lignes d’une stratégie efficace de lutte contre le terrorisme, en distinguant les mesures de court
terme des actions de moyen et long terme.
Un phénomène qui caractérise les grandes places financières matures
(développées et émergentes), mais qui est loin d’être l’effet le plus mar-
quant pour le cas tunisien. C’est du côté de l’Investissement direct
étranger (IDE) que le terrorisme pourrait frapper fort en Tunisie. La
multiplication des attentats terroristes accentue l’attentisme des inves-
tisseurs étrangers, déjà plombés dans un comportement de « wait and
see » à cause du manque de visibilité électorale et du retard pris dans
l’adoption du nouveau Code des investissements. Les derniers chiffres
publiés par l’Agence de promotion de l’investissement extérieur (FIPA),
signalent un très net recul du flux des investissements étrangers, enre-
gistré au cours des six premiers mois de 2014 : une chute de 26.2% par
rapport à la même période de 2013.
Ainsi, la baisse des IDE impactera négativement les réserves de changes
selon deux effets : à travers le tarissement des entrées de devises (effet
direct), et via la chute des exportations (effet indirect), alimentant ainsi
les tensions sur le stock de réserves de change et les pressions baissiè-
res sur le dinar. Rappelons qu’une bonne partie des exportations tuni-
siennes sont assurées par des entreprises étrangères installées en Tuni-
sie.
Menace terroriste et moral des agents économiques
La multiplication des actes terroristes ne pourrait que saper le moral
des principaux agents économiques et du coup plomber le climat des
affaires. Le terrorisme transforme souvent le comportement des agents
économiques, opérant des distorsions dans l’allocation des ressources
du pays.
Du côté des investisseurs, avec la montée du terrorisme, l’attentisme
dominent les comportements. D’où la baisse du niveau de l’investisse-
ment domestique et de la croissance économique.
Un comportement semblable frapperait les consommateurs, surtout
pour leurs achats de biens durables et leurs projets immobiliers. La
montée de l’incertitude et le manque de visibilité, suite { la multiplica-
tion des actes terroristes, développent un comportement favorable à
l’épargne de précaution, très pénalisant pour les dépenses de consom-
mation des ménages.
Notons aussi, que plus les menaces terroristes pèseront sur une écono-
mie, plus le « risque pays » augmente et plus les primes d’assurance
flambent. Il en résulte une nette augmentation des prix des produits
importés, qui pourrait d’une part alimenter les poussées inflationnistes
et d’autre part, amener les investisseurs et les consommateurs { retar-
der leurs décisions d’achats de ces produits. Certes, un tel comporte-
ment serait profitable pour la balance commerciale, surtout du côté des
consommateurs (baisse du déficit), mais ses répercussions pourraient
être néfastes si les importations des inputs ou des biens d’équipements
seront touchées.
Le recul de la croissance alimente aussi le terrorisme
Le recul de la croissance est à son tour générateur de poussées terroris-
tes. Nous pouvons distinguer deux canaux de transmission [Figure 2].
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D’une part, une croissance fragilisée par la menace terroriste entraîne
la montée du chômage et de la pauvreté. Du coup un marché poten-
tiel s’est élargi pour des nouveaux recrus pour les thèses terroristes.
D’autre part, la faiblesse du taux de croissance se traduit par la chute
des recettes fiscales de l’Etat. L’appauvrissement de l’Etat, qui en résul-
te, serait pénalisant pour l’efficacité de sa stratégie de lutte contre le
terrorisme.
Combattre la nébuleuse terroriste : un travail de longue
haleine
Pour épargner l’économie nationale des retombées d’une menace ter-
roriste, une série de mesures s’imposent.
Un effort de fermeté
A très court terme, l’option sécuritaire est inévitable, surtout pour un
pays comme la Tunisie, l’économie demeure très dépendante des
recettes touristiques et des investissements étrangers. Le contrôle des
frontières et la modernisation des équipements militaires semblent
être incontournables pour améliorer l’efficacité des politiques anti-
terroristes (une démarche curative). De même, la fermeté s’impose
contre l’apologie du terrorisme sur la place publique (médias, mos-
quées, universités, meeting politiques, …), mais aussi contre la suren-
chère politicienne sur les cadavres des martyrs des actes barbares,
nourrie par une entrée prématurée dans la campagne électorale (une
démarche préventive).
Pour atteindre ces objectifs, un effort budgétaire (réallocation des res-
sources pour rénover le dispositif de sécurité) doit se conjuguer à un
effort réglementaire (plus de fermeté dans les textes pour sanctionner
l’apologie du terrorisme).
Un effort de dosage
Un jeu d’équilibriste conditionne l’efficacité des stratégies de lutte
contre le terrorisme.
L’action gouvernementale est interpelée { trois niveaux :
Comment réussir la mise en œuvre d’un plan anti-terroriste sans
renoncer à la liberté d’expression ?
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Figure 2
Menaces terroristes et croissance économique
Une causalité à double sens
Elargissement du marché
potentiel des thèses
jihadistes
Chômage
pauvreté
Inefficacité des politiques
anti-terroristes
Recettes
Fisacles
Menaces
Terroristes
Croissance
économique
< 0
Il est toujours très délicat de trouver le juste équilibre entre la liberté
d'expression et la nécessité de prévenir le terrorisme. Toutefois, il faut
veiller soigneusement à ce que les restrictions sur le droit à la liberté
d’expression ne dérapent pas de leur objectif prioritaire, { savoir le
maintien de l’ordre public et la sauvegarde de la sécurité nationale.
Comment combattre l’extrémisme religieux sans promouvoir les thè-
ses de l’intégrisme laïc ? L’efficacité de la bataille contre l’intégrisme
religieux ne doit pas faire appel au fonds de commerce de l’intégrisme
laïc qui ne peut qu’exceller dans le déclenchement d’un réflexe pavlo-
vien chez les adeptes de la mouvance jihadiste, offrant ainsi du kérosène
aux actions terroristes. L’Etat tunisien n’est pas assez bien préparé pour
affronter ces extrémistes et le climat des affaires reste très fragile pour
supporter cette forme de délinquance intellectuelle.
Comment peut-on réussir la modernisation du dispositif sécuritaire
sans provoquer de dérapage dans les finances publiques ? Car, d’une
part, l’exercice de réallocation des dépenses budgétaires n’est pas un
exercice facile dans une économie frappée par le virus de la fièvre re-
vendicative, et d’autre part, toute augmentation des dépenses de sécuri-
tés serait sanctionnée par le creusement du déficit budgétaire.
Un effort de traquage des sources de financement
La lutte contre le banditisme qui fait la pluie et le beau temps dans les
circuits de distribution s’inscrit aussi dans la bataille contre les réseaux
terroristes qui profitent du fleurissement d’une économie hors la loi
(estimée à près de 40% du PIB) pour financer leurs opérations. De mê-
me, la dimension internationale ne doit pas être éludée. Une étroite coo-
pération avec le Groupe d’action financière (GAFI) serait indispensable
pour faire face à ce fléau.
Un effort de changement de modèle
L’économie tunisienne est une économie très sensible { la variable sécu-
ritaire. Ce qui n’était pas le cas de l’Algérie pendant les années 90, où la
menace terroriste n’a pas stoppé les exportations des hydrocarbures et
les entrées de devises. La Tunisie est forcée de diversifier ses exporta-
tions de biens et services. Certes, une diversification sectorielle, pour
renforcer la place d’autres secteurs autres que le tourisme ; mais aussi
une diversification géographique, avec plus d’effort de prospection sur
les marchés émergents et surtout du côté africain. De même un effort
semble être incontournable pour la remontée en gamme pour en finir
avec le déficit chronique et inquiétant de la balance courante : 5.3%
pour les six premiers mois de l’année 2014, contre 4.4 % pour la même
période de 2013.
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En somme, l’horreur des actes terroristes et l’ampleur des dégâts en-
caissés par l’armée tunisienne ont forcé le gouvernement { prendre
une série de mesures courageuses pour faire barrage à cette menace.
Allons-nous attendre une forte dégradation ou un effondrement de
l’économie tunisienne pour prendre de pareilles mesures sur le plan
économique ? Espérons, que le gouvernement aura aussi le courage
nécessaire pour engager les réformes économique les plus sérieuses
permettant { la Tunisie de retrouver le chemin d’une forte croissance,
avant qu’il ne soit trop tard. Car seule une croissance solide et inclusi-
ve claquera la porte au nez des VRP du terrorisme. De même une poli-
tique efficace contre le terrorisme semble être le meilleur placement à
terme sur le marché de la croissance économique.
Pr Moez LABIDI
Professeur à la Faculté des Sciences Economiques et de Gestion de Mahdia
Conseiller économique auprès de MAC SA
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