INC document ÉTUDE JURIDIQUE VERS UN DROIT EUROPÉEN DES CONTRATS L’harmonisation éventuelle du droit privé, et notamment du droit des contrats, fait l’objet de discussions au niveau européen. Depuis 1989, le Parlement a souhaité à plusieurs reprises que soient entamés des travaux sur la possibilité d’élaborer un code européen du droit privé. Dans sa résolution du 16 mars 2000 concernant le programme de travail pour 2000, il a estimé qu’une harmonisation plus poussée dans le domaine du droit civil était devenue essentielle dans le marché intérieur. La Commission a alors publié en 2001 une communication sur le droit européen en vue de rassembler des informations sur la nécessité d’une action communautaire dans ce domaine. Suite aux réactions reçues, elle a publié en 2003 un plan d’action et, en octobre 2004, une suite à ce plan d’action. Cette étude vise à faire le point sur le sujet. LA COMMUNICATION DU 11 JUILLET 2001 La communication publiée en juillet 2001 1 avait pour objet de réunir des informations et réactions sur la nécessité d’une action dans le domaine du droit européen des contrats. Elle cherchait à savoir si les divergences en matière de droit des contrats entre les États membres suscitaient des problèmes et, si oui, lesquels. Les domaines concernés sont les contrats de vente et tous les contrats de service y compris les services financiers. Deux sources de problèmes avaient été identifiées par la Commission : d’une part, la diversité des législations nationales en matière de contrats, qui peuvent constituer un obstacle au bon fonctionnement du marché et entraîner le découragement des acteurs de celui-ci ainsi qu’un accroissement des coûts de transactions transfrontières ; d’autre part, l’approche actuelle de l’harmonisation secteur par secteur risque d’entraîner des incohérences au niveau communautaire ou des problèmes de mise en œuvre et de transposition nationale non uniforme du droit communautaire. À partir des problèmes concrets posés, la Commission souhaitait recevoir des propositions et suggestions de solutions. Pour faciliter les réactions, quatre options étaient proposées : 1. laisser le marché régler tous les problèmes qui surgissent ; 2. envisager la mise au point de principes communs non contraignants de droit des contrats par le biais d’études ; 3. revoir et améliorer la qualité de la législation communautaire déjà en vigueur ; 4. adopter un nouvel instrument législatif communautaire sur le droit des contrats. Les réactions Suite à la publication de cette communication, le Conseil de l’Union et le Parlement européen ont fait connaître leur réaction, et la Commission a reçu de nombreuses contributions émanant de milieux universitaires, de juristes, d’entreprises et d’associations de consommateurs (il est à noter que le plus ————— 1 11 juillet 2001, COM(2001)398. INC Hebdo No 1334 28 février - 6 mars 2005 I grand nombre de contributions provient d’Allemagne et du Royaume-Uni). Aucune des contributions n’a indiqué que l’approche sectorielle en tant que telle posait des problèmes ou qu’elle devrait être abandonnée. Seule une infime minorité a préféré l’option 1 et pense qu’il faut laisser le marché résoudre les problèmes identifiés. Une majorité “écrasante” s’est prononcée pour l’option 3, à savoir l’amélioration de la législation existante. L’option 2 d’élaboration de principes communs par le biais de recherches communes a reçu un large soutien ; quant à la dernière option, l’adoption d’un nouvel instrument de droit européen des contrats, elle a rencontré l’opposition d’une majorité, même si beaucoup d’auteurs de contributions ont souhaité le développement de réflexions sur ce sujet. À la suite de cette communication, le Parlement européen a adopté une résolution concernant le rapprochement du droit civil et commercial 2 des États membres. Cette résolution souligne la nécessité de poursuivre l’harmonisation ciblée du droit des contrats dans les cas où la reconnaissance mutuelle des dispositions nationales ne peut s’appliquer et où des divergences peuvent faire obstacle au fonctionnement du marché intérieur. Le Parlement estime qu’il y a lieu, dans le cadre d’un règlement européen, d’élaborer un statut du droit européen comme « droit optionnel », sur le modèle du droit international privé, pour être utilisé en matière d’achat, de droit des garanties et de services financiers. Enfin, il demande l’établissement d’un plan détaillé à court, moyen et long terme. LE PLAN D’ACTION 2003 Après consultations et réactions, le processus initié par la Commission s’est poursuivi par la présentation d’un plan d’action 3 toujours fondé sur un processus de consultation et de discussion sur la manière dont les problèmes résultant de la divergence des droits nationaux des contrats doivent être résolus. Ce plan s’inscrit en parallèle avec les réflexions entamées avec le livre vert 4 sur la modification de la convention de Rome 5 en instrument communautaire et modernisant son contenu. Dans ce plan, la Commission recense nombre de difficultés pratiques qui lui ont été signalées. Parmi celles-ci, les incohérences : des situations identiques ne font pas l’objet de même traitement ; par exemple, les modalités différentes du droit de rétractation prévues dans les directives sur le démarchage à domicile, le time share, les ventes à distance et les ventes à distance de services financiers. Autre source de difficulté, la différence de législation qui entraîne des frais juridiques considérables dont se plaignent les entreprises. La Commission souligne que cette situation est encore pire pour le consommateur du fait que c’est le droit du professionnel qui est choisi comme le droit applicable dans les clauses contractuelles types, ou qu’il est objectivement retenu en vertu de la loi applicable en cas de défaut de choix (article 4 de la convention de Rome). L’article 5 de cette convention, qui prévoit que le consommateur ne peut être privé des dispositions impératives du pays de sa résidence, ne lui apporte qu’une aide limitée car il ne s’applique pas au consommateur actif qui souhaite profiter des possibilités offertes dans un autre pays que le sien. Enfin, une catégorie de problèmes souvent mentionnée : la divergence des règles nationales en matière de clauses excluant ou limitant la responsabilité contractuelle, notamment en matière de vices cachés ou de délais de prescription. En matière de protection des consommateurs, de nombreuses entreprises déplorent la grande diversité de règles nationales. Responsable de cette situation, le principe de l’harmonisation minimale des directives européennes permettant à chaque État membre de maintenir des règles plus favorables au consommateur que celles du droit communautaire, souvent impératives, et parfois même étendues aux relations entre entreprises. Compte tenu des conclusions de la consultation qu’elle a menée, la Commission indique qu’elle va poursuivre son approche sectorielle. Parallèlement à cette approche spécifique, le plan visait à lancer de nouvelles discussions et susciter des réactions en proposant trois mesures : – améliorer la cohérence de l’acquis communautaire dans le domaine du droit des contrats, par l’élaboration et l’utilisation d’un cadre commun de référence ; – promouvoir l’élaboration de clauses contractuelles types applicables dans l’ensemble de l’Union européenne ; – examiner plus avant l’opportunité de mesures non liées à un secteur spécifique, comme par exemple un instrument optionnel dans le domaine du droit européen des contrats. Cadre commun de référence (CCR) La Commission estime qu’un cadre commun de référence établissant une terminologie et des principes communs dans le domaine du droit européen des contrats est un élément important de l’amélioration de l’acquis dans ce domaine. Le cadre de référence, qui se présenterait sous la forme d’un document accessible au public, serait un « modèle du droit européen des contrats correspondant au mieux aux besoins des opérateurs économiques ». Deux objectifs sont recherchés. D’une part, son utilisation par la Commission dans le domaine des contrats lorsqu’il est procédé à un réexamen de l’acquis existant et que de nouvelles mesures sont proposées (terminologie, et concepts fondamentaux tels que contrat ou dommage et règles à appliquer en cas d’inexécution du contrat). D’autre part, ce cadre commun de référence pourrait constituer un instrument de réalisation, d’un degré plus important de convergence, entre le droit des contrats des pays de l’UE et les pays tiers. Le contenu détaillé du cadre commun de référence sera fixé sur la base des recherches et contributions des opérateurs économiques ; on peut s’attendre, selon le plan d’action, à ce qu’il contienne les éléments suivants : – essentiellement du droit des contrats, principalement les types de contrats transfrontaliers concernés tels que les contrats de vente et les contrats de service ; ————— 2 Résolution du 15 novembre 2001 concernant le rapprochement du droit civil et commercial des État membres. 3 Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil. Un droit européen plus cohérent. Plan d’action du 12 février 2003. 4 Livre vert sur la transformation de la convention de Rome de 1980, COM(2002)654, 14 janvier 2003. 5 Convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, Rome, 19 juin 1980. Version consolidée : JO C 27 du 26 janvier 1998, p. 34. II INC Hebdo No 1334 28 février - 6 mars 2005 – les règles générales en matière de conclusion, de validité et d’interprétation des contrats ainsi que celles relatives à l’exécution, à l’inexécution et aux recours, sans oublier les règles en matière de garanties de crédit concernant les biens mobiliers et le droit touchant à l’enrichissement sans cause. Plusieurs sources de base seraient principalement à considérer. Il faudrait profiter de l’existence des ordres juridiques nationaux pour trouver des dénominateurs communs, élaborer des principes communs et, le cas échéant, identifier les meilleures solutions. Il importe en particulier de tenir compte de la jurisprudence des cours nationales, en particulier des cours suprêmes, et des pratiques contractuelles établies. Il faudrait analyser l’acquis communautaire existant et les instruments internationaux contraignants applicables en la matière, principalement la convention des Nations unies sur les contrats de vente internationale de marchandises (CISG) 6. En tout état de cause, la Commission continuera à encourager les activités de recherche en la matière et procédera à une large consultation des acteurs et des parties intéressées au cadre commun. Sans attendre l’établissement de ce cadre de référence, la Commission estime qu’il faut « sans délai, et de manière prioritaire, assurer la cohérence et la compatibilité de l’acquis actuel et futur », et pour cela garantir la cohérence de la législation communautaire. Cela pourrait se traduire, dans les domaines harmonisés, par le regroupement des textes, la codification ou la refonte des instruments existants. Élaboration de clauses contractuelles types Le principe de la liberté contractuelle est au centre du droit des contrats de tous les États membres et, dans un grand nombre de situations, les parties souhaitent s’en remettre à des clauses contractuelles types. La Commission souhaite donc promouvoir l’élaboration de telles clauses, notamment dans le cas de transactions transfrontières. À cet effet, la Commission souhaite faciliter l’échange d’informations sur les initiatives en la matière, et envisage la création d’un site Internet pour faciliter la diffusion de ces informations. Bien sûr, ces clauses et conditions devraient être conformes à la directive sur les clauses abusives dans les contrats, pour autant qu’elle soit applicable. Adoption d’un instrument optionnel ? De plus amples réflexions vont être entamées sur l’opportunité de prendre des mesures non liées à un secteur particulier, comme l’adoption d’un instrument optionnel dans le domaine du droit européen des contrats ; par exemple, des règles applicables à l’ensemble de l’Union et qui seraient consacrées par un règlement ou qui figureraient dans une recommandation. Dans cet ensemble normatif, seul un nombre limité de règles seraient impératives, par exemple celles qui visent à protéger le consommateur. LA COMMUNICATION DU 11 OCTOBRE 2004 La communication d’octobre 2004 expose les suites au plan d’action de 2003. Le texte présente le plan de développement du cadre commun de référence qui définira avec précision les termes juridiques, énoncera les principes fondamentaux et présentera des modèles cohérents de règles du droit des contrats inspirés de l’acquis communautaire, ou des meilleures solutions contenues dans l’ordre juridique interne des États membres. L’adoption du cadre commun de référence est prévue pour 2009 suite à une très large consultation, et il sera utilisé en particulier comme “boîte à outils” par la Commission lorsqu’elle soumettra ses propositions pour l’amélioration de la qualité et de la cohérence de l’acquis existant et futur dans le domaine du droit des contrats. Comme exemple, la Commission présente la révision de l’acquis concernant la protection des consommateurs. Ayant toujours pour objectif « d’accroître la confiance du public et des milieux d’affaires dans le marché intérieur par l’instauration d’un haut niveau de protection pour les consommateurs », la Commission indique que huit directives seront réexaminées 7. Il s’agira de déterminer si elles atteignent les objectifs, compte tenu notamment des clauses d’harmonisation minimales qu’elles renferment. La Communication présente également les plans pour le travail futur concernant les autres mesures mentionnées dans le plan d’action : promouvoir l’élaboration de conditions con- tractuelles types à l’échelle de l’Union européenne, ainsi que la réflexion sur l’opportunité d’un instrument optionnel. Encourager l’emploi de clauses et condition contractuelles types (CCCT). Sur ce point, la Commission précise que c’est aux parties prenantes de les rédiger, non aux commissaires. La priorité sera donnée aux CCCT relatives aux transactions entre entreprises (business to business ou “B2B”) et aux contrats entre entreprises et gouvernements (business to government ou “B2G”). La Commission hébergera un site d’information sur les CCCT, mais cette publication ne constituera pas une reconnaissance juridique ou commerciale. Elle recensera, avec les parties prenantes, les obstacles législatifs à l’utilisation de CCCT de portée communautaire en vue de l’élimination de ces obstacles. Parallèlement à l’élaboration du cadre commun de référence, les réflexions quant à l’instrument optionnel dans le droit des contrats se poursuivront. Mais la Commission précise qu’elle n’envisage pas de proposer un “code civil européen” qui harmoniserait les droits des contrats des États membres. Ces réflexions doivent prendre en compte les différences entre les transactions avec les consommateurs (business to consumer ou “B2C”) et les B2B et B2G. Préparation et élaboration du CCR Au niveau technique et pour garantir l’élaboration d’un cadre commun de référence de qualité, la Commission financera ————— 6 La convention de Vienne de 1980 sur la vente internationale de marchandises est ratifiée par un grand nombre d’États, dont les États membres (sauf le Royaume-Uni, l’Irlande et le Portugal). Elle constitue une référence très complète de nature supplétive, qui peut se substituer aux droits nationaux si les parties la choisissent pour régler leurs relations ; elle est largement utilisée dans le commerce global des marchandises. Sa portée reste cependant limitée (la ratification peut être partielle et exclure certaines parties de la convention sur la formation et les effets du contrat). De plus, elle ne couvre pas les contrats de consommation. 7 Directives 85/577 (démarchage à domicile), 90/314 (voyage à forfait), 93/13 (clauses abusives), 94/47 (time share ), 97/7 (vente à distance), 98/6 (prix à l’unité de mesure), 98/27 (actions en cessation) et 99/44 (garantie). INC Hebdo No 1334 28 février - 6 mars 2005 III des recherches dont le rapport définitif devrait contenir tous les éléments requis pour en permettre l’élaboration. La participation des acteurs économiques est essentielle. La Commission mettra donc en place un réseau d’experts des parties prenantes, qui devra apporter une « contribution constante et détaillée » aux travaux préparatoires de recherche. Des séminaires seront périodiquement organisés, et un site Internet réservé aux chercheurs sera installé. Les recherches viseront à définir les meilleures solutions sur la base des droits des contrats nationaux et de l’acquis communautaire, sans oublier les instruments internationaux pertinents – parmi lesquels la convention des Nations unies sur le contrat de vente internationale des marchandises (1980). La structure envisagée (cf. annexe en fin de document) pourrait prévoir de distinguer les règles modèles applicables aux contrats entre entreprises (B2B) de celles qui sont applicables aux contrats entre entreprises et consommateurs (B2C). Au niveau politique, le Parlement européen, le Conseil et les États membres seront informés périodiquement de l’avancement des travaux. Calendrier des échéances 2006 : Réexamen des directives de protection des consommateurs. Diagnostic. 2007 : Remise du rapport définitif des chercheurs, qui contiendra les éléments requis pour l’élaboration d’un CCR. 2008 : Publication d’un livre blanc permettant une large consultation. 2009 : Adoption d’un CCR par la Commission européenne. CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES ET ÉLÉMENTS DE RÉFLEXION Pour le consommateur, le grand marché intérieur est une fiction ; en réalité, il existe des marchés qui sont liés à des zones de chalandise en fonction des produits et services et en fonction des modes de distribution ; et généralement, ces marchés n’ont pas de caractère transfrontières, sauf dans les régions frontalières où ils vont se développer, si ce n’est déjà fait, grâce à l’euro. D’autres facteurs contribuent à rendre virtuel ce grand marché : les différences de fiscalité, de culture et de langage, et bien sûr les différences de législation. Néanmoins, avec le développement du commerce électronique et notamment grâce à Internet, les limites du marché intérieur proclamé en 1993 deviennent plus palpables. Les professionnels se plaignent souvent que la différence de législation soit un obstacle à la libre circulation, et on accuse souvent les règles de protection des consommateurs de constituer une entrave ; mais ce n’est pas une raison pour laisser le marché régler seul tous les problèmes qui surgissent – ce dernier n’étant pas une bonne solution, par exemple, pour les relations entre assureurs et consommateurs. Aller vers une unification du droit des contrats en Europe fondée sur des principes de liberté contractuelle du marché ne semble donc pas une bonne voie du point de vue des consommateurs ; en revanche, cette solution peut être adaptée aux relations entre professionnels. Il serait donc souhaitable d’adopter des règles différentes selon les acteurs. Cela existe d’ailleurs déjà dans certains domaines, comme l’assurance où la législation communautaire a institué une distinction entre les « grands risques » et les « risques de masse ». Ce souhait a déjà été entendu, semble-t-il, si l’on en juge par la première réunion du réseau d’experts qui s’est tenue à Bruxelles le 15 décembre dernier, au cours de laquelle il a été relevé qu’il serait sans doute approprié d’isoler, dans chaque thème, les questions relevant exclusivement du B2B ou du B2C 8. Droit civil et droit de la consommation En France, comme dans la plupart des pays européens, les règles de protection des consommateurs sont impératives et se distinguent de celles du droit civil qui s’ordonnent autour du principe de l’autonomie de la volonté. Au niveau européen même, les directives de protection des consommateurs construisent peu à peu le droit des contrats. Mais il y a une grande différence avec le droit civil proprement dit. La protection des consommateurs est ordonnée autour de droits : droit à la sécurité, droit à la protection économique, droit à la réparation et au recours. Les lois de consommation sont impératives, d’ordre public. Cette réalité ne s’accorde pas avec les principes de liberté contractuelle du code civil. Envisager la mise au point de principes communs de droit des contrats par le biais d’études, ainsi que l’envisage la Commission, ne paraît pas la solution idéale compte tenu de ce que l’on vient de dire, sauf si cela se fait dans le cadre de l’adoption d’un nouvel instrument communautaire sur le droit des contrats, et si l’on opère une distinction entre les interlocuteurs : des règles générales et supplétives dans ce qui pourrait être l’équivalent d’un code civil ; les rapports entre consommateurs et professionnels réglés dans l’équivalent d’un code de la consommation ; et, pour les relations des professionnels entre eux, un code de commerce. Cela suppose bien entendu une définition claire et unique du consommateur, qui n’existe pas en droit français. CCR et CCCT ? L’élaboration de clauses contractuelles types applicables dans l’ensemble de l’Union européenne ? Pourquoi pas. En principe, les clauses contractuelles types conduisent le consommateur à un choix limité de contrats, et restreignent donc la liberté contractuelle (qui est un principe général adopté par tous les États membres). Néanmoins, on sait que bon nombre de contrats de consommation sont des contrats d’adhésion. En outre, s’agissant des contrats de consommation, il existe un certain nombre de règles impératives ; on peut donc envisager sereinement le développement de ces clauses types, à condition toutefois qu’elles soient revues régulièrement. Autre condition : l’objectif recherché est le plus haut niveau de protection des consommateurs. Les spécialistes du droit de la consommation devraient être associés à ces travaux ————— 8 Voir le compte rendu sur le site de la DG Sanco : < europa.eu.int/comm/consumers/cons_int/safe_shop/fair_bus_pract/cont_law/index_ fr.htm >. IV INC Hebdo No 1334 28 février - 6 mars 2005 relatifs aux clauses types, voire à l’élaboration de contrats standards. Enfin, il faut ajouter que ce n’est pas parce qu’une clause type est adoptée qu’elle ne peut pas être abusive dans certaines situations et, par conséquent, si un consommateur se sent désavantagé par une clause type, il devrait toujours avoir la possibilité d’en soumettre la validité à un tribunal. Autre question essentielle en marge des clauses types, celle de la langue. À l’instar de la loi relative à la langue française, la langue du contrat devrait être celle du consommateur. Les contrats sont déjà difficiles à comprendre pour un consommateur lorsqu’ils sont rédigés dans sa langue natale pour ne pas rajouter de difficultés supplémentaires. Principe du pays d’origine et reconnaissance mutuelle La directive “commerce électronique” impose le pays d’origine pour son champ d’application. Les organisations de consommateurs se sont battues contre cette option, qui est de nature à réduire la protection des consommateurs même si de nombreuses dérogations ont été introduites. Et l’on s’apprête à continuer dans cette voie avec la proposition de directive sur les services dans le marché intérieur 9 : outre la simplification des démarches administratives nécessaires à l’exercice d’une activité dans un autre État membre, le prestataire de service serait soumis à la loi du pays dans lequel il est établi ; ainsi l’on pourrait voir, par exemple, des agents immobiliers italiens, irlandais, polonais ou suédois proposer leurs services en France en s’appuyant sur leur réglementation nationale. À ce stade, c’est au consommateur de supporter les différences de législation des quinze pays. Bien sûr, ce n’est pas facile non plus pour un professionnel, mais il est évident qu’il s’agit là d’un risque inhérent à son activité professionnelle. La proposition de directive sur les services prévoit aussi, il est vrai, une harmonisation ciblée dans certains domaines essentiels où une trop forte disparité des niveaux de protection, notamment de celle des consommateurs, « mettrait en cause la confiance mutuelle indispensable à l’acceptation du principe du pays d’origine et pourrait justifier, conformément à la jurisprudence de la Cour, des mesures restrictives à la libre circulation ». Mais cela ne paraît pas suffisant. Harmonisation minimum ou maximum ? Les articles 95 et 153 du Traité donnent une compétence spécifique à la Commission pour intervenir dans le domaine de la protection des consommateurs. L’approche sectorielle par rapprochement des règles nationales ne doit pas être abandonnée. Cette approche répond au développement du marché et des nouvelles formes de commerce. En complément de l’approche par secteur, les directives horizontales qui s’appliquent à une large quantité de contrats accroissent l’efficacité des règles de protection des consommateurs. Certains États membres sont plus protecteurs que d’autres. Les directives minimums permettent aux États membres d’adopter ou de maintenir des règles à un plus grand niveau de protection que dans certaines directives, tandis que les directives maximums ne laissent aucune liberté aux États… au risque que cela se traduise dans certains pays par une baisse du niveau de protection des consommateurs. Exemple d’actualité : le projet de directive “crédit” où, à ce stade et contrairement à ce que souhaitaient le Parlement européen et les consommateurs, les États ne pourront pas être plus exigeants que les dispositions prévues ; ce qui, en France, aboutira à la disparition du lien entre le crédit et le contrat de vente pour les crédits affectés, et à l’introduction d’indemnités au profit des établissements financiers en cas de remboursement anticipé (cf. INC Hebdo no 1321, p. 2). L’application du droit du contrat Alors que le futur instrument européen devrait, selon nous, comprendre des dispositions pour réguler la vie du contrat depuis sa phase précontractuelle jusqu’à son extinction, il ne faudrait pas oublier de donner la possibilité au consommateur de faire respecter ses droits en cas de litige (moyens efficaces, non onéreux et rapides) en prévoyant la mise en place de systèmes de règlement non judiciaire des litiges, à la condition toutefois qu’ils soient efficaces et impartiaux. Il faut souligner que l’espace judiciaire européen n’existe pas et que, pour un consommateur, ester en justice (ou faire exécuter une décision de justice dans un autre État membre) ressemble à un parcours d’obstacles auprès duquel le grand steeple-chase d’Auteuil ou le Grand National de Liverpool ne sont que d’aimables tours de manège. L’application du droit international privé est complexe, et laisse un certain nombre de questions ouvertes. Faut-il dans ces conditions conserver les règles nationales ? Ce n’est pas certain car il est probable que chacune, prise individuellement, ne protège pas assez les consommateurs. Toute initiative d’harmonisation doit être fondée, rappelons-le, sur le plus haut degré de protection. Un ensemble de règles obligatoires de protection des consommateurs devrait chapeauter les règles générales du contrat, et un certain nombre de principes existent déjà dans les directives. Sur le thème du contrat, un minimum d’harmonisation devrait pouvoir être réalisé en tenant compte des traditions juridiques nationales. La directive “garantie”, qui déjà touche au cœur du code civil, peut être considérée comme une première marche même si sa future transposition en droit français peut susciter quelques inquiétudes. En définitive, un droit unique du contrat, au surplus protecteur du consommateur, reste encore une chimère d’autant plus que l’on n’est pas prêt de réaliser l’espace judiciaire européen (organisation judiciaire, règles de compétence, exécution des jugements, etc.) entre les vingt-cinq pays de l’Union. On peut même s’interroger sur le point de savoir si la démarche actuelle ne va pas conduire à créer un vingt-sixième droit des contrats… mais peut-être est-ce le prix à payer. Jean-Michel Rothmann ————— 9 Proposition de directive relative aux services dans le marché intérieur, 13 janvier 2004. INC Hebdo No 1334 28 février - 6 mars 2005 V Annexe extraite de la communication 2004 Structures envisageables pour le cadre commun de référence Le cadre commun de référence (CCR) est essentiellement destiné à servir de boîte à outils à la Commission européenne pour la préparation de propositions concernant, tout à la fois, la révision de l’acquis existant et l’élaboration de nouveaux instruments. À cet effet, il peut être divisé en trois volets. CHAPITRE I – Principes fondamentaux du droit des contrats Le premier volet du CCR pourrait énoncer quelques principes fondamentaux communs du droit européen des contrats et les exceptions à certains de ces principes, exceptions applicables dans des circonstances bien délimitées (en particulier lors de la conclusion d’un contrat avec une partie plus faible). Exemple : principe de la liberté contractuelle – exception : application de règles obligatoires. Exemple : principe du caractère contraignant des contrats – exception : droit de rétractation. Exemple : principe de la bonne foi. CHAPITRE II – Définitions des principaux termes juridiques Le deuxième volet du CCR pourrait contenir la définition de divers termes juridiques abstraits du droit européen des contrats, dont ceux qui présentent de l’intérêt pour l’acquis communautaire. Exemples : définition du contrat, des dommages. La définition du contrat pourrait également expliquer dans quelles conditions on peut considérer qu’un contrat est conclu. CHAPITRE III – Règles types du droit des contrats • SECTION I – Contrat 1. Conclusion d’un contrat : notion d’offre, acceptation, contre-offre, révocation d’une offre, moment de la conclusion d’un contrat. 2. Formes de contrat : par exemple, contrat écrit, contrat oral, contrat électronique et signature électronique. 3. Pouvoirs des agents : représentation directe et indirecte. 4. Validité : incompétences de départ, informations inexactes, dol, menaces. 5. Interprétation : règles générales d’interprétation, référence à tous les éléments pertinents. 6. Teneur et effets : déclarations donnant lieu à des obligations contractuelles, termes implicites, qualité des prestations, obligation de fourniture des marchandises et des services, conformité des prestations aux dispositions du contrat. • SECTION II – Obligations précontractuelles 1. Nature des obligations précontractuelles (caractère obligatoire ou non). 2. Obligations en matière d’informations précontractuelles : a. généralités/forme : informations écrites, transmises sous toute forme claire et intelligible ; b. informations à fournir avant la conclusion du contrat : informations sur les caractéristiques principales des marchandises ou services, les prix et frais supplémentaires, les droits des consommateurs, informations spécifiques aux contrats électroniques ; c. informations à fournir à la conclusion du contrat : informations sur le droit de recourir à un arbitrage ; d. informations à fournir après la conclusion du contrat : obligation de signaler toute modification des informations. • SECTION III – Exécution et non-exécution 1. Règles générales : lieu et date d’exécution, exécution par un tiers, date et lieu de la livraison, frais d’exécution. VI Institut national de la consommation 2. Non-exécution et recours en général : a. non-exécution : notion de rupture de contrat ; b. recours en général : recours disponibles, cumul de recours, clause d’exclusion ou de restriction d’un recours. 3. Recours particuliers en cas de non-exécution : droit d’exécution, droit de mettre fin au contrat (droit de rescision), droit d’annulation, droit à une réduction de prix, réparation, remplacement, droit à des dommages et intérêts. • SECTION IV – Parties multiples 1. Débiteurs multiples. 2. Créanciers multiples. • SECTION V – Cession de créances 1. Principes généraux : créances contractuelles généralement cessibles, cession partielle, formes de cession. 2. Effets de la cession (entre cédant et cessionnaire) : droits transférés au cessionnaire, date d’entrée en application de la cession. 3. Effets de la cession (entre cessionnaire et débiteur) : effets sur les obligations du débiteur, protection du débiteur. • SECTION VI – Substitution du nouveau débiteur et transfert de contrat 1. Substitution du nouveau débiteur : effets de la substitution sur les moyens de défense et les sauvegardes. 2. Transfert de contrat. • SECTION VII – Prescription 1. Période de prescription et commencement. 2. Prolongation de la période. 3. Renouvellement de la période. 4. Effets de la prescription. • SECTION VIII – Règles spécifiques au contrat de vente • SECTION IX – Règles spécifiques au contrat d’assurance 80, rue Lecourbe – 75015 Paris – <www.conso.net>