L’INTRODUCTION DE LA DISSERTATION ET DE L’EXPLICATION DE TEXTE 57
En pratique, cette façon de faire cause de grands soucis aux élèves. En effet,
ceux-ci ont bien du mal à fournir des définitions courtes, qui aient en outre un rap-
port avec le sujet posé. Jacqueline Russ, elle-même, fournit des exemples d’introduc-
tion, avec des amorces d’une vingtaine de lignes sur un total de quarante 3. C’est long.
Ainsi, celui qui réfléchit sur le « droit au bonheur » est parti pour une analyse intermi-
nable du droit et du bonheur. Plus grave, l’enchaînement avec la problématique est
très difficile voire impossible. Comment passer des définitions à l’interrogation sur le
sujet sauf de façon chronologique ? Après les définitions, le sujet ! Qui ne voit l’effet
désastreux de ce procédé ? Au lieu d’introduire au problème posé, on répète l’analyse
du sujet effectué au brouillon, et l’on fait attendre le correcteur. Lorsque le problème
finit par arriver, le correcteur a déjà dégainé son stylo rouge depuis longtemps et mis
dans la marge un « hors sujet » rageur.
Disons-le tout net : en philosophie, ces analyses conceptuelles initiales sont des
moyens et non des fins. L’essentiel est d’introduire au sujet (et non de le faire
attendre), dans son contenu le plus essentiel (son « noyau de sens ») ; or le sujet est
énoncé sous la forme d’un problème (à moins que ce soit à l’élève de le formuler sous
forme interrogative); donc amener le sujet c’est déjà entrer dans la problématique.
b) Centrer l’introduction sur la problématique : l’introduction Blitzkrieg
Les instructions officielles paraissent éviter cet écueil d’une amorce trop
longue en distinguant, à propos du sujet de dissertation, une première phase consa-
crée à « une première définition de l’intérêt de cette question » (1), et une deuxième
chargée de « la formulation du ou des problèmes qui s’y trouvent impliqués4» (2). On
conserve, on le voit, l’idée des définitions initiales, mais au service d’une recherche de
l’intérêt philosophique du sujet, c’est-à-dire de son enjeu et de sa portée.
Ainsi formulées, les instructions suscitent toutefois un léger embarras, car on
ne voit pas bien comment l’on peut analyser savamment les implications historiques
et existentielles d’un problème avant même d’avoir posé ce dernier. De fait, il semble
plus logique d’énoncer enjeu et portée pendant ou après la problématique. Car il faut
bien distinguer entre susciter l’intérêt du lecteur et énoncer l’intérêt du sujet. Si l’amor-
ce du sujet attire l’attention et l’intérêt, elle ne saurait délimiter l’intérêt d’une ques-
tion qui n’a pas encore été posée.
Une « remarque paradoxale ou incisive » ou un « très bon exemple 5» sont évi-
demment les bienvenus dans l’amorce. Mettre le sujet dans une situation concrète
aide en effet à mieux comprendre dans un premier temps de quoi l’on parle; cela per-
met aussi de cerner le champ du sujet de façon élégante. Mais cela ne saurait suffire
tel quel, car on risque d’enfermer le sujet dans l’exemple, et de donner lieu à une
mise en crise du sujet qui critique l’exemple au lieu d’interroger le sujet. La probléma-
tique ne saurait en rester à un exemple suivi de contre-exemples.
Le mieux serait d’énoncer au préalable une opinion commune, détaillée briève-
ment, avant de l’illustrer concrètement par un exemple. La pensée serait ainsi placée
d’emblée sur le plan conceptuel d’une thèse et sur le plan concret d’un exemple. On
pourrait ensuite mieux enchaîner, en critiquant l’opinion plutôt que l’exemple. Il faut
3. Ibid., pp. 130, 138, 144
4. Programme d’enseignement de la philosophie en classe terminale des séries générales, Bulletin Officiel,
n° 25 de l’année 2003 (19 juin).
5. Voir Choulet, Folscheid, Wunenburger, Méthodologie philosophique, Paris, PUF, 1996, p. 206 ; Leguil, La phi-
losophie au bac, Paris, Bordas, 2008, p. 9.