CP/décembre 10/12/02 15:19 Page 96 D o s s i e r t h é m a t i q u e Le traitement local des cancers du rectum : place de l’endoscopie ● F. Zerbib* L’ endoscopie trouve sa place dans la prise en charge thérapeutique du cancer du rectum dans les deux situations extrêmes que représentent le cancer inopérable et le cancer superficiel ou supposé comme tel. Dans le premier cas, le traitement est palliatif avec comme objectif un soulagement symptomatique durable, en évitant, si possible, le recours à la chirurgie. Le traitement endoscopique peut également être curatif ou ne représenter qu’une première étape suivie, selon les résultats de l’analyse des facteurs de risque, d’un geste chirurgical complémentaire. TRAITEMENT PALLIATIF Le traitement du cancer rectal peut s’inscrire dans une démarche palliative pour deux raisons principales : maladie d’emblée métastatique sans possibilité de résection des localisations secondaires ou patient dont l’état général ou l’existence de tares viscérales contre-indiquent une intervention chirurgicale. Si les manifestations douloureuses liées à l’extension locorégionale de la tumeur relèvent du traitement médical et/ou de la radiothérapie, les symptômes en rapport avec son développement endoluminal sont susceptibles d’être améliorés par le traitement endoscopique : rectorragies, émissions glaireuses, faux besoins, diarrhée, et occlusion ou subocclusion. Les techniques de destruction tumorale sont essentiellement représentées par la coagulation : photocoagulation (laser), * Service d’hépato-gastroentérologie, hôpital Saint-André, Bordeaux. électrocoagulation mono- ou bipolaire ou plus récemment au plasma argon (CPA). Dans la littérature, les principaux résultats concernent les résultats du traitement palliatif par laser Nd :Yag. Un résultat satisfaisant est obtenu dans 60 à 80 % des cas au prix d’un faible pourcentage de complications (inférieur à 10 %) représentées par les perforations, les sténoses, les hémorragies et les fistules (1). Le nombre de séances nécessaires varie évidemment en fonction du volume tumoral. Pour les lésions très bourgeonnantes, il peut être utile d’avoir recours à des résections itératives de réduction tumorale par fragments à l’aide d’une anse diathermique, ce qui permettra de limiter le nombre de séances thérapeutiques. Le traitement de l’occlusion digestive basse peut également faire appel aux prothèses métalliques expansives comme au niveau de l’œsophage ou des voies biliaires (2). Par rapport aux autres approches endoscopiques palliatives nécessitant plusieurs séances thérapeutiques, l’intérêt des prothèses recto-coliques est d’être un traitement unique et définitif du syndrome occlusif. De plus, contrairement aux techniques de destruction tumorale, les prothèses peuvent être efficaces si la tumeur est infiltrante et peu végétante. La technique de pose est relativement simple et la levée de l’occlusion est obtenue dans environ 90 % des cas. Dans notre expérience, les prothèses posées au niveau du bas rectum peuvent être mal tolérées, responsables de douleurs et de ténesmes. Elles sont déconseillées pour les sténoses à moins de 10 cm de la marge anale. Les complications les plus sévères sont représentées par la migration (0 à 25 % des cas), l’obstruction, et surtout la perforation (0 à 15 % des cas) favorisée par les dilatations 96 préalables. Cette prise en charge permet donc d’éviter une intervention chirurgicale en urgence (colostomie de décharge) chez un patient en mauvais état général. En dehors d’un contexte palliatif, la mise en place d’une prothèse rectale peut être envisagée pendant la radiothérapie préopératoire. TRAITEMENT CURATIF Lorsque l’on se place dans une démarche curative de traitement de cancer du rectum, l’indication de l’endoscopie obéit aux mêmes règles que les autres techniques de traitement local, rappelées dans l’article de Ph. Lasser. Dans ce contexte, l’endoscopie n’a pas sa place dans la prise en charge des tumeurs rectales volumineuses et/ou invasives, manifestement infiltrantes sur les données de l’examen clinique, endoscopique, et radiologique. L’échoendoscopie est un examen indispensable avant d’envisager un traitement curatif endoscopique d’une lésion rectale susceptible d’être dégénérée. Comme pour les autres techniques d’exérèse locale, il ne semble pas raisonnable de proposer un traitement endoscopique pour une lésion de plus de 3 cm de diamètre, même si tous les exploits sont possibles en endoscopie… TECHNIQUES DE DESTRUCTION TUMORALE Les techniques de destruction tumorale par coagulation (laser, CPA) ne permettent pas l’analyse histologique de la totalité de la tumeur et exposent au risque de méconnaître un cancer invasif. En pratique, le problème ne se pose pas pour les lésions polypoïdes aisément résécables en totalité mais pour les lésions planes sur lesquelles il est tentant de proposer une technique de Le Courrier de colo-proctologie (III) - n° 4 - oct. nov. déc 2002 CP/décembre 10/12/02 15:19 Page 97 D o s s i e r t h é m a t i q u e Tableau. Facteurs pronostiques des polypes dégénérés réséqués par voie endoscopique (adapté de [3]). Bon Pronostic Mauvais pronostic Exérèse complète Foyer de dégénérescence distant de plus de 1 mm de la tranche de section Cancer bien ou moyennement différencié Pas d’envahissement lymphatique Pas d’emboles veineux Polype pédiculé ( ?) Exérèse incomplète ou fragmentée Envahissement de la tranche de section ou distance inférieure à 1 mm Cancer indifférencié Envahissement lymphatique Emboles veineux Polype sessile (?) Photo 1. Tumeur rectale hémicirconférentielle. RÉSECTIONS TUMORALES Photo 2. Aspect après coagulation au plasma argon. destruction par coagulation (photos 1 et 2). Il faut rappeler que l’échoendoscopie “standard” (7,5 MHz) ne permet pas de différencier les tumeurs Tis et les tumeurs T1, et que sa précision diagnostique pour l’envahissement ganglionnaire ne dépasse pas 80 %. Le résultat de l’échoendoscopie peut donc être à tort considéré comme rassurant et faire proposer une technique de destruction tumorale. En pratique, ces techniques ne doivent pas être utilisées pour le traitement d’une lésion qui présente des signes endoscopiques témoignant d’un risque significatif de dégénérescence : taille supérieure à 10-15 mm, ulcération ou dépression, association dépression et centre surélevé, contours irréguliers, dureté au contact, etc. ENDOSCOPIQUES Elles permettent d’obtenir une analyse histologique de l’ensemble de la pièce et donc d’apprécier les critères pronostiques qui vont intervenir dans la décision de traitement complémentaire. Quelle que soit la méthode utilisée, les résections endoscopiques ne s’adressent qu’aux tumeurs classées préalablement T1 N0 en échoendoscopie, c’est-à-dire sans infiltration de la couche musculaire ni extension ganglionnaire. Polypectomies Réalisées à l’aide d’anses diathermiques, elles sont applicables aux lésions pédiculées ou aisément pédiculisables. Dans le contexte du cancer rectal, il s’agit le plus souvent de volumineux polypes dégénérés, dont le pied est large, ce qui expose à un risque plus important de complications en particulier hémorragiques, pouvant aller jusqu’à 25 % des cas (3). Pour limiter ce risque, il est possible de placer au pied du polype, avant résection, une anse largable en Téflon (endoloop). Mucosectomies La résection par mucosectomie s’adresse aux lésions planes ou dont la base d’implantation large ne permet pas la résection en un temps à l’anse diathermique. Elle Le Courrier de colo-proctologie (III) - n° 4 - oct. nov. déc 2002 97 consiste à soulever la lésion par rapport au plan musculaire en injectant au pied de la lésion du sérum physiologique à l’aide d’une aiguille à sclérose. Dans un second temps, la résection est effectuée par section à l’anse passant dans la sousmuqueuse. Cette technique permet une résection en un bloc de la plupart des tumeurs planes de moins de 2 cm (3, 4). L’absence de soulèvement de la lésion lors de l’injection sous-muqueuse contreindique la mucosectomie, car elle signe l’adhésion au plan profond. Cette technique expose à un risque de perforation (inférieur à 1%) et d’hémorragie (inférieur à 1%) (4) qui peut être traité par coagulation au plasma argon, injection locale de solution adrénalinée ou par pose d’un clip hémostatique. Facteurs pronostiques et indications de chirurgie complémentaire Les facteurs de bon pronostic après résection endoscopique d’un polype dégénéré sont rappelés dans le tableau. Lorsqu’un des facteurs de mauvais pronostic est présent, la résection chirurgicale complémentaire est indiquée. Un cas particulier reste débattu : celui des polypes sessiles qui, pour certains, exposeraient à un risque plus élevé de métastases ganglionnaires que les polypes pédiculés, même en l’absence de facteurs de mauvais pronostic (3). Il n’est pas exclu que ce risque soit essen- CP/décembre 10/12/02 15:19 Page 98 D o s s i e r tiellement lié aux difficultés plus grandes de résection complète en cas de polype sessile. CONCLUSION Le traitement endoscopique des cancers du rectum à visée curative repose sur une sélection rigoureuse des patients et une bonne maîtrise des différentes techniques de résection. Le gastroentérologue doit attendre de l’anatomopathologiste qu’il indique dans son compte rendu la présence ou l’absence des différents critères qui permettront de décider d’un traitement com- t h é m a t i q u e plémentaire. Dans les cas litigieux, il faut expliquer aux patients les risques auxquels exposent l’abstention thérapeutique et la chirurgie complémentaire et les faire participer à la décision thérapeutique. ■ R É F É R E N C E S 1. Gevers AM, Macken E, Hiele M, Rutgeerts P. Endoscopic laser therapy for palliation of patients with distal colorectal carcinoma : analysis of factors influencing long-term outcome. Gastrointest Endosc 2000 ; 51 : 580-5. 2. Bensoussan E, Hochain P, Savoye G, Michel P. Les prothèses métalliques expansives colo-rectales. Hépato-Gastro 2000 ; 7 : 383-90. 3. Boyer J. Traitement endoscopique des polypes recto-coliques. In : Rambaud JC (Ed). Endoscopie digestive interventionnelle. Paris : Doin Editeurs, 2002 : 107-16. Mots clés. Cancer du rectum - Endoscopie Traitement palliatif - Laser - Plasma argon. 98 4. Yokota T, Sugihara K, Yoshida S. Endoscopic mucosal resection for colorectal neoplastic lesions. Dis Colon Rectum 1994 ; 37 : 1108-11. Le Courrier de colo-proctologie (III) - n° 4 - oct. nov. déc 2002