Même le forum annuel de
l’Ecolint – haut lieu de libre
pensée – a versé son écot:
entre la lutte contre la «pression» des
chefs et des pairs (mot d’ordre de la
première oratrice) et les machines
qui «plaquent» leur pensée dans nos
âmes (mise en garde du troisième
orateur), un philosophe a prôné une
«fraternité» plus proche de Hollande
que de Valls. Brouillage «déjà vu»,
mais alors sans unité… au seuil de la
Deuxième Guerre mondiale: le «Pacte
germano-soviétique» visait les «plou-
tocrates de Londres et les manœuvres
de Wall Street». Avant notre Troisième
Guerre, le sujet «popu» du bon pauvre
contre le réac riche fait donc consen-
sus, chez les maîtres à penser… à en
juger par les grand-messes savantes
de ce janvier: distillé à petites doses
au nom de la «laïcité» dans une haute
école «sociale»… devenu religion dans
les théâtres de «la culture (en) lutte»
pour l’argent… après avoir chauffé cet
hiver les profs de lettres aux dépens
de l’«araméen»… il a même pointé le
nez à une soirée sur «le vrai travail de
l’enseignant» à Uni-Mail… et fait diver-
sion à un congrès sur la traduction du
«réfugié» au Palais des Nations (ciuti.
org). L’érudition remplace-t-elle la
religion comme opium du peuple?
Les bons mots et leurs
sales coups
C’est par son lexique à sens unique
que l’esprit brouille les esprits: même
au «Campus BioTech» où on étudie
les «émotions», on jongle avec celles
qui sont «positives» (l’amour) ou «né-
gatives» (l’épreuve)… sans se poser
trop de questions; pourtant, entre le
mariage et le divorce, l’amour inverse
les pôles. Tous les forums cités dans
ce texte ont ainsi sonné les cloches
de Pavlov: on salive au mot «citoyen»,
bien sûr «engagé» en faveur de l’inté-
rêt «général»… on aboie «indigné»
par les «stigmates» collés à la «diver-
sité» des «migrants». Mais comme
ce vocabulaire commence à être usé,
on en invente un nouveau: pour réta-
blir le lien social perdu, on prône la
«révolution tisserande», on accueille
les couples «arc-en-ciel», et on remet
d’aplomb la notion de «fraternité», car
elle est «traduisible dans toutes les
langues et tous les cultes». A l’inverse,
parmi les mots tabous, qui vous font
perdre l’accès au système: «profit»,
«marché», «libéral», «populiste», voire
«frontière», car «les frontières, per-
sonne ne peut être pour!», concluait
un récent débat littéraire. Même dans
la rue, devant une caisse de troc, on
trouve le mot qui tue: «Pouah! Un livre
d’Alain F le «sioniste»… et la dame
jette le livre au fond sans même voir
le sujet. Bref, à chacun ses formules
toutes faites avec ou sans «akbar».
L’ennui, c’est que quand les mots
sont violés, ils se vengent… même les
noms propres, comme on l’a vu dans
le film «Le nom des gens».
Bon citoyen ou parler vrai?
La vérité est plus lente que le slogan,
aussi a-t-elle le dernier mot bien tard.
«Je sens les gens braqués, quand je
vais faire des courses, dit un diplo-
mate du Proche-Orient»: de quoi
réjouir le militant présent; mais s’il
garde l’ouïe aux aguets, il ne pourra
crier au racisme, car «un musulman
du Sénégal n’est pas regardé de tra-
vers», ajoute l’orateur. A une fête de
volée, une vétérane du «social» a eu
le cœur brisé: trois de ses vieilles
amies se sont très «engagées»…
mais «au parti populiste»! Au congrès
de traduction, c’est le mot «réfugié»
que chacun tira à soi: après la leçon
de morale obligée – «les voisins de
la Syrie en ont des millions, et nous
crions pour une pincée» -, un Saou-
dien dit que son pays avait ses «deux
millions et demi de Syriens». «Mais ce
n’est pas sur le tableau des Nations
Unies», protesta un Allemand; «non,
car nous ne les appelons pas «réfu-
giés» et envoyons leurs enfants aux
écoles pour tous», ajouta cet homme
dont le pays avait – pour une fois –
raison. Jacques Lacan – le roi des fri-
meurs – a vu juste, dans une formule
reprise ces jours par un «café psy»
de la librairie Filigrane: c’est tout sauf
la raison qui pousse les uns à gauche
et les autres à droite. Mais chacun de
son côté n’y trouve que ce qui sert ses
idées fixes et ses besoins pratiques.
Retour à la case de départ: au forum
de l’Ecolint, on entendit une vérité qui
choque… c’est le prix du parler vrai.
«Le seul milieu qui forme ses recrues
à la complexité… en contexte chao-
tique… c’est l’armée»! Vingt-deux
siècles après Caton, les militaires ont
appris à se méfier des obsessions;
mais pas nous, dont la comédie a des
effets tragiques. n
Boris Engelson
24 janvier 2016 – N
o
707
Hebdomadaire distribué gracieusement à tous les ménages du
Canton de Genève, de l’agglomération de Nyon et de toutes les
autres communes de la Zone économique 11 (Triangle Genève-
Gland-Saint Cergue). 168 818 exemplaires certifiés REMP/FRP.
Edité par Plurality Presse S.A. Paraît le lundi
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TOUT L’EMPLOI & FORMATION • NO 707 • 25 JANVIER 2016
La tragédie classique et la comédie moderne
A l’école, on nous dit que «l’unité de temps, de lieu et de sujet» marquent la tragédie «classique». A l’inverse et
«Spécial formation» oblige, Tout l’Emploi traîne chaque mois aux quatre coins de la ville, entre les quatre jeudis,
en quête de mille sujets. Or, en ce début d’année plus encore que de coutume, c’est une pensée unique que
masquent cent lieux à mille temps. Nos maîtres à penser la «diversité» – dans les cercles savants ou dans la société
civile – nous jouent la même comédie en deux mots: la culture de l’«excuse» vaut mieux que la logique du «profit».
•
L’amour mène l’humanité par
le bout du nez.