L annonce d`une maladie grave - Announcing a serious

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D I T O R I A L
L’annonce d’une maladie grave
Announcing a serious disease
● I. Moley-Massol*
L’
annonce d’une maladie grave, potentiellement mortelle, agit comme un cataclysme. Elle saisit le malade et lui inflige une douleur
d’une extrême violence. C’est toujours un traumatisme psychique.
L a révélation de la maladie frappe l’individu au plus profond de son être et fait résonner les blessures du passé. C’est pourquoi le retentissement de l’annonce d’une maladie grave ou chronique est imprévisible. Il dépend de la personnalité du sujet, de la représentation qu’il
se fait de la maladie et de l’organe atteint, de son histoire, de ses expériences et de la période de vie qu’il est en train de traverser.
Q ue le diagnostic “tombe” brutalement, sans que le malade ait été alerté par des signes avant-coureurs, ou qu’il s’insinue au fil d’un
tableau clinique plus ou moins évocateur, c’est toujours l’idée d’une mort possible qui fait irruption dans l’imaginaire du malade.
P lus rien ne sera désormais comme avant.
C ’ est dire à quel point le temps des premiers mots échangés autour de la maladie, entre le médecin et le malade, est important. Les mots
réalisent comme un baptême. Ils marquent la relation médecin-malade-maladie d’une empreinte indélébile.
I l n’existe pas de “bonnes” façons d’annoncer une mauvaise nouvelle, mais certaines sont pires que d’autres, celles qui enferment le malade dans
une confusion par rapport à sa maladie, l’empêchant d’y réagir, à sa façon, avec ses propres défenses, celles qui lui assènent une “vérité” crue et
brutale, inadaptée à ses ressources du moment, celles qui ne tiennent pas compte de sa demande implicite, et du respect de sa personne.
I l appartient à chaque médecin, à chaque soignant, face à chaque malade, de saisir ce que celui-ci veut et peut entendre, à chaque instant, jour après jour, car on n’en a jamais fini avec l’information à donner au malade sur sa maladie, de l’écouter et de l’entendre, de s’ajuster au plus près à sa demande, de le suivre – le malade montre souvent la voie – pour traverser ensemble l’épreuve en tant que partenaires
de soins, et d’ouvrir vers un avenir et un espoir réaliste.
B ien dire, c’est d’abord écouter.
L’
annonce d’une maladie sollicite massivement l’imaginaire du malade et le renvoie à des représentations qui
lui sont propres, spécifiques à sa personnalité et à son
histoire de vie, mais aussi caractéristiques d’une époque, d’une
société, d’une culture.
Depuis une quinzaine d’années, les mentalités évoluent, sous l’influence notamment des malades atteints d’un cancer ou du sida,
qui ont pris la parole et ont su témoigner de la réalité de leur maladie. Leurs revendications concernant l’information autour de la
maladie, une plus grande transparence, une meilleure écoute de
leurs attentes, un véritable échange avec les médecins ont considérablement modifié l’approche de la maladie.
Médecins et malades s’accordent pour déclarer que l’information fait partie intégrante du soin que l’on doit au malade. Elle
constitue le moyen le plus sûr de tordre le cou aux idées reçues,
* Médecin psychothérapeute, praticienne attachée à l’hôpital Cochin, Paris.
[email protected]
La Lettre du Rhumatologue - n° 312 - mai 2005
de dédramatiser et de permettre au malade de devenir acteur de
sa maladie et de son traitement, un partenaire de soins, à la condition que cette information éclairée “colle” à la demande du
malade, à ses ressources, à ce qu’il est prêt à entendre.
Les soignants, convaincus de la nécessité d’éclairer le malade sur
la maladie dont il souffre, ne peuvent se limiter à ce constat. Entre
le “taire” et le “tout dire”, des nuances s’imposent, qui dépendent de chaque patient. Au devoir d’informer du médecin s’oppose parfois le droit d’ignorer du malade.
Informer est un acte actif de construction avec le malade et non
un “lâcher” de données “objectives” susceptibles de blesser le
psychisme du malade aussi sûrement qu’un coup de scalpel. Il ne
s’agit pas pour le médecin de se décharger du fardeau de l’annonce
diagnostique, pour des raisons légales ou personnelles, mais d’entendre la demande du patient, qu’il faut savoir débusquer au fil des
échanges, des propos et des attitudes, des silences, des affirmations, des contradictions, des non-dits, et de comprendre ce qui
lui est fondamentalement nécessaire pour intégrer la nouvelle, y
faire face, y répondre et se reconstruire.
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On n’en a jamais fini avec le processus d’annonce de la maladie.
Celui-ci exige du temps, pour informer pas à pas, peu à peu, répéter et reprendre sans cesse.
Comment, pour le médecin, trouver les mots, communiquer avec
la parole, les gestes, le regard, sa présence à l’autre, dans l’instant et jusqu’au bout de l’histoire de la maladie ? Comment aider
le malade à traverser l’épreuve ?
Comment, pour le malade, surmonter l’annonce, s’adapter, se
reconstruire, donner un sens à ce qu’il vit, à ce qu’il ressent, sans
culpabilité ni honte, penser un autre projet de vie, un autre avenir
et, dans les cas les plus désespérés, continuer à vivre dignement,
jour après jour, dans le respect de cette vie qui vibre encore ?
“J’ai un cancer !”, “J’ai une polyarthrite rhumatoïde !”
La peur de la mort ou de la déchéance entraîne une profonde
détresse émotionnelle et une remise en question des relations avec
la vie et le monde. Il n’y a pas d’annonce anodine.
Le malade doit réaliser un deuil. Il en sera ainsi à chacune des
grandes étapes de la maladie.
Pour 70 % des patients, la première phase d’adaptation à l’annonce d’une maladie grave potentiellement mortelle ou d’une
pathologie chronique dure en moyenne trois mois.
Après cette période, le malade mobilise différemment son énergie psychique, et ses craintes se déplacent au fil de l’histoire de
la maladie : dans le cancer, par exemple, l’angoisse du malade
se déplace, il n’a plus peur de la mort mais de la chirurgie, de la
chimiothérapie, de la chute de ses cheveux, du handicap…
L’intensité de la détresse du malade dépend aussi de la période
de vie qu’il traverse au moment du diagnostic et de la stabilité
de sa vie affective et sociale, de la qualité de son accompagnement médical et affectif.
Ainsi, des études ont montré que la vulnérabilité psychique d’une
femme atteinte d’un cancer du sein était d’autant plus importante
que la personne était jeune et que des événements stressants
avaient précédé le diagnostic (Trief PM et al. 1996) (1).
La prévalence de la dépression ne doit jamais être sous-estimée.
Elle est importante au moment du diagnostic et à l’occasion des
épisodes marquant une aggravation ou une récidive.
L’ANNONCE D’UNE MALADIE GRAVE
EN PRATIQUE
Préliminaires
L’annonce d’une maladie grave se prépare. La période d’investigation doit permettre d’instaurer un lien avec le malade et d’apprécier avec lui ce qu’il souhaite savoir du diagnostic quand celuici pourra être posé. Le médecin doit garder à l’esprit que la volonté
du malade est rarement claire et définitive. Son sentiment par rapport à l’envie de “savoir” est forcément ambivalent et fluctuant.
Quand cela est possible, on demande au patient s’il souhaite la
présence d’un proche à ses côtés, en tant que soutien affectif,
mais aussi parce que celui-ci pourra relayer l’information auprès
du malade et reprendre, plus tard, les paroles du médecin et les
explications. Lors de l’annonce, le malade, souvent “saisi” par
la nouvelle, n’entend plus les mots du médecin, les explications,
les commentaires. L’émotion envahit tout. Il est sidéré.
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Le médecin choisit un lieu et un moment adaptés pour annoncer le
diagnostic, afin de ne pas être dérangé. Il évite les veilles de weekend et les fins de journée, toujours plus anxiogènes pour le malade.
Quel que soit le contexte, le médecin s’assied pour parler (2), en
essayant de se situer au même niveau que le malade (niveau du
regard) et de supprimer les objets qui pourraient créer une barrière entre lui et le malade (éviter d’être séparé par le bureau). Il
est préférable d’éteindre la télévision ou la radio (à l’hôpital) et
le téléphone portable. Ces préliminaires servent à démontrer la
disponibilité du médecin pour son patient.
Des études montrent que le patient a l’impression d’être mieux
écouté et entendu et que l’entretien dure plus longtemps lorsque
le médecin est assis.
Certains médecins prendront l’initiative d’un contact physique
(serrer la main ou toucher une épaule) pour signifier leur empathie, leur engagement auprès du malade.
Écouter le malade : le questionnement
● Que sait le malade ?
Que connaît-il de sa maladie, de son évolution possible ? Que lui
a-t-on déjà dit ? Comment s’exprime-t-il ? Avec quelles émotions : celles exprimées par les mots et celles exprimées par le
corps (il se tord les mains, est crispé ou détendu sur son siège,
pleure) ?
● Que veut-il savoir ?
C’est l’un des moments les plus délicats de l’entretien. Le patient
souhaite-t-il ou non connaître la vérité ? Quel niveau d’information désire-t-il obtenir ? Informer ne signifie pas tout dire, n’importe comment et n’importe quand.
La réponse du thérapeute ne peut que s’ajuster à la demande du
patient.
Face à un patient qui exprime le désir de ne pas être informé sur
son état de santé, on garde la possibilité de communiquer avec lui
sur les traitements envisageables et les soins dont il peut bénéficier.
L’information pourra être reprise plus tard s’il le désire.
● Comment écouter le malade ?
Assis et aussi détendu que possible, pour préparer l’écoute, le
médecin commence par interroger le malade, le laisse parler sans
l’interrompre, l’encourage à continuer. Il s’agit-là d’une écoute
active qui développe l’empathie avec le patient.
Pour que celui-ci comprenne qu’il a été entendu, le praticien peut
répéter ou reformuler ce que vient d’exprimer le malade. Il lui
adresse ainsi des signes de compréhension. Il le laisse formuler
sa demande, ses interrogations, ses émotions, sans jugement ni
commentaires. Parfois, le respect du silence est salutaire.
Quand le médecin a perçu la demande et les besoins du malade,
il est prêt à communiquer l’information, la nouvelle.
Communiquer l’information
Il est préférable, avant de commencer à énoncer les informations, d’avoir une idée précise des objectifs à atteindre en fin
d’entretien.
À ce moment de l’entrevue, le professionnel de santé a connaissance de l’état d’information du malade et de sa demande. Il est
en mesure de s’aligner sur le point de vue du patient. Le médecin
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peut reprendre les termes employés par le malade, et lui montrer
ainsi que ses propos sont pris au sérieux, ce qui éveille chez le
patient un sentiment d’assurance et l’envie de faire confiance à
son interlocuteur.
Le médecin va procéder par petites étapes pour diffuser l’information, donner au patient “des bouts d’informations digérables”.
L’utilisation d’un langage aisément compréhensible favorise la
communication tandis que le recours au jargon médical exclut le
patient. Il n’est pas inutile de contrôler la compréhension du
malade, de répéter les messages, éventuellement d’écrire ou
d’éclaircir les explications par un dessin, de demander s’il a des
questions à poser, de le laisser prendre la parole, faire des pauses,
exprimer ses émotions.
En même temps que le soignant divulgue l’information, il reste
à l’écoute constante du malade et ajuste son discours à la demande
implicite de son interlocuteur, il se laisse diriger par lui, il guette
la question dissimulée et incite le malade à exprimer ses préoccupations “inavouables” : certains patients sont, par exemple,
plus préoccupés par la perte de leurs cheveux à l’occasion d’une
chimiothérapie que par l’évolution de la maladie elle-même.
Il convient de rechercher ses préoccupations et de montrer
qu’on les respecte pour renforcer la confiance du malade et sa
réassurance.
Quelles sont les informations importantes à fournir ?
Ce sont celles que demande le patient et celles qui le concernent,
notamment à court terme : quelle est la prochaine étape ? Que lui
propose-t-on ?
Envahi par l’émotion, le malade ne retiendra de ce premier entretien de l’annonce du diagnostic qu’une infime partie. Il est inutile
de le noyer de détails qu’il n’entendra pas. Il se souviendra en
revanche avec plus de précision de la communication non verbale, celle des postures, des gestes, de l’expression, de l’environnement : “le médecin était distant”, “le téléphone n’a pas
arrêté de sonner”...
Si le malade ne se souvient pas forcément des paroles, il retiendra
la “musique” de cet instant où la maladie lui a été annoncée.
Un deuxième rendez-vous s’impose, lorsque cela est possible,
pour compléter l’information.
Le patient a besoin de temps pour “intégrer” la nouvelle, s’adapter, discuter et réfléchir sur son traitement, en connaissance de
cause.
Les règles d’or de l’annonce (3) :
– une information progressive, pas à pas,
– une information cohérente,
– une information adaptée à chaque patient et à sa demande,
– une information répétée,
– une relation sincère et vraie,
– respecter les mécanismes de défense du malade,
– ouvrir vers un espoir réaliste.
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Répondre aux sentiments des patients
La verbalisation des émotions est une étape déterminante de l’entretien. La phrase clé pourrait être : “Que ressentez-vous en ce
moment ?”
Il s’agit de comprendre la réaction du patient, parfois agressive, sans la prendre pour soi ; le but est de valider ses émotions, sans les juger, sans tenter de les réprimer, et ensuite
de les nommer : “Je vois à quel point c’est difficile pour
vous” (2).
Le malade peut exprimer toutes sortes de sentiments : froideur,
révolte, tristesse… et souvent culpabilité. Son image est dévalorisée et il craint souvent le regard des autres, de ses proches,
conjoint, enfants, mais aussi des collègues de bureau.
En exprimant ses émotions face au soignant, qui sait les accueillir,
il peut reprendre une forme de confiance.
Par des gestes simples, tendre un mouchoir à un malade qui
pleure, le toucher, se rapprocher de lui, le médecin donne au
malade l’autorisation d’exprimer sa souffrance.
Préparer l’avenir
Le patient attend de son médecin qu’il l’aide à mettre de l’ordre,
et peut-être du sens, dans tout ce trouble, et qu’il propose une
marche à suivre pour l’avenir.
À ce stade, l’alliance passée entre soignants et malade est déterminante. Le patient a besoin d’être accompagné et écouté pour
préparer son avenir, quel qu’il soit.
Le rôle de soutien du médecin ne s’arrête pas à l’issue de l’annonce.
On n’en a jamais fini avec les annonces, à chacune des étapes
clés de l’histoire de la maladie, chacune pouvant susciter un traumatisme psychique que le médecin doit être en mesure d’anticiper
et d’accompagner.
Un contrat est à sceller entre médecin et malade afin de repenser
la vie du malade et d’élaborer un futur : le médecin s’adresse à
la personne non plus en tant que “patient” mais en tant que “partenaire de soins”.
Quand le diagnostic survient à un stade avancé de la
maladie
La prise en charge de certains malades dont le diagnostic signe
un stade très avancé de la maladie potentiellement mortelle est
particulièrement difficile pour le médecin, notamment lorsqu’il
se trouve confronté à ses limites et à son impuissance thérapeutique.
Cette limite de la compétence technique médicale peut expliquer
l’impasse dans laquelle se fourvoie parfois la relation médecinmalade, empêchée par des successions d’évitements et de non-dits.
Le malade a parfois du mal à comprendre sa maladie et pose peu de
questions. C’est le cas notamment dans les insuffisances cardiaques
avancées…
Le malade a pourtant besoin de savoir que le médecin et l’équipe
soignante restent vigilants et soucieux de son état et de son devenir. Il a besoin de rencontrer des “donneurs de soins”, toujours
présents, jamais démissionnaires.
La personne gravement malade se nourrit de la parole de l’autre,
du médecin notamment (4).
En l’absence de mots, il se dit : “S’il n’y a plus de paroles, c’est
qu’il n’y a plus rien à faire.”
La Lettre du Rhumatologue - n° 312 - mai 2005
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Or, nous sommes bien là dans un des rôles du soignant :
montrer et dire au malade qu’il y a toujours quelque chose
à faire pour lui, parce que sa personne est sacrée et que
l’important réside aussi dans l’instant, dans ce qu’il vit
aujourd’hui.
Des mots, des échanges sur ce qui peut être fait pour améliorer sa vie, une attention soutenue du médecin et des soignants
préservent la dignité de ce malade et l’assurent de la reconnaissance de son être et de sa souffrance. En lui montrant qu’il
y a toujours quelque chose à faire pour l’aider, le soulager, aller
vers un mieux-être, le médecin signifie au malade “à bout de
souffle” qu’il “compte” toujours pour lui, pour les autres, qu’il
tient sa place dans le monde des vivants.
European League Against Rheumatism
D I T O R I A L
Le patient doit pouvoir faire confiance au médecin et se “lover”,
s’il le souhaite, dans sa relation avec lui. Il doit entendre qu’on
ne le “lâchera” pas.
Ce contrat de confiance oblige le médecin à une authenticité de
parole.
■
Bibliographie
1. Consoli SM, Baillet F. Diplôme universitaire de psycho-oncologie clinique,
hôpital Broussais, Paris, 2004.
2. Buckman R. S’asseoir pour parler, l’art de communiquer de mauvaises nouvelles aux malades. Guide du professionnel de santé. Paris : InterÉditions, 1994.
3. Ruszniewski M. Face à la maladie grave. Patients, famille, soignants. Paris :
Éd. Dunod, 1999.
4. Moley-Massol I. L’annonce de la maladie. Une parole qui engage. Paris :
Éd. Datebe, 2004.
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