ÉDITORIAL
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La Lettre du Gynécologue - n° 275 - octobre 2002
a réponse à la question ne peut être que cancérologique,
avec une seule question : “Où est le bénéfice?”. En
effet, les enjeux de l’incision paraissent dérisoires en
regard de la survie. À cette question, on peut donner plusieurs
réponses.
D’abord la question, somme toute mineure, de l’incision. Les
données prospectives en cours de constitution suggèrent que la
survie est identique après le traitement cœlioscopique (ou incluant
un temps cœlioscopique) dans les cancers du col, de l’endomètre
ou de l’ovaire. Il n’y a donc pas de raison pour négliger la ques-
tion de l’incision, de la durée d’hospitalisation et de la reprise des
activités, sous réserve que la technique à invasion minimale
n’induise pas de coût abusif (temps opératoire en particulier). Le
traitement de la douleur est désormais une obligation légale du
médecin: sa prévention par la réduction des incisions en fait
partie. De manière plus générale, l’importance considérable de la
préservation de l’image corporelle après le traitement du cancer
est maintenant reconnue; l’association d’une mutilation interne
nécessaire et d’une cicatrice externe non indispensable s’appa-
rente à la “double peine” en termes de qualité de vie. Les efforts
considérables engagés pour la reconstruction mammaire ou vagi-
nale en cancérologie ne sont pas d’une autre nature que l’effort
fait pour ne pas induire de rançon cicatricielle.
Ensuite, se pose la question plus cruciale des séquelles orga-
niques du traitement. Le traumatisme chirurgical endoscopique
est, entre des mains entraînées, réduit par rapport à celui
qu’entraîne la laparotomie. En particulier, il a été démontré dans
des études expérimentales randomisées que la cœlioscopie et,
chaque fois qu’elle est applicable, la voie extrapéritonéale endo-
scopique, induisent moins d’adhérences abdominales que la lapa-
rotomie: ce point est capital pour la prévention de la gravissime
entérite radique dès qu’une radiothérapie est envisagée, ou même
simplement envisageable, à un moment ou un autre du traitement.
Ajoutons la question importante de la logique des objectifs chi-
rurgicaux. Les opérations cancérologiques sont parfois limitées à
des gestes dits “de stadification”, qui n’ont pas d’influence directe
sur la survie, mais doivent être considérés comme des examens
paracliniques invasifs destinés à aménager le plan thérapeutique:
il n’y aucune justification dans ce contexte à infliger une incision
abdominale, et donc une longue hospitalisation, et surtout
un retard à l’instauration du traitement. Ce n’est pas l’endoscopie
qui est obsolète et discutable dans cette indication, c’est la
laparotomie.
Faisons un détour par les bénéfices indirects. La vision microana-
tomique que donne l’endoscopie a largement contribué à amélio-
rer les techniques chirurgicales: c’est avec l’avantage majeur
d’une vision agrandie et claire qu’on peut donner tout leur sens à
des techniques comme la dissection conservatrice du ligament
cardinal (lymphadénectomie paracervicale) ou l’identification du
ganglion sentinelle des cancers du col utérin.
Ce dernier point offre une transition vers la vision thérapeutique,
au sens noble du terme, de la technique chirurgicale. On conçoit
que l’usage de l’endoscopie ne prend son sens que dans un plan
de traitement, chirurgical pur ou multidisciplinaire, fondé sur un
bilan d’extension rigoureux que, par ailleurs, l’endoscopie contri-
bue à affiner. Ce plan de traitement doit associer les autres acteurs
de la cancérologie que sont les radiothérapeutes (pour le traite-
ment des cancers utérins), les chimiothérapeutes (pour le traite-
ment des cancers de l’ovaire), les radiologues et les anatomopa-
thologistes. Un exemple type est celui du prélèvement d’un
ganglion aortique suspect dans un cancer du col avancé: il faut un
radiologue capable non seulement d’identifier le ganglion mais
aussi de le ponctionner s’il est accessible (rendant alors la chirur-
gie inutile), un lien fort avec le pathologiste – et dans l’avenir
proche, le biologiste moléculaire – qui scrutera la métastase,
une organisation sans faille avec un radiothérapeute dont on peut
guider l’action par la mise en place de clips radio-opaques de
repérage.
Le chirurgien lui-même ne peut adopter l’endoscopie que s’il en
maîtrise non seulement la technique, mais aussi et surtout les
enjeux cancérologiques. Cette maîtrise passe par un contact étroit
avec des praticiens d’autres disciplines, par une expérience fondée
sur un recrutement suffisant, par une formation aux techniques
chirurgicales carcinologiques traditionnelles, que les techniques
endoscopiques ne font souvent que reproduire, par une culture
chirurgicale complète, incluant les techniques alternatives que
sont la chirurgie abdominale et la chirurgie vaginale, sans compter
que chacune des ces trois voies nécessite une expérience, ce qui
multiplie le nombre de cas nécessaires. De surcroît, dans le
domaine gynécologique, le chirurgien doit être familier des possi-
bilités et des enjeux de la chirurgie de préservation hormonale
(transposition ovarienne) et reproductrice (chirurgie conservatrice
des tumeurs de l’ovaire ou du col utérin). À ce compte, on peut se
demander si la diffusion large des techniques sophistiquées de
chirurgie endoscopique en cancérologie gynécologique est souhai-
table, compte tenu de la relative rareté des localisations tumorales
gynécologiques en dehors du cancer de l’endomètre.
Àces conditions, l’endoscopie intégrée dans une cancérologie
hautement spécialisée, ou plus largement envisagée comme un
outil de diagnostic, de prévention, et de traitement des cas techni-
quement les plus simples, fait partie de l’arsenal chirurgical, ni
plus, ni moins. ■
La lymphadénectomie cœlioscopique a-t-elle un avenir en France?
* Département de chirurgie, Institut Claudius-Régaud, 20-24, rue du pont Saint-
Pierre, 33052 Toulouse Cedex.
L
●D. Querleu*