Mieux comprendre le consommateur de produits équitables, l`intérêt

Session 4 - 22
Mieux comprendre le consommateur de produits équitables,
l’intérêt de la notion de valeur pour le consommateur
Benoît Petitpretre,
Doctorant en marketing à l’Université d’Avignon et des Pays du Vaucluse,
Résumé : La consommation de produits équitables est en fort développement. Dans ce papier
nous proposons d’aller plus loin que les approches qui se focalisent sur la responsabilité ou
l’éthique du consommateur. Nous tentons de remettre en perspective ces préoccupations avec
une vision plus classique en marketing, celle ce la valeur pour le consommateur. La typologie
de Holbrook propose un cadre d’analyse que nous appliquons et enrichissons à cette
consommation. Nous mettons en évidence la diversité des valeurs issues de l’expérience et
l’importance des éléments relationnels dans cette consommation.
Abstract: Fair trade products consumption is growing fast. In this paper we propose to deepen
approaches that emphasize responsibility or ethics. We try to adopt a more classical marketing
approach which is consumer value. Holbrook’s typology offers a framework that we apply
and enrich, to this consumption. We emphasize that this consumption experience generates
many consumer values and the importance of linking elements in this consumption.
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Mieux comprendre le consommateur de produits équitables,
l’intérêt de la notion de valeur pour le consommateur
La consommation de produits équitables est en forte progression ces dernières années en
France, même si le volume global des ventes est encore faible (CA des produits labellisés en
France 166 millions d’Euros en 2006 contre 12 millions en 2001, d’après Max Havelaar).
L’intérêt académique s’accroit aussi autour de ce phénomène (Ozcaglar 2005 ; de Ferran
2006) et les recherches se multiplient : Colloque International sur le Commerce équitable
organisé cette année en France. Cette consommation prend place dans ce que l’on qualifie
souvent de consommation responsable, de consommation citoyenne ou encore de
consommation éthique.
Mais désormais le changement d’échelle du mouvement (au moins du point de vue
quantitatif), pour reprendre l’interrogation du Colloque International 2008, nous impose
certainement de questionner les approches habituellement mobilisées et d’en proposer
d’autres qui peuvent améliorer la compréhension de cette consommation.
1 Présentation de l’objectif de la communication
Nous allons nous intéresser ici au consommateur de produits équitables tout en conservant
une entrée classique vers le sujet puisque nous tenterons de voir quelle en est la valeur pour le
consommateur et comment elle se décline en différentes composantes.
En effet au-delà de l’intérêt évident des perspectives qui insistent sur le caractère responsable,
éthique ou politique du consommateur de ces produits il est aussi possible de mettre en
évidence certaines limites et contradictions et d’en proposer un dépassement.
De plus, nous essayerons de faire émerger au sein de ces différentes composantes de la valeur
une ‘architecture’ spécifique, une organisation qui aille au-delà de la simple description et
rende ainsi possible une vision plus dynamique. Enfin en s’appuyant sur cette typologie, il est
possible de formuler un certain nombre de recommandations aux acteurs de ce secteur.
2 Principales perspectives mobilisées pour aborder le CE et dépassement
On peut identifier plusieurs approches qui sont fréquemment mobilisées afin de comprendre
et analyser le commerce équitable (désigné CE par la suite) ou qui replacent le phénomène
dans un cadre plus large.
Bien que d’un grand intérêt ces perspectives, sur l’éthique, la responsabilité ou la politique,
montrent leurs limites du fait des écarts importants entre déclarations et achats (François-
Lecompte & Vallette-Florence, 2006). De plus elles se focalisent sur un aspect de cette
consommation sans aborder des considérations plus triviales du consommateur. Ce qui pousse
certains auteurs à se poser des questions sur l’existence de ce consommateur éthique
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(Carrigan et Attalla, 2001) ou bien à revenir vers des préoccupations plus opérationnelles sur
le consentement à payer (Duong et Robert-Demontrond, 2004 ; De Pelsmacker, Driesen et
Rayp, 2005) par exemple.
2.1 Les limites de la responsabilité et de l’éthique dans la consommation
Un premier regard inscrit le CE dans la consommation responsable et prétend englober aussi
bien des consommations qui présentent un lien avec des préoccupations sociales que d’autres
qui présentent un intérêt pour l’environnement. Ce consommateur responsable dans une
vision élargie prend en considération les conséquences publiques de sa consommation privée
et utilise son pouvoir d’achat pour provoquer un changement social (Webster, 1975).
Responsabilité et éthique sont proches dans la situation qui nous intéresse. Mais certaines
difficultés liées aux conceptions de l’éthique et de la responsabilité mobilisées en marketing,
ou aux modèles eux-mêmes, peuvent être soulignées. Ainsi le fait que ce que l’on entend par
éthique du consommateur n’est pas toujours défini. Ensuite les conceptions de l’éthique
peuvent se prévaloir de plusieurs principes (déontologie, conséquentialisme ou partialité) et
ceux-ci peuvent engendrer des exigences contradictoires (Larmore, 1993), sans qu’une
résolution claire soit apportée.
Hétérogénéité des sources de la morale et conflits entre celles-ci ;
Certains travaux prétendent que la consommation peut donner lieu à une situation qui
s’apparente à un dilemme éthique ou moral. Marks et Mayo (1991) ont été parmi les premiers
à utiliser une telle approche. Les auteurs, plus qu’une définition, donne un exemple de
situation qui représente ce dilemme : l’achat d’un véhicule. D’un côté cet achat sera
l’occasion de satisfaire ses envies de disposer d’un certain statut social en acquérant un
véhicule de marque étrangère d’un autre côté cet achat aura aussi pour conséquence
indésirable de creuser le déficit commercial ou de causer des licenciements chez les
constructeurs nationaux. Dans cet exemple les données du problème sont posées par les
auteurs et l’on peut avancer d’autres éléments pour affaiblir la dimension éthique de la
situation ainsi présentée : ainsi si les constructeurs étrangers fabriquent de meilleurs véhicules
à mon goût, quel signal donnera le fait d’achetez un véhicule à un constructeur national : un
encouragement à la médiocrité ? Quel est le type de bien que l’on souhaite promouvoir ici ? Il
ne peut y avoir d’accord sur cela. En l’occurrence la situation de Marks et Mayo s’apparente
davantage à ce que l’on pourrait intituler un dilemme économique avec une dimension
patriotique.
Plus fondamentalement le caractère de dilemme à caractère éthique de la consommation
équitable nous semble affaibli par plusieurs éléments.
Si l’on revient à la philosophie et au dilemme éthique il est possible de proposer des
indications pour démêler cet enchevêtrement. Sartre (1945), dont la place dans le débat sur le
dilemme moral est primordiale (Tappolet, 2003) nous donne l’exemple d’un dilemme moral.
Il s’agit de l’un de ses élèves venu le trouver pendant la seconde guerre mondiale pour le
conseiller. Cet élève était tiraillé entre le désir de rejoindre l’Angleterre pour combattre
l’ennemi et d’autre part son obligation de rester en France pour s’occuper de sa mère malade
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dont il est le seul soutien. Plusieurs éléments peuvent être extraits de cette situation : le
dilemme éthique suppose une véritable disjonction entre les termes de l’alternative (exclusion
mutuelles des termes) ; aucune des solutions ne satisfera pleinement l’individu (frustration) ;
le caractère ‘extraordinaire’ de la décision à prendre (singularité) ; les conséquences directes
et fondamentales sur le cours de la vie de l’individu (drame). Aussi en reprenant ces éléments
on peut constater que dans la consommation équitable on est loin de les retrouver. Le
caractère régulier de la consommation implique que l’acheteur est confronté au même chaque
fois qu’il se rend dans son magasin, il doit faire face à une répétition de la situation qui
affaiblit son caractère éthique s’il y en a un au départ. Cet affaiblissement est encore renforcé
par le fait que les conséquences éventuelles, bienfait ou dommage ne le concernent
qu’indirectement et ne concernent pas son environnement proche.
Faiblesse de la notion de dilemme éthique en marketing ;
Les résultats concordants de plusieurs recherches montrent selon Vitell (2003) que le
jugement éthique semble déterminé par le fait que le consommateur ait été actif ou non dans
la survenue de la situation, ensuite que l’activité soit perçue comme légale ou illégale et enfin
ce jugement est déterminé par le degré de gravi du dommage causé, s’il y en a un. Ces
résultats incitent donc à rester prudent quant au lien que l’on peut faire entre la consommation
de produit et le dommage constaté. Dans le CE c’est la mauvaise répartition de la richesse qui
est mise en avant, or jusqu’à quel point faut-il considérer que c’est le consommateur qui est à
l’origine d’une telle situation et qu’il est de surcroît actif par rapport à cet état de fait. De plus
il faut aussi constater que les recherches sur l’éthique concernent souvent celles des managers
et beaucoup moins souvent celles des consommateurs. Sur cette base l’éthique n’est pas
forcément le meilleur point d’ancrage pour comprendre cette consommation.
Lien indirect entre les faits et le ‘responsable’ ;
Nombre de travaux sur l’éthique mettent en évidence l’existence d’une évaluation éthique des
situations de la part des managers ou des consommateurs et donc sur le fait que les individus
sont capables de porter un regard éthique sur une situation et de se forger ainsi des
convictions. Toutefois, le fait de disposer de ces convictions ne signifie pas que celles-ci
seront mises en œuvre systématiquement. Ce décalage semble être effectivement le cas
(Klein, Smith & John, 2004).
Confusion entre le fait d’avoir des convictions éthiques et leur application
systématique ;
2.2 Les limites de la consommation politique ou citoyenne
Enfin une autre approche entend mettre en évidence le caractère politique ou citoyen présent
dans ce domaine de la consommation. Il s’agit d’évoquer une consommation d’ordre politique
ou un consommateur citoyen lorsque à l’occasion de ses achats des préoccupations d’ordre
collectif sont évoquées et que le consommateur souhaite des changements institutionnels ou
concernant les pratiques de marché (Michelletti, 2003, 2004 ; Michelletti, Follesdal, Stolle,
2003). Alors que généralement la consommation est le lieu des intérêts privés et individuels.
On retrouve donc une forte proximité avec la consommation responsable.
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D’une façon globale dans la consommation, tout est fait pour favoriser le court terme,
l’impulsion, le choix immédiat, la décision instantanée, l’émotion directe. La consommation
exacerbe les sens du consommateur bien davantage que sa raison. Au contraire l’éthique, la
responsabilité, la citoyenneté d’un individu font davantage appel à sa raison, sa réflexion et
s’inscrivent dans une temporalité qui déborde largement celle de la consommation. Il ny a
qu’à penser à l’effort nécessaire pour faire de la politique, même au niveau d’un simple
militant en comparaison de l’effort fait lors d’un achat. Et l’engagement parfois évoqué dans
ce type de consommation, reste celui d’un engagement de marché qui peut se délier à chaque
transaction. L’engagement semble se renégocier à chaque fois.
Opposition d’horizon entre consommation et politique (court terme vs long terme) ;
La consommation s’adresse à l’individu, la modernité ayant érigé cette dernière figure,
rendant possible son autonomie, mais par là même l’isolant de ses semblables. La politique ou
la citoyenneté, au contraire évoque d’emblée un niveau d’action supérieur. Elle est supposée
au moins s’intéresser au destin de la cité, alors que la consommation se dégage de ces
préoccupations d’ordre plus général et public.
Opposition de niveau entre consommation et politique (individuel vs collectif) ;
La consommation se déploie à l’intérieur de marchés, dont l’une des caractéristiques est qu’ils
sont neutres du point de vue axiologique (du moins en apparence), c'est-à-dire que finalement
ils ne mettent en avant aucune préférence d’ordre moral, chacun étant libre de tout
engagement au-delà de l’échange (Godbout, 2005, 2007). Ce qui rend cette forme d’échanges
économiques très attrayante (pour la liberté apparente qu’elle offre) mais aussi très pervers
(puisqu’elle a besoin de trouver sans cesse de nouveaux débouchés). A l’inverse le CE entend
dire au consommateur ce qu’il faut consommer, il prétend dire quel est l’ordre juste des
choses.
Opposition axiologique (neutralité vs engagement) ;
Enfin plus qu’une opposition il convient de mettre en évidence une disproportion entre les
moyens et les résultats attendus. D’une part on demande au consommateur de payer un prix
supérieur pour un produit dont les caractéristiques sont identiques pour lui, et d’autre part, on
entend régler les problèmes de développement dans les pays du sud. Pourquoi faudrait-il
payer plus cher un produit, simplement parce que l’on ne souhaite pas cautionner des
l’exploitation des travailleurs d’autres pays ? L’effort qui sera ainsi demandé aux individus
sera donc bien plus élevé, proportionnellement, aux individus qui auront les plus faibles
moyens au départ. L’exercice de la citoyenneté serait donc réservée à certains en fonction de
leurs moyens et le modèle politique ainsi proposé s’éloigne peut-être sensiblement de la
démocratie.
Décalage (asymétrie) entre les intentions et les moyens (générosité vs cynisme) ;
Dans la mesure où dès les XVIIe et XVIIIe on a cherché à remplacer les passions des individus
par leurs intérêts afin de pacifier les mœurs des princes, les relations entre Etats et individus
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