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CHAPITRE 13 – LA CONCURRENCE
I. L’ACTION EN CONCURRENCE DÉLOYALE
Objectif
Être capable de repérer les éléments constitutifs de l’action en concurrence déloyale.
La notion de « concurrence déloyale » n’est définie par aucun texte de loi. Ce sont les juges qui
déterminent, selon le cas qu’ils étudient, ce qui est loyal et ce qui ne l’est pas. Le législateur qualifie,
toutefois, la concurrence déloyale comme étant des agissements fautifs dans l’exercice d’une profession
industrielle, commerciale ou de service, de nature à engager la responsabilité civile (et parfois pénale)
de leur auteur.
Les juges fondent leurs décisions sur les notions de faute ayant entraîné un dommage. Ce sont les articles
1382 (responsabilité civile délictuelle) et 1383 (responsabilité civile quasi délictuelle) du Code civil qui
servent de base légale pour des actions en réparation devant les tribunaux civils :
Article 1382. – Tout fait quelconque de l’homme qui cause un dommage à autrui oblige celui, par
la faute duquel le dommage est arrivé, à le réparer.
Article 1383. – Chacun est responsable du dommage qu’il a causé, non seulement par son fait,
mais encore par sa négligence ou son imprudence.
A. LES CONDITIONS DE L’ACTION EN CONCURRENCE DELOYALE
La mise en œuvre de la responsabilité civile délictuelle ou quasi délictuelle suppose la réunion de trois
conditions :
1. Une faute intentionnelle (art. 1382) ou non intentionnelle (art. 1383) (ou comportement déloyal)
La jurisprudence vise essentiellement trois cas de faute intentionnelle :
– Le dénigrement : par des allusions ou allégations mensongères ou exagérées, une entreprise porte
atteinte à l’image, à la notoriété, à l’honorabilité ou à la réputation de son concurrent.
– La confusion : une entreprise cherche à tirer partie de la notoriété d’un concurrent en utilisant, par
exemple, des signes distinctifs de ce concurrent afin de créer la confusion dans l’esprit des
consommateurs, tant qu’au niveau des entreprises que des produits, et ainsi de profiter de sa réputation
(parasitisme).
– La désorganisation : une entreprise décide de gêner le fonctionnement d’une entreprise concurrente, par
exemple, en débauchant du personnel en leur offrant un meilleur salaire.
2. Un préjudice (ou dommage subi)
Il peut s’agir soit d’un préjudice matériel (ex. : perte de chiffre d’affaires), soit d’un préjudice moral (ex. :
atteinte à la réputation).
3. Un lien de causalité entre la faute ou la négligence et le préjudice
Les agissements fautifs (ou la faute) doivent avoir directement pour effet de provoquer un préjudice (ex. :
débaucher un bon cuisinier peut faire perdre des clients au restaurateur concurrent).
Le demandeur doit apporter la preuve que le préjudice subi est bien en relation avec la faute ou la négligence
commise par son concurrent. Mais ce lien de cause à effet est parfois difficile à mettre en évidence.
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B. LES EFFETS DE L’ACTION EN CONCURRENCE DELOYALE
Le préjudice causé par un acte de concurrence déloyale fait l’objet d’une réparation sous forme de
dommages-intérêts dont le montant est apprécié par les juges. Ce montant correspond à une somme
équivalente au préjudice matériel et moral.
Les juges peuvent aussi ordonner la cessation immédiate des agissements condamnables par les procédés
de l’astreinte, la saisie des produits ou leur destruction. Enfin, la publication de la décision dans la presse
peut être ordonnée.
Mais, souvent, la condamnation arrive tard : c’est pourquoi l’entreprise victime a intérêt à mettre en œuvre
une procédure en référé, qui permet de stopper rapidement les agissements délictueux.
DOCUMENT 1
Positionnement chez les distributeurs : présentation du produit
La société Brasserie Fischer reproche à la société Interbrew d’avoir à travers les conditions de la
commercialisation de sa boisson Boomerang cherché à se placer dans son sillage afin de tirer profit de sa
renommée dans le domaine des bières de spécialités (Kriska et Desperados).
Le conditionnement de la boisson Boomerang reprend en effet les caractéristiques de la bouteille de la bière
Kriska, à savoir une forme long neck et un aspect givré.
Si la société Interbrew était dans l’obligation de changer la contenance de sa bouteille, la modification de
conditionnement lui ayant été imposée par l’administration, rien ne lui imposait de choisir le conditionnement
en question. Ce choix a en réalité pour but de profiter de la notoriété et de la mode actuelle des bières Fischer
Desperados et Kriska qui ont connu un succès considérable.
En outre, la société Interbrew a préconisé aux distributeurs de positionner sa boisson Boomerang à côté des
bières Kriska et Desperados et a fait figurer sur sa publicité destinée à ces professionnels une photographie
montrant des bouteilles de son produit entre les bières Kriska et Desperados.
Par ce positionnement et de par la modification de son conditionnement, la société Interbrew a profité de la
notoriété des bières de spécialité de la société Brasserie Fischer. La concurrence déloyale par parasitisme de
la société Interbrew est ainsi établie.
C. Paris (4e ch., sect. B), 14 mai 2004 : Brasserie Fischer c. Interbrew – RG n° 2004/02201 – Appel de Trib.
gr. inst. Paris (3e ch., 3e sect.), 16 décembre 2003 – Mme Pézard, prés. – Mes Fourgoux, Triet, av.
Gazette du Palais, mai-juin 2005
Questions
1. Rappelez la définition de la concurrence déloyale.
2. Quelles sont les parties au litige ?
3. Concernant quels produits ?
4. Quels sont les domaines concernés par les reproches faits par Fischer à Interbrew ?
5. Constatant que la société Interbrew a profité de la notoriété de la société Fischer, que décide la cour ?
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Votre réponse
Réponses
1. On appelle concurrence déloyale l’ensemble des procédés concurrentiels malhonnêtes et contraires à la loi
et aux usages qui résultent d’une faute intentionnelle ou non et qui peuvent porter préjudice aux concurrents.
2. La brasserie Fischer et la société Interbrew.
3. Fischer : bières spécialisées Kriska et Desperados – Interbrew : boisson Boomerang.
4. Reprise des caractéristiques du conditionnement, positionnement chez les distributeurs et publicité
pouvant entretenir la confusion.
5. La cour décide de concurrence déloyale par parasitisme.
DOCUMENT 2
Concurrence déloyale par désorganisation de l’entreprise
Cass. 1re civ., 18 janv. 2005, n° 03-15.911, Ermel c/
Compagnie assurance l’Alsacienne : Juris-Data n° 2005-
026537
La clientèle est libre de choisir son fournisseur ou
prestataire de services. Elle peut donc être démarchée
librement dès lors qu’il respecte les usages du commerce.
Le démarchage déloyal suppose la preuve d’un faisceau
d’indices. Ainsi, la prospection systématique de son
ancienne clientèle n’est pas déloyale. Elle ne le devient que
si le démarchage est associé à d’autres circonstances. Par
exemple, au démarchage systématique s’associe une
utilisation du savoir-faire acquis auprès de l’ancienne
entreprise (V. J.-Cl. Concurrence-Consommation, fasc. 223
sur le débauchage de personnel) ; ou il est relevé le
détournement de commandes ou des prix systématiquement
plus bas que ceux du concurrent (ex. : Cass. com., 18 juin
1991 : Juris-Data n° 1991-001770 ; Bull. civ. IV, n° 223).
Pour circonscrire au cas d’espèce, le simple fait de
démarcher la clientèle de son ex-compagnie d’assurance
par un agent général d’assurance, n’est pas déloyal. Pour
caractériser la déloyauté, la jurisprudence relève, par
exemple, le caractère systématique du démarchage et la
résiliation de l’essentiel des polices d’assurance (Cass.
com., 18 juin 1991, préc. ; v. aussi Cass. 1re civ., 9 déc.
1992 : Juris-Data n° 1992-002778 ; Bull. civ. I, n° 308).
En l’espèce, la Cour d’appel, ayant relevé que 59 clients
d’une compagnie d’assurance, après avoir résilié leur
contrat, avaient souscrit des polices identiques par
l’intermédiaire d’une autre société d’assurance concurrente,
en conclut en la déloyauté. L’arrêt est cassé au motif que la
concurrence déloyale suppose la preuve de manœuvres.
Ceci ne signifie pas pour autant que la mauvaise foi, ou
Vignal, Droit de la concurrence interne et communautaire, A.
Colin, 3e éd., n° 247). La Cour de cassation a simplement
voulu rappeler que la clientèle est libre. Une résiliation, même
en nombre important, de contrats, suivie de la conclusion de
contrats identiques avec un concurrent n’est donc pas
significative en terme de concurrence déloyale.
Néanmoins, en l’espèce, les juges du fond avaient relevé que
les polices d’assurance étaient identiques. N’est-ce pas une
preuve complémentaire qui aurait pu permettre de conclure en
une déloyauté ? En effet, la jurisprudence sanctionne sur le
fondement de la concurrence déloyale celui qui détourne le
savoir-faire pour détourner la clientèle de son ex-employeur
(en ce sens, Cass. com., 13 févr. 1982, Bull. civ. IV, n° 54 ;
Cass. com., 6 mai 1986 : Juris-Data n° 1986-000938 ; Bull.
civ. IV, n° 79). Par ailleurs, l’exploitation injustifiée des
investissements, du savoir-faire ou des idées d’autrui est
condamnable sur le terrain du parasitisme économique. Or, la
rédaction d’un contrat d’assurance suppose un savoir-faire et
nécessite un investissement intellectuel et financier. En
l’espèce, les cinquante-neuf clients de l’agence reprise
« avaient, après avoir résilié leurs contrats auprès de la com-
pagnie l’Alsacienne entre le 1er mars 1992 et le 31 octobre
1994, souscrit des polices identiques ». Le parasitisme
économique aurait pu être retenu.
L’arrêt présente aussi un intérêt, car il énonce que la
responsabilité pour concurrence déloyale suppose une faute
caractérisée par des agissements distincts de la seule violation
d’une éventuelle obligation de non-concurrence. Cette
expression fait penser au contentieux relatif aux importations
parallèles. La simple revente hors réseau n’est pas déloyale. Il
faut prouver une faute distincte de la simple revente parallèle.
Ou encore, le simple fait de copier un bien couvert par un
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l’intention de nuire doit être prouvée (V. M. Malaurie-
droit de propriété intellectuelle (ou non couvert) n’est pas en
lui-même déloyal. L’action en concurrence déloyale
suppose la preuve d’une faute, distincte de la simple copie.
Il n’entre pas dans notre propos d’expliquer les solutions en
matière d’importation parallèle ou de cumul entre action en
contrefaçon et concurrence déloyale. En l’espèce, étaient en
cause les rapports entre concurrence déloyale et obligation
de non-concurrence. La violation de l’obligation de non-
concurrence avait été sanctionnée par la privation de
l’indemnité accordée à tout agent d’assurance démissionnaire.
La concurrence déloyale suppose la preuve d’une faute de
concurrence déloyale, consistant en une imitation, une
désorganisation de l’entreprise ou un dénigrement – en bref
une faute différente de la seule violation d’une obligation de
non-concurrence. M. M.-V.
JurisClasseur – Contrats, Concurrence, Consommation, mai 2005
Questions
1. En l’espèce, qu’avait relevé la cour d’appel ?
2. Quels étaient les rapports en cause ?
3. Comment avait été sanctionnée l’obligation de non-concurrence ?
4. Que suppose le démarchage déloyal ?
5. L’arrêt de la cour d’appel est cassé. Que suppose la concurrence déloyale par désorganisation ?
6. Qu’est-ce qui aurait pu être retenu ?
Votre réponse
Réponses
1. La cour d’appel a relevé que 59 clients d’une compagnie d’assurance avaient souscrit des polices d’une
autre compagnie d’assurance identiques à celle résiliées.
2. Les rapports en cause concernaient la concurrence déloyale et obligation de non-concurrence.
3. Privation de l’indemnité accordée à tout agent d’assurance démissionnaire.
4. Le démarchage déloyal suppose la preuve d’un faisceau d’indices.
5. La preuve d’une faute, de manœuvre destinée à détourner la clientèle du concurrent.
6. Le parasitisme économique aurait pu être retenu.
DOCUMENT 3
Action en contrefaçon et concurrence déloyale
Cass. com., 22 mars 2005, n° 02-21.105, SARL Compagnie du Grand Large c/ Sté Pen Duick et a. : Juris-
Data n° 2005-027784
Sur le moyen unique, pris en sa première branche
Vu l’article 1382 du Code civil ;
Attendu, selon l’arrêt déféré, que la société Compagnie du Grand Large, qui exploite sous licence la marque
dénominative « Éric X… » et la marque semi-figurative « Éric X… », déposées respectivement les 22 juin
1976 et 9 août 1990 par Éric X…, a poursuivi judiciairement en contrefaçon de marques, concurrence
déloyale et parasitisme, M. Patrick X…, frère d’Éric X…, titulaire de la marque portant ses nom et prénom,
déposée en 1986, ainsi que les sociétés Auchan et Champion organisation développement (société COD) qui
exploitent cette marque, sous licence ;
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Attendu que, pour déclarer irrecevable l’action en concurrence déloyale et en parasitisme, l’arrêt retient que
la société Compagnie du Grand Large n’a fondé son action que sur les griefs de confusion de marques et de
celles qui fondaient déjà l’action en contrefaçon ;
Attendu qu’en statuant ainsi, alors que le licencié d’une marque qui ne dispose pas personnellement d’un
droit privatif sur le titre de propriété industrielle, est recevable à agir en concurrence déloyale et parasitaire,
peu important que les éléments sur lesquels il fonde la demande soient les mêmes que ceux que le titulaire de
la marque aurait pu opposer, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
Par ces motifs : casse et annule (…) JurisClasseur – Contrats, Concurrence, Consommation, juillet 2005
Questions
1. Sur quels motifs la Compagnie du Grand Large a agi contre Auchan et Cod ?
2. Pour quel motif la cour d’appel de Rennes a déclaré irrecevable l’action en concurrence déloyale et
parasitisme ?
3. Que prouve l’arrêt cassé concernant le licencié exploitant les marques ?
4. Pourquoi ne peut-il exercer l’action en contrefaçon ?
Votre réponse
Réponses
1. La Compagnie du Grand Large a agi contre Auchan et Cod pour contrefaçon, concurrence déloyale et
parasitisme.
2. Les seuls griefs de confusion de marques relèvent de l’action en contrefaçon.
3. Il peut agir en concurrence déloyale et parasitaire souffrant de la concurrence déloyale exercée par les
sociétés Auchan et Cod.
4. Il ne dispose pas d’un droit privatif : seul le titulaire de la marque peut agir en contrefaçon.
II. LES PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES
Objectifs
Être capable de :
caractériser et qualifier des pratiques anticoncurrentielles ;
différencier entente et abus de position économique ;
repérer dans des situations données des pratiques discriminatoires et leur sanction (notamment le refus
de vente).
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