Thrombopénie induite par l`hépa- rine et syndrome de Trousseau

FALLBERICHTE 226
Une association rare compliquée d’une thrombose artérielle
Thrombopénie induite par l’hépa-
rine et syndrome de Trousseau
Maria Cristina Katchalubaa, b, Fdéric Glausera, Thomas Holzerc, Lucia Mazzolaia, Adriano Alatria
a Service d’Angiologie, Centre Hospitalier Universitaire Vaudois, Lausanne
b Département de Médecine interne, Centre Hospitalier Universitaire Vaudois, Lausanne
c Département de Chirurgie thoracique et vasculaire, Centre Hospitalier Universitaire Vaudois, Lausanne
Présentation de cas
Anamnèse, status et antécédents
Un homme de ans, de race caucasienne, se présente
aux urgences en mai  en raison de douleurs aiguës
continues du membre inrieur gauche. Au status, son
membre inférieur gauche est pâle, marbré, froid et
douloureux à la palpation. Les pouls poplité, tibial pos-
rieur et pédieux du membre concersont absents.
La pthysmographie montre une absence d’oscillation
et une pression non mesurable à l’hallux gauche. Un
écho-doppler arriel met en évidence la psence dun
anévrisme poplité gauche de mm de diatre, com-
plètement thrombo, avec une extension proximale
de la thrombose jusqu’à l’arre fémorale supercielle
distale. Un diagnostic d’iscmie aiguë du membre in-
rieur gauche est alors posé.
Le patient ne rapporte pas de claudication intermit-
tente des membres inférieurs. En revanche, il est connu
pour des antécédents de cancer récidivant. Un premier
carcinome épidermde de la glotte TNMx est diag-
nostiqué en , pour lequel il a bénécié d’une laryn-
gectomie totale, d’une pharyngectomie partielle, d’une
mi-thyroïdectomie gauche et d’une radiothérapie
dela gion cervicale. Un deuxième cancer, cette fois
un carcinome épidermde du tiers surieur de l’œso-
phage, est diagnostiqué en, traité de nouveau par
radiothérapie. Enn, une cidive de carcinome épider-
moïde, localisée au niveau hypopharyn, est diagnos-
tiquée deux mois avant son admission actuelle aux ur-
gences. Pour ce dernier cancer, un cathéter veineux
(port-cath) est posé dans la veine sous-clavière droite
et un traitement de chimiothérapie palliative est initié
(cisplatine,-uorouracil et cetuximab). A signaler éga-
lement, qu’une semaine avant l’épisode d’ischémie ai-
guë, suite à l’apparition d’un œme du membre supé-
rieur droit, le patient a nécié d’un écho-doppler
veineux qui avait mis en évidence une thrombose vei-
neuse profonde des veines hurale, axillaire et sous-
clavre droites. Un traitement anticoagulant par hé-
parine de bas poids moléculaire (HBPM, enoxaparine
mg/kg fois par jour en sous- cuta) est alors débuté
pour une due totale pvue de  mois. Ce traitement
anticoagulant est donc toujours en cours au moment
de l’épisode d’iscmie aiguë du membre inrieur
gauche.
Parmi les autres antécédents du patient, nous retrou-
vons une thrombose veineuse profonde du membre
inrieur gauche et deux thromboses veineuses super-
cielles ( et ), la dernre thrombose étant sur-
venue suite à la pose d’une voie veineuse riphérique.
A noter enn un tabagisme ancien à  unis-paquets-
années, une dyslipidémie, une obésité (IMC =  kg/m)
et une histoire d’éthylisme chronique sev.
Résultats, diagnostic et traitement
Le jour de l’admission aux urgences, un angio-CT-scan-
ner est eectué heures environ après l’écho-doppler
arriel du membre inférieur gauche, montrant une
progression fulminante de la thrombose arrielle qui
s’étend proximalement à l’arre fémorale commune
et l’artère iliaque interne ipsilatérales ainsi que distale-
ment aux artères ronière et tibiale anrieure. On
observe également une thrombose de l’artère fémorale
commune droite.
Les sultats de laboratoire montrent une activi anti-
Xa dans la marge trapeutique (,U/ml). Une throm-
bonie est observée avec un taux de plaquettes chu-
tant brusquement de à G/l en une semaine. Les
sultats biologiques combinés au tableau clinique et à
l’imagerie, soutenus par un score des
4T
(
T
hrombo-
nie), lai de survenue de la thrombopénie (
T
iming),
T
hromboses et autres complications (au
T
res causes de
thrombopénie) de, laissent fortement suspecter une
thrombopénie induite par l’héparine, raison pour la-
quelle le traitement d’HBPM (héparines de bas poids
Maria Cristina Katchaluba
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moléculaire) est immédiatement arrêté. Un traitement
d’argatroban, un inhibiteur direct de la thrombine, est
buté avec une dose de µg/kg/min en intraveineux,
en maintenant une activi anti-IIa dans la marge thé-
rapeutique, entre , et ,µg/ml. Les anticorps anti-
PF-ELISA s’avèrent fortement positifs (densi optique
= ,; valeur normale <,).
La TIH (thrombopénie induite par l’parine) est
conre par un test fonctionnel (HIPA test). L’évolu-
tion clinique est rapidement favorable avec une dispa-
rition des douleurs de repos du membre inférieur
gauche et une normalisation du taux de plaquettes.
Larecherche de thrombophilie connitale (cit en
protéine S, protéine C et anti-thrombine, mutation
desfacteurs V et II) et acquise (anticorps antiphospho-
lipides) s’aregative.
Evolution
Aps stabilisation clinique, le patient bénécie d’une
thrombectomie et d’un pontage fémoro-poplité gauche
par une veine saphène autologue. Le pontage est per-
able dans un premier temps. Cependant, quelques
minutes après la n de l’intervention chirurgicale, ce-
lui-ci s’occlut. Plusieurs tentatives de thrombectomies
sous perfusion d’argatroban ainsi qu’une thrombolyse
sont entreprises, se soldant à chaque fois par un échec
et une réocclusion du pontage. Les jours suivants, mal-
gré la poursuite du traitement d’argatroban, le patient
veloppe une nécrose étendue du membre inférieur
gauche et l’on doit procéder à une amputation sus-géni-
cue. L’argatroban est poursuivi pour être rela, après
mois et après normalisation des plaquettes, par un
traitement d’anti-vitamine K (acénocoumarol). Un écho-
doppler veineux eect  mois après le but du trai-
tement anticoagulant a mont une recanalisation com-
plète de la thrombose veineuse profonde du membre
surieur droit. Le patient n’a plus présen d’autres
complications thrombotiques. Après des mois de réha-
bilitation, le patient reprend la marche grâce à une or-
thèse du membre inférieur gauche.
Discussion
Ce cas est l’illustration d’une ischémie aig du
membre inférieur secondaire à une thrombose ar-
rielle chez un patient ayant à la fois une TIH et un syn-
drome de Trousseau. Les évènements thrombo-embo-
liques veineux sont ts fréquents chez les patients
ayant une TIH et un cancer, tandis que les complica-
tions thrombo-emboliques artérielles sont rares. A ce
jour, seul un cas de cette association a été crit dans la
littérature médicale [].
La TIH est une complication immunologique rare mais
sévère du traitement par l’héparine, assoce à une
augmentation du risque thrombotique. Ce syndrome
prothrombotique est dié par des anticorps IgG qui
sont dirigés contre des complexes composés d’hépa-
rine et d’une protéine lie par les granules alpha des
plaquettes, le facteur plaquettaire (PF). Ces anticorps
sont de puissants activateurs plaquettaires. La TIH est
caractérisée par l’apparition soudaine d’une thrombo-
cytonie et, en même temps, par une production
anormale de thrombine, résultant en un état d’hyper-
coagulabilité. Des complications thrombotiques po-
tentiellement tales surviennent dans au moins %
des cas []. On observe le plus fquemment des évène-
ments thrombotiques veineux, tels que les throm-
boses veineuses des membres inférieurs ou supé-
rieurs, les thromboses veineuses cérébrales ou encore
des thromboses localisées dans des sites rares. Les
thromboses artérielles sont rares. Lessions cutaes
aux sites d’injection ou les actions sysmiques sur
l’injection intraveineuse d’héparine sont également
peu fréquentes. Le rapport thrombose veineuse / ar-
rielle est de : , mais peut aller jusqu’à: chez cer-
tains patients, notamment ceux ayant subi des inter-
ventions orthodiques majeures ou ceux atteints de
cancer, comme illustré dans ce cas. Le pronostic d’une
TIH avec thrombose arrielle est défavorable, la mor-
tali étant de % et la morbidi de % [].
Le diagnostic de la TIH se base sur des crires à la fois
cliniques et biologiques. Il s’agit d’un diagnostic di-
cile qui est fquemment posé de manière retare car
le risque de TIH est souvent sous-esti ou non consi-
. Dans le cas présent, il était particulrement di-
cile de poser le diagnostic en raison du cancer cidi-
vant sous traitement de chimiothérapie qui expliquait
en soi le tableau clinique.
Le score desT est particulrement utile pour évaluer
le risque d’une TIH et est le plus fquemment utili
(tab. ) [,]. Dans une revue sysmatique cente
de études évaluant patients, Cuker et al. ont
mont l’excellente valeur prédictive négative de ce
Des complications thrombotiques potentielle-
ment létales surviennent dans au moins %
des cas d’une TIH.
Les évènements thrombo-emboliques
veineux sont ts fquents chez les patients
ayant une TIH et un cancer, tandis que
lescomplications thrombo-emboliques
arrielles sont rares.
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score (,;% CI,,–,). Par conquent, si la
probabilité p-test est basse (entre  et ), on peut
exclure une TIH sans investigation compmentaire
[]. Dans tous les autres cas degure, le diagnostic de-
vrait être conr en recherchant des anticorps PF/
parine.
Il existe deux types de tests de laboratoire disponibles:
les tests immunologiques, qui mettent en évidence la
présence d’anticorps dirigés contre le facteur plaquet-
taire  (test ELISA), et les tests fonctionnels, qui re-
cherchent une activation plaquettaire induite par le
plasma en présence d’héparine []. Un algorithme diag-
nostique incluant le score desT et les tests de labora-
toire a récemment é propo [,]. Si le score est in-
termédiaire ou éle ou si la TIH est conre, le
traitement par parine doit être imdiatement in-
terrompu et remplacé par un traitement anticoagulant
non héparinique an de contrer l’état d’hypercoagula-
bili induit par la production anormale de thrombine
dans le contexte de la TIH []. Il est important de rappe-
ler que l’arrêt seul du traitement par héparine ne sut
pas pour pvenir les complications thrombo-embo-
liques, qui se produisent à une incidence comprise
entre  et % [].
Trois substances sont disponibles à l’heure actuelle
pour le traitement de la TIH: l’argatroban, la bivaliru-
dine et le danaparoïde. La bivalirudine est un inhibi-
teur direct de la thrombine ayant une courte demi-vie
(minutes) et est utilisée seulement dans un contexte
particulier, telle que la chirurgie cardiaque ou les inter-
ventions coronariennes percutanées. Le danaparoïde
est un héparinde avec une activi essentiellement
anti-Xa et dans une moindre mesure anti-IIa, qui a une
clairance rénale et une demi-vie deheures. Il n’est
pas disponible dans tous les pays. L’argatroban est un
inhibiteur réversible de la thrombine, avec une clai-
rance hépatique, une demi-vie deminutes et est dis-
ponible dans tous les pays []. Son ecaci dans le trai-
tement de la TIH ainsi que dans les complications
thrombotiques veineuses et artérielles a é bien -
monte. Un consensus concernant l’utilisation de l’ar-
gatroban a é récemment publ[]. Cette substance
est recommane au Centre Hospitalier Universitaire
Vaudois et a été utilie dans le cas présent.
Le syndrome de Trousseau est une coagulopathie pro-
thrombotique le au cancer, particulrement dans les
stades avancés de la maladie, fréquemment associée
à des complications thrombotiques veineuses. Les
throm boses arrielles sont rares []. Les canismes
Tableau 1: Le score des 4T pour évaluer la probabili p-test de la thrombopénie induite par l’héparine (TIH) [2]. Après addition des points de chacune
de4catégories, la probabili peut être élevée (6–8 points), interdiaire (4–5points) ou faible (0–3 points). La valeur prédictive négative de ce score est
de 0,998 (95% CI, 0,970–1,000). La valeur prédictive positive pour des probabilis interdiaire et élevée du score est respectivement de 0,14 (95% CI,
0,09–0,22) et 0,64 (95% CI, 0,40–0,82) [3].
4T 2 points1 point 0 point
ThrombopénieDiminution de plus de 50% du compte
plaquettaire (CP) et plaquettes au nadir
≥20 G/l
Chute des plaquettes de 30–50% ou
plaquettes au nadir 10–19 G/l
Chute de <30%
Nadir <10 GlL
lai de survenue de la
thrombopénie (Timing)
Chute du CP:
5 à 10 jours après le début de
l’parine
ou dans un délai de 24heures si
traitement par héparine dans les
5–30jours pdents
Chute du CP:
Aps plus de 10jours
d’parine
Ou dans un délai de 24heures mais
parinothérapie dans les
31–100jours pdents
Thrombopénie survenant avant 4jours
detraitement, sans parinothérapie
dansles 100derniers jours
Thromboses et autres
complications
Nouvelle thrombose veineuse ou
artérielle confire
crose cutanée
action anaphylactde postinjec tion
intraveineuse d’héparine
Thrombose récidivante ou suspece
sions cutanées non nécrotiques
Aucune
AuTres causes de
thrombopénie
Aucune autre cause possible
de thrombopénie
Autre cause possible de throm bopénie
Sepsis sans confirmation micro-
biologique
Thrombopénie associée à uneventi-
lation mécanique
Autres étiologies possibles
Autre cause probable
Chirurgie dans les 72heures
Infection confire
Chimiothérapie ou radio thérapie dans
les 20jours
Coagulation intravasculaire dismie
d’autre cause quela TIH
Thrombopénie sévère pro bablement
d’origine médicamenteuse, etc.
Le syndrome de Trousseau est une coagulo-
pathie pro thrombotique le au cancer,
particulrement dans les stades avancés
dela maladie, fquemment assoce àdes
complications thrombotiques veineuses.
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prothrombotiques du cancer sont multifactoriels. Ils
incluent la production de facteurs procoagulants (par
exemple, le facteur tissulaire et le
cancer procoagu-
lant
), l’inhibition de la brinolyse par des inhibiteurs
des activateurs du plasminogène, la production de
cytokines ayant une activi procoagulante et pro-
inammatoire (TNF-α, Interleukine β et «Vascular en-
dothelial growth factor») ainsi que l’activation de
l’agrégation plaquettaire []. Les traitements onco-
L’essentiel pour la pratique
La thrombose artérielle associée à une TIH (thrombopénie induite par l’-
parine) combinée à un syndrome de Trousseau est une combinaison très
rare et présente un risque thrombotique bien plus élevé que chacune des
atteintes prise sépament. La TIH devrait être considérée chez tout pa-
tient présentant une thrombopénie dans le contexte d’un traitement par
parine ou un épisode thrombotique inexpliqué sous traitement par -
parine, même en présence d’autres explications possibles.
logiques (chirurgie, chimiothérapie et radiothérapie)
sont un risque thrombotique supplémentaire [].
Les recommandations concernant la prise en charge de
patients cancéreux avec thrombose ont récemment
été révisées [].
Remerciements
Nous remercions les Drs Michael John Chilcott et Anne-Elizabeth
McGeary qui ont aidé à viser le manuscrit.
Disclosure statement
Les auteurs n’ont décla aucun lien nancier ou personnel en rapport
avec cet article.
Références
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Husmann M. «HIT on Trousseau» double trouble: acquired coagu-
lopathy with femoral artery thrombosis. Vasa.;:–.
Bakchoul T, Greinacher A. Recent advances in the diagnosis and
treatment of heparin-induced thrombocytopenia. Ther Adv
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a systematic review and meta-analysis. Blood. ;:–.
Prandoni P, Falanga A, Piccioli A. Cancer and venous thromboem-
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Lyman GH, Khorana AA, Kuderer NM, Lee AY, Arcelus JI, Balaban
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inpatients with cancer: American Society of Clinical Oncology
clinical practice guideline update. J Clin Oncol. ;:–.
Correspondance:
Maria Cristina Katchaluba,
médecin
Service d’Angiologie
Centre Hospitalier
Universitaire Vaudois
Avenue Pierre-Decker
NES//
CH- Lausanne
mariakatchaluba[at]
gmail.com
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